La France dispose d’un potentiel d’influence qui la maintient dans le top 5 des pays du monde mais ce potentiel est gaspillé par une classe politique sans vision et sans courage
La France tant sur le plan diplomatique, militaire, scientifique et technique qu’économique dispose d’un potentiel d’influence qui devrait placer notre pays dans le top 5 des États les plus influents du Monde.
Du fait de la volonté du Général de Gaulle, notre pays possède l’arme nucléaire et une force de dissuasion nucléaire. Notre pays détient de ce fait un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. La France dispose aussi de 156 ambassades, de 17 représentations auprès d’organisations internationales et de 98 postes consulaires. Le nombre et la qualité de ses diplomates et de ses structures diplomatiques la placent au 4ème rang mondial. Par ailleurs, son passé colonial et la francophonie lui offre un potentiel d’influence considérable, à condition de l’utiliser à bon escient.
L’armée française, jusqu’aux dernières réductions d’effectifs et budgétaires, a démontré, tant sur le théâtre Afghan, qu’en Libye et au Mali, ses capacités opérationnelles et la valeur militaires qui animent ses officiers, ses sous-officiers et ses soldats. Tant par son budget que par ses capacités, elle se classait immédiatement derrière les États-Unis, la Chine et la Russie.
Sur le plan scientifique et technique, nos écoles d’ingénieurs sont parmi les meilleures du monde et contribuent à former une élite scientifique et technique d’excellence, même si les structures de la recherche publique et, jusqu’à une date récente l’absence d’autonomie des universités, ne lui permettant pas d’exprimer tout son potentiel.
Dans le domaine industriel et économique, la France garde une place de choix dans les industries stratégiques de l’espace, de l’aéronautique et du nucléaire et est un leader incontesté dans les industries du luxe, avec des sociétés comme LVMH et L’Oréal, et possède des atouts d’avenir dans les sciences de la vie. Ses frontières maritimes et ses poussières d’empire offrent à la France la deuxième plus grande zone économique exclusive du monde, avec 11 035 000 km² (juste derrière celle des États-Unis : 11 351 000 km² ; mais devant celle de l’Australie : 10 648 250 km²) qui constitue un atout exceptionnel pour le futur, à condition de se donner les moyens de la préserver et de l’exploiter.
Malheureusement, ce potentiel exceptionnel est gaspillé par une classe politique sans vision et sans courage.
La vision c’est la capacité à avoir un projet pour l’avenir qui soit partagé par une majorité de citoyens et par les corps intermédiaires. Elle doit être élaborée en prenant en compte les grandes dynamiques planétaires et internationales qui vont impacter ce potentiel d’influence.
Au plan géostratégique, le monde évolue vers un condominium sino-américain qui fonctionne suivant une dynamique d’adversaire-partenaire. Adversaire dans la course à la suprématie, partenaire pour empêcher un troisième acteur de venir perturber leur tête à tête. La conclusion qui s’impose est que la voix de la France ne pourra peser réellement dans les grandes affaires du monde et résoudre les crises et les conflits [1] qui pèsent sur notre sécurité et sur notre développement que dans le cadre d’une Europe politique et d’une alliance stratégique avec la Russie.
Au lieu d’assumer leurs responsabilités, nombreux sont ceux qui rejettent la faute sur l’Europe. Lurent Fabius et François Hollande, au lieu de s’appuyer sur l’avis et l’expertise de nos diplomates et de nos militaires sur la Syrie et de défendre nos intérêts, se laissent guider par l’émotion et le discours de BHL. Manque de vision de tous ceux qui se lancent dans une surenchère pour dénoncer le manque de démocratie en Russie mais se flattent de l’amitié des princes et des rois moyenâgeux du Golfe persique dont on sait le peu de cas qu’ils font des droits de la femme. Notre classe politique n’a de vision que bornée par les résultats du dernier sondage d’opinion et le souci de sa réélection. Bien peu entreprennent une réflexion sur les intérêts supérieurs de la France et la plupart ne s’en occupent qu’accessoirement.
Notre classe politique et, probablement nous avec elle, manquons aussi de courage politique.
Alors que tous les experts qui ne sont pas liés à une idéologie ou, par l’appartenance, à un parti politique s’accordent à dire que la plaie principale de la France est une dépense publique trop importante, elle-même générée par l’absence de réforme des structures territoriales (suppression du département) et de l’éducation nationale (ou seulement un enseignant sur deux est au contact des élèves), depuis vingt ans les politiques de droite et de gauche se sont bien gardés de prendre le problème à bras le corps. Même Nicolas Sarkozy, qui s’est attaché à supprimer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, a évité de s’y atteler. Tous, par peur de manifestations et de grèves, ont pratiqué l’échenillage dans le budget de tous les ministères au lieu de préserver les moyens de l’État régalien : la diplomatie, l’Armée et la Police. Il en résulte un affaiblissement constant du potentiel d’influence de la France et une dette qui va prochainement atteindre les 100% du PIB en 2014.
Autre exemple, alors que les États-Unis, La Grande-Bretagne et la Russie ne négocient pas avec les terroristes, nos hommes politiques font le contraire et sur le Tarmac de Villacoublay essaient de s’attribuer le mérite de leur libération, aidés en cela par une classe médiatique qui croit que l’émotion remplace l’information.
Il en est de même avec le principe de précaution qui s’est peu à peu imposé en Europe au cours de ces trente dernières années. Il témoigne d’un nouveau rapport à la science que l’on interroge désormais moins pour ses savoirs que pour ses doutes et d’un refus d’accepter les risques qui sont indissociablement liés à toute activité humaine. Notre classe politique a détourné ce principe pour en faire un principe d’abstention, supprimant ainsi la dialectique du risque et de l’enjeu consubstantiel au développement humain et à son corollaire, la responsabilité individuelle. L’exemple le plus éclatant est le gaz de schiste sur lequel on se refuse même à lancer une simple expérimentation d’extraction.
Manque de vision géopolitique et stratégique, manque de courage de notre classe politique et de nos élites qui ne jouent plus leur rôle qui est d’utiliser tout le potentiel de la France pour développer son influence et maximiser sa sécurité et son développement.
Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
[1] Résoudre le conflit israélo-palestinien que les Américains n’ont aucun intérêt à éteindre car le complexe militaro-industriel américain y trouve son meilleur débouché et possède une part de marché de l’ordre de 50 à 60% suivant les années mais qui est la source contemporaine du terrorisme qui menace surtout l’Europe et la Russie : seulement 2% des morts et blessés du fait du terrorisme ont eu lieu depuis 20 ans sur le sol américain, 11 septembre 2001 inclus ; lutter contre l’islam radical qui essaie de contaminer les 25 millions de musulmans qui vivent en Europe mais aussi les 25 autres millions dans la Fédération de Russie ; réguler les migrations de populations du Sud vers le Nord.
MALI
Au Nord Mali, les forces françaises sont confrontées à des groupes islamistes dans un contexte politique où la France et le Président Ibrahim Boubacar Keïta sont soumis à la surenchère verbale des tenants d’une solution de force au Nord Mali.
Les accrochages qui ont lieu au Mali doivent être replacés dans leur contexte géopolitique et stratégique. Aucun responsable militaire français n’a jamais imaginé que l’action militaire française mettrait fin à la violence qui sévit au Nord Mali. En effet, les théoriciens militaires ont toujours distingué 4 phases dans une insurrection :
Phase 1 : la subversion avec des actions individuelles ou de petits groupes;
Phase 2 : la constitution de bandes armées (katibas) capables de mener des actions contre les forces armées ou des objectifs choisis et de les tenir quelques temps;
Phase 3 : la constitution d’un sanctuaire inviolable dans le pays où la rébellion installe son administration, ses camps d’entrainement, sa logistique;
Phase 4 : Le soulèvement général et la prise de la capitale.
La France est intervenue au moment de l’enclenchement de la 4ème phase par AQMI et le MUJAO. L’action militaire française a permis de renvoyer la rébellion islamique au niveau de la phase 1. Mais elle n’a pas éradiquée les causes de la rébellion qui sont de nature culturelle, religieuse et politique.
