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La véritable raison pour laquelle les États-Unis se préoccupent tant de l’Ukraine tout en se foutant éperdument des Ukrainiens

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Les États-Unis, depuis le début des troubles en Ukraine, se sont clairement positionnés contre les pro-russes. Un soutien aux relents de guerre froide, qui n’a rien à voir avec les intérêts des Ukrainiens.

Atlantico : Les États-Unis déploient beaucoup d’énergie pour identifier les auteurs de l’attaque contre l’avion de la Malaysian Airlines et ont été très prompts à montrer du doigt les pro-russes. Quel intérêt ont-ils à leur faire porter le chapeau ?

Jean-Bernard Pinatel : Dès la chute du mur de Berlin en novembre 1989, les stratèges et les hommes politiques américains ont perçu une menace principale : c’est qu’un rapprochement puis une alliance entre l’Europe et la Russie ne contesterait la suprématie mondiale des Etats-Unis qui leur permet, en toute impunité, de s’immiscer dans les affaires intérieures d’un pays, voire de lui faire la guerre et d’imposer un droit international conforme à leurs intérêts comme la encore récemment montré l’affaire de la BNP.

Cette réalité incontestable nécessite un rappel historique pour être admise.

En 1997, l’ancien conseiller national à la sécurité des États-Unis, Zbigniew Brzezinski, publia sous le titre « Le grand échiquier » un livre où adoptant les deux concepts, forgés par Mackinder, d’Eurasie et d’« Heartland ». Il reprenait à son compte sa maxime célèbre : « qui gouverne l’Europe de l’Est domine l’Heartland ; qui gouverne l’Heartland, domine l’Ile-Monde ; qui gouverne l’île-Monde domine le Monde ». Il en déduisait : « Pour l’Amérique, l’enjeu géopolitique principal est l’Eurasie ». Dans une autre publication [1], il explicitait sa pensée: « Si l’Ukraine tombait, écrivait-il, cela réduirait fortement les options géopolitiques de la Russie. Même sans les états de la Baltique et la Pologne, une Russie qui garderait le contrôle de l’Ukraine pouvait toujours aspirer avec assurance à la direction d’un empire eurasien. Mais, sans l’Ukraine et ses 52 millions de frères et sœurs slaves, toute tentative de Moscou de reconstruire l’empire eurasien menace d’entraîner la Russie dans de longs conflits avec des non slaves aux motivations nationales et religieuses. ».

Entre 2002 et 2004, pour mettre en œuvre cette stratégie, les États-Unis ont dépensé des centaines de millions de dollars afin d’aider l’opposition ukrainienne pro-occidentale à accéder au pouvoir. Des millions de dollars provinrent aussi d’instituts privés, comme la Fondation Soros et de gouvernements européens. Cet argent n’est pas allé directement aux partis politiques. Il a transité notamment par des fondations et à des organisations non gouvernementales qui conseillèrent l’opposition, lui permettant de s’équiper avec les moyens techniques et les outils publicitaires les plus modernes. Un câble américain du 5 janvier 2010, publié sur le site Wikileaks (réf. 10WARSAW7), montre l’implication de la Pologne dans la transition et l’effort démocratique des anciens pays de l’Est. Le rôle des ONG y est notamment exposé [2]. Les câbles Wikileaks témoignent de l’effort constant et de la volonté continue des États-Unis d’étendre leur sphère d’influence sur l’Europe de l’Est, comme en Ukraine.

L’Ukraine connaît une véritable guerre civile. Pourtant personne en Occident ne dénonce l’ardeur avec laquelle le gouvernement ukrainien tente de mater les séparatistes. Quel est le réel intérêt des Américains à fermer les yeux sur cette réalité et à soutenir le gouvernement ukrainien ? Qu’ont-ils à y gagner ?

L’Etat ukrainien est une construction de Staline et n’existe de manière indépendante que depuis 1990, à l’issue de la dislocation du bloc soviétique. Il n’a existé auparavant qu’entre 1917 et 1921, entre la chute du Tsarisme en 1917 et la victoire des bolchevicks qui ont éclaté cet État naissant en 4 parties. La partie ex-russe de l’Ukraine, avec Kiev pour capitale, berceau historique de la civilisation et de la culture Russe, est intégrée à l’URSS tandis que la partie ex-autrichienne, avec Lviv pour ville principale, est rattachée à la Pologne.

La petite Ukraine « transcarpatique » vota son rattachement à la Tchécoslovaquie et quant à la Bucovine, sa minorité ukrainienne se résigna à son rattachement à la Roumanie.

Mais l’Ukraine n’est pas pour autant une nation. Les Ukrainiens n’ont aucune histoire commune. Bien au contraire. Durant la seconde guerre mondiale, quand à l’été 1941, l’Ukraine est envahie par les armées du Reich, les Allemands sont reçus en libérateurs par une partie de la population ukrainienne. Au contraire à l’Est du pays, ils rencontrent une forte résistance de la part de la population locale qui se poursuivit jusqu’en 1944. En représailles, les Allemands traquent les partisans, et brûlent des centaines de villages. En avril 1943, une division SS Galicie est constituée à partir de volontaires ukrainiens dont les descendants ont constitué le fer de lance des révolutionnaires de la place de Maïdan [3]. Cette division SS a notamment été engagée par les Allemands en Slovaquie pour réprimer le mouvement national slovaque. Mais les pro-occidentaux ukrainiens et les Américains ont tout fait, à la fin de la guerre, pour jeter un voile sur les atrocités commises par cette division et ne retenir que le combat antisoviétique. Néanmoins, les historiens estiment que plus de 220 000 Ukrainiens s’engagèrent aux côtés des forces allemandes durant la Seconde Guerre mondiale pour combattre le régime soviétique.

Ce rappel historique permet de comprendre pourquoi la guerre civile est possible et pourquoi la partie des forces ukrainiennes constituées de soldats de l’Ouest peuvent utiliser chars et avions contre les séparatistes de l’Est.

