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François Hollande à Washington : ce que la France a vraiment besoin de dire aux Américains

Le président français est reçu aujourd’hui par Barack Obama. Alors que l’Elysée a été piraté en octobre par la NSA, l’Hexagone a-t-il une chance d’obtenir un accord de non-espionnage ? Saura-t-il se faire entendre sur la négociation du traité de libre-échange entre Washington et Bruxelles ? Quid de la coopération militaire ?

Atlantico : Le président Hollande est reçu aujourd’hui par Barack Obama avec tous les honneurs réservés par la diplomatie américaine, le président étant convié à bord d’Air Force One pour se rendre dans la villa emblématique de Thomas Jefferson à Monticello. Comment interpréter ce traitement de faveur relativement exceptionnel pour un dirigeant français ?

Nicolas Mazzuchi : Les États-Unis se trouvent dans une position particulière vis-à-vis des dirigeants européens et de la France en particulier. La volonté américaine de renforcer la position économique des États-Unis dans le monde avec deux traités, le Transatlantique pour l’Europe et le Transpacifique pour l’Asie et l’Amérique latine, oblige Barack Obama à faire assaut de charme en direction des leaders d’opinion de ces ensembles régionaux. En ce sens, le traitement réservé à François Hollande se comprend comme une volonté d’amadouer la France qui a toujours été depuis le général de Gaulle le pays le plus méfiant vis-à-vis des initiatives américaines visant le continent européen.

Frédéric Encel : Ces égards ont des raisons conjoncturelles et structurelles. D’abord, François Hollande se distingue de ses (lointains) prédécesseurs par un atlantisme sincère et précieux pour Barack Obama. Il en est ainsi du soutien français – sinon de la position de pointe française ! – lors de la crise syrienne de l’été 2013. Ensuite, il faut avoir à l’esprit que la France, en dépit de quelques querelles dont la dernière remonte tout de même déjà à 2003 (sur l’Irak), n’a en définitive jamais fait défaut à tout type d’alliance avec les Etats-Unis. Deux bonnes raisons qui contribuent à expliquer ce traitement de faveur.

Jean-Bernard Pinatel : Obama accueille son plus fidèle vassal très affaibli et cherche à le conforter aux yeux de l’opinion française par des gestes symboliques comme son invitation à bord d’Air Force One et leur visite à la villa emblématique de Thomas Jefferson à Monticello.

En effet, François Hollande a tout pour plaire au Président américain. Il est le plus atlantiste des Présidents de la 5ème république. Il n’a pratiquement pas protesté dans l’affaire des écoutes de la NSA. Il soutient avec zèle, en faisant fi des intérêts supérieurs de la France, toutes les positions américaines concernant tous les dossiers internationaux : conflit israélo-palestinien, Ukraine, Irak, Syrie, Russie, Ukraine, Turquie, etc. Il est discipliné et pas rancunier quand les américains le lâchent sur la Syrie et sur l’Iran et s’entendent sur son dos avec les Russes sur les armes chimiques et le nucléaire iranien.

Alors que l’Elysée a été piraté en octobre 2013 par la NSA, la question d’un éventuel accord de non-espionnage est sur toutes les lèvres, l’Angleterre et l’Allemagne plaidant elles-mêmes pour l’adoption d’un traité. L’Hexagone a-t-il une chance d’être entendu sur un tel sujet ?

Jean-Bernard Pinatel : Comme je le disais, François Hollande n’a pratiquement pas protesté dans l’affaire des écoutes de la NSA alors qu’Angela Merkel s’est montrée très critique vis-à-vis des États-Unis et souhaite qu’un traité de non espionnage soit signé. Obama prononcera certainement des paroles rassurantes sur ce sujet mais les services américains continueront de nous espionner et de transmettre aux compagnies américaines toutes les informations confidentielles sur nos entreprises qu’ils auront pu recueillir.

