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La crise libyenne
révélatrice du besoin d’une Europe puissante

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Pour comprendre ce que révèle la crise libyenne il faut, en effet, la replacer dans son contexte géopolitique et géostratégique.

Pour les États-Unis, la Turquie est « le pivot stratégique » qui doit empêcher la création de l’Eurasie. Comme l’écrit Zbigniew Brezinski [1] : « l’Eurasie [2] demeure le seul théâtre sur lequel un rival potentiel de l’Amérique pourrait éventuellement apparaître ». C’est pourquoi les américains se sont mobilisés pour maintenir l’OTAN après l’effondrement de l’URSS et de la puissance russe. Ils jouent de leur influence pour faire coïncider les limites de l’Union Européenne et celles de l’organisation militaire. En réussissant à introduire la Turquie dans l’UE, ils briseraient son unité religieuse et culturelle et interdiraient une alliance stratégique avec la Russie [3] orthodoxe, rival historique de la Turquie.

Les États-Unis sont en effet une démocratie dans laquelle l’État et la religion sont intimement liés. Obama a prêté serment sur la Bible [4]. C’est aussi pour cette raison qu’ils voient dans la démocratie islamique turque un modèle pour les autres pays du Proche et du Moyen-Orient. A contrario, la séparation de l’église et de l’État est une conquête de la République française. Aussi, l’adieu à Mustapha Kemal que constitue aujourd’hui le pouvoir sans partage de l’AKP [4] en Turquie nous inquiète.

La crise libyenne est, à ce titre, extrêmement intéressante car elle montre que les intérêts de l’Europe ne coïncident pas toujours avec les intérêts turcs et américains.

La France et la Grande-Bretagne ont été les moteurs de cette intervention. Les États-Unis, influencés par les Turcs, ont trainé les pieds avant de s’engager puis se sont mis rapidement en retrait, essayant de ménager la chèvre et le chou.

La France souhaitait initialement à juste raison que la direction militaire et politique des opérations soit réalisée par un État-Major « ad hoc », distinct de l’OTAN, parce que pour le Monde arabe OTAN = États-Unis = intervention pour s’approprier le pétrole arabe.

Sous la pression de certains pays et en particulier de l’Italie de Berlusconi et de la Turquie, puis de la Grande-Bretagne, la France a dû se résoudre à abandonner son idée initiale. Le  ministre turc de la Défense Vecdi Gönül a ainsi déclaré, le 21 mars : « Il nous est difficile de comprendre le fait que la France se soit trop mise en avant dans ces opérations ».

Depuis, la machine OTAN est soumise à des pressions contradictoires qui nuisent à son efficacité. Les Turcs ne veulent pas d’un succès total des insurgés car ils souhaitent s’imposer comme les médiateurs entre Tripoli et Benghazi et ainsi apparaître comme le leader naturel des pays islamiques; les américains temporisent entre les pressions françaises et turques.

Plus que jamais la nécessité d’européaniser l’OTAN s’impose en obtenant un retrait progressif des américains et des turcs de l’organisation militaire.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Le grand échiquier, Bayard éditions, Paris 1997, page 61.

[2] D’abord l’Europe et la Russie.

[3] « La Russie et l’ancien Empire Ottoman se sont fait directement ou dans le cadre d’une coalition 12 fois la guerre soit un total de 60 ans » – Russie, Alliance vitale, Choiseul 2011, page 101.

[4] « Le président élu Obama est profondément honoré que la Bibliothèque du Congrès ait mis à disposition la Bible de Lincoln pour qu’elle soit utilisée lors de sa prestation de serment », a indiqué dans un communiqué Emmett Beliveau, directeur exécutif du Comité pour l’investiture présidentielle. AFP, 23 décembre 2008.

[5] Parti de la justice et du développement.

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