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Libye : les conditions d’une sortie de crise

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La Libye est aujourd’hui le lieu d’affrontement des objectifs et des actions des organisations se revendiquant d’un islam radical, des principaux acteurs régionaux (Turquie, Egypte, Arabie saoudite, Emirats Arabes Unis) et de grandes puissances, en premier lieu l’Italie, la France et depuis 2017 la Russie. Les forces du Général Haftar sont aux portes de Tripoli mais semblent incapables de s’emparer rapidement de la capitale. Pourquoi ? Est-ce que la Libye est en mesure de mettre fin à 8 ans de guerre civile que les interventions extérieures rendent encore plus cruelle ? Quel jeu joue la France ? Quels sont nos intérêts stratégiques dans ce pays ?

Cette analyse ne prétend pas apporter une réponse à une situation géopolitique bien plus complexe que celle qui a prévalu en Syrie mais seulement à décrire les facteurs qui la déterminent.

En effet, l’intervention occidentale, si elle a débarrassé le pays d’un dictateur sanguinaire, a détruit en même temps tout le système de pouvoir de Kadhafi qu’elle a été incapable de remplacer par un Etat reposant sur la réalité de la société libyenne. Les occidentaux ont plaqué un système démocratique qui n’a aucune légitimité populaire parce qu’il est incompatible avec l’état actuel de la société libyenne comme en témoigne le taux participation de la population aux différentes élections : il a toujours été inférieur à 15-20 % du corps électoral.

L’enjeu libyen

D’une superficie trois fois plus étendue que la France, la Libye possède une population 10 fois inférieure (de l’ordre de 6 millions d’habitants). Ses habitants sont potentiellement les plus riches d’Afrique puisque le pays recèle des réserves prouvées de pétrole de l’ordre de 50 milliards de barils, ce qui le classe au 8ème rang mondial juste derrière la Russie. Trois pays ont des intérêts très importants dans l’exploration et la production du pétrole libyen : l’Italie avec ENI, La France avec Total et depuis 2018, la Russie avec Rosnef. Mais les dirigeants et les services secrets italiens considèrent la Libye comme leur chasse gardée compte tenu de leur histoire commune, de la proximité des côtes italiennes qui en fait une route pour les migrants et de leurs intérêts pétroliers [1]. Ils ont, à cet effet et de longue date, partie liée avec Misrata et les Frères Musulmans. Leurs milices protègent les installations d’ENI et sont intervenus en 2017 pour libérer deux ressortissants italiens prisonniers de Daech dans la région de Sabrata. Lorsque les milices de Misrata sont allées combattre Daech à Syrte, les italiens ont déployé un hôpital militaire à Misrata et les grands blessés ont été soignés dans les hôpitaux italiens. Cette imbrication d’ENI, des services secrets italiens et des milices des Frères Musulmans de Misrata est telle que la British Petroleum vient de vendre à ENI la moitié de ses parts dans un gisement proche de Syrte, déclarant par la bouche de son directeur général, Bob Dudley : »Nous pensons qu’une étroite collaboration avec ENI et la Libye nous permettra de relancer l’exploration dans ces zones prometteuses ». Pragmatisme tout britannique…

Au final il serait probablement plus facile pour la France de s’entendre avec les Russes sur le dossier libyen qu’avec nos voisins italiens. En effet, Rosneft avec laquelle Total coopère notamment en Russie, a signé en 2017 avec la compagnie nationale libyenne du pétrole (NOC) un accord de coopération pour des investissements dans le secteur des hydrocarbures. De son coté, en février 2018, la compagnie française Total a annoncé l’acquisition, pour un montant de 450 millions de dollars, de la compagnie libyenne Marathon Oil Libya Limited. Cette dernière détient une participation de 16,33 % dans les concessions de Waha [2].

Outre l’intérêt économique, la France a un intérêt vital concernant sa sécurité en Libye. En effet, la France est confrontée à l’intérieur et à l’extérieur de son territoire aux actions terroristes de l’islam radical [3]. Depuis le début de la décennie, ces djihadistes qui se voient comme des soldats de Dieu ont tué sur le sol national 260 français, en ont blessé mille autres, et à l’extérieur de nos frontières 25 soldats sont morts, et plus de 200 ont été gravement blessés en les combattant. Ces djihadistes qui commettent la majorité de leurs actions en Asie centrale et au Moyen-Orient sont aujourd’hui en pleine expansion en Asie et au Sahel où ils menacent 93 millions d’habitants francophones qui peuplent les 5 pays riverains de la bande sahélienne : le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. La guerre contre Kadhafi a malheureusement ouvert les portes du Sud libyen qui est devenue la voie par laquelle sont acheminées armes et munitions pillées dans les dépôts de Kadhafi, prises dans des combats entre milices ou fournies par la Turquie et le Qatar via le port de Misrata, tenu par des milices affiliées aux Frères Musulmans.

Que pouvons-nous faire ?

L’absence de société civile et d’Etat [4]

Avant 2011, la culture tribale était le fondement du système social, culturel et économique libyen. La Libye, c’était 250 tribus très hiérarchisées entre elles, sans idée de Nation mais avec de fortes identités régionales : Est (Benghazi) Ouest (Tripoli) Sud (Fezzan) extrême-Sud (Tibesti). Le pétrole découvert en 1959 [5] fit de la Libye le pays le plus riche par habitant du monde. En 1967, la Libye comptait 1 500 000 habitants, dont 500 000 nomades. Sur une population active de 250 000 travailleurs, on ne comptait guère plus de 2 500 personnes titulaires d’une formation supérieure et aucune femme n’était alphabétisée. En 1969 Kadhafi prit le pouvoir et, pendant 42 ans (deux générations), les libyens vécurent dans une société fermée sur elle-même, subventionnée par un Etat providence et en Révolution Culturelle permanente. Kadhafi a totalement fermé son pays aux influences extérieures occidentales « tous les étrangers sont des espions ». L’éducation se faisait uniquement en arabe et la tradition était patriarcale et militaire. On ne demandait aux élèves et aux étudiants en uniforme que d’apprendre par-cœur et de restituer le « livre Vert » pour être diplômés. Alors que la population devenait de plus en plus urbanisée dans des villes très modernes, la Culture officielle était la « Badiya » (la culture Bédouine) célébrant la pureté du désert contre la ville, lieu du diable et de la corruption, ce que symbolisait la tente dans laquelle Kadhafi dormait, même à l’étranger.

Kadhafi a ainsi créé une société totalement hiérarchisée où chacun avait sa place précise suivant ses origines. Chacun appartenait à une famille dépendante d’un clan et le clan d’une tribu. Chaque tribu dépendait elle-même d’une tribu supérieure, et chaque libyen devait le respect à quiconque se situait plus haut que lui. Les relations de dominations tribales furent renforcées par l’argent du pétrole qui permettait l’achat de tous les équipements de la modernité et du bien-être. Le chef (Rais) avait le pouvoir et l’argent. Obéir aux anciens de la tribu était profitable car c’est eux qui recevaient l’argent du Rais et qui le redistribuaient. Avant 2011, les villes libyennes ressemblaient aux plus modernes des villes occidentales mais elles étaient dirigées par des municipalités contrôlées par la tribu dominante, à l’exception de Tripoli qui dépendait directement du Rais. Aujourd’hui ce pouvoir des « chibanis » est contesté dans les grandes villes de la côte méditerranéenne par les chefs des milices, mais reste important à l’intérieur du pays et dans les petites localités.

Un système imposé par l’ONU sans aucune réelle légitimité

L’ONU a imposé ex-nihilo un système constitutionnel et électif à des gens et à des communautés qui n’en ont jamais eu ni la connaissance ni la tradition. Les représentants ONU (UNSMIL) ont plaqué une organisation démocratique sans se soucier un seul instant de savoir si les libyens arriveraient à parcourir en quelques années, les siècles qu’il a fallu à l’Occident pour construire l’Etat de Droit.

Les diverses élections ont réuni moins de 20% des électeurs potentiels et ont élu des représentants dont beaucoup étaient discrédités par leur passé. On a abouti à un capharnaüm de 3 gouvernements en cinq ans, tous « légalement » élus mais qui refusent de céder la place au suivant, 2 parlements, des duplications de ministres de l’Ouest (Tripoli) à l’Est (Benghazi).

Trois villes veulent diriger le pays

Les observateurs mettent souvent en avant l’opposition de la tripolitaine et de la cyrénaïque entre Tripoli, la capitale (1,2 Millions d’habitants) et Benghazi (700 000 habitants) mais ils oublient la troisième ville du pays, Misrata (500 000 habitants) dont l’engagement ou la neutralité est la clé du succès pour l’une ou l’autre partie. Ville riche car elle avait reçu du Rais le monopole des importations. Les Misratis sont à part, hors du cadre traditionnel des tribus Libyennes. La ville est l’héritière d’une influence turque préservée par les circassiens qui ont une longue tradition guerrière : la garde personnelle du roi de Jordanie est composée de circassiens. Cette communauté turcophone est arrivée à partir de la deuxième partie du XIXème siècle après son expulsion du Caucase par le Tsar de Russie. 2 millions vivent en Turquie, d’autres se sont installés en Syrie, Liban, Israël et Egypte. Ils font partie de l’ère culturelle turcophone dont Erdogan se sert pour renforcer son influence sur les pays arabes. Les affaires à Misrata sont un quasi-monopole des hommes d’affaire turcs. Un port avec un quai à containers de 800 m, inauguré en 2014, et un grand aéroport en voie d’élargissement où bateaux et avions déchargent des armes pour les milices islamistes. Erdogan pèse de toute son influence dans les décisions et les actions des misratis.

Les rapports de force sur le terrain

Le Général Haftar [6] a rallié à sa cause les trois quarts du pays. Il a regroupé sous sa bannière des éléments de l’armée régulière libyenne, dont les forces de l’armée de l’air. Un grand nombre de conseils municipaux de l’Est – dont celui de Benghazi – se sont ralliés à sa cause, tout comme la Chambre des représentants de Tobrouk. Khalifa Haftar a mené durant l’année 2016 une offensive pour chasser définitivement les islamistes de Benghazi. Sa progression vers Tripoli s’est faite plus par des négociations avec les communautés libyennes qui se trouvent sur son chemin. Certaines villes et tribus se sont ralliées à Haftar par déception devant l’impuissance du gouvernement basé à Tripoli. D’autres l’ont fait pour obtenir un avantage contre leurs rivaux locaux. Il a rallié aussi des milices salafistes « quiétistes »financées par l’Arabie saoudite qui s’opposent aux milices ralliées à Daech et à celles des Frères Musulmans. Le général Haftar a négocié sans succès pendant près de deux ans (2017-2018) avec les dirigeants de Misrata avant de se résoudre à commencer la bataille pour Tripoli qu’il n’a aucune chance d’emporter sans un accord avec Misrata et donc avec Erdogan. Le chef de l’ANL bénéficie du soutien financier, logistique, médiatique et politique de l’Egypte, de l’Arabie saoudite et des émirats qui ne veulent pas laisser la Libye sous le contrôle du chef du Gouvernement d’Union Nationale Fayez Serraj que soutient l’ONU mais qui n’existe qu’avec l’appui des milices islamistes radicales et des milices des Frères Musulmans de Misrata, soutenues par Turquie et le Qatar. Le général Haftar semble avoir pris sa décision de marcher sur la capitale après sa récente rencontre à Riyad avec le Roi Salman Ben Abdulaziz et son Prince héritier et Ministre de la Défense Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz. Haftar est également en contact avec le Président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. MBS, MBZ et Sissi soutiennent Haftar pour son hostilité assumée à l’encontre des Frères Musulmans que soutient le Qatar surtout, mais aussi la Turquie.