En effet, au Sahel, l’opposition a existé de tous temps entre les peuples nomades du Nord qui sont des guerriers et les populations sédentaires du Sud qui n’ont pas ces valeurs militaires dans leur culture. A cela s’est greffée l’islamisation des peuples du Nord avec les dérives extrémistes contemporaines propres à cette religion. La colonisation française a créé, par l’école, des élites intellectuelles dans les populations noires du Sud mais elle a eu peu de prise sur les peuples nomades qui sont restés, à de rares exceptions [1], repliés sur leur culture traditionnelle. A la décolonisation, le pouvoir politique et administratif est revenu naturellement aux lettrés alors que la force militaire, sur leur terrain, était toujours aux mains des nomades qui n’ont jamais accepté d’être administrés dans leurs régions par d’autres que par eux-mêmes. Toutes les crises au Tchad dans lesquelles la France a été impliquée depuis 1969 ont été fondées sur les mêmes causes. La stabilité du Tchad n’existe que depuis qu’un chef militaire issu du Nord, Idriss Deby, a pris le pouvoir à N’Djamena.
Tant que Bamako n’aura pas accepté que, dans le cadre de l’unité du Mali, les régions quasi désertiques allant de la frontière algérienne jusqu’au fleuve Niger disposent d’une autonomie administrative du même type que celle que Madrid a fini par consentir au peuple Basque, les islamistes disposeront d’un terreau favorable et le Nord Mali ne connaitra pas la Paix.
En effet, l’élection présidentielle n’a pas fait taire les surenchères politiques concernant la mise au pas du Nord [2]. Cela fait penser que cette solution de bon sens aura bien du mal à s’imposer et que le niveau de violence que l’on observe actuellement au Nord se maintiendra quelle que soit la montée en puissance de l’armée malienne.
La présence militaire française réduite permettra de maintenir entre les stades 1 et 2 la rébellion du Nord Mali attisée par les brigades islamiques revendiquant leur appartenance à la mouvance d’Al-Qaïda et de protéger le développement des sites miniers qui fourniront au gouvernement les moyens de financer sa sécurité et un certain développement économique.
Mais il ne faut pas espérer obtenir plus que cela tant qu’une solution politique ne sera pas trouvée avec les leaders du Nord.
Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
[1] Je pense à mon ami Mano Dayak, issu d’une tribu des ifoghas, disparu tragiquement dans un accident d’avion en décembre 1995. Mano m’avait raconté comment il a avait été obligé de suivre, à 10 ans, les cours de l’école française nomade qui lui avait fait, petit à petit, prendre gout aux études.
[2] Gao : des manifestants réclament le départ du gouverneur, des directeurs de la gendarmerie, police, santé et le DG de l’hôpital et mettent en garde la France.
Manifeste pour la sauvegarde de nos armées
Ce manifeste pour la sauvegarde des armées a été rédigé par le cercle de réflexion « Les sentinelles » qui regroupe de manière informelle des officiers généraux et supérieurs des trois armées. Il a été adressé à certains parlementaires et organes de la presse nationale et régionale.
Le démantèlement de l’institution militaire arrive à son terme. Infiniment plus que l’actuelle disette budgétaire, les impératifs de l’Etat-providence et la volonté des «post modernes» d’en finir avec le « fracas des armes » ont été les abrasifs les plus puissants pour réduire, en moins d’un demi-siècle, l’armée française à l’état d’échantillon. La force militaire est passée, dans le silence et la dénégation, du statut d’institution régalienne majeure à celui d’une société de services que l’on rétribue à la tâche.
Le couronnement de cette efficace entreprise de démolition a été de placer la haute hiérarchie aux ordres d’une administration civile de défense qui prospère sans frein, au prétexte de recentrer les militaires sur leur cœur de métier. Le soldat, « ravalé à la fonction d’homme de peine de la République », est prié de verser son sang dans le silence et l’indifférence en se soumettant aux règles strictes d’un devoir d’Etat trop souvent déserté par ceux qui sont censés le faire mettre en œuvre et le faire respecter.
Ce désastre consommé ne peut plus être confiné sous l’éteignoir d’un « devoir de réserve », caution hypocrite à la disposition de tous les habiles pour esquiver dans le confort de la chose publique leurs responsabilités envers la Nation.
Des fautes multiples
C’est, en effet, une grande faute que de sacrifier le bras armé de la France au gré d’idéologies de rencontre et d’embarras financiers.
C’est une faute en regard du monde tel qu’il s’organise et dont chacun sait qu’il réservera de fâcheuses surprises. L’absence actuelle de menace militaire majeure n’est qu’un simple moment de l’Histoire. Son calme apparent ne doit pas masquer les reconfigurations géopolitiques qui marginaliseront les nations au moral défaillant.
C’est une faute vis-à-vis de la sécurité des Français de faire ainsi disparaître un pilier majeur de la capacité de résilience du pays face à d’éventuelles situations de chaos dont nul ne peut préjuger le lieu, l’heure et la nature. Pour y faire face, seule une force armée peut offrir les moyens suffisants servis par des hommes et des femmes structurés par les valeurs puissantes du devoir et de l’obligation morale.
C’est une faute d’éliminer l’une des institutions « fabriques de liens » dont la France a un urgent besoin face aux forces centrifuges qui y sont à l’œuvre, face aux fractures sociales et culturelles en voie de se produire.
Il est donc plus que temps de rétablir la puissance et l’efficacité d’une institution d’Etat « pour le dedans comme pour le dehors » et de se remettre à penser le destin national en termes de risques et de puissance stratégique. La France en a les moyens. Elle doit le faire sans l’attendre d’une Europe, puissance inexistante, ou d’une soumission transatlantique délétère voire de plus en plus illusoire.
Que rétablir et comment ?
Après des décennies de mesures irresponsables, une impulsion réparatrice est nécessaire pour raisonner et faire le choix des voies et moyens qui puissent rétablir une institution, désormais comateuse. Ces choix ne pourront pas faire l’économie d’un certain nombre de dispositions, dont l’abandon ou le travestissement ne sont plus acceptables.
Un budget décent doit permettre à nos soldats de disposer de l’entraînement et des équipements nécessaires, et au politique de s’engager sans le soutien déterminant des Etats-Unis, tout en évitant le stupide tout ou rien nucléaire.
Il faut pour servir les armes de la France des hommes et des femmes en nombre suffisant avec la répartition qui convient entre des professionnels en nombre suffisant et les citoyens en armes qui doivent revenir d’une manière ou d’une autre au centre de notre dispositif sécuritaire et identitaire. Rien d’efficace et de durable ne peut se faire sans des effectifs capables de marquer dans la durée, sur et hors du territoire national, la volonté et la détermination de la Nation.
Quel chef d’entreprise accepterait d’œuvrer alors que lui échappe le contrôle des moyens administratifs et techniques réputés nécessaires à son œuvre ? C’est pourtant ce qu’imposent aux chefs militaires de récentes réformes mises en œuvre au nom de la rationalité des coûts. Il faut donc revenir à une organisation des forces univoque qui subordonne au commandement les moyens de son action.
Enfin, une répartition équilibrée des responsabilités qu’autorise la Constitution est nécessaire entre l’exécutif et le Parlement, qui, par ailleurs, laisse au militaire le devoir d’exercer librement son conseil, tout en administrant et mettant en œuvre les forces autrement que par le canal d’une administration de défense d’autant plus intrusive qu’elle se sait irresponsable.
Voilà autant de mesures indispensables qui seront déclinées, point par point, dans des documents à venir et dont les signataires du présent document demanderont, avec détermination et constance, la réalisation pour le bien public.
Il est grand temps de rénover et de renouveler le contrat de confiance de la République avec ses soldats. S’il n’est pas trop tard, il devient urgent de lui redonner la vigueur indispensable sans qu’il soit besoin de recourir à des formes de représentation qui, bien qu’étrangères à notre culture militaire, pourraient s’avérer, un jour peut-être proche, le seul moyen pour nos soldats de se faire entendre.