Le Président Ukrainien avec la complicité du silence de la majorité des hommes politiques et des médias occidentaux mène une véritable guerre contre une partie de sa population avec la même violence que celle que l’on reproche au dictateur syrien. De plus, les forces armées ukrainienne sont conseillées par des forces spéciales et des mercenaires américains.

Les Etats-Unis et Obama veulent ainsi provoquer une réaction brutale de la Russie qui pourrait faire renaître une guerre froide entre l’Ouest et l’Est. Poutine a bien compris le piège que lui tend Obama, « prix Nobel de la Paix ». Après avoir déconseillé aux séparatistes ukrainiens de faire un référendum, il n’a pas reconnu son résultat [4] et fait preuve d’une modération qui étonne tous les observateurs indépendants alors que des chars et des avions attaquent une population russophone.

En quoi l’Ukraine empêche-t-elle la constitution d’un bloc Europe-Russie ? Pourquoi les États-Unis tiennent-ils tant à l’empêcher ?

Les Américains n’ont cessé de faire pression sur les européens pour intégrer l’Ukraine et la Géorgie dans l’OTAN, ce qui constituerait une provocation inacceptable pour la Russie.

Heureusement, les leaders européens ne se sont pas pliés à cette volonté de Washington qui ne servirait que les intérêts américains. De même, si Poutine cédait à la pression de ses ultranationalistes et intervenait ouvertement en Ukraine, les Etats-Unis auraient atteint leur objectif stratégique et la guerre froide se réinstallerait en Europe au détriment de nos intérêts fondamentaux.

Pourquoi l’Europe se soumet-elle ? A-t-elle vraiment un intérêt à souscrire à la stratégie américaine ?

Beaucoup de leaders européens ont été formés aux Etats-Unis. Ils sont membres de « Think-Tanks américains ou transatlantiques » ou de fondations comme l’« American Foundation » qui financent largement leurs prestations et leurs voyages. L’Atlantisme est certes fabriqué par la conscience que nous partageons les mêmes valeurs démocratiques avec la nation américaine mais aussi par la multitude d’intérêts personnels de nombreux leaders européens dont le niveau de vie dépend de leur soumission de fait aux intérêts de l’Etat américain.

Néanmoins, de plus en plus d’Européens commencent à faire la différence entre l’Etat américain qui est, de fait, dirigé par des lobbies dont le plus important est le lobby militaro-industriel [5] et la nation américaine dont les valeurs et le dynamisme économique et culturel possèdent un pouvoir attractif incontestable et qui reste pour les jeunes européens une magnifique école de vie professionnelle.

Angela Merkel et les Allemands sont à la pointe de cette prise de conscience car ils n’ont toujours pas accepté l’espionnage industriel permanent auquel la NSA les soumet. De plus, la révélation des écoutes du portable d’Angela Merkel a fortement choqué le pays. Le Spiegel du 3 novembre 2013 réclamait même en couverture l’asile politique pour Edward Snowden : « Asil Für Snowden ». Les plus grands quotidiens européens dont le Monde ont publié de larges extraits de ses révélations.

Le 10 juillet 2014, le gouvernement allemand a annoncé l’expulsion du chef des services secrets américains pour l’Allemagne, dans le cadre d’une affaire d’espionnage de responsables allemands, au profit de Washington, une mesure sans précédent entre alliés au sein de l’Otan. « Il a été demandé au représentant des services secrets américains à l’ambassade des États-Unis d’Amérique de quitter l’Allemagne », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Steffen Seibert, dans un communiqué. L’expulsion intervient « en réaction d’un manque de coopération constaté depuis longtemps dans les efforts pour éclaircir » l’activité d’agents de renseignement américains en Allemagne, a expliqué un député allemand, Clemens Binninger, président de la commission de contrôle parlementaire sur les activités de renseignement, qui s’est réunie jeudi à Berlin.

En France, l’ancien Premier ministre Michel Rocard, le sociologue Edgar Morin, les anciens ministres Luc Ferry et Jack Lang ou encore l’ex-eurodéputé Daniel Cohn-Bendit ont lancé une pétition dans laquelle ils demandent au président François Hollande, à son Premier ministre, Manuel Valls, et au ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, d’accueillir Edward Snowden « sans tarder, sous le statut de réfugié politique ».

Malheureusement pour la France et l’Europe, François Hollande qui reste comme une partie de l’intelligentsia française fasciné par Obama et Laurent Fabius qui a longtemps bénéficié des avantages des fondations américaines n’ont pas encore pris conscience qu’ils mettaient ainsi en cause les intérêts stratégiques de la France et de l’Europe.

Source : ATLANTICO

[1] Traduit de : Zbigniew Brzezinski: « Die einzige Weltmacht – Amerikas Strategie der Vorherrschaft », Fischer Taschenbuch Verlag, pp.15/16.

[2] Le National Endowment for Democracy (NED) (en français, Fondation nationale pour la démocratie) est une fondation privée à but non lucratif des États-Unis dont l’objectif déclaré est le renforcement et le progrès des institutions démocratiques à travers le monde. La plus grande part de ses fonds provient du département d’État des États-Unis, avec approbation du Congrès. L’ancien directeur de la CIA, William Colby, déclarait en 1982, dans le Washington Post, à propos du programme de la NED : « Il n’est pas nécessaire de faire appel à des méthodes clandestines. Nombre des programmes qui […] étaient menés en sous-main, peuvent désormais l’être au grand jour, et par voie de conséquence, sans controverse ». William I. Robinson, Promoting Polyarchy: Globalization, US Intervention, and Hegemony [archive], Cambridge university Press, 1996, 466 p., pp. 87-88.

