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La guerre économique de Trump

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Avec l’Iran et le Venezuela, Trump manie le chaud et le froid. Il passe en six mois du risque de guerre à la négociation. Il est trop facile de considérer le Président des Etats-Unis comme un bonimenteur. En effet, il se déroule, derrière le brouillard des déclarations, une guerre économique féroce dont nous subissons nous aussi les effets : elle a été l’élément déclencheur de la crise des gilets jaunes dont, bien entendu, les causes sont plus diverses et plus anciennes.

Alors pourquoi cette stratégie de tension avec le Venezuela et l’Iran ?

Selon différentes évaluations, le Venezuela est aujourd’hui le pays qui aurait des réserves prouvées de brut du même ordre, voire supérieures, à celles de l’Arabie Saoudite tandis que l’Iran se situe au quatrième rang mondial pour le pétrole brut et au premier rang pour le gaz naturel.

En dehors des néoconservateurs et du complexe militaro-industriel, l’opinion américaine ne veut plus voir ses boys tués à l’extérieur à cause du pétrole alors même qu’avec le pétrole et le gaz de schiste extraits du sol américain les Etats-Unis deviennent auto-suffisants, voire exportateurs.

Le problème est que, malgré les efforts extraordinaires de productivité réalisés par l’industrie d’exploration-production américaine, le pétrole de schiste n’est compétitif que si les prix du brut restent supérieurs à 60$ le baril. En effet, cette industrie a investi à perte pendant une dizaine d’années pour réussir le tour de force extraordinaire d’abaisser son seuil de compétitivité de 80$ le baril aux alentours de 40$ le baril pour les nouveaux projets. Mais il faut rajouter le poids de la dette contractée. En effet pour réaliser les investissements nécessaires, la dizaine de milliers de petits et plus gros entrepreneurs qui se sont lancés dans ce nouvel eldorado ont souscrit des emprunts auprès des multiples petites banques locales américaines. Celles–ci ont titrisé immédiatement ces emprunts qui se sont disséminés dans l’ensemble du secteur bancaire américain. Les taux d’intérêts et le remboursement de cette dette viennent donc s’ajouter aux frais de forage et d’exploitation actuels. Même si l’on manque d’études systématiques, la majorité des analystes avancent la nécessité d’avoir un baril de brut au-dessus de 60 dollars pour que ces dettes puissent être remboursées et que l’on n’assiste pas à une nouvelle crise semblable à celle des subprimes.

On comprend mieux alors les prédictions catastrophiques qui se sont multipliées quand le prix du brut est passé de 122$ en janvier 2014 à 36$ en janvier 2016, menaçant ainsi toute l’industrie de l’extraction du pétrole de schiste aux Etats-Unis et par contrecoup tout le système bancaire américain.

La guerre économique

Heureusement, l’option choisie par Trump, le business man, n’a pas été celle de Bush junior qui, selon plusieurs auteurs américains, considèrent que la guerre en Irak a été « Blood for no Oil »

Pour Greg-Palast1, par exemple, la motivation première des conseillers de Bush était machiavélique : stopper la production de brut irakien pour maintenir les cours du brut aux alentours de 100$ et permettre ainsi de rentabiliser les investissements faits dans le pétrole et le gaz de schiste. « The invasion was not about « blood for oil », but something far more sinister: blood for no oil. War to keep supply tight and send prices skyward. Oil men, whether James Baker or George Bush or Dick Cheney, are not in the business of producing oil. They are in the business of producing profits ».

Trump, pour l’instant, s’est contenté de l’effet des sanctions économiques contre le Venezuela et l’Iran.

Le 28 janvier 2019, l’administration Trump a interdit aux compagnies américaines d’acheter du pétrole vénézuélien tant qu’un nouveau gouvernement formé par l’opposant Juan Guaido, qui s’est auto-proclamé président, ne sera pas en mesure de recevoir les recettes. Les exportations vénézuéliennes de brut et de carburant ont depuis chuté de 1,7 millions à 920.000 barils par jour.

De même, les sanctions américaines contre l’Iran ont fait baisser les exportations iraniennes de 1,5 millions de barils par jour (bpj) entre 2018 et 20192. Les expéditions sont en moyenne de 1,0 à 1,1 million de barils par jour (bpj) depuis mars 2019 (selon les données de Refinitiv Eikon et de trois sociétés qui suivent les exportations iraniennes), alors qu’elles représentaient au moins 2,5 millions de bpj en avril 2018, un mois avant la dénonciation par les Etats-Unis de l’accord international de 2015 sur le programme nucléaire iranien et le retour à des sanctions américaines visant l’Iran.

Les décisions de guerre économique prises par Trump ont ainsi privé le marché de l’ordre de 2,5 millions de barils jour. L’effet s’est vite fait sentir sur le marché comme le montre le graphique précédent puisque le cours de baril de brut oscille aujourd’hui autour d’un point d’équilibre de 60$.

Une inconnue majeure demeure : combien de temps cet effet durera-t-il et maintiendra-t-il une tension sur le marché du brut ? Suffisamment de temps espérons-le pour que les dettes contractées soient remboursées et que les Etats-Unis ne se trouvent pas devant ce dilemme catastrophique d’accepter une crise financière qui peut contaminer le monde entier ou refaire une guerre « for no oil » qui menacerait la Paix du Monde.


Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
Secrétaire Général du Think Tank GEOPRAGMA
Auteur de « Histoire de l’Islam radical et de ceux qui s’en servent », Lavauzelle, Mai 2017


Obama, Erdoğan et les rebelles syriens

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Je publie ci-dessous la traduction de l’article de Seymour M. Hersh publié par la London Review of Books qui démontre l’implication de la Turquie dans le soutien des djihadistes en Syrie, un temps aidée par la CIA. Il dévoile notamment dans le détail la manipulation d’Erdogan pour faire croire à l’utilisation de gaz Sarin par l’Armée d’ASSAD et faire franchir « la ligne rouge » par OBAMA. Pour Seymour M Hersh, la communauté du renseignement américain à la preuve que ce sont les services Turcs qui en sont à l’origine de l’utilisation de gaz Sarin par les djihadistes d’Al-Nusrah [1]. Mais pour OBAMA il est impossible de le dire car la Turquie est dans l’OTAN et sert les objectifs stratégiques des Etats-Unis face à la Russie.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

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Par Seymour M. Hersh [2]

En 2011, Barack Obama avait mené une intervention militaire alliée en Libye sans consulter le Congrès américain. En août dernier, après l’attaque au gaz sarin sur Ghouta, en banlieue de Damas, il était prêt à lancer une attaque aérienne alliée, cette fois pour punir le gouvernement syrien d’avoir franchi la «ligne rouge» qu’il avait établi en 2012 sur l’utilisation des armes chimiques. Puis, à moins de deux jours de la date prévue pour l’attaque, il a annoncé qu’il demanderait au Congrès d’approuver l’intervention. L’attaque a été reportée alors que le Congrès se préparait pour les audiences, et a été par la suite annulée quand Obama a accepté la proposition d’Assad de renoncer à son arsenal chimique dans un accord négocié par la Russie. Pourquoi Obama a-t-il retardé puis cédé au sujet de la Syrie, alors qu’il n’a pas hésité à se précipiter en Libye? La réponse se trouve dans l’affrontement entre ceux de l’administration qui cherchaient à mettre à exécution de la ligne rouge, et les chefs militaires qui pensaient que faire la guerre était à la fois injustifié et potentiellement désastreux.