* Club de réflexion qui regroupe des officiers supérieurs et généraux des trois armées, de sensibilités diverses et membres de nombreuses associations et institutions de Défense.
Les trois erreurs politiques et stratégiques de François Hollande sur le dossier syrien ont affaibli l’influence de la France dans le monde
Le dossier syrien ne marque pas les limites de l’influence française comme le soutient Natalie Nougayrède dans son brillant éditorial, publié dans le Monde du 1er octobre. Ce sont les trois erreurs politiques et stratégiques commises par François Hollande dans le dossier syrien qui ont affaibli l’influence de la France dans le monde.
La première erreur du chef de l’État est d’avoir réagi trop vite dans l’émotion et d’avoir attribué immédiatement, dans sa pensée et probablement dans le cercle de ses proches, le crime au régime syrien alors qu’il ne disposait d’aucune information vérifiée et que ses services n’avaient eu le temps ni de recueillir des preuves sur le terrain ni de confronter leurs analyses avec les services amis d’autres pays européens. Il enclenchait ainsi un processus pervers dans son entourage dont le rôle n’était plus de l’informer de la réalité de ce qui s’était passé sur le terrain mais de conforter le discours présidentiel au besoin, en tordant la réalité. C’est visiblement ce qui semble être arrivé car il se murmure dans les cercles militaires que les analystes de la DGSE sont furieux de ne pas avoir retrouvé, dans le texte qui a été distribué aux médias, les conclusions de l’étude qui avait été transmise au cabinet du Ministre de la Défense. Or, plusieurs spécialistes des armes chimiques ont émis plusieurs autres hypothèses qui n’ont jamais été retenues, vérifiées ou infirmées par des preuves [1]. Pour les conseillers qui entourent le chef de l’État il ne pouvait y avoir de doutes : les rebelles sont les bons et Bachar el-Assad est le méchant. Alors que tous ceux qui sont sur le terrain savent que l’horreur est le fait des deux camps. « La guerre civile est le règne du crime », a écrit Corneille.
La seconde erreur est de s’être satisfait, voire d’avoir été flatté de se trouver seul en tête à tête avec Obama, et de n’avoir pas compris qu’un Obama, auto-piégé par l’évocation d’une ligne rouge à ne pas franchir, n’avait aucune envie de s’engager dans l’aventure syrienne, sans preuves formelles et au moment même où il était en plein combat avec l’aile droite républicaine du Sénat qui refusait de voter le budget, trouvant là un prétexte pour s’opposer à l’entrée en vigueur en 2014 du volet central de sa loi de réforme du système de santé, mesure phare de ses deux mandatures. Enfermé dans des négociations sur les conditions dans laquelle l’intervention militaire aurait lieu, Hollande n’a pas exploré si d’autres options étaient envisageables ni avec nos partenaires européens ni avec la Russie. Or, comme je le souligne dans plusieurs chapitres de mon dernier livre Russie, alliance vitale [2] aucune solution ne peut être trouvée au Moyen-Orient, Afghanistan et Iran compris sans l’appui de la Russie.
La troisième erreur est une conséquence des deux premières. Il s’est écarté du rôle géopolitique de la France : être un moteur dans la construction d’une unité diplomatique et militaire de l’Europe qui seule peut établir un pont entre les intérêts diamétralement opposés de la Russie et des États-Unis dans cette partie du Monde. Il a ainsi ouvert la porte à la proposition russe qui l’a mis immédiatement hors jeu, les Américains et les Russes discutant ensemble sur les termes de la résolution à présenter au Conseil de sécurité. Par sa réaction hâtive, Hollande s’est écarté du rôle que l’on attend de la France dans la communauté internationale : aider les victimes de cette situation, faire une pression égale sur les belligérants pour les amener autour d’une table de négociation. Éviter de rajouter la guerre à la guerre par une intervention ou en distribuant des armes aux rebelles car on ne peut jamais contrôler dans quelles mains elles aboutiront finalement, comme le montre les défections de plusieurs unités de l’ASL qui viennent de rejoindre les katibas djihadistes. Et, parallèlement, réduire les sources de financement des salafistes et des Frères musulmans en faisant pression sur l’Arabie Saoudite, le Qatar et sur la Turquie qui en assurent l’essentiel.
Ces trois erreurs ont affaibli l’influence de la France dans le monde et ont fait perdre à François Hollande la crédibilité qu’il avait acquise dans le dossier malien.
Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
[1] Je m’appuie sur les propos d’un général, spécialiste des armes chimiques, qui écrivait dans une note destinée à ses camarades de promotion : « Le sarin n’est pas une substance compliquée à fabriquer; avec quelques ingénieurs chimistes et quelques artificiers, on peut produire de quoi décimer une ville entière; rappelons-nous les attentats dans la métro de Tokyo perpétrés par la secte Aum le 20 mars 1995; l’excellent livre d’Haruki Murakami « Underground » en témoigne à l’évidence. Mais cela représente également quelques risques pour les préparateurs. Une maladresse est toujours possible et elle peut avoir des conséquences dramatiques pour leur environnement. Un tir d’artillerie ou de mortier ‘loyaliste’ peut aussi avoir touché un laboratoire de ce type ».
Les 6 raisons géopolitiques et stratégiques pour ne pas intervenir en Syrie
En allant à l’ONU défendre la position de la France alors que sa cote de popularité est au plus bas chez les Français [1], François Hollande s’entête dans son erreur stratégique de vouloir armer les rebelles syriens et dans sa volonté d’introduire dans une résolution onusienne la possibilité d’une intervention militaire en Syrie. Cette proposition ne sera jamais acceptée par le conseil de sécurité car si l’utilisation d’armes chimiques en Syrie est avérée et reconnue par l’ONU aucune preuve directe n’existe que ce soit le fait du régime d’Assad, permettant à la Russie de soutenir le contraire.
Outre l’absence de légitimité internationale sans un mandat onusien ce dont les Américains se sont déjà passés pour faire la guerre à l’Irak, sous prétexte de la présence d’armes de destruction massive, voici les six raisons pour lesquelles intervenir militairement en Syrie serait une erreur stratégique et géopolitique.
1. On ajouterait la guerre à la guerre. Que se passera-t-il si un missile occidental s’abat sur un dépôt d’armes chimiques et cause la mort de milliers de Syriens ? Or c’est peut-être ce qui s’est déjà passé dans la banlieue de Damas. Il y a eu, d’après les inspecteurs de l’ONU, des tirs venant des forces d’Al-Assad mais des experts en armes chimiques émettent l’hypothèse que ces tirs aient pu toucher un laboratoire clandestin de la rébellion qui fabriquait du sarin :« Le sarin n’est pas une substance compliquée à fabriquer; avec quelques ingénieurs chimistes et quelques artificiers, on peut produire de quoi décimer une ville entière; rappelons-nous les attentats dans la métro de Tokyo, perpétrés par la secte Aum le 20 mars 1995; l’excellent livre d’Haruki Murakami « Underground » en témoigne à l’évidence. Mais cela représente également quelques risques pour les préparateurs. Une maladresse est toujours possible et elle peut avoir des conséquences dramatiques pour leur environnement. Un tir d’artillerie ou de mortier ‘loyaliste’ peut aussi avoir touché un laboratoire de ce type » [2].
Que se passera-t-il aussi si, après les frappes aériennes, le régime d’Al-Assad ne s’effondre pas ? Si les navires russes qui croisent en Méditerranée [3] frappent à leur tour les positions rebelles ou si l’Iran envoie des milliers de combattants au secours d’Assad ? Pourrons-nous maîtriser une éventuelle escalade ?