[3] Il ne faut pas oublier que les manifestants de la place de Maïdan ont contraint un Président pro-russe démocratiquement élu en 2012 a quitter le pouvoir. Il a été chassé de sa capitale par des manifestants où l’on a vu se côtoyer des groupes paramilitaires ultranationalistes affichant des signes nazis et qui refusent l’Europe mais aussi par des citoyens de la classe moyenne (professeurs, étudiants, dirigeants de PME) qui souhaitent le rattachement à l’Union européenne..

[4] approuvé par 89% des votants

[5] Le budget de Défense américain représentait, en 2013, 640 milliards de dollars. Autant que le Budget réuni des 9 pays suivants : Chine 188, Russie 88, Arabie Saoudite 67, France 61, Grande-Bretagne 58, Allemagne 49, Japon 49, Inde 48, Corée du Sud 33. Source SIPRI


100 ans après Sarajevo et le déclenchement de la Première guerre mondiale, un attentat pourrait-il provoquer un enchaînement similaire aujourd’hui ?

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Il y a 100 ans, l’héritier du trône austro-hongrois était assassiné à Sarajevo. Le mécanisme implacable d’alliances automatiques entre Etats s’est alors engagé, avec pour conséquence la première guerre mondiale.

Atlantico : L’attentat contre l’héritier du trône austro-hongrois à Sarajevo, le 28 juin 1914, conduisit l’Europe puis le monde dans la Première guerre mondiale. Aujourd’hui, un attentat pourrait-il conduire à une escalade militaire similaire ?

Jean-Bernard Pinatel : Non, pour plusieurs raisons. La plus importante est l’apparition de l’arme nucléaire. Les grands acteurs mondiaux ne peuvent se lancer dans une escalade des extrêmes, car ils ont la certitude que les risques qu’ils courraient seraient supérieurs aux enjeux. C’est pour cela que nous avons eu une guerre froide au lieu d’une guerre chaude après la seconde guerre mondiale.

L’arme nucléaire gèle l’escalade militaire.

La deuxième raison, c’est que le monde est interconnecté économiquement. En cas de guerre mondiale, il n’y aurait pas de vainqueur économique. S’il y avait une guerre entre la Chine et les Etats-Unis (pays qui est sorti renforcé de la seconde guerre mondiale), les deux perdraient.

La troisième raison est aussi de nature politique : on a aujourd’hui l’Onu, dont le rôle est de modérer les intentions des uns et des autres. Elle joue un rôle. Lors des crises entre le Pakistan et l’Inde, l’Onu a été un élément de mobilisation et a calmé le jeu.

La quatrième raison est que les peuples, grâce aux réseaux sociaux, ne se laisseront aujourd’hui pas engager dans n’importe quelle guerre n’importe comment. Les politiques n’ont plus le monopole de l’information. Prenons un exemple récent : François Hollande a voulu entraîner la France dans une guerre en Syrie. Au début, 70% des Français y étaient favorables. Au fur et à mesure que beaucoup de gens, dont moi, on expliqué que ça serait une bêtise, l’adhésion est tombée à 30%. Cameron et Obama ont connu la même chose.

Il reste une cinquième raison, encore valable pour quelques temps : les dirigeants les plus âgés ou ceux qui ont pris leur retraite se souviennent encore de l’holocauste qu’a été la seconde guerre mondiale. Mais ça ne sera plus vrai dans vingt ans.

Béatrice Giblin : Non, c’est impossible. D’abord parce que le souvenir des tragédies des deux guerres mondiales fait que les responsables politiques y regarderaient à deux fois avant de se lancer dans un engrenage qui conduirait à une guerre mondiale.

De plus, nous ne sommes plus dans des affrontements de grands empires. En 1914, la France comme la Grande-Bretagne sont encore des puissances impériales, avec la capacité de mobiliser des troupes – les fameux tirailleurs sénégalais pour la France – ce qu’on serait bien incapable de faire aujourd’hui, fort heureusement.

Troisièmement, nous avons aujourd’hui des armées de métier, il n’y aurait donc pas l’équivalent d’une tragédie avec des millions de morts. Sauf à utiliser les bombes atomiques, mais c’est une autre histoire. Il n’y aurait pas de chair à canon, comme lors de la première guerre mondiale.

Ce souvenir, et le changement des armes de la guerre, contribuent à ce que les décisions fassent qu’on ne parte pas la fleur au fusil. C’était le cas en 1914 !

Les logiques d’alliance entre les États ont-elles changé depuis la Première guerre mondiale ?

Jean-Bernard Pinatel : A l’époque, la logique d’alliances était automatique : quand un pays était attaqué, les autres avaient obligation de rentrer en guerre. Aujourd’hui, il y a toujours une logique d’alliances – l’Otan en est une – mais son utilisation est soumises aux chefs d’État et le secrétaire général de l’Otan ne peut pas déclencher une opération sans discussions. Il n’y a plus d’automaticité.

Béatrice Giblin : Absolument.

D’abord, l’Onu a été créée après la Seconde guerre mondiale. C’est justement un lieu de consultation pour éviter l’engrenage. Il est difficile de passer outre le conseil de sécurité. On le voit aujourd’hui : quand la Russie dit « non », eh bien on ne bouge pas.

Au niveau mondial, on s’est donné des instruments de négociations. Ils ne sont pas parfaits, mais peuvent servir de garde-fous. Ca ne veut pas dire qu’il n’y aura plus jamais de guerres importantes, mais on y réfléchira à deux fois.

De plus, nous avons créé des organisations de défense comme celle de l’Otan, pour lesquelles il y a une réelle réflexion avant de s’engager. On ne part pas sans se dire qu’il y aura des conséquences. Ce qui s’est passé en Irak, où les Etats-Unis se sont embarqués essentiellement avec les Britanniques, donne à réfléchir, quand on voit le chaos aujourd’hui. Idem en Libye.

Quant aux alliances entre pays, comme l’organisation de Shanghai entre la Russie et la Chine, elles sont loin d’être aussi intégrées que l’Otan. Les Chinois sont prêts à montrer leur puissance impériale en Asie du sud-est, mais n’iraient pas s’embarquer dans n’importe quoi.