Le changement d’avis d’Obama a été engendré par Porton Down, le laboratoire de la Défense dans le Wiltshire. Les renseignements britanniques avaient obtenu un échantillon de sarin utilisé dans l’attaque du 21 Août et l’analyse a démontré que le gaz utilisé ne correspondait pas aux lots connus dans les armes chimiques de l’arsenal de l’armée syrienne. Le message, que le procès contre la Syrie ne tiendrait pas, été rapidement relayé au chef d’état-major des USA. Le rapport britannique a accru les doutes au sein du Pentagone; les chefs d’état-major se préparaient déjà à mettre en garde Obama sur les conséquences d’une attaque missile de grande envergure sur l’infrastructure de la Syrie qui pourrait conduire à une guerre plus large au Moyen-Orient. Ainsi, les officiers américains ont délivré au président un avertissement de dernière minute qui, selon eux, a finalement conduit à l’annulation de l’attaque par ce dernier.

Pendant des mois, il y a eu une vive inquiétude parmi les dirigeants militaires gradés et la communauté du renseignement sur ​​le rôle des voisins de la Syrie, en particulier la Turquie, dans la guerre. Le Premier ministre Recep Erdogan était connu pour avoir précédemment soutenu le front al-Nusra, une faction djihadiste au sein de l’opposition rebelle, ainsi que d’autres groupes rebelles islamistes. « Nous savions qu’il y en avait dans le gouvernement turc » m’a dit un ancien responsable du renseignement américain, qui a accès aux renseignements actuels, « qui ont cru qu’ils pourraient coincer Assad avec un attentat au sarin intérieur de la Syrie – et forcer Obama à utiliser sa menace de ligne rouge ».

Les chefs d’état-major savaient aussi que les allégations publiques de l’administration Obama affirmant que seule l’armée syrienne a eu accès au sarin étaient fausses. Les services de renseignement américains et britanniques étaient au courant depuis le printemps de 2013 que certaines unités rebelles en Syrie développaient des armes chimiques. Le 20 juin, les analystes de l’Agence de renseignements de la Défense des États-Unis ont publié un brief de 5 pages hautement classifié « points de discussion » pour le directeur adjoint de la DIA, David Shedd, qui déclarait que Al – Nusra conservait une cellule de production de sarin : son programme, a indiqué le rapport, était « le complot sarin le plus avancé depuis l’effort d’al- Qaida précédant le 11 septembre».

(D’après un consultant du Département de la Défense, les renseignements américains avaient connaissance depuis longtemps des expériences d’Al-Qaïda avec des armes chimiques, et possède une vidéo d’une de ses expériences avec du gaz sur des chiens.) Le document de la DIA poursuit: « Précédemment, la communauté du renseignement (IC) s’était presque entièrement intéressée aux stocks d’armes chimiques de la Syrie; maintenant, nous voyons l’ANF tenter de faire ses propres armes chimiques… La relative liberté de fonctionnement du front d’Al- Nusrah au sein de la Syrie nous amène à estimer que les aspirations du groupe en termes d’armes chimiques seront difficiles à perturber à l’avenir ». Le document attire l’attention sur des informations classifiées provenant de nombreux organismes: « Des acteurs Turcs et Saoudiens, disait-il, ont tenté de se procurer des précurseurs de sarin en vrac, des dizaines de kilogrammes, probablement destinés à une production à grande échelle prévue en Syrie.  » (Interrogé au sujet du document de la DIA, un porte-parole du directeur du renseignement national a déclaré: « Aucun papier n’a jamais été demandé ou produit par les analystes de la communauté du renseignement.)

En mai dernier, plus de dix membres du Front Al-Nusra ont été arrêtés dans le sud de la Turquie avec, d’après ce que la police locale a dit à la presse, deux kilos de sarin. Dans un acte d’accusation de 130 pages le groupe a été accusé d’avoir tenté d’acheter des fusibles, de la tuyauterie pour la construction de mortiers, et des ingrédients chimiques pour le sarin. Cinq des personnes arrêtées ont été libérées après une brève détention. Les autres, dont le chef de file Haytham Qassab, pour qui le procureur a requis une peine de prison de 25 ans, ont été libérées en attendant le procès. En attendant, la presse turque a été en proie à la spéculation que l’administration Erdoğan a couvert la mesure de son implication avec les rebelles. Dans une conférence de presse l’été dernier, Aydin Sezgin, l’ambassadeur de Turquie à Moscou, a rejeté ces arrestations et affirmé aux journalistes que le « sarin » récupéré était seulement «de l’anti-gel».

Le papier de la DIA a pris les arrestations comme une preuve que al-Nusra élargissait son accès aux armes chimiques. Il déclarait que Qassab s’était «auto-identifié» comme un membre d’Al-Nusra, et qu’il a été directement relié à Abd-al-Ghani, « l’émir ANF pour la fabrication militaire ». Qassab et son associé Khalid Ousta ont travaillé avec Halit Unalkaya, un employé d’une entreprise turque appelée Zirve exportation, qui a fournissait «des devis pour des ingrédients de sarin en vrac ». Le plan d’Abd-al-Ghani était de permettre à deux associés de «perfectionner un procédé de fabrication du sarin, puis aller en Syrie pour former d’autres personnes pour commencer la production à grande échelle dans un laboratoire non identifié en Syrie». Le papier de la DIA indiquait que l’un de ses agents avait acheté un ingrédient sur le «marché des produits chimiques de Bagdad», qui «a pris en charge au moins sept projets d’armes chimiques depuis 2004 ».

Une série d’attaques par armes chimiques en Mars et Avril 2013 a été étudiée au cours des mois suivants par une mission spéciale des Nations Unies en Syrie. Une personne avec une forte connaissance de l’activité de l’ONU en Syrie m’a dit qu’il y avait des preuves reliant l’opposition syrienne à la première attaque au gaz, le 19 Mars à Khan Al-Assal, un village près d’Alep. Dans son rapport final en Décembre, la mission a déclaré qu’au moins 19 civils et un soldat syrien étaient parmi les victimes, ainsi que des dizaines de blessés. La mission n’avait pas de mandat pour désigner le responsable de l’attaque, mais la personne ayant connaissance des activités de l’ONU a déclaré: « Les enquêteurs ont interrogé les gens qui étaient là, y compris les médecins qui ont soigné les victimes. Il était clair que les rebelles ont utilisé le gaz. L’information n’a pas été rendue publique car personne ne voulait savoir ».