2. On tombe de Charybde en Scylla. En livrant des armes à l’ALS on risque de les retrouver dans les mains des islamistes d’Al Qaïda. Qui peut aujourd’hui affirmer que l’ALS n’est pas infiltrée par des islamistes radicaux ? Sur le terrain ils combattent côte à côte et qui empêchera un membre d’Al-Qaïda de s’emparer de l’arme d’un rebelle de l’ALS, mort ou blessé ? C’est aussi l’avis du Président de la sous-commision Sécurité et défense au Parlement européen, Arnaud Danjean qui ne cache pas son scepticisme : « De telles livraisons seront totalement incontrôlables ». Ajoutant : « Celles qui le seront ne concerneront que des unités excentrées, donc pas décisives. » Cet ancien de la DGSE, qui a servi en Bosnie et au Kosovo dans les années 1990, était déjà opposé à la levée de l’embargo sur les armes à destination du gouvernement bosniaque ou des rebelles albanophones de l’UCK à l’époque du conflit dans l’ex-Yougoslavie. Et le député européen de conclure : « Le principal problème reste la fragmentation absolue des groupes rebelles. » [4]
3. On prend parti ouvertement dans une guerre civile confessionnelle. En Syrie, ce n’est pas une révolution qui s’y déroule. Si Al-Assad se maintient au pouvoir depuis deux ans et demi c’est qu’il est soutenu par toutes les minorités religieuses [5] (alaouites, chiites, chrétiens de toutes obédiences) qui vivaient en paix sur le sol syrien. La victoire des islamistes sunnites serait pour elles la mort ou l’exil. Les alaouites sont, en effet, considérés par l’Islam sunnite comme des apostats [6]. Cela leur a valu, au XIVème siècle, une fatwa du jurisconsulte salafiste Ibn Taymiyya, l’ancêtre du wahhabisme actuel, prescrivant leur persécution systématique et leur génocide. Sa fatwa n’a jamais été remise en cause et est toujours d’actualité, notamment chez les salafistes, les wahhabites et les Frères musulmans. Persécutés pendant six siècles, les alaouites n’ont pris leur revanche qu’avec le coup d’Etat d’Hafez el-Assad, le père de Bachar. La guerre civile confessionnelle est sous-jacente à l’histoire syrienne. Ainsi, en 1980, un commando de Frères musulmans s’était introduit dans l’école des cadets de l’armée de terre d’Alep. Écartant les élèves officiers sunnites, il a massacré 80 cadets alaouites au couteau et au fusil d’assaut en application de la fatwa d’Ibn Taymiyya. Les Frères l’ont payé cher en 1982 à Hama – fief de la confrérie – qui fut pratiquement rasée par son frère, Rifaat al-Assad, faisant plus de 10 000 victimes.
4. On rejoint ouvertement le camp d’une coalition dominée par l’obscurantisme religieux. Premier sponsor des rebelles dans cette guerre confessionnelle, l’Arabie Saoudite est une monarchie moyenâgeuse, promoteur de l’école hanbaliste de l’islam sunnite, la plus traditionaliste, qui piétine les droits de la femme et d’où sont issus le courant de pensée radical walabite ainsi que les organisations terroristes des frères musulmans et des salafistes d’Al-Qaïda. Second sponsor, le premier ministre Turc Erdogan, proche des frères musulmans, qui veut imposer aux Turcs un islam rigoriste et qui arme des « katibas » composées d’islamistes radicaux turcs et kurdes [7].
5. On s’expose à des représailles de l’autre camp : boycott de nos entreprises en Irak et en Iran voire des actes terroristes contre nos expatriés et sur notre territoire national. En effet, l’Iran et l’Irak, pays à dominante shiite, soutiennent Al-Assad car ils savent qu’un califat islamiste exporterait la guerre civile dans leur pays. C’est déjà le cas en Irak où la minorité sunnite (20% de la population), maltraitée par Maliki, est déjà en rébellion contre le pouvoir shiite et protège les terroristes revendiquant leur appartenance à la mouvance d’Al-Qaïda. L’Irak est déjà contaminé par la guerre civile syrienne (en août 570 morts et 1200 blessés ont été recensés sur le territoire irakien).
6. On contribue à recréer un climat de guerre froide avec la Russie ce qui sert les intérêts américains [8] alors que l’intérêt sécuritaire, économique et politique de l’Europe devrait la conduire à conclure une alliance stratégique avec ce pays qui accueille en son sein, comme en Europe, 25 millions de musulmans; qui dispose de ressources de matières premières dont nous avons besoin; qui permettrait à la voix de l’Europe de peser dans les relations internationales dominées dans un futur proche par le condominium sino-américain.
Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
[1] La baisse de 5 points de la cote de popularité de François Hollande dans le baromètre IFOP-JDD (23% d’opinions favorables) est attribuée, en partie, à sa position en faveur d’une intervention militaire en Syrie.
[2] Général (2S) Alain Faupin.
[3] Le grand navire de débarquement Amiral Nevelskoy; le navire de lutte ASM Amiral Panteleiev a franchi les détroits turcs le 1er septembre; le navire de débarquement Minsk a franchi les détroits turcs le 5 septembre; le navire de débarquement Azov a franchi les détroits turcs le 20 août dernier; le navire de débarquement Nikolaï Filchenkov; le navire de débarquement Novotcherkassk a franchi les détroits turcs le 5 septembre; le navire de renseignement Priazovie (a franchi les Détroits turcs le 5 septembre; le navire de lutte ASM Smetlivy a quitté son port d’attache de Sébastopol et mis le cap sur la Méditerranée orientale; le croiseur lance-missiles Moskva, navire amiral de la flotte de la mer Noire, au retour d’une croisière dans l’Atlantique. Enfin, les vedettes lance-missiles Chtil et Ivanovets doivent également rejoindre l’escadre russe au large de la Syrie le 29 septembre prochain.
Source : RusNavy Intelligence.
[4] Livrer des armes aux rebelles syriens, le pari risqué de Hollande.
[5] Arabes sunnites 65%, Kurdes sunnites 10%, Alaouites 10%,Chrétiens 10% (dont Syriaques orthodoxes 3,5%, Grecs catholiques 1,5%, Grecs orthodoxes 1,2%, Arméniens orthodoxes 1%), Chiites 3,5%, Druzes, musulmans hétérodoxes, 1,5%.
[6] Mahomet aurait dit : « Quiconque change sa religion, tuez-le.».
[7] Intelligence online, Canal Moyen-Orient, édition du 11 septembre 2013.
[8] J’y ai consacré mon dernier livre : Russie, alliance vitale, Choiseul, 2011.
Armes chimiques. «Assad n’a peut être pas donné l’ordre directement» (Mouaz al-Khatib)
(BRUXELLES2) « Je ne crois pas que la guerre puisse apporter la paix au peuple » affirme Mouaz al-Khatib. Un petit groupe de journalistes dont B2, a pu rencontrer l’ancien président de la Coalition Nationale syrienne. L’occasion d’avoir son point de vu sur les potentielles frappes et sur les responsabilités de l’utilisation des armes chimiques.
Ajouter la guerre à la guerre
« Ce n’est pas à moi de dire si je suis pour ou contre les frappes car au départ je suis pour la solution politique. Mais maintenant le régime appelle cette action militaire car nous lui avons offert de nombreuses fois tout type de solutions mais il les a rejeté » explique-t-il. L’imam exprime sa réticence envers des frappes. « La guerre cela ne se fait pas avec des frappes chirurgicales, cela apporte plus de problèmes et de confusion. De plus, ce ne seront pas de grosses frappes qui mettront fin au régime et donc il se relèvera. Assad continuera en se disant, personne ne me stoppera maintenant. » Il ajoute, « Maintenant une réelle action militaire peut arriver. Mais les frappes limitées sont un peu hypocrites car si Obama dit, je ne mettrait pas à bas le régime, j’envoie juste un message, Assad se considérera comme ayant gagné la bataille contre les Etats-Unis, si l’on ne le tue pas ». De plus, « Des frappes limités seront inutiles, le but ce n’est pas de donner une bonne image des USA mais de faire partir un dictateur par tous les moyens possibles ».