Qu’en est-il d’un possible attentat terroriste ? On se souvient que l’attentat du 11 septembre 2001 a eu des conséquences importantes, à commencer par l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Afghanistan…

Jean-Bernard Pinatel : L’entrée en guerre des États-Unis en Afghanistan s’est faite avec le consensus du monde entier. Chaque État connait aujourd’hui des attentats terroristes : les Chinois avec les Ouïgours, la Russie a ses islamistes en Tchétchénie ou au Daguestan, nous avons les nôtres, les États-Unis ont été touchés… Chaque pays du monde est en lutte contre le terrorisme.

Même dans le cas de la Syrie, l’Arabie saoudite ou la Turquie ont armé les islamistes, mais ces derniers ont échappé à leurs sponsors. On aurait pu dire au début – et la Syrie l’a fait – qu’elle était attaquée par ces deux Etats par terroristes interposés, mais aujourd’hui, les islamistes ont pris leur autonomie. On le voit en Irak aujourd’hui.

Finalement, l’attentat de Sarajevo a-t-il vraiment eu l’importance qu’on lui porte?

Jean-Bernard Pinatel : Les historiens pensent que c’est beaucoup plus tout ce qui se passait dans les Balkans qui a entraîné la guerre. D’ailleurs, l’attentat se passe en juin et l’entrée en guerre en septembre. L’escalade était plus liée à la situation des Balkans, au nationalisme, etc. Il y a aujourd’hui une grosse réévaluation de l’importance de l’attentat de Sarajevo.

Source : ATLANTICO


Situation Militaire en Irak : 24 et 25 juin 2014

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La Province d’Al ANBAR est presque entièrement contrôlée par les insurgés sunnites et ISIL. Néanmoins certains points d’importance stratégique et économique en limite de zone sont fernement tenus par les forces de sécurité irakiennes qui ont repoussé les assauts de l’ISIL.

Les combattants d’ ISIL ont notamment essayé de s’emparer du contrôle du barrage d’Hadhidta sur l’Euphrate mais il ont été repoussés par les forces de sécurité irakiennes. Les environs de Bagdad sont fortement protégés et une ceinture de sécurité a été établie au Sud de la province d’Al Anbar pour empêcher tout débordement par le Sud.

Bagdad est calme et sous haute surveillance des forces de sécurité. L’aéroport est congestionné par le nombre de passagers voulant quitter le pays.

Les derniers dix jours montrent que conformément à leur stratégie les insurgés et ISIL contrôlent la province d’Al ANBAR excepté certains points à haute valeur stratégique et économique. Ils contrôlent notamment toute la frontière syrienne et ses points de passage routiers sur presque toute sa longueur ce qui leur permet de recevoir par voie terrestre des approvisionnements de la Turquie et de l’Arabie saoudite via la Syrie.

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Général (2S) Jean-Bernard PINATEL


Obama, Erdoğan et les rebelles syriens

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Je publie ci-dessous la traduction de l’article de Seymour M. Hersh publié par la London Review of Books qui démontre l’implication de la Turquie dans le soutien des djihadistes en Syrie, un temps aidée par la CIA.

Il dévoile notamment dans le détail la manipulation d’Erdoğan pour faire croire à l’utilisation de gaz Sarin par l’Armée d’ASSAD et faire franchir «la ligne rouge» par OBAMA. Pour Seymour M Hersh, la communauté du renseignement américain à la preuve que ce sont les services turcs qui en sont à l’origine de l’utilisation de gaz Sarin par les djihadistes d’Al-Nusrah [1].

Mais pour OBAMA il est impossible de le dire car la Turquie est dans l’OTAN et sert les objectifs stratégiques des États-Unis face à la Russie.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

Par Seymour M. Hersh [2]

En 2011, Barack Obama avait mené une intervention militaire alliée en Libye sans consulter le Congrès américain. En août dernier, après l’attaque au gaz sarin sur Ghouta, en banlieue de Damas, il était prêt à lancer une attaque aérienne alliée, cette fois pour punir le gouvernement syrien d’avoir franchi la « ligne rouge » qu’il avait établi en 2012 sur l’utilisation des armes chimiques. Puis, à moins de deux jours de la date prévue pour l’attaque, il a annoncé qu’il demanderait au Congrès d’approuver l’intervention. L’attaque a été reportée alors que le Congrès se préparait pour les audiences, et a été par la suite annulée quand Obama a accepté la proposition d’Assad de renoncer à son arsenal chimique dans un accord négocié par la Russie. Pourquoi Obama a-t-il retardé puis cédé au sujet de la Syrie, alors qu’il n’a pas hésité à se précipiter en Libye? La réponse se trouve dans l’affrontement entre ceux de l’administration qui cherchaient à mettre à exécution de la ligne rouge, et les chefs militaires qui pensaient que faire la guerre était à la fois injustifié et potentiellement désastreux.

Le changement d’avis d’Obama a été engendré par Porton Down, le laboratoire de la Défense dans le Wiltshire. Les renseignements britanniques avaient obtenu un échantillon de sarin utilisé dans l’attaque du 21 Août et l’analyse a démontré que le gaz utilisé ne correspondait pas aux lots connus dans les armes chimiques de l’arsenal de l’armée syrienne. Le message, que le procès contre la Syrie ne tiendrait pas, été rapidement relayé au chef d’état-major des USA. Le rapport britannique a accru les doutes au sein du Pentagone; les chefs d’état-major se préparaient déjà à mettre en garde Obama sur les conséquences d’une attaque missile de grande envergure sur l’infrastructure de la Syrie qui pourrait conduire à une guerre plus large au Moyen-Orient. Ainsi, les officiers américains ont délivré au président un avertissement de dernière minute qui, selon eux, a finalement conduit à l’annulation de l’attaque par ce dernier.