Dans les mois précédant les attaques, un ancien haut fonctionnaire du Département de la Défense m’a dit que la DIA a fait circuler un rapport quotidien classifié connu sous le nom de « SYRUP » portant sur tous les renseignements liés au conflit syrien, y compris sur les armes chimiques. Mais au printemps, la distribution de la partie du rapport concernant les armes chimiques a été sévèrement réduite sur les ordres de Denis McDonough, le chef de cabinet de la Maison Blanche. « Quelque chose dedans a déclenché une crise de nerfs (littéralement caca nerveux) de McDonough », l’ex-fonctionnaire du ministère de la Défense a déclaré. «Un jour, c’était une affaire énorme, et puis, après les attaques sarin en mars et avril» – il fit claquer ses doigts – « il n’y a plus rien ». La décision de restreindre la distribution a été prise alors que les chefs d’état-major ordonnaient une planification intensive d’urgence pour une possible invasion terrestre de la Syrie dont l’objectif principal serait l’élimination des armes chimiques.

L’ancien responsable du renseignement a déclaré qu’un certain nombre de membres de la sécurité nationale des États-Unis ont longtemps été troublés par la ligne rouge du président: «Les chefs d’état-major ont demandé à la Maison Blanche, « Qu’est-ce que la ligne rouge? Comment cela se traduit-il dans les ordres militaires? Troupes sur le terrain? Attaque massive? Attaque limitée? » Ils ont chargé le renseignement militaire d’étudier comment nous pourrions mettre en œuvre la menace. Ils n’ont rien appris de plus sur le raisonnement du président ».

Au lendemain de l’attaque du 21 Août, Obama a ordonné au Pentagone d’élaborer une liste de cibles de bombardement. Au début du processus, l’ancien responsable du renseignement a déclaré que « la Maison Blanche a rejeté 35 ensembles de cibles fournies par les chefs d’état-major comme étant insuffisamment « douloureux » pour le régime d’Assad ». Les cibles de départ incluaient seulement des sites militaires et aucunement des infrastructures civiles. Sous la pression de la Maison Blanche, le plan d’attaque des États-Unis s’est transformé en « une attaque monstre» : deux formations de bombardiers B-52 ont été transférées dans des bases aériennes proches de la Syrie , et des sous-marins de la marine et des navires équipés de missiles Tomahawk ont été déployés. « Chaque jour, la liste de cibles s’allongeait », m’a dit l’ancien responsable du renseignement. « Les planificateurs du Pentagone ont dit que nous ne pouvions pas utiliser seulement des Tomahawk pour frapper les sites de missiles de la Syrie parce que leurs têtes sont enterrées trop profondément sous terre, ainsi les deux formations d’avion B- 52 avec deux mille livres de bombes ont été assignés à la mission. Ensuite, nous aurons besoin d’équipes de secours et de recherche pour récupérer les pilotes abattus et des drones pour la sélection de cible. C’est devenu énorme. » D’après l’ancien responsable du renseignement, la nouvelle liste de cibles était destinée à « éradiquer complètement toutes les capacités militaires qu’avait Assad ». Les cibles principales incluaient les réseaux électriques, les dépôts de pétrole et de gaz, tous dépôts d’armes et logistiques connus, toutes installations de commandement et de contrôle connus, et tous les bâtiments militaires et de renseignement connus.

La Grande-Bretagne et la France devaient, toutes les deux jouer, un rôle. Le 29 Août, le jour où le Parlement a voté contre la proposition de Cameron de rejoindre l’intervention, le Guardian a rapporté que celui-ci avait déjà ordonné à six avions de combat RAF Typhoon de se déployer à Chypre, et avait proposé un sous-marin capable de lancer des missiles Tomahawk. L’armée de l’air française – un acteur essentiel dans les attaques de 2011 en Libye – a été largement engagée, selon un compte rendu dans Le Nouvel Observateur; François Hollande avait ordonné à plusieurs chasseurs-bombardiers Rafale de participer à l’assaut américain. Leurs cibles auraient été dans l’ouest de la Syrie.

Avant la fin Août le président avait donné aux Chefs d’état major une date limite fixée pour le lancement. « L’Heure H devait commencer au plus tard lundi matin [2 Septembre], un assaut massif afin de neutraliser Assad » selon l’ancien responsable du renseignement. Cela a donc été une surprise pour beaucoup quand, lors d’un discours au Rose Garden de la Maison Blanche le 31 Août Obama a déclaré que l’attaque serait mise en attente, et qu’il se tournait vers le Congrès afin de la soumettre à un vote.
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A ce stade, l’idée d’Obama – que seule l’armée syrienne était capable de déployer le sarin – se clarifiait. L’ancien responsable du renseignement m’a dit qu’à quelques jours de l’attaque du 21 Août, des agents militaires russes du renseignement avaient récupéré des échantillons de l’agent chimique de Ghouta. Ils l’ont analysé et transmis au renseignement militaire britannique; c’était le matériel envoyé à Porton Down. (Un porte-parole de Porton Down a déclaré: « La plupart des échantillons analysés au Royaume-Uni se sont révélés positifs pour l’agent neurotoxique sarin. Le MI6 a dit qu’il ne se prononçait pas sur les questions de renseignement.)

L’ancien responsable du renseignement a déclaré que le Russe qui a livré l’échantillon au Royaume-Uni était « une bonne source – une personne ayant accès, la connaissance et étant digne de confiance ». Après les premières utilisations d’armes chimiques signalées en Syrie l’année dernière, les agences de renseignement américaines et alliées « ont fait un effort pour savoir si quelque chose a été utilisé, ce que c’était – et sa source » a dit l’ancien responsable du renseignement. « Nous utilisons les données échangées dans le cadre de la Convention sur les armes chimiques. Le point de référence de la DIA était de connaître la composition de chaque lot d’armes chimiques soviétiques manufacturé. Mais nous ne savions pas quels lots le gouvernement d’Assad avait dans son arsenal à ce moment-là. Dans les jours suivant l’incident de Damas, nous avons demandé à une source au sein du gouvernement syrien de nous donner une liste des lots que le gouvernement possédait. C’est ainsi que nous avons pu confirmer la différence si vite. »

Le processus ne s’était pas déroulé sans accroc au printemps, a indiqué l’ancien responsable du renseignement, parce que les études réalisées par les renseignements occidentaux « n’ont pas été concluants sur le type de gaz dont il s’agissait ». Le mot  » sarin  » n’a pas été mentionné. Il y avait beaucoup de discussions à ce sujet, mais puisque personne ne pouvait confirmer la nature de ce gaz, on ne pouvait pas dire qu’Assad avait franchi la ligne rouge du président». L’ancien responsable du renseignement poursuivit : « Le 21 Août, l’opposition syrienne avait en clairement tiré des enseignements et a annoncé que le  » sarin  » de l’armée syrienne avait été utilisé, avant que toute analyse ne puisse être faite, et la presse et la Maison Blanche ont sauté sur l’information. Comme il s’agissait maintenant de sarin, “ça devait être Assad” ».