Une fixette sur les armes chimiques
De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer la fixation faite sur l’utilisation des armes chimiques alors que cela ne représente qu’une petite partie des crimes d’Assad. « Pourquoi la communauté internationale se concentre-t-elle sur ce petit crime ? Tous les jours il y a des massacres, à Homs, Al Qusair, Damas, Alep. Comparé aux crimes dans l’ensemble ce n’est qu’une petite partie. Tuer une personne est un crime, faire du mal à un enfant est un crime. Torturer une femme est un crime. » Il confie aussi son inquiétude, « Je suis inquiet car les syriens ne sont pas attaqués depuis un mois. On les attaque et les massacre depuis deux ans et demie. Le régime a utilisé des bombes comme à Hiroshima. Que fait-on des massacres des civils ? De la destruction de 82 boulangeries en un mois avec des avions ? Ce ne sont pas des crimes de guerre ? ».
Armes chimiques, le gouvernement responsable…
Concernant les attaques chimiques, Mouaz al-Khatib est « persuadé que c’est le régime ». « Les rebelles vivent avec leurs familles et voisins, il ne peuvent pas attaquer leurs propres familles. De plus ils n’ont pas la capacité technique d’attaquer 17 points au même moment ».
… Assad indirectement
Le point important est ici. Selon lui, « Assad n’a peut être pas donné l’ordre directement mais le régime a donné l’opportunité et l’autorité pour ». Pourquoi ? Car les pouvoirs ont été délégués. « Les gens attendent les résultats de l’enquête internationale mais il y a des raisons pour expliquer cette confusion sur le fait de savoir qui a utilisé les armes. Pour que le régime puisse tuer plus de personnes, Assad a donné la pleine autorité aux leaders. Ils ont découpé la Syrie en de nombreuses zones. Les leaders ont reçu la pleine autorité pour faire ce qu’ils veulent. Maintenant, peut être que le responsable de cet zone a décidé de conduire cette attaque. Il y a quelque chose de très étrange, l’officier principal pour les armes chimiques de la garde républicaine a été exécuté deux jours après. Il y a donc eu quelque chose que le régime ne voulait pas qu’il se passe ».
Pas une raison pour abandonner l’arsenal chimique
Malgré les massacres et la condamnation de l’utilisation des armes chimiques, les syriens de l’opposition ne semblent pas décider à abandonner cette ressource en cas de victoire. Interrogé sur le fait de savoir si il signerait les accords internationaux sur les armes chimiques, Mouaz al-Khatib se montre réticent… « Si tous les pays de la zone signaient un désarmement, ce serait d’accord » affirme-t-il avant de botter en touche, « Ce n’est pas une décision personnelle de dire oui ou non, quand nous aurons un parlement légitime il pourra décider.»
Thomas Le Bihan
Source : Bruxelles2
Lost in (geopolitical) translation : et la Syrie nous fit nous réveiller dans un monde que nous ne connaissons plus
Alors que la réunion du G20 a, sans surprise, échoué à accoucher d’un consensus sur la crise syrienne, la position des Etats-Unis et de la France semble de plus en plus fragilisée sur la scène internationale. Un fait qui remet en cause la toute puissance américaine et amène à se questionner sur l’avenir des grandes puissances au XXIe siècle.
Atlantico : Alors que la réunion du G20 a, sans surprise, échoué à accoucher d’un consensus sur la crise syrienne, la position des Etats-Unis et de la France semble de plus en plus fragilisée sur la scène internationale. Si l’on compare cette situation à celle de l’Afghanistan et de l’Irak dans les années 2000, peut-on dire que l’on est aujourd’hui témoin d’un profond bouleversement de la donne géopolitique ?
François Géré : La crise syrienne n’est pas un épisode, c’est un véritable tournant dans les relations internationales. Elle peut être comparée à la crise de Suez en 1956 lorsque la France et la Grande Bretagne avec Israël ont cru pouvoir imposer leur volonté contre Nasser. Les États-Unis et l’Union Soviétique ont, de concert, interdit cette intervention. Le monde avait changé de maîtres. Aujourd’hui la crise syrienne devient un test du rapport entre les puissances mondiales.
Jean-Bernard Pinatel : Nous entrons dans une période de transition géopolitique dans laquelle les États-Unis ne pourront plus agir unilatéralement dans le monde car ils n’arriveront plus à rassembler autour d’eux des coalitions qui leur fourniront une légitimité suffisante pour se passer d’un mandat Onusien. Bien plus, les puissances économiques émergentes des BRICS et l’Europe, concentrées sur leur développement économique pèseront d’une influence grandissante pour éviter tout ce qui pourrait remettre en cause leur croissance économique, notamment l’envolée des prix du gaz et du pétrole que toute situation de crise, notamment au Moyen-Orient pourrait générer. Ainsi dans la décennie 2010-2020 verra s’établir une divergence fondamentale entre les intérêts des États-Unis et ceux du reste du monde, notamment avec son traditionnel allié européen.
Les années 1990 ont été décrites comme celles du triomphe de l’unilatéralisme américain, tandis que l’on évoque souvent la décennie 2000-2010 comme celle de l »hyperterrorisme ». Sommes-nous en train d’entrer aujourd’hui dans la troisième phase de l’après Guerre froide ?
François Géré : La Guerre froide est totalement terminée. Le terrorisme aussi dangereux soit-il ne constitue pas une menace de dimension semblable à un affrontement nucléaire. Le terrorisme, toujours très spectaculaire, a pris une place importante justement parce qu’il n’existe plus aujourd’hui une menace absolument vitale. Certes, les dangers du nucléaire militaire existent toujours. Les armes nucléaires constituent une composante majeure mais immédiatement inutilisable dès lors qu’elles ne peuvent servir qu’une stratégie de dissuasion. Toujours présentes, elles demeurent en arrière fonds. En situation de crise, comme la Syrie, on peut aller très loin mais pas trop. L’affrontement entre Russie et États-Unis est forcément limité parce que l’intérêt vital de ces États n’est pas en jeu. Ce sont des affrontements pour déterminer l’extension des puissances respectives. On en revient donc à la recherche traditionnelle d’un équilibre jamais atteint parce que toujours instable des rapports de puissances lequel est corrigé en permanence par cette étrange contrainte nucléaire. La liberté d’action est bridée. Mais on n’en parle pas même si on y pense toujours.
Le rêve des États-Unis, qui disposent d’une écrasante supériorité militaire par les armes conventionnelles, serait de réduire à presque rien la capacité nucléaire des autres comme l’Iran qui, à l’évidence, contrarie leur supériorité. Or, ni les Russes ni les Chinois n’accepteront d’entrer dans ce jeu. En somme, chacun cherche à savoir de quoi l’autre est capable, jusqu’où il peut aller en fonction des moyens dont il dispose. C’est vrai pour les États-Unis pour la Russie et la Chine. Ne parlons même plus de l’Union européenne militairement inexistante. La question brutalement actuelle est : de quoi êtes vous capables sur fond de crise économique mondiale, de chômage massif dans de nombreux pays occidentaux mais aussi ailleurs ?
Jean Bernard Pinatel : Je ne pense pas que l’on puisse considérer que la décennie 2010 constitue une nouvelle période géopolitique. La décennie 2000-2010 a toujours été dominée par la superpuissance militaire américaine même si on voit cette puissance s’éroder progressivement avec l’enlisement en Afghanistan et la guerre en Irak qui ne s’arrête pas en 2003 mais en décembre 2011avec le retrait complet des forces américaines. L’échec stratégique est complet alors que les États-Unis voulaient y conserver plusieurs bases, ils doivent toutes les abandonner, le gouvernement Maliki sous la pression des milices du chef radical chiite Moqtada Sadr ayant exigé leur retrait intégral. Cette guerre qui a coûté au trésor américain – 3000 milliards de dollars entre 2003 et 2008 – est certainement une des causes de la crise économique américaine et le facteur essentiel de la perte d’influence internationale des États-Unis et de l’élection d’Obama. Pour moi, le terrorisme reste une menace de second ordre qui ne peut modifier fondamentalement la donne stratégique et géopolitique.
