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Les juteux trafics d’or de l’Etat Islamique en Afrique

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Des groupes terroristes armés d’Al Qaida et de l’Etat Islamique prennent de plus en plus pour cibles les mines d’or en Afrique, comme au Burkina Faso par exemple.

Atlantico : Pouvez-vous nous expliquer les modalités de ces attaques ? Pourquoi ciblent-ils des pays tels que le Burkina Faso ?

Jean-Bernard Pinatel : Le Burkina Faso fait partie des cinq pays (le G5 Sahel) qui subissent les agressions des terroristes islamiques depuis l’élimination de Kadhafi et l’appropriation de ses immenses arsenaux par les djihadistes, démontrant une fois de plus l’incapacité des occidentaux, dont la France, à gérer les après-guerres à cause de notre volonté d’imposer par la force des armes la démocratie dans des pays qui ne sont prêts ni historiquement ni culturellement pour la mettre en œuvre. C’est le cas depuis 2001 en Afghanistan, depuis 2003 en Irak et depuis 2011 en Lybie et en Syrie. L’intervention française au Mali a évité qu’AQMI et le MUJAO ne s’emparent de la capitale Bamako et a chassé leurs katibas des villes du Nord, Gao et Tombouctou notamment. L’opération Barkane, qui a suivi avec comme fer de lance les 4000 hommes de l’armée française, arrive à éviter que ces terroristes islamiques se regroupent en grandes formations et s’emparent des grandes villes. Mais Barkane ne peut éviter que des petits groupes armés commettent des exactions contre les biens et les personnes sur cette zone d’opération immense. En effet ces 5 pays (Mauritanie, Mali, Burkina, Niger et Tchad) où vivent 93 millions d’habitants représentent une superficie de 5 000 000 de km2 près de 8 fois la superficie de la France. Les forces armées locales, en dehors de celles du Tchad, ne sont pas capables d’actions offensives et ne peuvent qu’assurer une relative sécurité dans les villes.

Ainsi, au Burkina Faso, la situation sécuritaire s’aggrave jour après jour. Un bilan officiel, du 4 avril 2015 au 16 juin 2019, recense 283 attaques terroristes qui ont fait 524 morts et 308 blessés. Le premier semestre 2019, à lui seul, est responsable de près de 50% de ce tragique bilan. La situation sécuritaire est telle dans les provinces du Nord et de l’Est que les commerçants de Ouagadougou refusent de transporter les marchandises vers elles et que les habitants de ces régions doivent les chercher à leurs risques et périls ou en payant une taxe aux groupes djihadistes qui contrôlent les axes. L’armée du Burkina Faso n’a pas les moyens d’assurer la sécurité dans les deux provinces du Sahel et de l’Est et ne sort plus de ses cantonnements dans les provinces du Nord, de la Boucle de Mouhoun, des hauts-Bassins et du centre-Est. Les hôtels de la capitale sont vides et les expatriés ont évacué leurs familles. De leur côté, les terroristes n’ont pas de mal à recruter car les soldes qu’ils offrent sont supérieures à celles que reçoivent les militaires burkinabé.

Il existe une dizaine d’entreprises étrangères spécialisées dans l’extraction d’or au Burkina Faso. Vont-elles devoir quitter le pays ? Le gouvernement burkinabé peut-il les protéger ?

Jean-Bernard Pinatel : Non car ces entreprises étrangères font partie de grands groupes qui sont très habitués à travailler dans des zones à risque et à sécuriser leur site de production et l’acheminement de leur production.

Le risque est pour les équipes de prospection qui travaillent en amont et recherchent les filons. C’est pourquoi, malgré la menace terroriste et aussi bizarre qu’il puisse paraitre, la production d’or n’a fait qu’augmenter depuis 2015 jusqu’en 2018 (derniers chiffres connus) pour atteindre les 40 tonnes en 2018 . Il est trop tôt pour savoir si la situation sécuritaire en 2019 aura un impact sur la production. A noter que cette production contribue à environ 20% du PIB et à 70% des recettes d’exportation.

La dizaine de grands groupes miniers qui ont des filiales aurifères au Burkina Faso produisent probablement plus de 90% de la production malienne officielle. Plusieurs centaines de petites entreprises disposant d’un permis d’orpaillage produisent le reste de la production comptabilisée, tandis que la production de milliers d’orpailleurs clandestins échappe à tout contrôle. Les chiffres de l‘or produit par cet orpaillage illégal sont fantaisistes (1 à 20 tonnes) car ils échappent au contrôle du gouvernement burkinabé y compris l’or racketté par les djhadistes.

Les grandes exploitations minières qui appartiennent à des groupes anglais, australiens, canadiens, russes, turcs… et dans lesquelles l’Etat possède 10% du capital de leur filiale locale se sont organisés. Leur site de production est sécurisé et la production d’or est évacuée par hélicoptère vers l’aéroport de Ouagadougou. Certains de ces groupes payeraient une taxe aux groupes djihadistes pour ne pas être inquiétés. Le rôle des « security officers » employés par ces groupes est essentiel pour évaluer la menace, garder le contact avec les autorités sécuritaires mais aussi négocier avec les groupes terroristes et éventuellement même acheter leur protection, comme l’avait fait le groupe Lafarge en Syrie.

Quant aux milliers de petites sociétés et d’orpailleurs familiaux, ils achètent leur sécurité en donnant une partie de l’or qu’ils produisent aux groupes djihadistes qui, bien entendu, ne font qu’en prélever qu’une partie car ils n’ont aucune envie de prendre en charge la production elle-même qui demande un savoir-faire ni d’accepter de travailler dans des conditions inhumaines.

Où transite l’or accumulé par ces groupes armés ? D’autres pays voisins peuvent-ils être gangrenés par ces attaques ?

Jean-Bernard Pinatel : Pour les grands groupes miniers, leur production est transportée hors du du site de production, évacuée du Burkina Faso et commercialisée par leur filière respective.

Pour les orpailleurs, ils fondent les poussières et pépites récupérées dans de petits lingots comprenant des impuretés (ils « lingotent ») et vont les vendre à Ouagadougou où leur teneur en carat est évaluée par des commerçants qui les rétribuent en conséquence puis se chargent de la vente et du transport à l’international.

Pour les groupes djihadistes, ils évacuent l’or payé pour leur sécurité par les orpailleurs via des intermédiaires et des complicités vers Dubai où il est raffiné et vendu en Inde et en Chine. Le Mali est aussi un pays aurifère et sa production est environ le double de celle du Burkina. Les sites de production ont à faire face de la même façon au risque terroriste.

Source : ATLANTICO