Le personnel de la défense du Royaume-Uni qui a relayé les conclusions de Porton Down aux chefs d’état-major envoyait un message aux Américains, a déclaré l’ancien responsable du renseignement: « On nous tend un piège ici. » (Ceci se rapporte à un message qu’un haut fonctionnaire de la CIA a envoyé à la fin Août : « ce n’était pas le résultat du régime actuel. Le Royaume-Uni et les États-Unis le savent. »). C’était seulement à quelques jours de l’attaque et des avions, navires et sous-marins américains, britanniques et français étaient parés.

L’officier finalement responsable de la planification et de l’exécution de l’attaque était le général Martin Dempsey, président des Chefs d’état-major. Dès le début de la crise, l’ancien responsable du renseignement a déclaré, les chefs d’état-major avaient été sceptiques sur les arguments de l’administration pour prouver la culpabilité d’Assad. Ils ont pressé le DIA et d’autres organismes pour obtenir des preuves plus considérables. L’ancien responsable du renseignement a dit : « Il n’y avait pas moyen qu’ils pensent que la Syrie utiliserait un gaz neurotoxique à ce stade, parce que Assad était en train de gagner la guerre ,. Dempsey en avait agacé beaucoup dans l’administration d’Obama en mettant en garde à plusieurs reprises le Congrès pendant l’été sur les dangers d’un engagement militaire américain en Syrie. En Avril dernier, après une évaluation optimiste des avancées rebelles par le secrétaire d’État John Kerry, Dempsey a déclaré devant la commission des Affaires étrangères à la commission des forces armées du Sénat qu’ « il y a un risque que ce conflit soit devenu une impasse. »
L’ancien responsable du renseignement a rapporté l’avis initial de Dempsey après le 21 Août : « l’attaque des États-Unis sur la Syrie – en admettant que le gouvernement d’Assad était responsable de l’attaque au gaz sarin – serait une bavure militaire ». Le rapport de Porton Down a incité les chefs d’état-major à aller voir le président avec des inquiétudes plus importantes : que l’attaque menée par la Maison Blanche serait une agression injustifiée. Ce sont les chefs conjoints qui ont conduit Obama à changer de cap. L’explication officielle de la Maison Blanche au sujet de ce volte-face – l’histoire racontée par la presse – était que le président, au cours d’une promenade dans le Rose Garden avec son chef de cabinet Denis McDonough, a soudainement décidé de demander au congrès, qui était amèrement divisé et en conflit avec lui depuis des années, son accord pour l’attaque. L’ancien responsable du département de la Défense m’a dit que la Maison Blanche avait fourni une explication différente aux membres de la direction civile du Pentagone : l’attaque avait été annulée parce que selon les renseignements « le Moyen-Orient partirait en fumée » si elle avait lieu.

L’ancien responsable du renseignement a déclaré qu’initialement, la décision du président de s’adresser au Congrès a été considérée par les principaux collaborateurs à la Maison Blanche comme une redite de la tactique de George W. Bush à l’automne 2002, avant l’ invasion de l’Irak : « Quand il est devenu évident que il n’y avait pas d’ADM en Irak, le Congrès, qui avait approuvé la guerre en Irak, et la Maison Blanche partageaient la responsabilité et ont à plusieurs reprises cité des renseignements erronés. Si le Congrès actuel devait voter en faveur de l’attaque, la Maison Blanche pourrait jouer à nouveau sur les deux tableaux – frapper la Syrie avec une attaque massive et valider l’engagement de la ligne rouge du président, tout en étant en mesure de partager les torts avec le Congrès s’il s’avérait que l’armée syrienne n’était pas derrière l’attaque ». Le revirement fut une surprise même pour les dirigeants démocrates au Congrès. En Septembre le Wall Street Journal a rapporté que trois jours avant son discours au Rose Garden, Obama avait téléphoné à Nancy Pelosi, chef des démocrates de la Chambre, « pour passer en revue les options ». Selon le Journal, elle a dit plus tard à ses collègues qu’elle n’avait pas demandé au président de soumettre le bombardement à un vote du Congrès.

Le changement de position d’Obama pour susciter l’accord du Congrès s’est rapidement transformé en impasse. « Le Congrès n’allait pas laisser passer cela » a dit l’ex- responsable du renseignement. « Le Congrès a fait savoir que, contrairement à l’autorisation pour la guerre en Irak, il y aurait des audiences de fond. » D’après l’ancien responsable du renseignement, à ce moment-là, un sentiment de désespoir se faisait sentir à la Maison Blanche. « Et ainsi a été établi le plan B. Annuler le bombardement et Assad accepterait de signer unilatéralement le traité des armes chimiques et accepterait la destruction de toutes les armes chimiques sous la surveillance des Nations Unies. »

Lors d’une conférence de presse à Londres le 9 Septembre, Kerry parlait toujours de l’intervention : « le risque de ne pas agir est plus grand que le risque d’agir. » Mais quand un journaliste lui a demandé s’il y avait quoi que ce soit qu’Assad pourrait faire pour arrêter les bombardements, Kerry a déclaré: « Bien sûr. Il pourrait donner l’intégralité de ses armes chimiques à la communauté internationale d’ici la semaine prochaine … Mais il n’est pas sur le point de le faire, et ça ne peut pas être fait, évidemment. » Comme le New York Times a rapporté le lendemain, l’accord Russe qui a émergé peu après avait d’abord été contemplé par Obama et Poutine à l’été 2012. Bien que les plans d’attaque aient été mis de côté, l’administration n’a pas changé son discours public pour justifier la guerre. « Il y a une tolérance zéro à ce niveau pour les erreurs » a dit l’ex- responsable du renseignement au sujet des hauts fonctionnaires de la Maison Blanche. « Ils ne pouvaient pas se permettre de dire : « Nous avons eu tort. » (Le porte-parole du DNI a dit: « Le régime d’Assad, et seulement le régime d’Assad, aurait pu être responsable de l’attaque aux armes chimiques qui a eu lieu le 21 Août »).

L’importance de la coopération des Etats Unis avec la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar pour assister les rebelles en Syrie n’est pas encore claire. L’administration d’Obama n’a jamais publiquement avoué son rôle dans la création d’un « rat line », une voie rapide pour la Syrie. Ce « rat line », autorisé au début 2012 a été utilisé pour faire passer des armes et des munitions de la Libye via le sud de la Turquie et à travers la frontière syrienne jusqu’à l’opposition. La plupart de ceux qui ont reçu les armes en Syrie étaient des djihadistes, dont certains étaient affiliés à la CIA. Le porte-parole du DNI a dit : « L’idée que les USA fournissaient des armes provenant de la Libye est fausse ».