Pendant des mois, il y a eu une vive inquiétude parmi les dirigeants militaires gradés et la communauté du renseignement sur le rôle des voisins de la Syrie, en particulier la Turquie, dans la guerre. Le Premier ministre Recep Erdoğan était connu pour avoir précédemment soutenu le front al-Nusra, une faction djihadiste au sein de l’opposition rebelle, ainsi que d’autres groupes rebelles islamistes. « Nous savions qu’il y en avait dans le gouvernement turc » m’a dit un ancien responsable du renseignement américain, qui a accès aux renseignements actuels, « qui ont cru qu’ils pourraient coincer Assad avec un attentat au sarin intérieur de la Syrie – et forcer Obama à utiliser sa menace de ligne rouge ».

Les chefs d’état-major savaient aussi que les allégations publiques de l’administration Obama affirmant que seule l’armée syrienne a eu accès au sarin étaient fausses. Les services de renseignement américains et britanniques étaient au courant depuis le printemps de 2013 que certaines unités rebelles en Syrie développaient des armes chimiques. Le 20 juin, les analystes de l’Agence de renseignements de la Défense des États-Unis ont publié un brief de 5 pages hautement classifié « points de discussion » pour le directeur adjoint de la DIA, David Shedd, qui déclarait que Al – Nusra conservait une cellule de production de sarin : son programme, a indiqué le rapport, était « le complot sarin le plus avancé depuis l’effort d’al- Qaida précédant le 11 septembre».

(D’après un consultant du Département de la Défense, les renseignements américains avaient connaissance depuis longtemps des expériences d’Al-Qaïda avec des armes chimiques, et possède une vidéo d’une de ses expériences avec du gaz sur des chiens.) Le document de la DIA poursuit: « Précédemment, la communauté du renseignement (IC) s’était presque entièrement intéressée aux stocks d’armes chimiques de la Syrie; maintenant, nous voyons l’ANF tenter de faire ses propres armes chimiques… La relative liberté de fonctionnement du front d’Al- Nusrah au sein de la Syrie nous amène à estimer que les aspirations du groupe en termes d’armes chimiques seront difficiles à perturber à l’avenir ». Le document attire l’attention sur des informations classifiées provenant de nombreux organismes: « Des acteurs Turcs et Saoudiens, disait-il, ont tenté de se procurer des précurseurs de sarin en vrac, des dizaines de kilogrammes, probablement destinés à une production à grande échelle prévue en Syrie. » (Interrogé au sujet du document de la DIA, un porte-parole du directeur du renseignement national a déclaré: « Aucun papier n’a jamais été demandé ou produit par les analystes de la communauté du renseignement.)

En mai dernier, plus de dix membres du Front Al-Nusra ont été arrêtés dans le sud de la Turquie avec, d’après ce que la police locale a dit à la presse, deux kilos de sarin. Dans un acte d’accusation de 130 pages le groupe a été accusé d’avoir tenté d’acheter des fusibles, de la tuyauterie pour la construction de mortiers, et des ingrédients chimiques pour le sarin. Cinq des personnes arrêtées ont été libérées après une brève détention. Les autres, dont le chef de file Haytham Qassab, pour qui le procureur a requis une peine de prison de 25 ans, ont été libérées en attendant le procès. En attendant, la presse turque a été en proie à la spéculation que l’administration Erdoğan a couvert la mesure de son implication avec les rebelles. Dans une conférence de presse l’été dernier, Aydin Sezgin, l’ambassadeur de Turquie à Moscou, a rejeté ces arrestations et affirmé aux journalistes que le « sarin » récupéré était seulement « de l’anti-gel ».

Le papier de la DIA a pris les arrestations comme une preuve que al-Nusra élargissait son accès aux armes chimiques. Il déclarait que Qassab s’était «auto-identifié» comme un membre d’Al-Nusra, et qu’il a été directement relié à Abd-al-Ghani, « l’émir ANF pour la fabrication militaire ». Qassab et son associé Khalid Ousta ont travaillé avec Halit Unalkaya, un employé d’une entreprise turque appelée Zirve exportation, qui a fournissait «des devis pour des ingrédients de sarin en vrac ». Le plan d’Abd-al-Ghani était de permettre à deux associés de «perfectionner un procédé de fabrication du sarin, puis aller en Syrie pour former d’autres personnes pour commencer la production à grande échelle dans un laboratoire non identifié en Syrie». Le papier de la DIA indiquait que l’un de ses agents avait acheté un ingrédient sur le «marché des produits chimiques de Bagdad», qui «a pris en charge au moins sept projets d’armes chimiques depuis 2004 ».

Une série d’attaques par armes chimiques en Mars et Avril 2013 a été étudiée au cours des mois suivants par une mission spéciale des Nations Unies en Syrie. Une personne avec une forte connaissance de l’activité de l’ONU en Syrie m’a dit qu’il y avait des preuves reliant l’opposition syrienne à la première attaque au gaz, le 19 Mars à Khan Al-Assal, un village près d’Alep. Dans son rapport final en Décembre, la mission a déclaré qu’au moins 19 civils et un soldat syrien étaient parmi les victimes, ainsi que des dizaines de blessés. La mission n’avait pas de mandat pour désigner le responsable de l’attaque, mais la personne ayant connaissance des activités de l’ONU a déclaré: « Les enquêteurs ont interrogé les gens qui étaient là, y compris les médecins qui ont soigné les victimes. Il était clair que les rebelles ont utilisé le gaz. L’information n’a pas été rendue publique car personne ne voulait savoir ».

Dans les mois précédant les attaques, un ancien haut fonctionnaire du Département de la Défense m’a dit que la DIA a fait circuler un rapport quotidien classifié connu sous le nom de « SYRUP » portant sur tous les renseignements liés au conflit syrien, y compris sur les armes chimiques. Mais au printemps, la distribution de la partie du rapport concernant les armes chimiques a été sévèrement réduite sur les ordres de Denis McDonough, le chef de cabinet de la Maison Blanche. « Quelque chose dedans a déclenché une crise de nerfs (littéralement caca nerveux) de McDonough », l’ex-fonctionnaire du ministère de la Défense a déclaré. «Un jour, c’était une affaire énorme, et puis, après les attaques sarin en mars et avril» – il fit claquer ses doigts – « il n’y a plus rien ». La décision de restreindre la distribution a été prise alors que les chefs d’état-major ordonnaient une planification intensive d’urgence pour une possible invasion terrestre de la Syrie dont l’objectif principal serait l’élimination des armes chimiques.