En effet, aujourd’hui, l’intérêt stratégique des Américains est le maintien d’un pétrole et d’un gaz conventionnels chers pour rentabiliser les investissements considérables qu’une multitude de sociétés et de financiers réalisent dans le pétrole et le gaz de schiste avec en prime le rétablissement de leur indépendance énergétique. Pour atteindre cet objectif, les États-Unis ont besoin d’une part, d’une alliance forte avec l’Arabie Saoudite pour qu’elle limite ses exportations de pétrole contre une garantie de protection militaire, et, d’autre part de maintenir une tension au Moyen-Orient avec l’Iran pour obtenir un embargo sur son gaz. C’est là que les intérêts du lobby pétrolier rencontrent ceux du complexe militaro-industriel, dénoncé en son temps par le Général Eisenhower à la fin de son mandat, le 17 janvier 1961, dans une adresse solennelle à la nation américaine.
Les Américains et leurs représentants ne sont prêts à voter les crédits militaires que si leur sécurité est directement menacée et qu’ils en ont conscience. L’ennemi futur pour les stratèges américains est la Chine et deux tiers des forces américaines sont déjà déployées dans le Pacifique et dans des bases sur sa périphérie. Mais les Américains, dans leur grande majorité, ont une opinion positive de la Chine.
Il faut donc trouver un ennemi de substitution pour permettre à l’administration américaine, qui est une énorme machine à fabriquer la menace, de disposer du temps nécessaire pour instiller cette perception. On a eu récemment la preuve de son efficacité à fabriquer de fausses preuves avec les soi-disant armes de destruction massives irakiennes qui ont permis à Bush d’envahir l’Irak. On comprend donc la prudence d’Obama et de tous les autres leaders du monde dans crise syrienne, excepté le va-t-en guerre François Hollande. En effet, à ce jour, s’il est établi qu’il y ait eu des agents chimiques diffusés dans la banlieue de Damas, aucune preuve directe n’a été apportée que c’est le fait d’une volonté du régime d’Assad, seulement une conviction des services de renseignement. Mais décide-t-on une guerre sans preuve directe ? Autre élément qui conduit à la prudence : comme par hasard, les images de ce massacre arrivent sur la scène médiatique juste après les déclarations d’ouverture sur le nucléaire du nouveau président iranien qui était de nature à créer une détente dans cette région et de faire chuter les cours du brut.
Les intérêts actuels du reste du monde, en commençant par l’Europe qui est handicapée dans son développement par la politique de l’euro fort, sont radicalement différents. La timide reprise économique que l’on voit poindre peut être stoppée par un baril de pétrole cher qui s’il y avait une escalade au Moyen-Orient pourrait atteindre des sommets inconnus jusqu’à présent.
Cela explique pourquoi François Hollande qui, lors de sa conférence de presse, « s’était fixé qu’un seul objectif pour le G20 : rallier la coalition la plus large possible » vient d’être désavoué par les 27 autres États européens. Depuis Saint Petersburg, Herman Van Rompuy, Président du conseil européen et Manuel Barroso, présents au G20, ont, en effet, rejeté au nom de l’Union européenne l’usage de la force en Syrie: « il n’y a pas de solution militaire au conflit syrien » souhaitant une solution politique dans le cadre de l’ONU.
Mais Obama a personnellement tout à perdre dans cette intervention : Prix Nobel de la Paix, il sait qu’en agissant en dehors d’un mandat de la communauté internationale, il n’a aucune légitimité internationale à agir. Car pour cette intervention, il n’a pu rallier que la France en Europe, la Turquie, sunnite, Israël qui veut en profiter pour attaquer les bases du Hezbollah et l’Arabie Saoudite, monarchie féodale sans respect pour les droits de l’homme et particulièrement des femmes. Cette dernière qui prône un sunnisme hanbaliste poursuit des intérêts confessionnels : aider les sunnites syriens et de fait les extrémistes sunnites que sont les Frères musulmans et les salafistes d’Al-Qaïda.
Comment pourrait-on définir la nouvelle période qui s’ouvre ? Quels en sont les enjeux ?
François Géré : Le Monde est redevenu LIBRE. Le problème vient de l’incapacité de la communauté internationale à gérer cette liberté. Sans doute n’est-ce pas le retour total à la jungle de Hobbes mais… la seule instance de communauté internationale qu’est l’ONU n’est pas respectée. Chaque puissance cherche à en faire un instrument au service de ses intérêts baptisé « nouvel ordre international ». Toutefois, si cela ne fonctionne pas, les puissances s’en dispensent comme l’ont fait les États-Unis en 2003 à l’égard de l’Irak.
Il est clair qu’une nouvelle dimension de compétition et d’affrontement s’est ouverte avec le Cyberespace. C’est absolument fondamental mais on ne sait pas bien encore dans quoi on met les pieds. Les enjeux industriels, considérables, évoluent à toute allure. Les services de renseignement ne savent plus très bien comment définir leurs attributions. Les affaires Snowden et autres programmes PRISM montrent l’état de complète incertitudes. Cet immense chantier n’est pas un terrain de guerre mais là encore, un domaine qui exige une évaluation des rapports de puissance et une intervention sérieuse des instances de régulation internationales.
Jean-Bernard Pinatel : La période qui s’ouvre est une période de transition vers l’établissement d’un condominium sino-américain sur le reste du Monde qui fonctionnera dans une logique d’adversaire-partenaire : adversaires, dans une lutte pour la suprématie ; partenaires, pour éviter l’émergence d’une troisième superpuissance qui perturberait leur jeu. C’est pour cette raison que la guerre en Syrie peut servir les intérêts stratégiques américains car elle créée une tension avec les Russes et freine l’établissement d’une alliance stratégique entre l’Europe et la Russie que j’estime pour ma part vitale.
Propos recueillis par Théophile Sourdille
Source : ATLANTICO
La divergence des intérêts européens et américains dans la crise syrienne
C’est un premier ministre britannique Benjamin Disraéli (1804-1881) qui, le premier, a soutenu que, sur la scène internationale, les Etats n’ont à défendre que leurs intérêts.
Le vote du Parlement britannique qui a repoussé la motion de David Cameron soutenant le principe d’une intervention militaire contre la Syrie montre clairement que les parlementaires anglais perçoivent davantage les conséquences négatives pour leur pays d’une intervention que ses éventuels bénéfices.
Seuls l’administration et le Président américain soumis au pouvoir des lobbies politiques, industriels, économiques ont un intérêt stratégique à une intervention contre la Syrie.
Alors que les États-Unis ont engagé, conformément à leur loi constitutionnelle, un processus de réduction drastique des dépenses publiques, l’administration de la Défense et le complexe militaro-industriel pourraient ainsi justifier vis-à-vis de leur l’opinion la sanctuarisation des dépenses militaires nécessaires pour préserver demain leur suprématie militaire face à la Chine, qui n’est pas perçue à ce jour par le peuple américain comme une menace. Par ailleurs, cette intervention est d’autant plus essentielle pour prévenir le nouveau climat de détente qui pourrait découler des déclarations du nouveau Président de la République iranienne qui s’est dit ouvert aux discussions sur le nucléaire.
Le complexe militaro-industriel américain a besoin d’un ennemi de relais avec en prime pour les industriels et les financiers qui investissent massivement dans l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste, l’impérieuse nécessité de maintenir le niveau du baril de pétrole au niveau de 100 dollars pour espérer rentabiliser leur investissement. Une intervention militaire c’est obtenir cette assurance car une escalade du conflit est probable avec des scénarios du type : l’Iran menace de fermer détroit d’Ormutz, la Russie menace l’Europe d’un embargo sur le Gaz, etc.