En janvier, le comité de renseignement du sénat a publié un rapport sur l’assaut par la milice locale en septembre 2012 sur le consulat américain et les locaux infiltrés de la CIA à proximité à Benghazi, résultant en la mort de l’ambassadeur des Etats Unis Christopher Stevens et trois autres. Dans le rapport, les critiques du département d’état pour ne pas avoir fourni une sécurité suffisante au consulat et de la communauté du renseignement pour ne pas avoir informé les militaires américains de la présence de locaux de la CIA ont fait la une des médias et suscité des mécontentements à Washington, les républicains accusant Obama et Hillary Clinton de dissimuler leurs erreurs. Une annexe hautement classifiée du rapport, jamais rendue publique, a décrit un arrangement secret trouvé en 2012 entre les administrations Obama et Erdogan au sujet du « rat line ». Selon cet accord, les fonds provenaient de Turquie ainsi que d’Arabie Saoudite et du Qatar. La CIA avec le soutien du MI6 était chargée de faire passer les armes de Kadhafi en Syrie. Un certain nombre d’entreprises « façades » ont été mises en place en Libye, certaines sous couverture d’entités australiennes. Des militaires américains retraités ont été employés pour gérer les fournitures et cargaisons, sans qu’ils ne sachent toujours qui les employait. L’opération était menée par David Petraeus le directeur de la CIA, qui allait prochainement démissionner après que sa relation avec sa biographe ait été rendue publique. Un porte-parole de Petraeus a même nié l’existence de cette opération.

Au moment où elle a été mise en place, L’opération n’avait pas été divulguée aux comités de renseignement du Congrès et aux dirigeants du Congrès, comme requis par la loi depuis les années 1970. L’implication du MI6 a permis à la CIA de se soustraire à la loi en classifiant la mission comme une opération de liaison. L’ancien responsable du renseignement a expliqué que pendant des années il y a eu une exception reconnue dans la loi qui permet à la CIA de ne pas déclarer l’activité de liaison au Congrès, qui aurait dans ce cas droit à un rapport/constatation (« finding »). (Toutes les opérations secrètes de la CIA qui sont proposées doivent être décrites dans un document écrit, connu sous le nom de « constatation » (« finding »), présenté à la haute direction du Congrès pour approbation.) La distribution de l’annexe a été limitée aux aides du personnel qui ont écrit le rapport etaux huit haut membres du Congrès – les dirigeants démocrates et républicains de la Chambre et du Sénat, et les dirigeants démocrates et républicains des comités du renseignement de la Chambre et du Sénat. Ceci constitue à peine une véritable tentative de visibilité: les huit dirigeants ne sont pas connus pour se rassembler pour soulever des questions ou discuter de l’information secrète qu’ils reçoivent.

L’annexe n’a ni raconté toute l’histoire de ce qui s’est passé à Benghazi avant l’attaque, ni expliqué pourquoi le consulat américain a été attaqué. «La seule mission du consulat était de fournir une couverture pour le déplacement d’armes » l’ancien responsable du renseignement, qui a lu l’annexe, a déclaré. «Il n’avait pas de rôle politique réel. »

Washington a brusquement mis fin au rôle de la CIA dans le transfert d’armes en provenance de Libye après l’attaque contre le consulat, mais le « rat line » se poursuivait. Selon l’ancien responsable du renseignement : «Les États-Unis ne contrôlaient plus ce que les Turcs relayaient aux djihadistes ». En quelques semaines, pas moins de quarante lanceurs de missiles sol-air portatifs, communément appelés « MANPADS » [3], étaient entre les mains des rebelles syriens. Le 28 Novembre 2012, Joby Warrick du Washington Post a rapporté que la veille, les rebelles près d’Alep avaient utilisé ce qui était presque certainement un MANPAD pour abattre un hélicoptère de transport syrien. «L’administration Obama », Warrick a écrit, « était fermement opposé à armer les forces d’opposition syriennes avec de tels missiles, avertissant que les armes pourraient tomber entre les mains de terroristes et être utilisées pour abattre les avions commerciaux. » Deux fonctionnaires du renseignement du Moyen-Orient ont pointé du doigt le Qatar comme étant la source de cette livraison, et un ancien analyste du renseignement des États-Unis a émis l’hypothèse que les Manpads auraient pu être obtenus à partir des avant-postes militaires syriens envahies par les rebelles. Il n’y avait aucune indication que la possession de MANPADS par les rebelles ait été la conséquence involontaire d’un programme américain secret qui n’était plus sous contrôle américain.

À la fin de 2012, on a cru au sein de la communauté américaine du renseignement que les rebelles étaient en train de perdre la guerre. « Erdoğan était en colère » a déclaré l’ex-responsable du renseignement, « et a estimé qu’il a été écarté. C’était son argent et l’interruption a été vue comme une trahison ». Au printemps 2013 les renseignements américains ont appris que le gouvernement turc – via des éléments du MIT, son agence nationale du renseignement et de la gendarmerie, des forces de l’ordre militarisées – travaillait directement avec Al-Nusra et ses alliés pour développer des capacités pour une guerre chimique. « Le MIT était en charge de la liaison politique avec les rebelles, et la gendarmerie se chargeait de la logistique militaire, des conseils et de la formation sur le terrain – y compris la formation dans la guerre chimique », a dit l’ancien responsable du renseignement. « Renforcer le rôle de la Turquie au printemps 2013 a été considérée comme la clé de ses problèmes là-bas. Erdogan savait que s’il cessait son soutien aux djihadistes tout serait fini. Les Saoudiens ne pourraient pas soutenir la guerre en raison de la logistique – les distances et la difficulté de transporter les armes et fournitures. Erdogan espérait susciter un événement qui obligerait les États-Unis à franchir la ligne rouge. Mais Obama n’a pas répondu en Mars et Avril. »

Il n’y avait aucun signe public de discorde quand Erdogan et Obama se sont rencontrés le 16 mai 2013 à la Maison Blanche. Lors d’une conférence de presse plus tard Obama a dit qu’ils avaient convenus qu’Assad « devait disparaître ». Interrogé pour savoir s’il pensait que la Syrie avait franchi la ligne rouge, Obama a reconnu qu’il y avait des preuves que de telles armes avaient été utilisées, mais il a ajouté, « il est important pour nous de faire en sorte que nous soyons en mesure d’obtenir des informations plus précises sur ce qui s’y passe exactement. » La ligne rouge était encore intacte.

Un expert de la politique étrangère américaine qui parle régulièrement avec les responsables de Washington et d’Ankara m’a parlé d’un dîner d’affaires tenu par Obama pour Erdogan lors de sa visite en mai. Le repas a été dominé par l’insistance des Turcs que la Syrie avait franchi la ligne rouge et leur mécontentement face à la réticence d’Obama à faire quoi que ce soit. Obama était accompagné de John Kerry et Tom Donilon, le conseiller à la sécurité nationale qui allait prochainement démissionner. Erdoğan a été rejoint par Ahmet Davutoğlu, ministre des Affaires étrangères de la Turquie, et Hakan Fidan, le chef du MIT. Fidan est connu pour être très fidèle à Erdogan, et a été considéré comme un soutien consistant de l’opposition rebelle radicale en Syrie.