La Russie est un acteur récent en Libye. Pour des raisons liées à la sécurité de la Russie (Poutine veut pourchasser partout les islamistes radicaux) mais aussi au travers de ses liens régionaux, en particulier avec l’Egypte qui datent de près de 70 ans. M. Poutine apprécie visiblement le profil militaire du Président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Mais Moscou tente de tisser des liens autour de la Libye avec d’autres pays, notamment ceux qui peuvent influencer les belligérants sur le terrain, qu’il s’agisse de l’Algérie, de la Tunisie ou de monarchies du Golfe comme les Émirats Arabes Unis ou l’Arabie saoudite. Enfin selon les analystes russes, c’est pour Poutine un dossier qui lui permet de dialoguer avec les Etats-Unis et les européens, voire de coopérer avec eux. Au final la sortie de crise passera nécessairement par un deal entre Erdogan et Poutine. Mais sera-t-il suffisant ? Rien n’est moins sûr.

Quant aux Etats-Unis ils restent discrets car ils ne veulent pas avoir à choisir entre la Turquie et le camp Egypte, Arabie Saoudite.

Quelles conclusions provisoires pouvons-nous tirer de cette analyse ?

1. Aucun des acteurs étudiés n’a intérêt à ce que la situation se prolonge sauf les milices islamiques radicales.
2. Sur le terrain, Haftar est incapable de conquérir Tripoli si Misrata ne s’engage pas à ses côtés ou fait preuve d’une neutralité bienveillante.
3. La solution ONU a plus que démontré son inadaptation à la situation libyenne et doit être abandonnée sous sa forme actuelle.
4. La Russie, l’Italie, la Turquie et la France détiennent les clés de la solution libyenne.
5. Une sortie de crise passe nécessairement par des accords à trouver entre ces quatre pays.
6. Elle passe par la prise de pouvoir du général Haftar mais elle ne peut être que partagée et organisée par une forme constitutionnelle à inventer.
7. La sortie de crise est aussi liée à des accords entre acteurs extérieurs :

  • La France et l’Italie doivent trouver un accord sur le pétrole et les migrants et une fois encore l’arrogance de notre donneur de leçons national en constitue probablement l’obstacle majeur.
  • La Russie et la Turquie doivent rechercher un terrain d’entente pour qu’Erdogan cesse son soutien aux Misratis. Quelle en serait la monnaie d’échange ? Les Kurdes ? Les intérêts économiques et stratégiques ? Ils sont très importants : la Turquie, membre de l’OTAN n’a-t-elle pas décidé d’acheter des missiles sol–air russes S-400 ?
  • L’Egypte, l’Arabie Saoudite et la France peuvent exiger du Qatar qu’il stoppe son soutien aux milices radicales. Encore faut-il qu’il existe une volonté politique en France et pour cela que nous n’ayons pas atteint un stade où de trop nombreux de nos dirigeants seraient corrompus par l’argent qatari.


Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
Secrétaire Général du Think Tank GEOPRAGMA
Auteur de « Histoire de l’Islam radical et de ceux qui s’en servent », Lavauzelle, Mai 2017

[1] Avant la crise de 2011 33% de la production pétrolière libyenne prenait la direction de l’Italie.

[2] Ce deal se traduit par la mise à disposition pour Total de plus de 500 millions de barils équivalent pétrole (bep) de réserves et ressources, ainsi d’une quote-part de production immédiate de 50 000 bep/j. Le groupe français aura également accès à un potentiel d’exploration important sur la zone des concessions réparties sur plus de 53 000 km2 dans le bassin prolifique de Syrte.

[3] Nos dirigeants se refusent à mieux caractériser les courants de l’islam sunnite qui prônent le djihad armé pour imposer des Etats islamiques dont la seule source de droit sera la charia (le Coran et la Tradition inscrite dans les hadhits). Ces islamistes sont tous issus du courant hanbalite, un des quatre courants du sunnisme, et se nomment le wahhabisme, le salafisme djihadiste et les Frères Musulmans. Tous ces courants gangrènent l’Islam par la prédication qui s’effectue dans les mosquées et les réseaux sociaux.

[4] Je me réfère dans cette partie à une étude que m’a adressé Marc Le Brize : « les libyens, les connaitre pour bâtir le Paix ».

[5] Dans les années 50 la France s’est intéressée à une possible annexion du Sud et de son pétrole prévu dans la continuité du Sahara algérien.

[6] Que je connais bien. Il a été fait prisonnier par les tchadiens d’Hassan Djamous lors de la prise d’Ouaddi Doum et « acheté » aux tchadiens par la CIA avec le Mig 25 capturé au sol lors de l’assaut de la base aérienne libyenne.


Analyse de la situation en Libye à l’orée de 2017

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Vers une prise de pouvoir du Général Khalifa Haftar ?

Synthèse

En Libye, l’année 2017 va commencer avec une situation profondément modifiée par rapport à janvier 2016 tant sur les plans politique que sécuritaire. Cette évolution constitue un succès pour la politique Russe et chinoise en méditerranée orientale et annonce l’échec de l’accord de Tunis de décembre 2014, réalisé sous l’égide de l’ONU et soutenu par les puissances occidentales.
Sur le plan sécuritaire, comme on pouvait l’entrevoir au début 2016, la greffe de Daech n’a pas réussi à prendre en Libye. L’Etat islamique a été chassé de sa ville-base de Syrte par la milice de Misrata après quatre mois de durs combats durant lesquels elle a subi des pertes importantes qui l’ont affaibli. Le Général Kafila Haftar en a profité pour s’emparer presque sans combattre du croissant pétrolier Libyen, lui permettant avec son allié, la milice de Zintan, de contrôler désormais toute la production pétrolière et gazière libyenne qui a été relancée. Cette victoire a conduit le Conseil municipal de Misrata à donner des gages au général Kalifa Haftar.
Sur le plan politique, ces actions, qui sont probablement l’amorce d’un ralliement de Misrata au général Haftar, fragilisent le Conseil de Présidence issu de l’accord de Tunis de décembre 2014 et qui est présidé par Fayez el-Sarraj et dont les misratis étaient le principal soutien. Face à cette situation c’est clairement le Général Haftar qui tient dans ses mains l’avenir du pays à condition qu’il arrive à pérenniser son rapprochement avec Misrata.

Perspective pour 2017

Soutenu par l’Egypte, la Russie et la Chine, il est probable que le Général Haftar parvienne à s’entendre avec Misrata.
Deux options s’offrent alors à lui.
Soit il peut négocier un accord avec Abdelhakim Belhadj l’homme fort de Tripoli et le chef de guerre le plus expérimenté du pays ainsi qu’avec Mohamed Sawan, le chef des Frères Musulmans qui est affaibli notamment parce qu’il a subi une défaite aux élections législatives de 2014 et a perdu son soutien à Rome avec la démission de Matteo Renzi. Si ces conditions sont remplies, la Libye peut entrer sans conflit dans une phase de consolidation qui restera néanmoins fragile.
Soit il ne le veut pas ou ne peut pas s’entendre avec Abdelhakim Belhadj, alors avec l’appui des milices de Misrata et de Zantan, il est en mesure d’organiser un coup de force pour se rendre maître de Tripoli, imposant la réconciliation nationale par la force et sous sa seule autorité.

La situation des forces en présence début 2016 [1]

La milice de Misrata

Elle comprenait environ 20.000 hommes ce qui en faisait la force la plus importante du pays. Les « Misrati » ont pour ambition de contrôler la vaste région centrale autour de Misrata, grande ville portuaire. Les frères musulmans, avec l’aide des services secrets d’Erdogan, essaient de l’infiltrer pour la contrôler. De leur côté les services italiens ont conservé des liens étroits avec Misrata et les frères musulmans comme l’a prouvé l’intervention humanitaire qu’ ont réalisé les forces spéciales italiennes [2]. Le 11 janvier, elles ont posé un C-130 à Misrata avec des médecins et des infirmiers pour évacuer 15 Libyens, grièvement blessés, lors de l’attentat du 7 janvier contre le Centre de formation de la police de la côte libyenne. Ces blessés ont ainsi été pris en charge et rapatriés sur l’hôpital militaire de Celio en Italie. C’était la première fois depuis les évènements de 2011, qu’une force occidentale se posait sur le sol libyen.

La milice de Zintan

C’est la seconde milice la plus importante en Tripolitaine. Elle a joué un rôle important pour la libération de Tripoli, lors des batailles dans le Djebel Nefoussa. Elle contrôle une partie des montagnes de l’ouest, des frontières avec l’Algérie et la Tunisie et la Hamada Al-Hamra, vaste étendue désertique qui s’étend jusqu’au grand Sud. Elle tient sous sa coupe le pétrole de la Tripolitaine et détient le fils de Mouammar Kadhafi, Seif al-Islam qu’elle refuse de livrer à la justice nationale et internationale.

Les milices du général Khalifa Haftar

Le général a regroupé sous sa bannière des éléments de l’armée régulière libyenne, dont les forces de l’armée de l’air et a su attirer et obtenir l’appui de la milice de Zintan. Son PC se trouve à Al-Abyar (à l’est de Benghazi). Un grand nombre de conseils municipaux de l’Est – dont celui de Benghazi – se sont ralliés à sa cause, tout comme la Chambre des représentants de Tobrouk. Cette milice est clairement soutenue par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Khalifa Haftar a mené durant l’année 2016 une offensive chasser définitivement les islamistes de Benghazi. Cette offensive est perçue par le négociateur de l’ONU comme mettant en cause le projet de formation d’une armée « nationale » liée au « gouvernement d’union nationale » de Fayez Sarraj et adoubée par l’ONU [3]. Il a su attirer et obtenir l’appui de la milice de Zintan.

Les milices islamiques et Daech [4]

Un grand nombre de Libyens avaient déjà combattu avec Daesh en Iraq et Syrie [5]. Ces combattants étaient rentrés en Libye en 2015 tout en conservant des relations étroites avec leurs contacts en Iraq et en Syrie. Ils s’étaient initialement établis à Derna et se sont nommés « Wilaya Barqa » sous le commandement d’Abou al-Mughirah Al-Qahtani, décrit comme le « chef délégué pour la Wilaya libyenne ». L’apport de combattants de Tunisie et d’Algérie et de transfuges d’autres groupes islamistes libyens était à l’origine de son expansion relativement rapide. Daech était organisé en 3 Wilayas [6] et compterait 2 000 à 3 000 djihadistes.
Dans mon évaluation de janvier 2016, je soutenais que Daech était perçu par les autres organisations islamistes comme extérieur à la Libye. Ainsi les combattants de Daesh ont été chassés de Derna non pas par le général Haftar mais par une coalition de milices islamiques locales qui se sont unies dans le « Conseil de la Choura des moujahidines de Derna » dont Ansar al-Charia, la branche libyenne d’Al-Qaeda. De même, Daech qui s’est implanté à Syrte en février 2015 à l’issue de combats contre les forces du Bouclier de la Libye, se heurtait toujours à une résistance d’habitants armés et des affrontements sporadiques mais violents se poursuivent dans Syrte.
Daech n’était pas au début de 2016 dans une position comparable à celle qu’il occupait en Syrie et en Irak ni sur le plan de la force militaire ni sur celui des ressources économiques. Il n’avait pas les moyens de s’emparer de champs pétrolifères et d’infrastructures pétrolières en Libye [7], de les conserver et de les exploiter.