Obama répond ainsi aux demandes pressantes de l’Arabie Saoudite qui soutient les Salafistes en Syrie et à qui ils doivent beaucoup : premier client du complexe militaro-industriel américain, l’Arabie Saoudite accepte de limiter sa production pétrolière à 9 millions de barils jours ce qui maintient le prix du baril autour de 100$, rentabilisant ainsi l’exploitation de gaz et de pétrole de schiste sur le sol américain et contribuant à son indépendance énergétique. Obama s’assure l’appui aussi du lobby juif américain. Sous couvert de sauver les populations syriennes, les missiles guidés américains frapperont aussi les bases du Hesbollah en Syrie, allégeant ainsi la pression sur leur allié israélien.
De plus, si les États-Unis arrivaient à entrainer les Européens dans cette guerre, ils renforceraient le clivage entre l’Europe et la Russie et gèleraient pour longtemps les efforts de tous ceux qui en Europe prônent une alliance stratégique avec la Russie, pour faire émerger un troisième acteur géopolitique qui perturberait leur jeu « d’adversaire-partenaire » avec la Chine.
Enfin, les États-Unis se sont toujours exonérés de la légitimité politique que seule la communauté internationale par le biais de l’ONU peut apporter à une intervention militaire. On l’a vu récemment avec la guerre en Irak.
Les conséquences négatives pour les européens d’une intervention militaire en Syrie
L’Europe et la France, qui n’ont qu’une puissance militaire limitée, ont besoin de l’enceinte onusienne pour amplifier leur voix sur la scène internationale, c’est pourquoi nous sommes si attachés à la légitimité politique qu’un mandat de l’ONU confère à une action militaire.
L’Europe a sur sol 25 millions de musulmans de toutes obédiences. Les responsables politiques et les leaders d’opinion ont très bien compris que ce n’est pas une révolution comme en Tunisie, Libye ou Égypte qui déchire la Syrie depuis deux ans mais une guerre civile confessionnelle : sunnites et extrémistes sunnites ( Salafistes, Frères musulmans) contre toutes les autres minorités religieuses qui représentent 40% de la population syrienne. La guerre civile est le règne du crime dans les deux camps. Prendre un parti dans cette guerre civile religieuse se serait s’exposer sur notre sol à des attaques terroristes des tenants de l’autre parti.
L’économie européenne, à la différence de celle des États-Unis, est beaucoup plus sensible à ce qui se passe au Moyen-Orient. Nous ne recueillons que les restes du repas des Américains en matière de commandes de la part de l’Arabie Saoudite. Par contre, le renchérissement du gaz et du pétrole et l’affolement des Bourses qui accompagneront une intervention et l’escalade à laquelle elle peut conduire sont de nature à étouffer dans l’œuf les faibles perspectives de renforcement de la croissance que l’on a cru voir poindre cet été. Intervenir sans légitimité internationale pour satisfaire une partie de l’opinion qui – mal informée, ne perçoit pas que l’insoutenable horreur de la guerre civile est le fait des deux camps – serait faire fi des conséquences négatives induites pour des milliers de Français et d’Européens qui perdront leur emploi à cause de cette décision.
Enfin, le fait que le Pape, fort de son image très positive dans le Monde et en Europe en particulier, s’oppose à une intervention militaire en Syrie ajoute, pour une grande partie des Européens, l’absence de légitimité morale à l’absence de légitimité politique qui entache ce projet d’action militaire.
Sans légitimité politique et morale, cette éventuelle intervention militaire en Syrie engendrerait, à coup sûr, des conséquences sécuritaires et économiques négatives pour les Européens et n’apporterait aucune solution à une guerre civile confessionnelle qui déjà déborde les frontières de la Syrie [1].
Quand il ne s’agit pas de nos intérêts vitaux, la crise syrienne démontre ainsi, une fois de plus, que les intérêts géopolitiques des États-Unis et de l’Europe ne sont pas identiques sur tous les plans. Bien plus, cette différence ne va faire que s’accroître à l’avenir. Nos dirigeants et en particulier François Hollande doivent en prendre conscience.
Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
[1] 3000 morts et 10000 blessés en Irak depuis début 2013, majoritairement du fait d’attentats commis contre les civiles à la sortie des mosquées et dans les lieux publics par Al-Qaida et les salafistes qui n’acceptent pas l’autorité des chiites majoritaires. C’est le cas des attaques des frères musulmans sur les cooptes égyptiens.
Autres sources : ATLANTICO
Commentaires Yahoo Answers
Les Américains ont tout à gagner d’une intervention militaire limitée en Syrie et la France y a tout à perdre !
Les bénéfices pour les Américains :
- ils répondent à des demandes pressantes de l’Arabie Saoudite qui soutient les Salafistes en Syrie et à qui ils doivent beaucoup : premier client du complexe militaro-américain, l’Arabie Saoudite accepte de limiter sa production pétrolière à 9 millions de barils jours ce qui maintient le prix du baril autour de 100$, rentabilisant ainsi l’exploitation de gaz et de pétrole de schiste sur le sol américain, contribuant à son indépendance énergétique;
- ils renforcent le clivage entre l’Europe et la Russie et évitent ainsi la création d’une alliance stratégique qui ferait émerger un troisième acteur géopolitique qui perturberait leur jeu « d’adversaire-partenaire » avec la Chine;
- ils vont, sous couvert de sauver les populations syriennes, pouvoir frapper les bases du Hesbollah, et alléger ainsi la pression sur leur allié israélien;
- alors qu’ils sont dans un processus de réduction drastique des dépenses publiques, ils justifient ainsi vis-à-vis de leur l’opinion la sanctuarisation des dépenses militaires nécessaires pour préserver demain leur suprématie militaire face à la Chine, qui n’est pas perçue à ce jour par le peuple américain comme une menace;
- confronté à un Iran nouvellement ouvert aux discussions sur le nucléaire, le complexe militaro-américain a besoin d’un ennemi de relais avec, en prime, le maintien de l’embargo sur le pétrole et le gaz iranien et un regain de tension avec la Russie qui contribuera à geler la poursuite des négociations sur la réduction des armes stratégiques.
Les conséquences négatives pour la France :
- la nature de la guerre en Syrie n’est pas une révolution mais une guerre civile confessionnelle : sunnites et extrémistes sunnites ( Salafistes, Frères musulmans) contre toutes les autres minorités religieuses qui représentent 40% de la population syrienne. Nous n’avons aucun intérêt à soutenir un parti religieux et les quelques laïques, que les rebelles mettent en avant, seront balayés au profit des extrémistes islamiques, le moment venu;
- le renchérissement du pétrole et l’affolement des bourses est de nature à étouffer dans l’œuf les faibles perspectives de renforcement de la croissance que l’on a cru voir poindre cet été. Mais c’est peut-être ce que souhaite Hollande : trouver un prétexte humanitaire pour masquer, pendant quelque temps, l’échec de sa politique économique. Cela va satisfaire ses intellectuels de gauche et les patrons des médias dont les ventes s’accroissent en temps de guerre mais certainement pas les milliers de français qui perdront leur emploi à cause de cette décision;
- alors que nous ne recueillons que les miettes des anglo-saxons en Arabie Saoudite et au Qatar, nous nous fermons l’immense marché potentiel de Irak et de l’Iran pour nos entreprises; nous nous éloignons encore plus de la Russie dont l’alliance est stratégique pour l’Europe;
- notre pays est toujours intervenu dans le cadre d’un mandat de l’ONU alors que les Américains ont toujours cherché à s’exonérer des contraintes de l’opinion internationale que ce soit face au changement climatique ou pour préserver leurs intérêts stratégiques. Au contraire, si la France veut continuer de peser au niveau international, elle ne peut qu’en faisant amplifier sa voix par l’enceinte onusienne. Cela a été à l’honneur du Président Chirac de refuser d’intervenir aux cotés des Américains en Irak, au prétexte de la présence d’armes de destruction massive. Aujourd’hui, nous nous joignons à une coalition alors que rien ne prouve que des armes chimiques ont été utilisées en Syrie et, si oui, que c’est le fait de l’armée de Assad.
Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
Autres sources : Économie matin
Lettre ouverte du Général François CANN
Je publie la lettre ouverte du Général Cann dont je viens d’avoir seulement connaissance.