L’expert de la politique étrangère m’a dit que ce qu’il avait entendu venait de Donilon. (Ce qui a été plus tard confirmé par un ancien responsable américain, qui en a pris connaissance via un diplomate turc senior.) Selon l’expert, Erdogan avait demandé la réunion dans le but de démontrer à Obama que la ligne rouge avait été franchie, et avait apporté Fidan pour le soutenir. Quand Erdogan a tenté de faire entrer Fidan dans la conversation, et que Fidan a commencé à parler, Obama lui a coupé la parole en disant: « Nous savons ». Erdoğan a essayé de faire participer Fidan une seconde fois, et de nouveau Obama le coupa et dit: « Nous savons. » À ce moment-là, Erdoğan exaspéré a dit: « Mais votre ligne rouge a été franchie! » et, l’expert m’a dit, ‘Donilon a dit qu’Erdogan « avait menacé du doigt le président de la Maison Blanche ». Obama a ensuite désigné Fidan du doigt et dit: « Nous savons ce que vous faites avec les radicaux en Syrie. » (Donilon, qui a rejoint le Conseil sur les relations étrangères en Juillet dernier, n’a pas répondu aux questions sur cette histoire. Le ministère turc des Affaires étrangères n’a pas répondu aux questions au sujet du dîner. Un porte-parole du Conseil national de sécurité a confirmé que le dîner avait eu lieu et a fourni une photo montrant Obama, Kerry, Donilon, Erdogan, Fidan et Davutoğlu assis à une table. « Au-delà de cela, dit-elle, je ne vais pas lire les détails de leurs discussions. ‘)
Mais Erdogan n’est pas parti les mains vides. Obama permettait toujours à la Turquie de continuer à exploiter une faille dans un décret présidentiel interdisant l’exportation d’or vers l’Iran, qui faisait partie des sanctions des États-Unis contre le pays. En Mars 2012, en réponse aux sanctions des banques iraniennes par l’UE, le système de paiement électronique SWIFT, qui facilite les paiements transfrontaliers, a expulsé des dizaines d’institutions financières iraniennes, limitant sévèrement la capacité du pays à faire du commerce international. Les États-Unis ont mis en place le décret en Juillet, mais ont laissé ce qui est venu à être connu comme étant un « échappatoire d’or (golden loophole) »: les livraisons d’or à des entités privées iraniennes pourraient continuer. La Turquie est un important acheteur de pétrole et de gaz iranien, et a profité de l’échappatoire en déposant ses paiements en lires turques dans un compte iranien en Turquie; ces fonds ont servi à acheter de l’or turc qui serait exporté vers des confédérés en Iran. 13 milliards de dollars d’or seraient entrés en Iran de cette manière entre Mars 2012 et Juillet 2013.

Le programme est rapidement devenu une vache à lait pour les politiciens corrompus et les commerçants en Turquie, en Iran et aux Emirats arabes unis. « Les intermédiaires ont fait ce qu’ils font toujours », a dit l’ex-responsable du renseignement. « Prendre 15 pour cent. La CIA a estimé qu’il n’y avait pas moins de deux milliards de dollars retenus. L’or et la livre turque leur « collaient aux doigts ». Les retenues illicites se sont transformées en scandale public « du gaz pour de l’or » en Turquie en Décembre, et a donné lieu à des accusations contre deux douzaines de personnes, y compris d’importants hommes d’affaires et des proches de responsables gouvernementaux, ainsi que la démission de trois ministres, dont un qui a appelé Erdoğan à démissionner. Le directeur d’une banque contrôlée par l’Etat turc qui était au milieu du scandale a insisté les 4,5 millions de dollars en espèces retrouvé par la police dans des boîtes à chaussures au cours d’une perquisition à son domicile étaient destinés à des dons de bienfaisance. .

L’année dernière Jonathan Schanzer et Mark Dubowitz ont signalé dans Foreign Policy que l’administration Obama a fermé cet échappatoire en Janvier 2013, mais « ont fait pression pour s’assurer que la législation … ne prenne pas effet pendant six mois ». Ils ont spéculé que l’administration voulait utiliser le retard comme une incitation à amener l’Iran à la table des négociations sur son programme nucléaire, ou pour apaiser son allié turc dans la guerre civile syrienne. Le délai a permis à l’Iran d’accumuler des milliards de dollars de plus en or, ce qui compromet davantage le régime des sanctions ».

La décision américaine de mettre fin au soutien de la CIA pour les livraisons d’armes en Syrie a exposé Erdoğan politiquement et militairement. « L’une des questions à ce sommet en mai était le fait que la Turquie est le seul moyen de fournir les rebelles en Syrie » a dit l’ancien responsable du renseignement. « Elles ne peuvent pas venir par la Jordanie, car le terrain dans le sud est grand ouvert et les Syriens sont partout. Et elles ne peuvent pas venir par les vallées et les collines du Liban – on ne peut pas être certain de qui on rencontrerait l’autre côté ». Sans le soutien militaire des États-Unis pour les rebelles, l’ancien responsable du renseignement a déclaré, « le rêve d’Erdogan d’avoir un état client en Syrie s’évapore et il pense que nous en sommes la raison. Lorsque la Syrie gagnera la guerre, il sait que les rebelles sont tout aussi susceptibles de se retourner contre lui – où peuvent-ils aller d’autre? Alors maintenant, il aura des milliers de radicaux dans son jardin. »

Un consultant du renseignement américain m’a dit que quelques semaines avant le 21 Août, il avait vu une information hautement classifiée préparée pour Dempsey et le secrétaire à la défense, Chuck Hagel, qui décrivait « l’inquiétude aiguë » de l’administration Erdoğan au sujet des perspectives décroissantes des rebelles. L’analyse mettait en garde sur le fait que les dirigeants turcs ont exprimé « la nécessité de faire quelque chose qui précipiterait une intervention militaire des États-Unis ». A la fin de l’été, l’armée syrienne avait encore l’avantage sur les rebelles, a dit l’ancien responsable du renseignement, et seulement la puissance aérienne américaine pourrait inverser la tendance. À l’automne, l’ancien responsable du renseignement poursuivit, les analystes du renseignement des États-Unis qui continuaient de travailler sur les événements du 21 Août « ont senti que la Syrie n’était pas derrière l’attaque au gaz. Mais le « gorille de 500 livres ?» (le « monstre ») l’était, comment cela se fait-il? Les turcs ont été immédiatement suspectés, parce qu’ils avaient tous les éléments pour y arriver ».
Pendant que des données interceptées et autres données relatives aux attaques du 21 août étaient recueillies, la communauté du renseignement a vu des preuves pour étayer ses soupçons. « Nous savons maintenant que c’était une action secrète prévue par les gens d’Erdogan pour pousser Obama à franchir la ligne rouge», a déclaré l’ancien responsable du renseignement. «Il fallait que cela dégénère en une attaque au gaz dans ou près de Damas, lorsque les inspecteurs de l’ONU » – qui sont arrivés à Damas le 18 Août pour enquêter sur des utilisations antérieures du gaz – étaient là. L’accord était de faire quelque chose de spectaculaire. Nos officiers supérieurs ont été informés par la DIA et autres moyens de renseignement que le sarin a été fourni via la Turquie – qu’il ne pouvait arriver là qu’avec le soutien de la Turquie. Les Turcs ont également dispensé une formation dans la production et la manipulation du sarin. » La majeure partie des informations permettant cette évaluation provenait des Turcs eux-mêmes, par l’intermédiaire de conversations interceptées dans le sillage immédiat de l’attaque. « Les preuves principales étaient les réjouissances et le contentement turcs après l’attaque relevé dans de nombreuses données interceptées. Les opérations sont toujours planifiées de manière super-secrète, mais tout part en fumée quand il s’agit de s’en vanter après. Il n’y a pas de plus grande vulnérabilité que lorsque les auteurs réclament de la reconnaissance pour leur succès. » Les problèmes d’Erdogan en Syrie seraient bientôt terminés:« le gaz s’échappe et Obama dira ligne rouge et l’Amérique attaquera la Syrie, ou au moins, c’était l’idée. Mais ça ne s’est pas passé de cette façon. »