Frédéric Encel : Franchement, si la France est seule à le revendiquer, non ! Du point de vue du partage du renseignement, et surtout de la protection vis-à-vis d’agences, alliées certes, mais un peu trop curieuses à notre goût, il faut réclamer collectivement, avec nos partenaires européens.

Nicolas Mazzuchi : L’espionnage entre alliés a toujours existé et il faut en être conscient ; non pas que ce soit « normal » mais cela fait partie des pratiques. Le souci dans cette affaire est que plusieurs pays, dont l’Allemagne, pensaient qu’en coopérant pleinement avec Washington cela les mettait à l’abri de manœuvres d’espionnage. La désillusion n’en a été que plus grande pour ces derniers lors de la découverte de l’interception des communications de la Chancelière.

Un tel accord, même s’il peut être ardemment souhaité par les principaux pays européens, a peu de chances d’être entendu à partir du moment où les États-Unis considèrent qu’il s’agit là d’une question de sécurité nationale. Ils craignent en effet que l’insuffisance des moyens de renseignement européens ne puisse leur être à terme préjudiciable avec la possibilité que des services européens ne laissent passer d’éventuels terroristes en direction des États-Unis.

En outre, le système du renseignement américain fonctionnant aussi au service des entreprises nationales, ce serait se priver d’une arme de guerre économique très efficace pour une puissance dont l’économie, même si elle redécolle, peine à retrouver son niveau d’avant la crise. Il faut rappeler que les principaux compétiteurs des entreprises américaines restent, pour le moment, les entreprises européennes et que, dans ce cas, tout avantage est bon à prendre dans la compétition internationale; y compris l’espionnage économique.

La négociation du traité de libre-échange entre Washington et Bruxelles est toujours en cours bien que des inquiétudes existent des deux côtés de l’Atlantique en termes d’impact économiques négatifs. Après la timide victoire sur l’exception culturelle française, quels sont les leviers de négociation disponible pour François Hollande sur ce domaine ?

Frédéric Encel : Ces chances sont rares et faibles. Autant sur le plan culturel voir au niveau militaire – en Afrique notamment – Paris peut efficacement donner de la voix, autant sur les questions économiques et financières, il nous faut impérativement nous présenter aux côtés de l’Allemagne, sans quoi nous risquons de ne pas être entendus…

Nicolas Mazzuchi : Pour le moment, aucun ne semble se détacher pleinement. Les Européens ne sont pas d’accord sur les éléments à protéger. La définition des secteurs stratégiques, quand elle existe, n’est pas la même selon les pays et F. Hollande ne se rend pas à Washington avec un mandat de négociation pour l’Europe. Les Etats-Unis ont tout intérêt à jouer des désirs de chaque pays européen contre ceux de ses voisins pour imposer un accord le plus global possible. L’exception culturelle est un élément qui peut être d’autant mieux admis que l’Europe a toujours été regardée dans le monde comme LE continent de la culture. Pour ce qui est des autres secteurs, la disparité entre la France et ses voisins semble malheureusement trop grande pour espérer obtenir un front uni.

La question de la coopération militaire entre les deux pays n’est pas négligeable, les Américains ayant affirmé qu’ils souhaitaient s’engager d’avantage en Afrique ou la France entretient plusieurs opérations extérieures. Alors que l’aide de Washington avait été très timide pour le Mali et la Centrafrique, peut-on imaginer qu’elle se renforce à l’avenir ? Dans quelles proportions ?

Nicolas Mazzuchi : En fait l’aide américaine a été décisive pour les opérations françaises en Afrique. Les Etats-Unis ont fourni des moyens logistiques et de renseignement, via notamment leurs drones, qui se sont avérés indispensables à la réussite de ces opérations de projection. En outre, les Américains sont extrêmement contents que la France ait pris l’initiative sur les dossiers malien et centrafricain puisqu’eux-mêmes ne souhaitaient pas s’impliquer dans la région ; leurs dernières expériences africaines (Somalie en 1992) n’ayant pas été de francs succès. Cette coopération militaire ad hoc relève donc d’une double volonté qui peut aussi se comprendre côté américain dans l’optique de la limitation des engagements (retraits d’Irak et d’Afghanistan) pour se réorienter vers le Pacifique.