La situation à l’orée de 2017

Daech a été chassé de Syrte et ne possède plus aucune ville-base en Libye.

La mainmise de Daech, le 5 mai 2016, sur le croisement de Bougrine (100 km à l’est de Misrata et menant vers le Sud) a décidé les milices de Misrata à déloger Daech de Syrte [8]. La milice de Misrata avec l’appui d’une brigade originaire de la ville amazigh (berbère) de Nalout, dans les monts Nefoussa, à l’ouest de la Libye qui a mené l’attaque contre les djihadistes de Syrte, appuyée par l’aviation américaine guidée par des forces spéciales anglo-américaines.
Mais les combattants de l’opération « Al-Bunyan Al-Marsous » (« Structure solide ») ont subi des pertes importantes face aux djihadistes qui ont défendu leurs positions pied à pied. En quatre mois de combats, on compte plus de 530 morts et 2 500 blessés du côté d’Al-Bunyan Al-Marsous, dont 90 % sont des hommes de Misrata.

Après les djihadistes de Daech, les frères Musulmans sont en perte de vitesse en Libye.

Mohamed Sawan avait réussi à s’imposer avec son parti comme la force dominante au sein du Congrès national de juillet 2012 à août 2014. Le PJC avait obtenu moins de voix que son rival de l’Alliance des Forces nationales du très médiatique Mahmoud Jibril. Mais sa formation étant mieux organisée, il avait réussi à rallier une large majorité d’élus indépendants et avait fait basculer le Congrès en sa faveur. Son parti avait pu faire adopter une loi d’exclusion politique pour les personnalités politiques ayant joué un rôle sous Kadhafi. Cette loi lui avait permis d’écarter son principal adversaire Mahmoud Jibril.
Les élections de 2014 n’ont permis d’élire que 188 députés sur 200 à cause des combats dans certaines régions du pays. Mohamed Sawan a subi une vraie défaite puisqu’il ne peut plus compter que sur une quarantaine de députés dans la nouvelle Assemblée, les Frères Musulmans étant rejetés par les modérés pour leur islamisme mais également par les islamistes radicaux d’Abdelhamid Belhad pour leur tempérance.

Le Général Hatar s’empare du croissant pétrolier et rend obsolète l’accord de Tunis du 6 décembre 2015.

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Les pertes e la milice de Misrata ont laissé le champ libre à l’Armée nationale libyenne (ANL) du Général Haftar qui a lancé début septembre une opération appelée « Surprise foudroyante ». Les forces del’ ANL ont pris facilement en quelques jours les ports de Ras Lanuf, Es Sider et Brega sans que les Petroleum Facilities Guards (PFG), la milice paramilitaire dirigée par le jeune Ibrahim el-Jadhran [9] s’y opposent réellement. En effet fin août, une nouvelle grève des PFG avait montré la fragilité du pouvoir d’Ibrahim el-Jadhran, plus business man que chef de guerre. Les notables de la tribu des Megrahi dont sont issus de nombreux éléments des PFG ont senti alors le vent tourner et les ont appelés à rendre les armes sans combattre.
Cette victoire du Général Haftar met en lumière l’impuissance de Fayez el-Sarraj [10]. De plus, elle fournit une preuve supplémentaire de l’influence grandissante de la Russie en méditerranée orientale.
Cette impuissance trouve sa source dans le sentiment que Fayez el-Sarraj est l’homme lige de l’Occident. Or, le peuple libyen dont l’ADN tribal a subi pendant plus de 40 ans la greffe de la propagande nationaliste de Kadhafi et anti-occidentale des Frères Musulmans, perçoit dans sa majorité Fayez el Sarraj comme un valet d’un occident qui veut faire main basse sur les immenses ressources pétrolières et gazières de la Libye.
Fayez el-Sarraj est appuyé par les six pays de la communauté internationale (États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne, Italie et France) qui exigeaient un retrait immédiat des forces de Haftar du croissant pétrolier. La coalition occidentale s’est trouvée confrontée au refus de l’Égypte, associée à la Russie et à la Chine de s’associer à une quelconque condamnation par le Conseil de sécurité de l’ONU de l’action de force entreprise par le général Haftar. Ce dernier, que l’on présentait comme un agent de la CIA, était allé en juin 2016 à Moscou demander le soutien russe [11]. Il y est d’ailleurs retourné les 27 et 28 novembre 2016 pour une visite de 48 h.

Dès le mercredi 14 septembre le président de la compagnie pétrolière nationale en Libye (NOC) déclarait la reprise immédiate des exportations et annonçait un triplement des exportations de pétrole avant la fin 2016.

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Vers une prise de pouvoir en Libye du général Khalifa Haftar ?

Le ralliement de Misrata ?

Allié à la milice de Zintan qui contrôle les terminaux de la région de Tripoli, le général Khalifa Haftar, est en mesure de dicter sa loi. D’autant plus que les forces misraties, seules à même de s’opposer à lui, ont été affaiblies par la bataille de Syrte et ne sont pas en mesure de se relancer immédiatement dans une autre bataille. Pour convaincre les Misratis et l’Italie, qui a une influence importante dans cette ville, d’accepter cette mainmise sur le croissant pétrolier, Khalifa Haftar est aujourd’hui en mesure de couper (avec l’aide des Zintan, ses alliés dans l’ouest du pays), l’approvisionnement du gazoduc Greenstream transportant le gaz de l’ENI vers l’Italie [12].

Cette victoire conduit à une quasi défection de Misrata qui constituait jusqu’à présent le noyau dur de la coalition Al Fajr Libya contrôlant l’ouest de la Libye et qui soutenait le Président du Conseil présidentiel [13], présidé par Fayed el Sarraj [14].

En effet, selon Maghreb confidentiel [15]: « c’est à l’initiative du président du conseil municipal de Misrata, Mohamed Miftah Eshtawi que des brigades misraties ont pris le contrôle, le 10 décembre, d’un dépôt d’armes situé à Tamina, dans la banlieue sud de la ville, saisissant une grande quantité de munitions destinée aux derniers combattants islamistes (y compris certains Misratis) qui affrontent les hommes de Khalifa Haftar à Benghazi. Parallèlement, Mohamed Miftah Eshtawi a ordonné, le même jour, la fin de toute expédition d’aide par voie maritime en direction de Benghazi. Cette décision cible directement les adversaires de Haftar, dont l’essentiel du ravitaillement transite par un petit port situé à Ganfouda, dernier quartier sous leur contrôle ».

Si les informations de Maghreb confidentiel sont fondées, la signification et les conséquences de cet événement sont considérables. Cela signifie premièrement que le Président du conseil Fayed el Sarraj perd ses deux principaux soutiens qui étaient Abderrahmane Souihli, et son neveu Ahmed Myitig, vice-président du Conseil de la présidence du gouvernement, originaires tous deux de Misrata. Ahmed Myitig, est un homme d’affaires né en 1972 à Misrata et était soutenu ouvertement par Rome [16]. Par ailleurs, le camp de Tamina appartenait à Anwar Sawan, jusque-là principal armurier des milices misraties et parent de Mohamed Sawan [17], dirigeant des Frères musulmans libyens. Cette action sur le dépôt de Tamina consacre donc également une perte d’influence des Frères Musulmans à Misrata.

Les perspectives en 2017

Comme le constatait le Secrétaire général de l’ONU dans son rapport du 1er décembre 2016 sur la Mission d’appui des Nations Unies en Libye, la situation politique est toujours bloquée. Le Conseil de la Présidence est incapable de mettre en application l’Accord politique libyen conclu en décembre 2015. La capitale Tripoli est toujours sous le contrôle d’une mosaïque de groupes armés. Les institutions parallèles sont restées en place. Le « Gouvernement intérimaire » basé à Beïda a refusé de reconnaître le Conseil de la présidence et continue d’exercer son autorité dans l’est du pays, encourageant ainsi le fonctionnement des institutions parallèles, y compris d’une succursale de la Central Bank of Libya à Benghazi.

Face à cette situation, soutenu par l’Egypte, la Russie et la Chine, c’est clairement le Général Haftar qui tient dans ses mains l’avenir du pays à condition qu’il parvienne, ce qui est probable, à s’entendre avec Misrata.
Deux options s’offrent alors à lui.
Soit il peut négocier un accord avec Abdelhakim Belhadj l’homme fort de Tripoli et le chef de guerre le plus expérimenté du pays ainsi qu’avec Mohamed Sawan, le chef des Frères Musulmans qui est affaibli notamment parce qu’il a subi une défaite aux élections législatives de 2014 et a perdu son soutien à Rome avec la démission de Matteo Renzi. Si ces conditions sont remplies, la Libye peut entrer sans conflit dans une phase de consolidation qui restera néanmoins fragile.
Soit il ne le veut pas ou ne peut pas s’entendre avec Abdelhakim Belhadj, alors avec l’appui des milices de Misrata et de Zantan, il est en mesure d’organiser un coup de force pour se rendre maître de Tripoli, imposant la réconciliation nationale par la force et sous sa seule autorité.


Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Lire ma précédente analyse : Les conditions politiques d’une intervention militaire directe en Libye ne sont pas réunies

[2] Une intervention humanitaire italienne en Libye très politique

[3] Source intelligence on-line : Martin Kobler, représentant de l’ONU, s’exprimant à huis clos devant le Comité politique et de sécurité de l’Union européenne, a vivement critiqué l’offensive.

[4] L’importance de la Libye pour l’Etat Islamique (Daech) ressort aussi de la nomination par Abou Bakr al-Baghdadi et de 8 de ses proches collaborateurs à la tête de Daesh en Libye, notamment Wissam Al Zubaidi (alias Abou Nabil Al Anbari), Turki Moubarak Al Binali (alias Abou Sufian) et Abou Habib al-Jazrawi. En septembre 2014, la déclaration d’allégeance à Daesh s’est déroulée en présence d’émissaires d’Al-Bahgdadi. Abu al-Bara al-Azdi, un yéménite, et Al-Jazrawi, un saoudien, se sont rendus à Derna pour l’occasion. Al-Baghdadi a en outre envoyé en Libye, en 2015, le prédicateur bahreïnien Turki Al-Binali, membre du conseil religieux de Daesh.

[5] (environ 800 qui avaient formé la Brigade Al-Battar).

[6] Tripolitaine (avec Tripoli et Syrte), la Wilaya Barqa (Cyrénaïque, avec Derna et Benghazi) et la Wilaya du Fezzan (sud).