L’ancien responsable du renseignement a déclaré qu’un certain nombre de membres de la sécurité nationale des États-Unis ont longtemps été troublés par la ligne rouge du président: «Les chefs d’état-major ont demandé à la Maison Blanche, « Qu’est-ce que la ligne rouge? Comment cela se traduit-il dans les ordres militaires? Troupes sur le terrain? Attaque massive? Attaque limitée? » Ils ont chargé le renseignement militaire d’étudier comment nous pourrions mettre en œuvre la menace. Ils n’ont rien appris de plus sur le raisonnement du président ».

Au lendemain de l’attaque du 21 Août, Obama a ordonné au Pentagone d’élaborer une liste de cibles de bombardement. Au début du processus, l’ancien responsable du renseignement a déclaré que « la Maison Blanche a rejeté 35 ensembles de cibles fournies par les chefs d’état-major comme étant insuffisamment « douloureux » pour le régime d’Assad ». Les cibles de départ incluaient seulement des sites militaires et aucunement des infrastructures civiles. Sous la pression de la Maison Blanche, le plan d’attaque des États-Unis s’est transformé en « une attaque monstre» : deux formations de bombardiers B-52 ont été transférées dans des bases aériennes proches de la Syrie, et des sous-marins de la marine et des navires équipés de missiles Tomahawk ont été déployés. « Chaque jour, la liste de cibles s’allongeait », m’a dit l’ancien responsable du renseignement. « Les planificateurs du Pentagone ont dit que nous ne pouvions pas utiliser seulement des Tomahawk pour frapper les sites de missiles de la Syrie parce que leurs têtes sont enterrées trop profondément sous terre, ainsi les deux formations d’avion B- 52 avec deux mille livres de bombes ont été assignés à la mission. Ensuite, nous aurons besoin d’équipes de secours et de recherche pour récupérer les pilotes abattus et des drones pour la sélection de cible. C’est devenu énorme. » D’après l’ancien responsable du renseignement, la nouvelle liste de cibles était destinée à « éradiquer complètement toutes les capacités militaires qu’avait Assad ». Les cibles principales incluaient les réseaux électriques, les dépôts de pétrole et de gaz, tous dépôts d’armes et logistiques connus, toutes installations de commandement et de contrôle connus, et tous les bâtiments militaires et de renseignement connus.

La Grande-Bretagne et la France devaient, toutes les deux jouer, un rôle. Le 29 Août, le jour où le Parlement a voté contre la proposition de Cameron de rejoindre l’intervention, le Guardian a rapporté que celui-ci avait déjà ordonné à six avions de combat RAF Typhoon de se déployer à Chypre, et avait proposé un sous-marin capable de lancer des missiles Tomahawk. L’armée de l’air française – un acteur essentiel dans les attaques de 2011 en Libye – a été largement engagée, selon un compte rendu dans Le Nouvel Observateur; François Hollande avait ordonné à plusieurs chasseurs-bombardiers Rafale de participer à l’assaut américain. Leurs cibles auraient été dans l’ouest de la Syrie.

Avant la fin Août le président avait donné aux Chefs d’état-major une date limite fixée pour le lancement. « L’Heure H devait commencer au plus tard lundi matin [2 Septembre], un assaut massif afin de neutraliser Assad » selon l’ancien responsable du renseignement. Cela a donc été une surprise pour beaucoup quand, lors d’un discours au Rose Garden de la Maison Blanche le 31 Août Obama a déclaré que l’attaque serait mise en attente, et qu’il se tournait vers le Congrès afin de la soumettre à un vote.

A ce stade, l’idée d’Obama – que seule l’armée syrienne était capable de déployer le sarin – se clarifiait. L’ancien responsable du renseignement m’a dit qu’à quelques jours de l’attaque du 21 Août, des agents militaires russes du renseignement avaient récupéré des échantillons de l’agent chimique de Ghouta. Ils l’ont analysé et transmis au renseignement militaire britannique; c’était le matériel envoyé à Porton Down. (Un porte-parole de Porton Down a déclaré: « La plupart des échantillons analysés au Royaume-Uni se sont révélés positifs pour l’agent neurotoxique sarin. Le MI6 a dit qu’il ne se prononçait pas sur les questions de renseignement.)

L’ancien responsable du renseignement a déclaré que le Russe qui a livré l’échantillon au Royaume-Uni était « une bonne source – une personne ayant accès, la connaissance et étant digne de confiance ». Après les premières utilisations d’armes chimiques signalées en Syrie l’année dernière, les agences de renseignement américaines et alliées « ont fait un effort pour savoir si quelque chose a été utilisé, ce que c’était – et sa source » a dit l’ancien responsable du renseignement. « Nous utilisons les données échangées dans le cadre de la Convention sur les armes chimiques. Le point de référence de la DIA était de connaître la composition de chaque lot d’armes chimiques soviétiques manufacturé. Mais nous ne savions pas quels lots le gouvernement d’Assad avait dans son arsenal à ce moment-là. Dans les jours suivant l’incident de Damas, nous avons demandé à une source au sein du gouvernement syrien de nous donner une liste des lots que le gouvernement possédait. C’est ainsi que nous avons pu confirmer la différence si vite. »

Le processus ne s’était pas déroulé sans accroc au printemps, a indiqué l’ancien responsable du renseignement, parce que les études réalisées par les renseignements occidentaux « n’ont pas été concluants sur le type de gaz dont il s’agissait ». Le mot  » sarin  » n’a pas été mentionné. Il y avait beaucoup de discussions à ce sujet, mais puisque personne ne pouvait confirmer la nature de ce gaz, on ne pouvait pas dire qu’Assad avait franchi la ligne rouge du président». L’ancien responsable du renseignement poursuivit : « Le 21 Août, l’opposition syrienne avait en clairement tiré des enseignements et a annoncé que le  » sarin  » de l’armée syrienne avait été utilisé, avant que toute analyse ne puisse être faite, et la presse et la Maison Blanche ont sauté sur l’information. Comme il s’agissait maintenant de sarin, “ça devait être Assad” ».