Les États-Unis ont ainsi pu constater que la France reste la seule puissance militaire crédible d’Europe, capable de se projeter hors de son continent d’origine – tant sur le plan des moyens que de la volonté politique – et cela signe le retour d’une certaine forme d’alliance privilégiée franco-américaine. Même s’il serait simpliste de voir les choses sous cet angle, il est possible de considérer que les États-Unis voient la France comme leur porte de sortie pour les engagements éventuels dans une zone Europe-Maghreb-Afrique où ils ne veulent plus être aussi présents que par le passé.

Frédéric Encel : Peu de chances de voir les États-Unis renforcer considérablement leur coopération militaire en Afrique dans les prochaines années, pour deux raisons : d’une part ils se réorientent vers l’Asie de l’Est et le Pacifique Nord (zones dont la France est pratiquement absente), d’autre part la France joue déjà le rôle de gendarme stabilisateur, à leurs yeux de façon assez efficace. En Libye en 2011, au Mali en 2013, en Centrafrique début 2014, Washington a soutenu Paris sur le plan diplomatique et logistique, pas davantage. Le temps est révolu où les présidents Bush père et Clinton dépêchaient en Somalie des milliers de soldats pour châtier des seigneurs de la guerre et sauver des populations de la famine… et ramener des dizaines de cercueils dans l’opprobre générale ! Cela dit, les États-Unis maintiennent des bases importantes, comme à Djibouti, et des flottes puissantes à proximité de zones stratégiques (canal de Suez, golfe d’Aden, etc.). Dans tous les cas de figure, Paris et Washington se retrouvent à coopérer. L’unique véritable antagonisme est commercial, qui se situe au niveau des chasseurs bombardiers. Là, nos Rafale sont très, très durement concurrencés par les matériels US…

Jean-Bernard Pinatel : Il est des dossiers où nous avons des intérêts communs. La lutte anti-terroriste est le premier domaine où la coopération entre les services des deux pays s’avère exemplaire, pour le bénéfice sécuritaire de tous. En Afrique, Barack Obama, comme Carter dans les années 1970, répugne à s’engager au moment où il doit gérer la fin de l’aventure Afghane face à un président Karsaï qui louvoie entre les influences contradictoires qui s’exercent dans son pays, au cœur d’enjeux géopolitiques vitaux pour de multiples acteurs régionaux et internationaux. Obama est reconnaissant envers Hollande qui, après avoir pourtant dénoncé le France-Afrique de son prédécesseur durant sa campagne électorale, a chaussé ses bottes sans aucun complexe et a obtenu des succès importants au Sahel contre AQMI et le Mujao grâce à l’efficacité opérationnelle de l’Armée Française qu’il va malheureusement affaiblir en réduisant encore ses effectifs et son budget.

Par ailleurs, les relations entre L’UE et les Etats-Unis semblent peu chaleureuses alors qu’une diplomate américaine a récemment manifesté son mécontentement face à la gestion européenne de la crise ukrainienne. Une meilleure coopération sur le sujet semble-t-elle envisageable ?