[7] Libye : l’EI attaque des installations pétrolières

[8] http://www.elwatan.com/archives/article.php?id_sans_version=320915

[9] Est un commandant de la révolution libyenne chef de la milice de Ajdabiya dans l’est de la Libye .

[10] Le gouvernement d’union nationale, ainsi que les six pays de la communauté internationale (États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne, Italie et France) qui exigeaient un retrait immédiat des forces de Haftar, se trouvent devant l’obligation de composer avec cette nouvelle donne. Ils n’avaient, d’ailleurs, pas le choix puisque l’Égypte, associée à la Russie et à la Chine, s’était opposée à une quelconque condamnation, par le Conseil de sécurité de l’ONU, à l’action de force entreprise la semaine dernière par le général Haftar.

[11] Etait déjà à Moscou en juin 2016 ; il y avait rencontré le ministre de la Défense Serguei Shoigu, et le secrétaire du Conseil de sécurité nationale Nikolaï Patrouchev.

[12] Maghreb confidentiel n°1215 du15/09/2016.

[13] Le Conseil présidentiel, est une institution exécutive créée en Libye par un accord politique signé sous l’égide de l’ONU le 17 décembre 2015 Ce conseil Présidentiel composé de neuf personnalités, dont un président et trois vice-présidents issus chacun de l’une des trois régions du pays, la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan. Son Président est Fayez el-Sarraj. Premier vice-président : Ahmed Miitig. Membres : Fathi al-Mijabri ;Ali Faraj Qatrani ; Abdoulsalam Kajman ;Omar al-Aswad ; Moussa Balkani ; Mohammed al-Mimari ; Ahmad Hamza al-Mahdi.

[14] Il prend ses fonctions à Tunis le 12 mars suivant à la tête d’un gouvernement installé sans vote de confiance, mais qui est soutenu par la France, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni.Le nouvel exécutif, qui justifie sa légitimité par une pétition signée par la majorité des membres de la Chambre des représentants, s’installe à Tripoli le 30 mars. Le lendemain, dix villes de l’Ouest du pays, dont Sabratha, Zaouïa et Zouara annoncent leur soutien au gouvernement d’union nationale. Enfin, le 5 avril, le gouvernement de Tripoli lui cède également le pouvoir.

[15] Maghreb confidentiel n°1228 du 15/12/2016 « La détente entre Misrata et Khalifa Haftar s’est également jouée dans le Fezzan, avec la prise de la base aérienne militaire de Barak Shati (à 60 km au nord de Sebha) par les hommes de Haftar. Arrivé le 12 décembre pour reprendre les clefs de la base, le colonel Mohamed Ben Nayel n’a pas eu à combattre : il a longuement négocié l’évacuation de la 3e Force, à dominante misratie, qui occupait les lieux jusque-là. Cette politique de bon voisinage envers le général de l’Est a été précédée par plusieurs mois de pourparlers, parrainés par des personnalités telles que l’ex-chef du conseil militaire de Misrata, Salem Jouha ou le chef du Conseil des notables de Misrata, M’hamed Abdallah Abdelali ».

[16] Le ministre italien des affaires étrangères, Paolo Gentiloni, avait annoncé, le 12 septembre, l’installation, à Misrata, d’un hôpital de campagne protégé par 200 parachutistes pour soigner les blessés de Syrte.

[17] Il a passé huit années dans les geôles de Kadhafi avant d’être libéré en 2006.


Les conditions politiques d’une intervention militaire directe en Libye ne sont pas réunies

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La Libye n’est pas la Syrie ou l’Irak. La greffe de Daesh en Libye a rencontré l’opposition de certaines des grandes milices qui se partagent le contrôle du pays depuis 2012. Toute action militaire directe occidentale mobiliserait contre elle toutes ces milices comme l’a montré l’initiative du général Haftar, soutenue par la CIA, qui a fédéré contre elle les diverses milices islamiques qui s’affrontaient jusque-là et qui a précipité en 2014 le pays dans une seconde guerre civile. Le projet d’accord concernant la mise sur pied d’un gouvernement d’Union Nationale négocié par le représentant spécial du secrétaire général des Nations-Unis pour la Libye, Bernardino Léon, n’a pas été approuvé par le parlement de Toubrouk. Washington, Paris et Londres craignent que cet échec donne à l’Etat Islamique le temps nécessaire pour se renforcer et ont décidé d’intervenir de manière indirecte pour en contrôler l’expansion en appuyant les milices qui s’y opposent. A l’orée de 2016, aucun scénario de sortie de crise ne s’impose d’autant plus que la Turquie joue comme en Syrie un rôle perturbateur et que les pays frontaliers, l’Egypte, la Tunisie et l’Algérie, en proie avec leurs propres problèmes, craignent que toute initiative occidentale conduise à faire empirer la situation. Dans ce contexte l’Italie, qui a conservé de forts liens en Libye avec les Maires des principales villes [1], apparait comme le pays occidental le plus capable d’élaborer et de conduire une stratégie de stabilisation.

Mardi 2 février 2016 à Rome, 23 pays se sont réunis pour évaluer les plans de la coalition internationale visant à contrer l’organisation terroriste l’Etat islamique (Daech) en Irak et en Syrie et discuter des moyens d’arrêter l’avancée de l’organisation en Libye.

Il est donc légitime d’analyser la situation politique et militaire en Libye et de s’interroger sur les objectifs et l’urgence d’une intervention militaire directe et d’évaluer si les conditions politiques sont réunies pour qu’elle aboutisse à une amélioration de la situation actuelle.

Historique depuis 2012 avant l’arrivée de l’EI en Libye

Le 6 juillet 2012 est élu à Tripoli le Congrès National Général (CNG). Rapidement après l’élection une opposition se dessine entre trois factions du congrès et qui se radicalise progressivement. Le premier courant, autoproclamé « libéral » ou « nationaliste » et qualifié de « laïque » par les occidentaux est composé d’hommes d’affaires, de cadres de l’ancien régime proches du mouvement « réformiste » amorcé par M. Saïf Al-Islam [2] à partir de 2005 et d’officiers ayant fait défection aux premiers temps de l’insurrection. La seconde faction, qualifiée «d’islamiste » par ses opposants et la presse étrangère, représente un courant politique appelant à l’établissement d’une Constitution dont la source d’inspiration serait la Charia. Il s’agit d’opposants de longue date, de représentants de Misrata [3] et d’autres villes de la côte tripolitaine comme Zaouia et Zouara. Une troisième faction, moins forte militairement est celle des frères musulmans qui contrôle la milice de la salle d’opérations des rebelles de Libye et le conseil militaire de Tripoli. Ces trois factions du CNG et le gouvernement de transition sont sous la pression de formations paramilitaires antagonistes qui occupent des sites stratégiques à Tripoli [4].

Cette ligne de fracture entre les représentants de la Libye se superpose à des divisions plus anciennes qui opposent d’une part les grandes tribus de la Cyrénaïque à celles de la région de Tripoli, et d’autre part les populations d’origine bédouine du Sud aux populations de tradition citadine et marchande de la cote.

Mais d’autres rivalités locales compliquent encore l’analyse de la situation libyenne. Au Sud il existe une concurrence et une rivalité entre Toubous et clans Touaregs. De même les chefs de village amazighes du djebel Nefoussa, refusent de prendre parti pour l’une ou l’autre des deux factions rivales de Tripoli. Pourtant ils ne peuvent empêcher de nombreux jeunes de rejoindre la force nationale mobile, puissante milice à dominante amazighe qui soutient la faction dite « islamiste » parce qu’ils sont opposés historiquement à leur voisins arabes de la ville de Zintan.
Ces oppositions conduisent à des confrontations au sein même des villes. A Benghazi par exemple, 40 % de la population est originaire des villes marchandes de Tripolitaine (Misrata, Zaouia, Tripoli). Les 60 % restants se considèrent d’origine bédouine et appartiennent principalement aux tribus historiques de Cyrénaïque. Les habitants, s’identifiant à la tradition bédouine, ont rejoint le courant « nationaliste » par rivalité avec les populations originaires de Misrata, majoritairement favorables au camp « islamiste ».

L’initiative du général Haftar, soutenue par la CIA, a précipité la Libye dans une « seconde guerre civile ».

Ces rivalités, souvent violentes, n’attendaient qu’un catalyseur pour basculer dans une guerre civile. Une fois de plus ce sont les Etats-Unis et la CIA qui vont jeter de l’huile sur la braise libyenne en favorisant le retour en Libye d’un ancien général M. Khalifa Hafta. Cet ancien officier de Kadhafi avait fait défection en 1983 pour s’installer aux Etats-Unis. En mars 2011, âgé de 73 ans, il est revient en Libye, et met sur pied une coalition baptisée « Dignité » (Al-Karama), avec pour objectif affiché d’« éradiquer les islamistes ». Il fédère ainsi, avec l’argent et l’appui de la CIA, le bataillon de forces spéciales de la ville, l’armée de l’air, majoritairement composés de cadres de l’ancien régime ayant fait défection en 2011 et des brigades recrutées dans les grandes tribus saadiennes et des katibas liées aux autonomistes de Cyrénaïque. Le 16 mai 2014 il lance une offensive à Benghazi contre les milices se réclamant de divers courants islamistes. En Tripolitaine, les milices de Zintan rallient l’opération « Dignité » et donnent l’assaut au CNG le 18 mai, mettant à mal le processus politique amorcé deux ans auparavant.

Cette attaque et l’action en sous-main des services turcs ont pour effet immédiat d’unir les milices islamiques dont certaines étaient jusqu’alors rivales. Réagissant à cette attaque, un camp anti-Haftar se structure autour de la faction « islamiste » majoritaire au sein du CNG s’appuyant sur une coalition baptisée « Aube de la Libye » et comprenant principalement les grandes brigades « révolutionnaires » de Benghazi, Tripoli, Zaouia, Ghariane et Zouara.

Au niveau local, les communautés prennent position en fonction de leurs intérêts et de leurs rivalités anciennes. C’est ainsi que la tribu des Machachiya, rivale traditionnelle des Zintan, opte pour Aube de la Libye. D’autres tribus de Tripolitaine qui avaient longtemps constitué des bastions kadhafistes en 2011 (Warshafana, Nawil, Siaan) rejoignent le général Haftar pour des raisons là aussi essentiellement locales. Dans le Sud, une partie des Toubous ayant pris position pour le général Haftar, certains groupes Touaregs rejoignent le camp islamique. A l’exception des grands bastions kadhafistes, les villes de Syrte et de Bani Walid qui refusent de prendre parti, la division fait tache d’huile à l’ensemble du pays.

L’arrivée de l’Etat Islamique en Libye [5]

Les djihadistes de l’EI ne sont pas les premiers à se réclamer d’un islam radical. Le Groupe islamique combattant en Libye (GIGL, Al-Jama’a al-Islamiyyah al-Muqatilah bi-Libya), luttait contre le régime du colonel Kadhafi. Ses dirigeants avaient été formés par la CIA en Afghanistan et jouaient le rôle d’«agent de renseignement » pour le compte de la CIA et du MI6, le service de renseignement britannique. Après la chute de l’URSS, ce groupe islamique s’est émancipé de ses créateurs et a établi des relations de plus en plus étroites avec Al Qaïda dans les années 2000.