Le personnel de la défense du Royaume-Uni qui a relayé les conclusions de Porton Down aux chefs d’état-major envoyait un message aux Américains, a déclaré l’ancien responsable du renseignement : « On nous tend un piège ici. » (Ceci se rapporte à un message qu’un haut fonctionnaire de la CIA a envoyé à la fin Août : « ce n’était pas le résultat du régime actuel. Le Royaume-Uni et les États-Unis le savent. »). C’était seulement à quelques jours de l’attaque et des avions, navires et sous-marins américains, britanniques et français étaient parés.

L’officier finalement responsable de la planification et de l’exécution de l’attaque était le général Martin Dempsey, président des Chefs d’état-major. Dès le début de la crise, l’ancien responsable du renseignement a déclaré, les chefs d’état-major avaient été sceptiques sur les arguments de l’administration pour prouver la culpabilité d’Assad. Ils ont pressé le DIA et d’autres organismes pour obtenir des preuves plus considérables. L’ancien responsable du renseignement a dit : « Il n’y avait pas moyen qu’ils pensent que la Syrie utiliserait un gaz neurotoxique à ce stade, parce que Assad était en train de gagner la guerre. Dempsey en avait agacé beaucoup dans l’administration d’Obama en mettant en garde à plusieurs reprises le Congrès pendant l’été sur les dangers d’un engagement militaire américain en Syrie. En Avril dernier, après une évaluation optimiste des avancées rebelles par le secrétaire d’État John Kerry, Dempsey a déclaré devant la commission des Affaires étrangères à la commission des forces armées du Sénat qu’ « il y a un risque que ce conflit soit devenu une impasse. »

L’ancien responsable du renseignement a rapporté l’avis initial de Dempsey après le 21 Août : « l’attaque des États-Unis sur la Syrie – en admettant que le gouvernement d’Assad était responsable de l’attaque au gaz sarin – serait une bavure militaire ». Le rapport de Porton Down a incité les chefs d’état-major à aller voir le président avec des inquiétudes plus importantes : que l’attaque menée par la Maison Blanche serait une agression injustifiée. Ce sont les chefs conjoints qui ont conduit Obama à changer de cap. L’explication officielle de la Maison Blanche au sujet de ce volte-face – l’histoire racontée par la presse – était que le président, au cours d’une promenade dans le Rose Garden avec son chef de cabinet Denis McDonough, a soudainement décidé de demander au congrès, qui était amèrement divisé et en conflit avec lui depuis des années, son accord pour l’attaque. L’ancien responsable du département de la Défense m’a dit que la Maison Blanche avait fourni une explication différente aux membres de la direction civile du Pentagone : l’attaque avait été annulée parce que selon les renseignements « le Moyen-Orient partirait en fumée » si elle avait lieu.

L’ancien responsable du renseignement a déclaré qu’initialement, la décision du président de s’adresser au Congrès a été considérée par les principaux collaborateurs à la Maison Blanche comme une redite de la tactique de George W. Bush à l’automne 2002, avant l’ invasion de l’Irak : « Quand il est devenu évident que il n’y avait pas d’ADM en Irak, le Congrès, qui avait approuvé la guerre en Irak, et la Maison Blanche partageaient la responsabilité et ont à plusieurs reprises cité des renseignements erronés. Si le Congrès actuel devait voter en faveur de l’attaque, la Maison Blanche pourrait jouer à nouveau sur les deux tableaux – frapper la Syrie avec une attaque massive et valider l’engagement de la ligne rouge du président, tout en étant en mesure de partager les torts avec le Congrès s’il s’avérait que l’armée syrienne n’était pas derrière l’attaque ». Le revirement fut une surprise même pour les dirigeants démocrates au Congrès. En Septembre le Wall Street Journal a rapporté que trois jours avant son discours au Rose Garden, Obama avait téléphoné à Nancy Pelosi, chef des démocrates de la Chambre, « pour passer en revue les options ». Selon le Journal, elle a dit plus tard à ses collègues qu’elle n’avait pas demandé au président de soumettre le bombardement à un vote du Congrès.

Le changement de position d’Obama pour susciter l’accord du Congrès s’est rapidement transformé en impasse. « Le Congrès n’allait pas laisser passer cela » a dit l’ex- responsable du renseignement. « Le Congrès a fait savoir que, contrairement à l’autorisation pour la guerre en Irak, il y aurait des audiences de fond. » D’après l’ancien responsable du renseignement, à ce moment-là, un sentiment de désespoir se faisait sentir à la Maison Blanche. « Et ainsi a été établi le plan B. Annuler le bombardement et Assad accepterait de signer unilatéralement le traité des armes chimiques et accepterait la destruction de toutes les armes chimiques sous la surveillance des Nations Unies. »

Lors d’une conférence de presse à Londres le 9 Septembre, Kerry parlait toujours de l’intervention : « le risque de ne pas agir est plus grand que le risque d’agir. » Mais quand un journaliste lui a demandé s’il y avait quoi que ce soit qu’Assad pourrait faire pour arrêter les bombardements, Kerry a déclaré: « Bien sûr. Il pourrait donner l’intégralité de ses armes chimiques à la communauté internationale d’ici la semaine prochaine … Mais il n’est pas sur le point de le faire, et ça ne peut pas être fait, évidemment. » Comme le New York Times a rapporté le lendemain, l’accord Russe qui a émergé peu après avait d’abord été contemplé par Obama et Poutine à l’été 2012. Bien que les plans d’attaque aient été mis de côté, l’administration n’a pas changé son discours public pour justifier la guerre. « Il y a une tolérance zéro à ce niveau pour les erreurs » a dit l’ex- responsable du renseignement au sujet des hauts fonctionnaires de la Maison Blanche. « Ils ne pouvaient pas se permettre de dire : « Nous avons eu tort. » (Le porte-parole du DNI a dit: « Le régime d’Assad, et seulement le régime d’Assad, aurait pu être responsable de l’attaque aux armes chimiques qui a eu lieu le 21 Août »).