Apres l’attaque de la Turquie, les renseignements ne sont pas arrivés jusqu’à la Maison Blanche. « Personne ne veut parler de tout cela » l’ex-responsable du renseignement m’a dit. « Il y a une grande réticence à contredire le président, bien qu’aucune analyse de la communauté du renseignement n’ait soutenu sa précipitation à condamner. Il n’y a pas eu un seul élément de preuve supplémentaire de l’implication syrienne dans l’attentat au sarin produit par la Maison Blanche depuis que le bombardement a été annulé. Mon gouvernement ne peut rien dire parce que nous avons agi de manière tellement irresponsable. Et puisque nous avons tenu Assad responsable, nous ne pouvons pas revenir en arrière et accuser Erdoğan.

La volonté de la Turquie à manipuler les événements en Syrie à ses propres fins semblait avoir été démontrée à la fin du mois dernier, quelques jours avant le premier tour d’élections locales, quand un enregistrement, prétendument d’Erdoğan et ses associés, a été publié sur YouTube. Il comprenait des discussions au sujet d’une opération sous faux pavillon qui justifierait une incursion de l’armée turque en Syrie. L’opération était centrée sur le tombeau de Suleyman Shah, le grand-père du très vénéré Osman I, le fondateur de l’Empire ottoman, qui est près d’Alep et a été cédée à la Turquie en 1921 lorsque la Syrie était sous la domination française. Une des factions rebelles islamistes menaçait de détruire la tombe en tant que site d’idolâtrie, et l’administration Erdoğan menaçait publiquement de représailles s’il lui arrivait quoi que ce soit. D’après un rapport de Reuters portant sur la conversation ayant fait l’objet de fuites, une voix censée être celle de Fidan parlait de créer une provocation: « Maintenant, regardez, mon commandant [Erdogan], si l’on veut avoir une justification, j’envoie quatre hommes de l’autre côté. Je leur fais lancer huit missiles sur un terrain ouvert [dans le voisinage de la tombe]. Ce n’est pas un problème. La justification peut être créée. » Le gouvernement turc a reconnu qu’il y avait eu une réunion nationale de sécurité sur les menaces émanant de la Syrie, mais a déclaré que l’enregistrement avait été manipulé. Le gouvernement a ensuite bloqué l’accès du public à YouTube.

À moins d’un changement majeur de politique par Obama, l’intrusion de la Turquie dans la guerre civile syrienne est susceptible de continuer. « J’ai demandé à mes collègues s’il y avait un moyen d’arrêter le soutien continu d’Erdoğan aux rebelles, surtout maintenant que ça va si mal » m’a dit l’ancien responsable du renseignement. « La réponse a été: « Nous sommes foutus. » Nous pourrions en parler publiquement si c’était quelqu’un d’autre que M. Erdoğan, mais la Turquie est un cas particulier. C’est un allié de l’OTAN. Les Turcs ne font pas confiance aux occidentaux. Ils ne peuvent pas vivre avec nous si nous menons une démarche active contre les intérêts turcs. Si nous rendions public ce que nous savons sur le rôle de M. Erdoğan avec le gaz, ce serait catastrophique. Les Turcs diraient: « Nous vous détestons pour nous dire ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire. » »

4 April 2014

[1] Front Al-Nosra, également dénommé Jabhat al-Nosra ou Nosra « Front pour la victoire du peuple du Levant »), est un groupe djihadiste de rebelles armés affilié à Al-Qaïda, apparu dans le contexte de la guerre civile syrienne. À partir de novembre 2013, il prend également le nom de al-Qaïda Bilad ash-Sham « al-Qaïda au Levant » (AQAL. Il est dirigé par Abou Mohammad Al-Joulani. Il est en passe devenir en 2013 le plus important groupe rebelle de la guerre civile syrienne. Il est également doté d’une branche libanaise, qui revendique un attentat commis à Beyrouth en janvier 2014.

[2] Seymour « Sy » Myron Hersh est un journaliste d’investigation américain, né le 8 avril 1937 à Chicago, spécialisé dans la politique américaine et les services secrets. Il écrit notamment pour The New Yorker.

[3] Missile Russe SAM 7.


Le grand écart stratégique d’Obama au Moyen Orient

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Les contradictions dans lesquelles se sont enfermés Obama et Hollande, en panne de vision stratégique au Moyen-Orient et confrontés à des lobbies aux intérêts inconciliables, augurent mal du succès de leur objectif commun : détruire l’Etat islamique (Daech).

Les contradictions de la politique américaine au Moyen-Orient peuvent se décrire ainsi :

Obama se fixe comme objectif de détruire Daech alors même qu’il a contribué à le créer en soutenant la déstabilisation du régime d’Assad par l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie (membre de l’OTAN), alliés et clients historique des États-Unis et de leur industrie d’armement.

Obama envisage de frapper les djihadistes en Syrie, ce qui aidera, de fait, le régime d’Assad mais il annonce aussi qu’il va livrer des armes aux rebelles syriens modérés alors que l’on sait que, tôt ou tard, ces armes, en tout ou partie, arriverons dans les mains des djihadistes soit parce qu’ils les prendront lors de combats soit parce qu’elles leur seront en tout ou partie vendues par des intermédiaires que l’on ne contrôle pas.

Il va aider le nouveau premier Ministre chiite irakien à combattre Daech mais uniquement par des frappes aériennes, ce qui aboutira aussi à frapper les membres des tributs sunnites qu’il s’est fixé comme objectif de rallier. On a, en effet, en mémoire les dommages collatéraux causés à la population en Afghanistan par les frappes aériennes dites ciblées et le rejet américain qu’elles ont générées.

Obama exclut de la coalition l’Iran, qu’il continue de mettre au ban des nations alors qu’en fait, Téhéran est un des principaux soutiens de l’Irak sur les plans politique et militaire avec notamment l’envoi de gardiens de la révolution pour combattre aux côtés des milices chiites irakiennes.

Il continue de désigner la Russie comme un ennemi alors qu’elle fait face à la même menace islamique sur son sol et que ce pays, conscient du risque, est de facto dans notre camp puisque, à la demande du gouvernement irakien, il leur livre des avions, des hélicoptères et des armes.