La chute de Kadhafi a entrainé la création d’Ansar al-Charia entre août et septembre 2011, fondé par Mohammed al-Zahawi, qui était emprisonné à Tripoli. Plusieurs centaines de Libyens se sont entraînés au sein du groupe avant de partir combattre en Syrie. Il a également accueilli des djihadistes de l’Ansar al-Charia tunisien qui ont fui la Tunisie. Ces groupes islamiques se sont régionalisés lors de l’intervention occidentale en Ansar al-Charia Derna et Ansar al-Charia Benghazi. Ces groupes coordonnent plus ou moins leurs actions. Ils ont participé à l’entrainement d’AQMI et lui ont fourni un soutien logistique. Ils ont noué des liens avec Al-Mourabitoun et Ansar al-Shari’a-Tunisie. Entre 2011 et 2014, Ansar al-Charia Benghazi a perpétré un grand nombre d’attaques terroristes et d’assassinats [6].

L’arrivée d’un nouvel acteur va compliquer encore plus la situation. Le 4 avril 2014 se crée le mouvement MCCI (Majilis Choura Chabab al-Islam : conseil consultatif de la jeunesse islamique) par des djihadistes libyens de retour de Syrie. Ce groupe annonce son allégeance à l’État islamique le 31 octobre 2014. Abou Bakr al-Baghdadi l’accepte dans un communiqué du 13 novembre. Le MCCI prend progressivement le contrôle d’une partie de la ville de Derna. La zone de Derna devient alors le premier territoire contrôlé par l’État islamique hors d’Irak et de Syrie.
En février 2015, une partie de la population de Syrte, ville fidèle jusqu’au bout à Kadhafi voit dans l’EI une occasion de prendre sa revanche et fait bon accueil à 400 djihadistes. Ils s‘opposent pendant 2 mois au bataillon 166 que Fajr Libya avait chargé de défendre Syrte. Ils s’emparent fin Mai 2015 de la base aérienne de Ghardabiya au Sud de la ville et prennent progressivement le contrôle d’une grande partie de la ville. A partir de cette date l’expansion de l’État islamique se poursuit en tâche d’huile autour de Syrte.
En fait à l’orée de 2016 le territoire libyen semble être sous le contrôle de 4 organisations qui peuvent s’allier localement pour combattre les autres en fonction de leurs intérêts. Ainsi en juillet 2014, la milice de Misrata s’est alliée avec des combattants islamistes pour tenter de chasser les miliciens de Zintan qui contrôlent l’aéroport de Tripoli.

La situation actuelle des forces en présence

La milice de Misrata

Elle comprend environ 20.000 hommes ce qui en fait la force la plus importante du pays. Les « Misrati » ont pour ambition de contrôler la vaste région centrale autour de Misrata, grande ville portuaire. « Cette zone charnière entre Tripolitaine et Cyrénaïque englobe les terminaux et champs de pétrole du ‘croissant pétrolier’ du golfe de Syrte, actuellement occupés par les fédéralistes de Cyrénaïque » depuis le 27 août 2013, explique Patrick Haimzadeh, ancien diplomate français à Tripoli et auteur de « Au cœur de la Libye de Kadhafi ». Les frères musulmans avec l’aide des services secrets d’Erdogan essaient de l’infiltrer pour la contrôler. De leur côté les services italiens ont conservé des liens étroits avec Misrata et les frères musulmans comme le prouve l’intervention humanitaire que viennent de réaliser les forces spéciales italiennes [7]. Le 11 janvier, ils posent un C-130 à Misrata avec des médecins et des infirmiers pour évacuer 15 Libyens, grièvement blessés, lors du récent attentat du 7 janvier contre le Centre de formation de la police de la côte libyenne. Ces blessés ont ainsi été pris en charge et rapatriés sur l’hôpital militaire de Celio en Italie. C’est la première fois depuis les évènements de 2011, qu’une force occidentale se pose sur le sol libyen.

La milice de Zintan

C’est la seconde milice la plus importante en Tripolitaine. Elle a joué un rôle important pour la libération de Tripoli, lors des batailles dans le Djebel Nefoussa. Elle contrôle une partie des montagnes de l’ouest, des frontières avec l’Algérie et la Tunisie et la Hamada Al-Hamra, vaste étendue désertique qui s’étend jusqu’au grand Sud. Elle tient sous sa coupe le pétrole de la Tripolitaine et détient le fils de Mouammar Kadhafi, Seif al-Islam qu’elle refuse de livrer à la justice nationale et internationale.

Les milices du général Khalifa Haftar

Il a su attirer et obtenir l’appui de la milice de Zintan. Le général a regroupé sous sa bannière des éléments de l’armée régulière libyenne, dont les forces de l’armée de l’air. Leur PC se trouve à Al-Abyar (à l’est de Benghazi). Un grand nombre de conseils municipaux de l’Est – dont celui de Benghazi – se sont ralliés à sa cause, tout comme la Chambre des représentants de Tobrouk. Cette milice est clairement soutenue par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et par la France. Khalifa Haftar mène actuellement une offensive à Benghazi pour en chasser définitivement les islamistes. Cette offensive est perçue par le négociateur de l’ONU comme mettant en cause le projet de formation d’une armée « nationale » liée au « gouvernement d’union nationale » de Fayez Sarraj et adoubée par l’ONU [8].

Les milices islamiques et Daesh[9]

Un grand nombre de Libyens avaient déjà combattu avec Daesh en Iraq et Syrie [10]. Ces combattants sont rentrés récemment en Libye tout en conservant des relations étroites avec leurs contacts en Iraq et en Syrie. Ils se sont initialement établis à Derna et se sont nommés « Wilaya Barqa » sous le commandement d’Abou al-Mughirah Al-Qahtani, décrit comme le « chef délégué pour la Wilaya libyenne ». L’apport de combattants de Tunisie et d’Algérie et de transfuges d’autres groupes islamistes libyens est à l’origine de son expansion relativement rapide. Daesh s’est organisé en 3 Wilayas [11] et compterait 2 000 à 3 000 djihadistes.

En effet, depuis que l’Etat Islamique s’est implanté en Libye, Ansar al-Charia Derna et Ansar al-Charia Benghazi ont été affaiblis par la perte de combattants qui ont rallié les rangs de l’EI ou ont été tués lors d’affrontements avec lui. Une des factions Ansar al-Charia Derna a publiquement prêté allégeance à l’EI et été absorbée par lui. A contrario, une autre faction d’Ansar al-Charia Derna a rejoint une coalition anti Daesh sous la bannière de la « Choura des moudjahidin de Derna ». De même, Ansar al-Charia Benghazi a été affaiblie par la mort de son fondateur et chef, Mohamed Zahawi [12], tué à la fin de 2014 lors d’un affrontement avec les troupes gouvernementales.

La Willaya de Daesh à Syrte a été formée par d’anciens membres d’Ansar al-Charia et par des membres venant de Derna. La willaya de Daesh à Syrte est dirigée par Abou Abdellah Al Ouerfalli. Le commandement opérationnel revient à un Tunisien connu sous le nom de guerre d’Abou Mohamed Sefaxi. Son adjoint est Ali Mohamed El Qarqai (alias Abou Tourab Attounsi). Cette cellule compte un grand nombre de combattants terroristes étrangers de Tunisie, du Soudan et de la région sahélo-saharienne [13].

Néanmoins Daesh est perçu par les autres organisations islamistes comme extérieur à la Libye. Ainsi les combattants de Daesh ont été chassés de Derna non pas par le général Haftar mais par une coalition de milices islamiques locales qui se sont unies dans le « Conseil de la Choura des moujahidines de Derna » dont Ansar al-Charia, la branche libyenne d’Al-Qaeda. De même, Daesh qui s’est implanté à Syrte en février 2015 à l’issue de combats contre les forces du Bouclier de la Libye, se heurte toujours à une résistance d’habitants armés et des affrontements sporadiques mais violents se poursuivent dans Syrte.

Daesh n’est donc pas actuellement dans une position comparable à celle qu’il occupe en Syrie et en Irak ni sur le plan de la force militaire ni sur celui des ressources économiques. Comme le montre son échec récent, il n’a pas actuellement les moyens de s’emparer de champs pétrolifères et d’infrastructures pétrolières en Libye [14], de les conserver et de les exploiter. Même s’il s’emparait de terminaux, il ne pourrait exporter le brut ni par mer à cause du blocus maritime occidental ni par terre car les distances entre les terminaux pétroliers (région de Raz Lanouf) et les frontières terrestres du pays avec l’Egypte et la Tunisie sont très grandes (600 km) alors qu’en Syrie et en Iraq le territoire contrôlé par Daesh jouxte les pays voisins. De plus, il ne pourrait pas bénéficier de complicités de la part des autorités égyptiennes et tunisiennes comme celles dont il dispose dans la Turquie d’Erdogan.

Les scénarios de sortie de crise

Le scénario ONU

L’ONU a essayé de mettre sur pied un accord politique entre les factions qui s’opposent en Libye (hors Daesh) en vue de former un gouvernement d’union nationale qui serait dirigé par Fayez Sarraj. Un projet d’accord avait été signé le 17 décembre 2015 à Skhirat (Maroc) entre divers représentants auto-proclamé des assemblées. Selon certaines sources ce document aurait été approuvé par 80 des 188 membres du Parlement de Tobrouk et environ 50 des 136 députés du CGN. L’accord prévoyait la mise en place d’un gouvernement d’union nationale et d’un conseil présidentiel, au début d’une période de transition de deux ans qui devait s’achever par des élections législatives. Mais cet accord a été rejeté, lundi 25 janvier 2016 par l’Assemblée de Tobrouk.

Le scénario militaire

Les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne ne veulent pas courir le risque d’attendre la mise en place d’un accord politique supervisé par l’ONU et se sont engagés dans des actions clandestines destinées à identifier, localiser et frapper les chefs de l’EI en Libye afin de ralentir son développement. Ainsi l’irakien Abou Nadil a été tué par un bombardement de l’US Air Force sur un renseignement français (le Monde 24/02/2016 la guerre secrète de la France en Libye). Par ailleurs des forces spéciales de ces trois pays formeraient et appuieraient les forces du général Haftar afin de l’aider à réduire les factions islamistes dans l’Est du pays et pour les forces spéciales françaises [15] probablement à l’Ouest de Tripoli dans le Djebel Nefoussa où elles étaient intervenues en 2011. De leur côté, les italiens conservent des liens avec la milice de Misrata et les frères musulmans à Tripoli et à Misrata.

Conclusion

Cette analyse a souligné la complexité de la situation libyenne et démontre sans équivoque qu’une action occidentale directe ajouterait la guerre à la guerre.

