Manifeste pour la sauvegarde de nos armées
Ce manifeste pour la sauvegarde des armées a été rédigé par le cercle de réflexion « Les sentinelles » qui regroupe de manière informelle des officiers généraux et supérieurs des trois armées. Il a été adressé à certains parlementaires et organes de la presse nationale et régionale.
Le démantèlement de l’institution militaire arrive à son terme. Infiniment plus que l’actuelle disette budgétaire, les impératifs de l’Etat-providence et la volonté des «post modernes» d’en finir avec le « fracas des armes » ont été les abrasifs les plus puissants pour réduire, en moins d’un demi-siècle, l’armée française à l’état d’échantillon. La force militaire est passée, dans le silence et la dénégation, du statut d’institution régalienne majeure à celui d’une société de services que l’on rétribue à la tâche.
Le couronnement de cette efficace entreprise de démolition a été de placer la haute hiérarchie aux ordres d’une administration civile de défense qui prospère sans frein, au prétexte de recentrer les militaires sur leur cœur de métier. Le soldat, « ravalé à la fonction d’homme de peine de la République », est prié de verser son sang dans le silence et l’indifférence en se soumettant aux règles strictes d’un devoir d’Etat trop souvent déserté par ceux qui sont censés le faire mettre en œuvre et le faire respecter.
Ce désastre consommé ne peut plus être confiné sous l’éteignoir d’un « devoir de réserve », caution hypocrite à la disposition de tous les habiles pour esquiver dans le confort de la chose publique leurs responsabilités envers la Nation.
Des fautes multiples
C’est, en effet, une grande faute que de sacrifier le bras armé de la France au gré d’idéologies de rencontre et d’embarras financiers.
C’est une faute en regard du monde tel qu’il s’organise et dont chacun sait qu’il réservera de fâcheuses surprises. L’absence actuelle de menace militaire majeure n’est qu’un simple moment de l’Histoire. Son calme apparent ne doit pas masquer les reconfigurations géopolitiques qui marginaliseront les nations au moral défaillant.
C’est une faute vis-à-vis de la sécurité des Français de faire ainsi disparaître un pilier majeur de la capacité de résilience du pays face à d’éventuelles situations de chaos dont nul ne peut préjuger le lieu, l’heure et la nature. Pour y faire face, seule une force armée peut offrir les moyens suffisants servis par des hommes et des femmes structurés par les valeurs puissantes du devoir et de l’obligation morale.
C’est une faute d’éliminer l’une des institutions « fabriques de liens » dont la France a un urgent besoin face aux forces centrifuges qui y sont à l’œuvre, face aux fractures sociales et culturelles en voie de se produire.
Il est donc plus que temps de rétablir la puissance et l’efficacité d’une institution d’Etat « pour le dedans comme pour le dehors » et de se remettre à penser le destin national en termes de risques et de puissance stratégique. La France en a les moyens. Elle doit le faire sans l’attendre d’une Europe, puissance inexistante, ou d’une soumission transatlantique délétère voire de plus en plus illusoire.
Que rétablir et comment ?
Après des décennies de mesures irresponsables, une impulsion réparatrice est nécessaire pour raisonner et faire le choix des voies et moyens qui puissent rétablir une institution, désormais comateuse. Ces choix ne pourront pas faire l’économie d’un certain nombre de dispositions, dont l’abandon ou le travestissement ne sont plus acceptables.
Un budget décent doit permettre à nos soldats de disposer de l’entraînement et des équipements nécessaires, et au politique de s’engager sans le soutien déterminant des Etats-Unis, tout en évitant le stupide tout ou rien nucléaire.
Il faut pour servir les armes de la France des hommes et des femmes en nombre suffisant avec la répartition qui convient entre des professionnels en nombre suffisant et les citoyens en armes qui doivent revenir d’une manière ou d’une autre au centre de notre dispositif sécuritaire et identitaire. Rien d’efficace et de durable ne peut se faire sans des effectifs capables de marquer dans la durée, sur et hors du territoire national, la volonté et la détermination de la Nation.
Quel chef d’entreprise accepterait d’œuvrer alors que lui échappe le contrôle des moyens administratifs et techniques réputés nécessaires à son œuvre ? C’est pourtant ce qu’imposent aux chefs militaires de récentes réformes mises en œuvre au nom de la rationalité des coûts. Il faut donc revenir à une organisation des forces univoque qui subordonne au commandement les moyens de son action.
Enfin, une répartition équilibrée des responsabilités qu’autorise la Constitution est nécessaire entre l’exécutif et le Parlement, qui, par ailleurs, laisse au militaire le devoir d’exercer librement son conseil, tout en administrant et mettant en œuvre les forces autrement que par le canal d’une administration de défense d’autant plus intrusive qu’elle se sait irresponsable.
Voilà autant de mesures indispensables qui seront déclinées, point par point, dans des documents à venir et dont les signataires du présent document demanderont, avec détermination et constance, la réalisation pour le bien public.
Il est grand temps de rénover et de renouveler le contrat de confiance de la République avec ses soldats. S’il n’est pas trop tard, il devient urgent de lui redonner la vigueur indispensable sans qu’il soit besoin de recourir à des formes de représentation qui, bien qu’étrangères à notre culture militaire, pourraient s’avérer, un jour peut-être proche, le seul moyen pour nos soldats de se faire entendre.
* Club de réflexion qui regroupe des officiers supérieurs et généraux des trois armées, de sensibilités diverses et membres de nombreuses associations et institutions de Défense.