Obama continue à considérer l’Arabie Saoudite comme un allié privilégié alors qu’elle a été la première à financer les djihadistes en voulant déstabiliser le régime alaouite de Damas à l’occasion du soi-disant « printemps arabe ». Ses dirigeants sont aujourd’hui paniqués parce que Daech, qu’ils croyaient pouvoir manipuler, leur échappe et menace de porter la guerre sainte leur son sol. N’ayant qu’une confiance relative en ses forces armées, pourtant suréquipées par les américains, l’Arabie Saoudite a sollicité l’aide du Pakistan et de l’Egypte qui ont dépêché chacun 15 000 soldats pour sécuriser sa frontière avec la Syrie.

Toutes ces incohérences laissent mal augurer de l’efficacité de l’action américaine, en particulier en Syrie.

En Irak cet appui ne peut être décisif que sous plusieurs conditions :

– que le nouveau premier ministre irakien Hayder Al Ebadi [1], désigné le 9 aout par le président de la république Fouad Massoum pour former le gouvernement irakien, compose un gouvernement représentatif de toutes les sensibilités politiques et religieuses en réintégrant notamment les sunnites aux postes prévus par la Constitution et en supprimant les interdits qui frappent les anciens baassistes;

– qu’il arrive à faire taire les divisions dans le camp shiite et notamment les préventions du parti de Mokhtar al Sahr qui s’oppose à la réintégration dans l’armée des anciens officiers bassistes et qu’il s’engage fermement dans l’intégration progressive des milices shiites dans l’Armée et/ou obtienne en tout ou partie leur désarmement ;

– qu’il négocie sérieusement avec les représentants et les chefs des tribus sunnites et leur donne les assurances qu’ils demandent dans le programme de 17 points qu’ils ont publié [2]. En effet, les sunnites et les tributs sunnites sont échaudés par le non- respect des accords signés avec Al Maliki et les américains qui avaient permis le « Surge » (sursaut) de 2007

De son côté, la France devrait comprendre qu’elle n’a aucun intérêt à intervenir en Irak dans le cadre de l’action américaine mais au contraire qu’elle devrait être le promoteur d’une politique étrangère européenne alternative, conforme à nos intérêts stratégiques.

Les grandes lignes de cette politique nouvelle sont les suivantes :

– réintégrer pleinement dans le jeu diplomatique la Russie et l’Iran qui sont deux acteurs majeurs au Moyen-Orient et avec lesquels nous possédons des intérêts communs. En effet, nous sommes dépendants d’eux pour notre approvisionnement en gaz (ils possèdent sur leur sol 40% des réserves mondiales prouvées). Or le gaz est la source d’énergie dont les réserves prouvées sont les plus importantes et représentent environ un siècle de consommation. Notre dépendance envers cette source d’énergie va inéluctablement augmenter durant le XXIème siècle d’autant plus qu’elle est moins polluante que le charbon ou le pétrole. Or, ces pays sont menacés directement par les djihadistes. C’est relativement connu pour la Russie qui possède 30 millions de musulmans dans ses frontières autant que l’Europe et qui a connu des attentats majeurs y compris à Moscou. Cela l’est moins pour l’Iran qui abrite sur son sol 7 à 10 millions de musulmans sunnites qui sont majoritairement implantés dans les régions contigües de la frontière irakienne.

– exiger l’européanisation totale de l’OTAN ou sa dissolution. Une première étape serait d’en exclure la Turquie, dont le Président Erdogan rêve de restaurer l’empire Ottoman qui s’est toujours opposé à l’Europe chrétienne. Sa position vis-à-vis des djihadistes est pour le moins ambiguë comme le prouve la libération des 46 otages turcs qui a été négociée contre la libération de 180 djihadistes d’Al Qaida. J’ai pu penser, comme le Président Sarkozy, qu’en réintégrant l’OTAN nous pourrions l’éuropéaniser. Cinq ans plus tard, il faut constater que nous nous sommes trompés. En effet, les Etats-Unis et les anglo-saxons, qui en sont les plus importants financiers (40%), se servent de cette organisation pour réactiver la guerre froide avec la Russie [3]. Les officiers et civils européens de l’Est, qui y servent, sont des collaborateurs de fait des intérêts américains car les salaires qu’ils perçoivent sont largement supérieurs à ceux qu’ils recevraient dans leur pays et ils s’alignent sur tout ce que veulent les anglo-saxons car cela sert directement leurs intérêts personnels.

Sans tomber dans les excès que propose Marine Le Pen et qui recueille de plus en plus de soutien chez nos compatriotes, il est temps que les autres leaders politiques comprennent que l’alignement sur les positions américaines dessert fondamentalement nos intérêts et contribue au marasme économique dans lequel notre pays s’enfonce chaque jour un peu plus.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL, auteur de « Carnet de guerres et de crises 2011-2013 », Lavauzelle, Mai 2014 et de « Russie, alliance vitale », Choiseul, 2011.

[1] Ingénieur électricien de formation, il a vécu une vingtaine d’années en exil, en Grande-Bretagne. II occupait la fonction de vice-président du parlement irakien, et était considéré comme modéré et homme qui recherche des solutions consensuelles bien qu’il appartienne au même parti chiite Dawa de Nouri Al Maliki.

[2] « Réaliser un équilibre communautaire dans toutes les institutions de l’Etat. Assurer l’indépendance de la justice et l’épargner de toute influence politique. Faire preuve d’une bonne volonté en libérant les prisonniers et en décrétant le plus rapidement possible la loi d’amnistie générale. Restituer les avoirs et les biens fonciers confisqués illégalement à l’Organisme de Mainmorte sunnite et à certains citoyens. Appliquer le deuxième amendement de la loi 21, relatif à l’élargissement des pouvoirs et compétences des maires et des conseils municipaux. Lancer des projets stratégiques de transport aux gouvernorats d’Al Anbar, Mossoul, Salah Dine et Diyala, surtout les projets de chemins de fer et d’aéroports. Dissoudre les commandements des opérations des gouvernorats et charger la police locale et les gardes-frontière de la mission de gestion du dossier sécuritaire. Légiférer la loi de service militaire obligatoire. Prendre part à la prise de décision sécuritaire et militaire de manière à exprimer la diversité de la société irakienne. Poursuivre toutes les forces de terrorisme et les milices, quel que soient leurs origines ou dénominations. Interdire l’utilisation des mots et des surnoms à connotation sectaire ou ethnique dans toutes les institutions de l’État, notamment dans les écoles et les universités. Elaborer un plan de reconstruction pour les gouvernorats délaissés et touchés par les opérations militaires. Arrêter les opérations militaires et le bombardement par avion des gouvernorats de Ninive, Al Anbar, Salah Dine, Diyala, Kirkuk et les environs de Bagdad. Rapatrier les déplacés chez eux. Garantir la liberté d’expression comme c’est stipulé dans la constitution. Abroger la loi d’Inquisition et Justice parce qu’elle n’est plus nécessaire et accorder le poste de vice-président de la république aux Forces Nationales. Faire preuve de bonne volonté en libérant les dirigeants de l’ancienne armée irakienne.

[3] Voir pourquoi les Etats-Unis se préoccupent tant de l’Ukraine.