C’est donc un mode d’action indirect qu’il faut préférencier en appuyant les milices anti-Daesh, tout en dosant cet appui en fonction de leur distance avec l’islam salafiste. Une attention particulière doit être portée aux frères musulmans qui déploient leurs réseaux en Libye et en Tunisie et qui ne doivent pas être renforcés. C’est notamment le cas avec la milice de Misrata sur laquelle Erdogan a jeté son dévolu et dont il arme et finance les frères musulmans qui sont fortement implantés dans cette ville. A l’orée de 2016, aucun scénario de sortie de crise ne s’impose d’autant plus que la Turquie joue comme en Syrie un rôle perturbateur et que les pays frontaliers l’Egypte, la Tunisie et l’Algérie en proie avec leurs propres problèmes craignent que toute initiative occidentale conduisent à faire empirer la situation. Dans ce contexte l’Italie qui a conservé de forts liens en Libye avec les Maires des principales villes [16] et les frères musulmans apparait comme le pays occidental le plus capable d’élaborer et de conduire une stratégie de stabilisation qui demandera du temps et de la finesse pour finir par s’imposer.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Comme l’a montré la récente opération humanitaire conduite par les forces Rome à Misrata : http://www.bruxelles2.eu.

[2] Deuxième fils de Kadhafi.

[3] Les autorités grecques ont annoncé mercredi 9 septembre 2015 avoir arraisonné et saisi mardi le cargo Haddad 1, battant pavillon bolivien et transportant des armes en provenance de Turquie à destination de la Libye. Ces armes étaient destinées pour les Frères musulmans qui luttent contre le gouvernement libyen de Tobrouk, reconnu par la communauté internationale. D’après Athènes, ce navire a quitté le port turc d’Iskenderun et se dirigeait vers le port de Misrata en Libye.

[4] Comme l’aéroport, les carrefours du centre-ville ainsi que les abords des bâtiments officiels et des grands hôtels.

[5] www.un.org

[6] Une partie des djihadistes de l’attaque du site gazier de Tiguentourine (In Amenas, Algérie) par Al-Mourabitoun et Al Mouakaoune Biddam en janvier 2013, ont été formés durant l’été 2012 dans des camps d’Ansar al-Charia Benghazi, comme les deux groupes ont pris part à l’attaque du consulat des États-Unis à Benghazi, le 11 septembre 2012. Ansar al-Charia Benghazi et Ansar al-Charia Derna gèrent également des camps d’entraînement terroristes pour combattants terroristes étrangers opérant en République arabe syrienne, en Iraq ou au Mali.

[7] www.bruxelles2.eu

[8] Source intelligence on-line : Martin Kobler. S’exprimant à huis clos devant le Comité politique et de sécurité de l’Union européenne, le 23 février, dans le bâtiment Justus Lipsius (siège du Conseil européen), celui-ci a vivement critiqué l’offensive.

[9] L’importance de la Libye pour l’Etat Islamique (Daesh) ressort aussi de la nomination par Abou Bakr al-Baghdadi et de 8 de ses proches collaborateurs à la tête de Daesh en Libye, notamment Wissam Al Zubaidi (alias Abou Nabil Al Anbari), Turki Moubarak Al Binali (alias Abou Sufian) et Abou Habib al-Jazrawi. En septembre 2014, la déclaration d’allégeance à Daesh s’est déroulée en présence d’émissaires d’Al-Bahgdadi. Abu al-Bara al-Azdi, un yéménite, et Al-Jazrawi, un saoudien, se sont rendus à Derna pour l’occasion. Al-Baghdadi a en outre envoyé en Libye, en 2015, le prédicateur bahreïnien Turki Al-Binali, membre du conseil religieux de Daesh.

[10] Environ 800 qui avaient formé la Brigade Al-Battar.

[11] Tripolitaine (avec Tripoli et Syrte), la Wilaya Barqa (Cyrénaïque, avec Derna et Benghazi) et la Wilaya du Fezzan (sud).

[12] Aiman Muhammed rabi al-Zawahiri a fait l’éloge funèbre de Zahawi dans un enregistrement audio intitulé « Le printemps islamique », ce qui montre que Zahawi était considéré comme faisant partie du vaste réseau mondial de groupes affiliés à Al-Qaida.

[13] Leur poste de commandement se trouve au Centre de conférences Ouagadougou à Syrte qui a été le bastion de la résistance des partisans de Kadhafi en 2011.

[14] Elle a été constituée pour faire face aux forces du général controversé Khalifa Élu au Congrès général national en juillet 2012, il siège au sein de cette assemblée pendant deux ans.

[15] Source Wikipédia : Avant d’être élu le 25 juin 2014 à la Chambre des représentants dont il est membre depuis le 4 août de la même année3.Le 17 décembre 2015, un accord est conclu sous l’égide de l’ONU entre les deux autorités rivales libyennes, siégeant respectivement à Tobrouk et à Tripoli, dans le but de mettre fin à la guerre civile4. Sarraj est alors désigné pour prendre la tête du gouvernement d’union nationale dont la composition doit être validée par un vote des deux parlements antagonistes. Le 9 janvier 2016, il est victime d’une tentative d’assassinat sur la route entre Zliten et Misrata. Le 19 janvier, il forme son gouvernement, auquel la Chambre des représentants refuse d’accorder sa confiance le 25 janvier, entraînant par conséquent la démission de Sarraj et de l’ensemble de ses ministres. Le lendemain, il annonce cependant la formation d’un nouveau gouvernement dans les dix jours. Le 2 février 2016, il rencontre le général Khalifa Haftar.Le 9 février 2016, il demande une semaine de plus pour former le gouvernement. Le 14 février 2016, un nouveau gouvernement est proposé. Le 23 février 2016, la séance censée approuver la composition du nouveau gouvernement, est reportée d’une semaine, faute de quorum suffisant.

[16] www.lepoint.fr


Face aux risques des missiles sol-air libyens disparus des arsenaux de Kadhafi, quelles parades ?

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La disparition en nombre de missiles sol-air dans les arsenaux de Kadhafi inquiète les responsables occidentaux. Alain Juppé aurait cité le chiffre de 10 000 systèmes sol-air. De son côté, le général Mohamed Adia, chargé de l’armement au sein du ministère de la Défense du Conseil national de transition (CNT), évalue à environ 5 000 le nombre de missiles SAM-7 qui sont toujours manquants dans les arsenaux libyens.
La porte-parole du département d’Etat américain, Mme Victoria Nuland, a indiqué vendredi 7 octobre que neuf équipes américano-libyennes travaillent actuellement en Libye pour sécuriser les dépôts d’armes et tenter de récupérer les armes pillées dans le sillage des soulèvements populaires dans ce pays. Elle a aussi fait état de la disparition d’importants lots de missiles sophistiqués parmi lesquels des missiles à tête chercheuse thermiques SA-24.

Quels sont les risques pour le transport aérien si ces disparitions se confirment ?

Pour répondre de façon réaliste à cette question, il faut limiter le risque aux missiles sol-air SAM-7 et SA-24 portatifs qui ont été livrés par les russes aux autorités libyennes parce qu’ils peuvent être exfiltrés facilement du territoire libyen puis être utilisés par des combattants non spécialement formés à cet effet et ne disposant pas des matériels et des compétences nécessaires pour assurer la maintenance électroniques de systèmes sophistiqués.

La menace du SA-24 apparaît au premier abord la plus grave, s’il se confirme qu’il ne s’agit pas uniquement de missiles de rechange sans leur système de lancement. La portée du SA-24 est, en effet, de l’ordre de 6000 mètres d’altitude alors que les dernières versions du SAM-7 ne dépassent pas les 3500 mètres d’altitude. Par ailleurs, le système d’autoguidage du SA-24 est beaucoup plus sophistiqué et bien plus difficile à décevoir. Heureusement cette menace est à nuancer. En effet, dès mars 2011, un haut responsable de la société russe « KBM Machine-building design bureau », tout en confirmant que son entreprise avait fourni aux forces gouvernementales libyennes des SA-24 Grinch, a précisé qu’ils étaient montés sur camions et ne pouvaient pas être utilisés en systèmes portatifs car cela nécessiterait des systèmes de mise à feu séparés qui n’ont pas été fournis à la Libye. S’il s’avère qu’un ou plusieurs camions équipés ont pu s’exfiltrer, cette menace sera à prendre en compte bien que ces systèmes seront plus facilement repérables et plus difficiles à maintenir en état de tir que des systèmes portables.

On saura probablement assez rapidement s’il faudra toujours craindre cette menace car leur nombre était limité à quelques dizaines, alors que perdurera longtemps la menace des SAM-7 qui étaient stockés par milliers.

La menace des SAM-7 pour les avions de transport et les parades envisageables

Sont d’ores et déjà exclus du champ de cette menace les avions de la compagnie aérienne israélienne El-Al, les avions des chefs d’Etat et tous les avions et hélicoptères de transport militaires qui sont équipés de contre-mesures.
Les versions les plus modernes de SAM-7 peuvent engager des avions volant jusqu’à 3500- 4000 mètres d’altitude ce qui exclut les avions commerciaux civils en transit qui volent à environ 10 000 mètres d’altitude. En revanche, ils constituent une menace à prendre en compte pour les avions décollant ou atterrissant dans les aéroports.

Quelles ont les parades utilisées avec succès dans les pays à risque comme en Irak ou en Afghanistan ?

La portée horizontale des SAM-7 étant de l’ordre de 4 km, il s’agit de définir un périmètre de sécurité de cet ordre de grandeur autour des aéroports menacés et de le surveiller par des moyens électroniques et des patrouilles. Mais cette protection est trop lourde à réaliser 24 heures sur 24. Il faut donc concentrer les arrivées et les départs sur les aéroports menacés dans une courte période de 2 ou 3 heures par jour. Les procédures d’approches doivent être aussi modifiées. La perte d’altitude depuis 4000 mètres s’effectue par une descente et une montée en spirale ou très raide et au-dessus de la zone sécurisée. Enfin, des dispositifs contre les autodirecteurs infra-rouge des SAM-7 peut être montés sur des avions civils que l’on spécialisera pour la desserte des aérodromes à risques. Le système le plus efficace et le moins susceptible de causer des dommages aux abords des aéroports est d’envoyer, sur l’autodirecteur du missile, un faisceau infrarouge plus puissant que la signature de l’avion à protéger. En effet les dispositifs à base de fusées ou de torchse risquent de causer des incendies dans les zones habitées qui généralement entourent les aéroports.

Si ces disparitions se confirment, c’est ce type de mesures qu’il va falloir envisager de mettre en place dans la bande sahélienne.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL


Libye :
malgré l’implication française,
la course aux contrats n’est pas gagnée

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Nicolas Sarkozy et David Cameron se sont rendus en Libye ce jeudi, 15 Septembre 2011. L’après-Kadhafi a déjà commencé. Chaque pays occidental aiguise ses arguments en vue de la reconstruction économique du pays.

Le voyage réussi du Président Nicolas Sarkozy et du Premier ministre britannique David Cameron en Libye vise, bien entendu, à tirer les bénéfices politiques et économiques de la décision courageuse qu’ils ont su prendre d’intervenir à temps en Libye et de poursuivre cette intervention malgré les voix de tous les cassandres qui, trois mois à peine après le début de l’intervention, critiquaient déjà le risque d’enlisement.