Cette lettre est destinée au sénateur communiste Fischer qui aurait mieux fait de la fermer à la mort du Général Bigeard.
Le Général François Cann était mon supérieur direct lorsque je dirigeais le Bureau emploi, plan, renseignement de la 11ème Division Parachutiste à Toulouse.
Nous venons enfin de donner une sépulture décente au général Bigeard, l’un des plus grands soldats que l’Armée française s’honore d’avoir eu dans ses rangs.
J’ai servi en Algérie, comme lieutenant, sous les ordres de ce grand chef que nous sommes des millions de frères d’armes à admirer.
Je viens d’apprendre que vous vous étiez répandu en propos injurieux à l’encontre de ce chef prestigieux.
Qui êtes-vous donc pour vous permettre de telles vilénies sur une personne que vous n’avez probablement jamais rencontrée… ?
Vous êtes sénateur ? Et alors ? Communiste qui plus est !
On croit rêver. Malheureusement, il s’agit d’un mauvais cauchemar de vous voir ainsi paraître en moraliste innocent, vous qui avez soutenu et continuez de soutenir une idéologie qui, depuis 1917 et jusqu’à aujourd’hui, porte la responsabilité de cent millions de morts…
Au moment où éclate, en 1957, ce qu’on appelle la « Bataille d’Alger » vos séides se sont déjà tristement distingués. En avril 1956, l’aspirant Maillot, membre du parti communiste algérien, détourne un camion militaire et livre au F.L.N. 263 armes en tous genres et leurs munitions.
En août de la même année, Yveton, employé communiste de l’E.D.F.-G.D.F. local, pose une bombe à l’usine à gaz d’Alger. Il est fort justement guillotiné au mois de février suivant.
Et pendant ce temps-là, en Europe, les chars soviétiques dévastent Budapest et écrasent dans le sang l’appel à la liberté des Hongrois.
Vous souvenez-vous de l’été 1954 où l’Indochine nous rend des fantômes hagards, exsangues, décharnés qui, pour nous rejoindre, doivent enjamber les milliers de tombes des leurs assassinés dans les camps de « ré-éducation » par les commissaires politiques vietminh et français de vos amis… au motif de ce que vous appelez alors une guerre injuste.
Et les grèves de Berlin-Est et de Postdam qui laissent sur le pavé trois cents ouvriers hachés à la mitrailleuse des chars T 34, pour avoir osé demander une augmentation de salaire ?
Oseriez-vous évoquer la mascarade des procès staliniens d’Europe Centrale – Lazlo Rajk en Hongrie, Mazaryck et Benes à Prague – alors qu’au même moment plus de trois mille soldats de l’O.N.U., essentiellement Américains, prisonniers des Nord-Coréens, disparaissent dans les camps sans avoir jamais laissé de traces ? Et les goulags en Sibérie devenus l’interminable cimetière de millions de prévenus politiques ? Et les purges de Staline où, les maires étaient tenus de fournir un pourcentage de leurs concitoyens à fusiller ; comme nous, vous avez lu ces pauvres listes de victimes expiatoires offertes à un holocauste idéologique.
Ne nous dîtes pas que vous ne le saviez pas !
Vous nous trouvez ringard de remonter ainsi dans le temps. Alors revenons à l’Algérie et dîtes-nous ce que sont devenus nos harkis, ces braves volontaires qui avaient cru en la France et qui furent ébouillantés, empalés, déchiquetés…
Dîtes-nous ce que sont devenus les 2993 (chiffre officiel) Européens disparus sur leur terre algérienne, entre 1954 et 1963, et dont les familles resteront à jamais sans nouvelles.
Et 1968 ? Vous souvenez de cette année où vous jouez facilement aux « héros » dans les rues de Paris pendant qu’en Tchécoslovaquie les chars russes écrasent le printemps de Prague et qu’en Chine la révolution culturelle élimine par centaine de milliers les «affreux bourgeois».
Faut-il évoquer ce 30 avril 1975 qui voit le départ du Vietnam du dernier Américain, ce qui fait titrer à l’un de vos journaux préférés « Saïgon libéré ». Quelle libération, dites-nous ! En avez-vous parlé aux boat people ? Vous auriez eu du mal, la plupart d’entre eux ayant disparu en mer de Chine dans leur fuite éperdue vers la liberté… pour échapper au communisme.
La même année, vous avez indécemment applaudi à l’entrée des Khmers rouges dans Phnom Penh. Quatre ans plus tard, on ne vous a pas tellement entendu, lorsque le voile s’est levé sur une des pires abominations de l’humanité : un habitant sur six massacré parce qu’il savait lire, écrire et compter un peu plus que les autres.
Il est facile, dans l’absolu, de condamner la torture, cette « souffrance physique que l’on fait subir à quelqu’un » dit Larousse. Qui ne le ferait pas ? Seulement il se trouve que la guerre ne se fait jamais en théorie et dans l’absolu; elle est contingente, par essence; les décisions et les actions qu’elle génère ont toujours des circonstances particulières, sans cesse renouvelées.
J’étais lieutenant au 3° R.P.C. du colonel Bigeard. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous quittions le Djebel pour venir à Alger, suppléer une police défaillante.
Qui nous lançait dans cette galère ?
Le général Massu dîtes-vous ? Que je sache, il ne s’est pas approprié les pleins pouvoirs de police. Un ministre les lui a donnés, le même, sans doute, qui avait suggéré l’engagement des forces armées dans les opérations de maintien de l’ordre, avant le rappel de nos réservistes, en mai 1956, et le maintien pendant trente mois sous les drapeaux de ce brave contingent de la classe 54/2/b.
Cet été 1957, l’ambiance à Alger est éprouvante. Deux bombes viennent d’exploser, l’une en centre-ville au bar-restaurant le Coq Hardi et l’autre sur la corniche, au Casino, déchiquetant des dizaines de jeunes pieds noirs. Une psychose de terreur frappe les Algérois. Où et quand explosera la prochaine bombe ? Angoisse collective.
Par chance, une compagnie voisine met la main sur un suspect qui avoue appartenir au réseau des poseurs de bombes et révèle que le stock en réserve comprend 52 engins dont quatre viennent d’être posés quelque part dans la ville et activés. Puis-je en vouloir à mes camarades d’avoir bousculé cet assassin afin d’en obtenir des aveux précis ? Trois bombes ont pu être désamorcées, la quatrième explose au moment de l’arrivée des parachutistes, tuant un caporal. Les 48 autres engins de mort peuvent être récupérés, ce qui donne l’occasion au ministre de féliciter notre chef de corps, le colonel Bigeard.
Comme dit le père Cordier « il est des cas où le mal est nécessaire dès lors qu’il évite le pire ». Combien d’innocents les 51 bombes restantes auraient-elles tués ?
Personne n’a le droit de demander à ces soldats de se repentir pour avoir accompli une action salutaire, même si dans l’absolu elle était condamnable.
Personne, en tout cas pas vous, les communistes. Vous êtes disqualifiés depuis 1917, date de création de la Tcheka, la sinistre police politique de Lénine qui, de façon industrielle, torturait des gens, non pas parce qu’ils posaient des bombes, mais parce qu’ils « ne pensaient pas comme eux ».
L’un de vos inspirateurs, Jacques Duclos, pas très grand par la taille ni par l’esprit mais immense par la haine, a dit en 1947 : « Notre devoir est de combattre l’Armée française partout où elle se bat ». Il a tenu parole.
Et vous, aujourd’hui, vous déterrez la hache de guerre !
Nous en prenons acte !
J’ai pris, pour vous écrire, l’attache de président des Anciens du 8e R.P.I.Ma dont 395 des leurs ne sont pas revenus des geôles communistes du Tonkin où vos «coreligionnaires» les avaient laissés mourir de faim et de manque de soins. La plupart de ces jeunes Français n’avaient pas vingt ans…
Veuillez agréer, Monsieur le Sénateur, l’assurance des sentiments qui vous sont dus… ceux du mépris.
Général François CANN