Nicolas Mazzuchi : Il y a toujours eu deux courants dans la diplomatie américaine, entre des europhiles désireux d’entretenir de bonnes relations avec l’Union Européenne, ne serait-ce que pour mieux y faire de l’entrisme de manière très pragmatique, et ceux qui considèrent que c’est une structure pachydermique incapable d’avancer sur les vrais problèmes. De ce point de vue cela ressemble beaucoup aux débats intra-européens. La question de l’Ukraine et, de manière plus large des États d’ex-URSS, a toujours empoisonné les relations trilatérales États-Unis – UE – Russie. Si l’intégration des pays baltes dans l’UE s’est bien passée, c’est qu’elle relevait d’une volonté commune nette et d’une communauté de culture marquée. Le cas ukrainien présente des déterminants totalement différents ; le pays est proche culturellement de la Russie – même si une fracture géographique existe entre Est et Ouest – a été sous domination russe depuis plus longtemps et représente pour Moscou un point d’intérêt géopolitique majeur. La Révolution Orange puis l’échec de Viktor Iouchtchenko en 2010 ont été des éléments d’une lutte d’influence américano-russe qui se poursuit aujourd’hui. Les États-Unis souhaiteraient un positionnement clair de l’UE sur le sujet mais les relations de nombreux pays de l’Union avec la Russie et de la complexité de la problématique intérieure au pays font que les Européens ne veulent pas être entrainés dans ce qui s’apparente à un « piège » géopolitique.

Au-delà de ces thématiques très visibles, quels sont les sujets que le président français se devrait d’aborder ?

Nicolas Mazzuchi : De nombreuses questions devraient être abordées, mais au-delà de celles bilatérales entre États-Unis et France, je pense que les questions multilatérales de coopération dans les organisations internationales, sur le climat, la sécurité (sur le nucléaire iranien par exemple), le commerce devraient occuper une bonne part des échanges puisque la position américaine en ces domaines reste prépondérante. Il s’agirait d’obtenir des assurances ou, à défaut, de connaitre les positions américaines sur ces sujets majeurs pour ensuite être capable de manœuvrer internationalement de manière plus efficace en se positionnant vis-à-vis d’un pays qui demeure la première puissance mondiale. En ce sens François Hollande devrait se servir de cette rencontre pour écarter un peu le brouillard inhérent aux relations internationales.

Frédéric Encel : Je dirais que sur deux thématiques au moins, la défense des Droits de l’homme et le soutien aux démocrates arabes en premier lieu, et le maintien d’une présence militaire américaine substantielle en Méditerranée et à l’est de l’Europe en second lieu, le président français pourrait solliciter l’attention de son homologue. Sachant que dès les midterms de novembre, Obama entrera dans une fin de parcours paralysante, celle du second et dernier mandat.

Jean-Bernard Pinatel : Pour les Américains, la France a envoyé un signal hostile au business avec la taxe démagogique à 75% instauré par François Hollande à des fins électoralistes. La sanction ne s’est pas fait attendre : les nouveaux investissements directs étrangers (IDE) en France ont chuté de 77 % en 2013, pour se situer à 5,7 milliards de dollars, soit 4,1 milliards d’euros, selon les données publiées mardi 28 janvier par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). François Hollande arrivera-t-il à rassurer les investisseurs américains alors que ses services luttent contre l’optimisation fiscale et viennent de taxer une des plus emblématiques entreprise américaine, Google, d’un redressement faramineux ? Surement pas par des discours en l’absence de mesures concrètes sur l’abaissement des charges et la flexibilité du marché du travail.

De plus, l’affaire Trierweiler-Gayet a offusqué une Amérique profonde, religieuse et attachée à la famille pour lesquels un Président doit être exemplaire. Leurs représentants ont sanctionné ce comportement en n’invitant pas François Hollande à s’exprimer devant eux, honneur pourtant accordé avant lui à tous les Présidents de la Vème République sauf à François Mitterrand, coupable d’avoir pris des ministres communistes à l’heure de la guerre froide.

En conclusion, François Hollande devra se contenter d’un satisfecit appuyé d’Obama dans le domaine de la sécurité qui récompensera autant les décisions de François Hollande d’intervenir en Afrique que son alignement zélé sur les positions américaines en Europe et au Moyen-Orient.

Jamais un Président français n’a fait preuve d’une position aussi servile par rapport aux intérêts américains. Va-t-il, pour autant, en tirer quelques avantages pour la France ?

Rien n’est moins sûr.

Source : ATLANTICO


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