La date de ce voyage, que les responsables de la sécurité trouvaient largement prématurée, s’explique par la tournée que le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan va entamer lundi prochain dans les pays du printemps arabe (Égypte, Tunisie et Libye). Les chefs des gouvernements français et britanniques ne pouvaient le laisser être le premier à fouler le sol libyen alors que la Turquie n’a cessé, durant les trois premiers mois de l’intervention, de trainer les pieds dans l’OTAN et de se poser en médiateur entre les insurgés et Kadhafi, faisant le pari que la rébellion n’arriverait pas à s’imposer au-delà de la cyrénaïque. Ce voyage de M. Erdogan s’inscrit aussi dans la stratégie du Premier ministre turc qui essaie de rétablir l’influence de l’empire ottoman sur le monde musulman en proposant un modèle de démocratie religieuse et qui se voit en leader naturel de la méditerranée du Sud et de l’Est, leadership que la diplomatie française revendique aussi. Le reversement d’alliance avec Israël et la tension qu’il entretien à propos de Gaza concourt aussi à cet objectif.

Sur le sol libyen, le Président Sarkozy a tenu à répondre à tous ceux qui n’ont vu dans la décision d’intervention des motivations économiques à odeur de pétrole. La France est intervenue parce que c’était juste et dans le seul but d’empêcher un dictateur de réprimer dans le sang une révolution naissante.

En effet, il est fort probable qu’en dehors du secteur stratégique de la Défense, les contrats qui seront attribués, y compris dans le secteur pétrolier, le seront « au mieux disant » comme c’est aujourd’hui le cas en Irak. Le jeu sera donc très ouvert pour participer à la reconstruction économique de la Libye et il ne faudra pas s’étonner de voir des sociétés, portant les couleurs de pays qui se sont abstenus d’aider les révoltés libyens, empocher d’importants contrats.

En revanche, il est aussi fort probable que la Libye fera appel à la France et à la Grande-Bretagne pour reconstruire, entrainer et équiper son armée et sa police. Les autorités libyennes choisiront des entreprises dont l’État français est un actionnaire de référence [1] pour plusieurs raisons.

Le coût n’a jamais été le seul facteur qui est pris en compte dans la décision de choisir un matériel d’armement. L’opinion des futurs cadres de l’armée libyenne qui ont pu mesurer l’efficacité de nos matériels pèsera dans ce choix. Pour les décideurs politiques libyens, la France est désormais un allié sur lequel on peut compter et s’équiper des matériels d’armement français sera de nature à conforter cette alliance.

Il est donc très important que les industriels d’armement français ne se présentent pas en ordre dispersé à Tripoli lorsque le moment sera venu. Il est aussi essentiel que l’État, qui est présent dans le capital de toutes ces sociétés d’armement, organise gère et soutienne ce mouvement afin que l’on ne revoie pas en Libye les « guéguerres » entre industriels français qui finalement profitent aux anglo-saxons comme cela s’est passé trop souvent dans le Golfe Persique.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

Autres sources : Atlantico

[1] Dassault qui fabrique le rafale, EADS, BAE Systems, Finmeccanica qui composent le consortium Eurofighter, Eurocopter qui produit les Tigres et les Gazelles, EADS qui fournit les Hot et les Milan, GIAT industries qui fabrique les Leclerc et les véhicules blindés, etc.


Quels premiers enseignements peut-on tirer de la crise libyenne, alors que la fin du régime de Kadhafi est proche ?

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La gestion de la crise libyenne a été un révélateur extrêmement riche d’enseignements géopolitiques.

Sur un plan politique

Les États-Unis d’Obama confrontés à une crise économique et financière et à des opérations de désengagement difficiles à gérer d’Irak (planifié pour fin 2011) et d’Afghanistan (planifié pour fin 2013) ont laissé le leadership des opérations militaires en Libye aux européens, alors que la coalition utilisait la structure de commandement militaire de l’Otan qu’ils se sont efforcés de diriger sans partage jusqu’à présent.

La crise a confirmé que l’Europe de la Défense n’existait pas. Comme l’a souligné Robert Gates [1] avec raison, seuls 6 pays européens sur 27 (Belgique, Danemark, France, Italie, Norvège et Royaume-Uni) ont participé aux frappes aériennes en Libye. Gates a attribué cette absence de soutien à une insuffisance de capacités militaires : «Franchement, bon nombre de ces alliés restent à l’écart, non pas parce qu’ils ne veulent pas participer, mais simplement parce qu’ils ne peuvent pas. Les moyens militaires ne sont tout simplement pas là», a déploré M. Gates.

Alors que les avancées économiques et financières sont, le plus souvent, le fait du couple franco-allemand, sur le plan militaire c’est l’alliance franco-britannique qui a été le moteur de cette intervention et ce sont les avions et hélicoptères de ces deux pays qui ont réalisé plus de 80% des missions.

La Turquie, qui initialement à tout fait pour freiner la dynamique franco-britannique et apparaître comme l’initiateur d’une solution de compromis en Libye entre le clan Kadhafi et le CNT, n’a pu imposer ses vues du fait du désengagement américain. Sa place dans l’OTAN doit être réexaminée dès lors qu’il apparaît aujourd’hui clairement que les dirigeants turcs ont réussi à détricoter progressivement le legs laïc d’Atatürk et mis en place une démocratie islamique, incompatible avec une intégration dans l’Europe dont, d’ailleurs, ils ne veulent plus.

L’existence d’un espace méditerranéen partageant les mêmes valeurs de démocratie, de développement économique et de règlement des différends par la négociation n’est plus une utopie mais devient un objectif soumis au règlement du conflit israélo-palestinien et à la question syrienne pour lesquels les solutions sont loin d’être évidentes et demanderont une implication accrue des européens.

Sur un plan militaire et opérationnel

La stratégie d’attrition [2] du potentiel militaire libyen planifié par l’OTAN a été l’élément déterminant du succès des insurgés.

Le rôle des forces spéciales infiltrées en Libye pour désigner les objectifs, la valeur opérationnelle des équipages, les règles d’engagement très strictes mises en place ont permis de réaliser cette destruction progressive du potentiel militaire de Kadhafi, avec des dégâts collatéraux très limités par rapport à ceux résultant des engagements américains en Irak et en Afghanistan.

Enfin, et c’est à mettre au crédit de l’ensemble des forces engagées et de la qualité des équipements mis en œuvre, 5 mois d’opérations quotidiennes ont été réalisées sans aucune perte du coté de nos forces, alors que plus de 2000 cibles militaires libyenne ont été détruites.

Sur un plan médiatique

Internet et les réseaux sociaux ont été des sources essentielles pour combattre la propagande du clan Kadhafi et ont permis de compenser le faible nombre d’envoyés spéciaux du côté insurgés sauf au cours de ces derniers jours.

Il faut rendre hommage aux envoyés spéciaux à Tripoli d’avoir toujours su garder de la distance par rapport aux opérations de relations publiques organisées par le régime.

Une fois de plus, il s’est avéré que les temps médiatique et politique et le temps militaire n’étaient pas les mêmes. Les grands médias nationaux ont trop souvent relayé, sans faire preuve d’esprit critique, les propos de leaders politiques en campagne électorale qui, au lieu de s’intéresser à la réalité de la chose militaire comme cela aurait dû être leur devoir de représentants du peuple, n’ont cessé de parler « d’enlisement libyen » et de prédire que la Libye serait le Vietnam ou l’Irak du Président français.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Déclaration du 10 juin 2011.

[2] Terme militaire pour désigner une stratégie de destruction progressive des moyens ennemis qui demande du temps.


Le succès de l’insurrection libyenne
appuyée par la Coalition est proche

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…mais le sort de Kadhafi est loin d’être réglé.

Le bilan des objectifs militaires détruits en 4 mois par l’OTAN (15 avril-15 aout 2011) est considérable.

Il correspond probablement au deux tiers des matériels opérationnels des forces de Kadhafi : 200 chars, 500 véhicules transport de troupe armés et en partie blindés, 300 canons ou lance-roquettes multiples, 300 sites anti-aériens canons ou missiles, 500 dépôts de munitions ou de facilités logistiques, 100 postes de commandement et de contrôle [1].

Ce bilan permet de penser que Kadhafi ne dispose plus d’unités de combat organisées et capables de reprendre l’offensive, sauf de façon limitée à Tripoli.

Les prochaines opérations des insurgés et de l’OTAN se concentreront logiquement sur l’axe Misrata, Zlitan, Al-KHums de façon à faire peser la même menace sur l’Est de Tripoli que celle qui existe à partir des villes récemment libérées à l’Ouest à partir d’Az Zawiyah et au Sud à partir de Bir al-Ghanam et de Garyan. En outre, le volume des matériels détruits au Sud et à l’Ouest de Tripoli donne à penser que l’Etat-Major de Kadhafi a sous-estimé la menace berbère du djebel Nefousa car moins de forces y étaient positionnées comparé à celles qui barraient les routes venant de l’Est, ce qui explique en partie la plus rapide progression des insurgés du Djebel Nefousa.

La libération de la majeure partie de la Libye est donc proche. Cela ne veut pas dire que c’est la fin de Kadhafi car plusieurs scénarios sont envisageables.

Kadhafi résiste à Tripoli. Cette option est la moins probable car Tripoli compte beaucoup d’opposants et compte tenu de la proximité des forces insurgées, une partie de la population peut se soulever et faire basculer la situation très rapidement. Kadhafi sait qu’il peut être pris au piège ce qui serait pour lui l’assurance d’être jugé ou tué.

Kadhafi peut vouloir poursuivre la lutte avec l’appui de sa tribu et des terroristes de l’AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique) qui sont présents dans la région de Sebha, fief de la tribu de Guededfa dont il est issu. Les récents succès des insurgés ont pratiquement encerclé Tripoli mais un axe de fuite vers le Sud-Est par la route Tarhunah –Bani Waled semble pour l’instant ouvert. Elle devrait lui permettre, encore pour quelque temps, de rejoindre Sebha par la route.

Kadhafi quitte la Libye pour un exil africain. Ce scénario est à terme le plus probable mais il peut n’être joué que dans plusieurs mois car Kadhafi peut penser qu’il disposera à Sebha de meilleures cartes qu’à Tripoli pour négocier son départ ou le faire avec ou sans accord de la coalition.

En France, ce succès devra être mis au crédit du Président de la République. Grâce à sa décision courageuse et à l’action exemplaire de nos forces armées, la France retrouvera aux yeux des dirigeants arabes du Maroc à la Syrie son rôle de leader et de protecteur d’un espace méditerranéen démocratique dont les richesses devront à l’avenir profiter plus aux peuples qu’aux dictateurs.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Bilan obtenu en compilant les compte rendus quotidiens de l’OTAN.


Robert Gates
met les pieds dans le plat de l’OTAN

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Et les commentateurs en tirent des conclusions erronées concernant les opérations en Libye

Le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, de George Bush et maintenu par Obama qui quitte ses fonctions à la fin de mois de juin. En guise de testament politique il a dit avec force, vendredi 10 juin, ce que les américains pensent de leurs alliés européens.

Il les a mis en garde contre « une alliance à deux vitesses », résultat du manque d’investissements militaires et de volonté politique.

Prenant en exemple le cas libyen, Gates a souligné avec raison que seulement 8 des 28 pays de l’OTAN - Belgique, Canada, Danemark, États-Unis, France, Italie, Norvège et Royaume-Uni - participent aux frappes aériennes en Libye. La moitié des États membres de l’Alliance atlantique n’apportent aucune contribution. Gates attribue cet absence de soutien à une insuffisance de capacités militaires : « Franchement, bon nombre de ces alliés restent à l’écart, non pas parce qu’ils ne veulent pas participer, mais simplement parce qu’ils ne peuvent pas. Les moyens militaires ne sont tout simplement pas là », a déploré M. Gates.

Il n’épargne pas pour autant ceux qui agissent : « onze semaines seulement après le début de l’opération, certains alliés commencent à manquer de munitions et exigent, une fois de plus, que les États-Unis compensent la différence ».

Cette vigoureuse mise en garde a conduit de nombreux commentateurs à faire plusieurs confusions qu’il importe de rectifier.

La première est sur la nature même de l’OTAN. L’OTAN n’est qu’une structure de commandement qui possède peu de moyens en propre. [1] C’est moins de 10 000 hommes et un budget de 2 Milliards de dollars. [2] En comparaison le budget militaire de la France est de 66 milliards de dollars. Ce sont les États membres de l’Alliance qui décident souverainement de leurs budgets militaires et qui mettent à disposition de l’OTAN des contingents plus ou moins importants, en fonction des opérations décidées au niveau du conseil de l’Atlantique Nord qui regroupe les représentants des chefs d’États membres de l’Alliance, sous la direction du secrétaire général de l’OTAN. Robert Gates a ainsi déploré que l’OTAN, « l’alliance militaire la plus puissante de l’histoire », qui peut revendiquer deux millions de personnes en uniforme, ait dû « lutter, parfois désespérément, (avec ses États membres) pour maintenir un déploiement de 25.000 à 45.000 soldats », en Afghanistan.

La seconde confusion a été d’en tirer comme conséquence que l’OTAN n’a pas les moyens d’une victoire en Libye, car elle n’a pas la capacité de durer. Cette conclusion hâtive fait fi des plusieurs faits importants.

Le premier fait est la décision prise par l’OTAN et annoncée récemment par son Secrétaire Général le norvégien Anders Fogh Rasmussen de prolonger de 90 jours la mission en Libye, tandis que le chef des opérations pour la Libye, le général canadien Charles Bouchard, a estimé cette semaine que la mission de l’OTAN pouvait être accomplie sans avoir recours à des troupes au sol.

Le second fait est d’ordre diplomatique. De plus en plus de pays ont reconnu ces derniers jours le Conseil national de transition (CNT) de Benghazi. Ils vont être probablement suivis dans les prochains jours par la Tunisie et l’Algérie où Alain Juppé s’est rendu cette semaine, ce qui terminera l’isolement géographique de Kadhafi et donc ses possibilités de ravitaillement terrestre.

Enfin, et c’est un fait indiscutable, le temps joue contre Kadhafi. Pourquoi ? Car plus le temps passe, plus ses moyens militaires subissent une attrition quotidienne importante. Si on en croit les communiqués de l’OTAN en 7 jours, du 9 au 15 juin, ce sont 21 chars, 10 véhicules de combat, 17 canons ou lance missile sol-sol et 18 lance missile ou canon anti-aérien qui ont été détruits. Plus le temps passe, plus les défections dans le camp de Kadhafi se multiplient. Plus le temps passe, plus les forces des insurgés se renforcent, s’organisent et acquièrent une expérience du combat. Les avancées de ces derniers jours en sont la preuve sur le terrain.

Il ne faut donc pas être sorti de Polytechnique pour comprendre que les jours de Kadhafi sont comptés, malgré la volonté farouche et la capacité de résistance de son clan.

La chute inéluctable de Kadhafi, qui interviendra probablement au cours de l’été, laissera néanmoins sans réponses les graves lacunes européennes en matière de Défense pointées du doigt par Robert Gates.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Essentiellement la Force aéroportée de détection lointaine de l’OTAN (NATO Airborne Early Warning and Control Force) de 3 000 personnes civils et militaires comprenant 17 AWACS Boeing E-3 Sentry et 3 Boeing 707, basés sur la base aérienne en Allemagne et la Heavy Airlift Wing (HAW) créée en 2009, pour le transport aérien stratégique qui dispose de trois McDonnell Douglas C-17 Globemaster III sur la base aérienne de Pápa, en Hongrie.

[2] 6 pays financent à 80% ce budget (chiffres de 2007) approximativement : États-Unis 26%, Allemagne 20%, France 13%, Royaume Uni 11%, Italie 8%.


OTAN en Libye

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La stratégie d’attrition du potentiel libyen

Bilan entre le 15 avril et le 27 Mai

Conscient que l’on ne gagne pas une guerre avec de seules frappes aériennes, la stratégie de l’OTAN est révélée par le bilan des cibles visées par ses frappes. En effet, en compilant les communiqués diffusés quotidiennement par l’OTAN entre le 15 avril et le 27 mai et publiés sur son site [1], on constate que sur 839 tirs effectués, les dépôts de munitions ont été visés 315 fois et les postes de commandement et de contrôle 60 fois, essentiellement à Tripoli (26) et à Sirte (17).

Quant au potentiel de combat libyen, 73 chars et 71 canons ou lance-roquettes ont été détruits dont la moitié à Misratah (respectivement 29 et 28), à Zintan (13 et 13) et à Brega (10 et 13).

Les frappes aériennes de la Coalition, entre le 15 avril et le 27 mai
Left Right
TRIPOLI – 189 tirs dont :
  • 26 sur PC
  • 67 sur dépôts de munitions
  • 22 sur missiles ou canon AA
  • 15 sur des VTT
  • 4 sur des chars
  • 1 sur lance roquettes ou canon SS.
MISRATAH -182 tirs dont :
  • 5 sur PC
  • 18 sur dépôts de munitions
  • 19 sur missiles ou canon AA
  • 6 sur des VTT
  • 29 sur des chars
  • 28 sur lance roquettes ou canon SS.
BREGA – 46 tirs dont :
  • 3 sur PC
  • 1 sur Missiles ou canon AA
  • 1 sur des VTT
  • 10 sur des chars
  • 13 sur lance roquettes ou canon SS.
SIRTE – 124 tirs dont :
  • 17 sur PC
  • 76 sur dépôts de munitions
  • 0 sur missiles ou canon AA
  • 6 sur des VTT
  • 6 sur des chars
  • 8 sur lance roquettes ou canon SS.
ZINTAN – 82 tirs dont :
  • 34 sur dépôts de munitions
  • 6 sur missiles ou canon AA
  • 13 sur des chars
  • 13 sur lance roquettes ou canon SS.
HUN – 84 tirs dont :
  • 8 sur PC
  • 40 sur dépôts de munitions
  • 36 sur des véhicules stockés.

Ainsi il apparaît clairement que l’OTAN a choisi de priver les forces du Colonel Kadhafi de munitions et de moyen de commandement et ne s’est attaqué aux forces de combat (blindés et lance-roquettes multiples ou canons), objectifs très fugitifs, que lorsque la situation sur le terrain l’exigeait comme à Misratah et à Zintan, où se trouvait le deuxième échelon des forces libyennes, et à Brega pour protéger la ville de Aydabiya.

La Libye étant soumise à un blocus maritime et à un embargo militaire, dès que les insurgés, entrainés et armés, reprendront l’offensive, ils ne trouveront plus, face à eux, des forces capables de mener des combats de haute intensité, faute de munitions.

Cette stratégie a aussi l’avantage de limiter les pertes de la population civile, les dépôts de munitions se trouvant dans des endroits relativement isolés et de minimiser les risques de méprises entre amis et ennemis.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] www.nato.int


La crise libyenne
révélatrice du besoin d’une Europe puissante

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Pour comprendre ce que révèle la crise libyenne il faut, en effet, la replacer dans son contexte géopolitique et géostratégique.

Pour les États-Unis, la Turquie est « le pivot stratégique » qui doit empêcher la création de l’Eurasie. Comme l’écrit Zbigniew Brezinski [1] : « l’Eurasie [2] demeure le seul théâtre sur lequel un rival potentiel de l’Amérique pourrait éventuellement apparaître ». C’est pourquoi les américains se sont mobilisés pour maintenir l’OTAN après l’effondrement de l’URSS et de la puissance russe. Ils jouent de leur influence pour faire coïncider les limites de l’Union Européenne et celles de l’organisation militaire. En réussissant à introduire la Turquie dans l’UE, ils briseraient son unité religieuse et culturelle et interdiraient une alliance stratégique avec la Russie [3] orthodoxe, rival historique de la Turquie.

Les États-Unis sont en effet une démocratie dans laquelle l’État et la religion sont intimement liés. Obama a prêté serment sur la Bible [4]. C’est aussi pour cette raison qu’ils voient dans la démocratie islamique turque un modèle pour les autres pays du Proche et du Moyen-Orient. A contrario, la séparation de l’église et de l’État est une conquête de la République française. Aussi, l’adieu à Mustapha Kemal que constitue aujourd’hui le pouvoir sans partage de l’AKP [4] en Turquie nous inquiète.

La crise libyenne est, à ce titre, extrêmement intéressante car elle montre que les intérêts de l’Europe ne coïncident pas toujours avec les intérêts turcs et américains.

La France et la Grande-Bretagne ont été les moteurs de cette intervention. Les États-Unis, influencés par les Turcs, ont trainé les pieds avant de s’engager puis se sont mis rapidement en retrait, essayant de ménager la chèvre et le chou.

La France souhaitait initialement à juste raison que la direction militaire et politique des opérations soit réalisée par un État-Major « ad hoc », distinct de l’OTAN, parce que pour le Monde arabe OTAN = États-Unis = intervention pour s’approprier le pétrole arabe.

Sous la pression de certains pays et en particulier de l’Italie de Berlusconi et de la Turquie, puis de la Grande-Bretagne, la France a dû se résoudre à abandonner son idée initiale. Le  ministre turc de la Défense Vecdi Gönül a ainsi déclaré, le 21 mars : « Il nous est difficile de comprendre le fait que la France se soit trop mise en avant dans ces opérations ».

Depuis, la machine OTAN est soumise à des pressions contradictoires qui nuisent à son efficacité. Les Turcs ne veulent pas d’un succès total des insurgés car ils souhaitent s’imposer comme les médiateurs entre Tripoli et Benghazi et ainsi apparaître comme le leader naturel des pays islamiques; les américains temporisent entre les pressions françaises et turques.

Plus que jamais la nécessité d’européaniser l’OTAN s’impose en obtenant un retrait progressif des américains et des turcs de l’organisation militaire.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Le grand échiquier, Bayard éditions, Paris 1997, page 61.

[2] D’abord l’Europe et la Russie.

[3] « La Russie et l’ancien Empire Ottoman se sont fait directement ou dans le cadre d’une coalition 12 fois la guerre soit un total de 60 ans » – Russie, Alliance vitale, Choiseul 2011, page 101.

[4] « Le président élu Obama est profondément honoré que la Bibliothèque du Congrès ait mis à disposition la Bible de Lincoln pour qu’elle soit utilisée lors de sa prestation de serment », a indiqué dans un communiqué Emmett Beliveau, directeur exécutif du Comité pour l’investiture présidentielle. AFP, 23 décembre 2008.

[5] Parti de la justice et du développement.


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