L’importance de la coopération des États Unis avec la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar pour assister les rebelles en Syrie n’est pas encore claire. L’administration d’Obama n’a jamais publiquement avoué son rôle dans la création d’un « rat line », une voie rapide pour la Syrie. Ce « rat line », autorisé au début 2012 a été utilisé pour faire passer des armes et des munitions de la Libye via le sud de la Turquie et à travers la frontière syrienne jusqu’à l’opposition. La plupart de ceux qui ont reçu les armes en Syrie étaient des djihadistes, dont certains étaient affiliés à la CIA. Le porte-parole du DNI a dit : « L’idée que les USA fournissaient des armes provenant de la Libye est fausse ».

En janvier, le comité de renseignement du sénat a publié un rapport sur l’assaut par la milice locale en septembre 2012 sur le consulat américain et les locaux infiltrés de la CIA à proximité à Benghazi, résultant en la mort de l’ambassadeur des Etats Unis Christopher Stevens et trois autres. Dans le rapport, les critiques du département d’état pour ne pas avoir fourni une sécurité suffisante au consulat et de la communauté du renseignement pour ne pas avoir informé les militaires américains de la présence de locaux de la CIA ont fait la une des médias et suscité des mécontentements à Washington, les républicains accusant Obama et Hillary Clinton de dissimuler leurs erreurs. Une annexe hautement classifiée du rapport, jamais rendue publique, a décrit un arrangement secret trouvé en 2012 entre les administrations Obama et Erdoğan au sujet du « rat line ». Selon cet accord, les fonds provenaient de Turquie ainsi que d’Arabie Saoudite et du Qatar. La CIA avec le soutien du MI6 était chargée de faire passer les armes de Kadhafi en Syrie. Un certain nombre d’entreprises « façades » ont été mises en place en Libye, certaines sous couverture d’entités australiennes. Des militaires américains retraités ont été employés pour gérer les fournitures et cargaisons, sans qu’ils ne sachent toujours qui les employait. L’opération était menée par David Petraeus le directeur de la CIA, qui allait prochainement démissionner après que sa relation avec sa biographe ait été rendue publique. Un porte-parole de Petraeus a même nié l’existence de cette opération.

Au moment où elle a été mise en place, l’opération n’avait pas été divulguée aux comités de renseignement du Congrès et aux dirigeants du Congrès, comme requis par la loi depuis les années 1970. L’implication du MI6 a permis à la CIA de se soustraire à la loi en classifiant la mission comme une opération de liaison. L’ancien responsable du renseignement a expliqué que pendant des années il y a eu une exception reconnue dans la loi qui permet à la CIA de ne pas déclarer l’activité de liaison au Congrès, qui aurait dans ce cas droit à un rapport/constatation (« finding »). (Toutes les opérations secrètes de la CIA qui sont proposées doivent être décrites dans un document écrit, connu sous le nom de « constatation » (« finding »), présenté à la haute direction du Congrès pour approbation.) La distribution de l’annexe a été limitée aux aides du personnel qui ont écrit le rapport etaux huit haut membres du Congrès – les dirigeants démocrates et républicains de la Chambre et du Sénat, et les dirigeants démocrates et républicains des comités du renseignement de la Chambre et du Sénat. Ceci constitue à peine une véritable tentative de visibilité: les huit dirigeants ne sont pas connus pour se rassembler pour soulever des questions ou discuter de l’information secrète qu’ils reçoivent.
L’annexe n’a ni raconté toute l’histoire de ce qui s’est passé à Benghazi avant l’attaque, ni expliqué pourquoi le consulat américain a été attaqué. «La seule mission du consulat était de fournir une couverture pour le déplacement d’armes » l’ancien responsable du renseignement, qui a lu l’annexe, a déclaré. «Il n’avait pas de rôle politique réel. »

Washington a brusquement mis fin au rôle de la CIA dans le transfert d’armes en provenance de Libye après l’attaque contre le consulat, mais le « rat line » se poursuivait. Selon l’ancien responsable du renseignement : « Les États-Unis ne contrôlaient plus ce que les Turcs relayaient aux djihadistes ». En quelques semaines, pas moins de quarante lanceurs de missiles sol-air portatifs, communément appelés « MANPADS » [3], étaient entre les mains des rebelles syriens. Le 28 Novembre 2012, Joby Warrick du Washington Post a rapporté que la veille, les rebelles près d’Alep avaient utilisé ce qui était presque certainement un MANPAD pour abattre un hélicoptère de transport syrien. «L’administration Obama », Warrick a écrit, « était fermement opposé à armer les forces d’opposition syriennes avec de tels missiles, avertissant que les armes pourraient tomber entre les mains de terroristes et être utilisées pour abattre les avions commerciaux. » Deux fonctionnaires du renseignement du Moyen-Orient ont pointé du doigt le Qatar comme étant la source de cette livraison, et un ancien analyste du renseignement des États-Unis a émis l’hypothèse que les Manpads auraient pu être obtenus à partir des avant-postes militaires syriens envahies par les rebelles. Il n’y avait aucune indication que la possession de MANPADS par les rebelles ait été la conséquence involontaire d’un programme américain secret qui n’était plus sous contrôle américain.

À la fin de 2012, on a cru au sein de la communauté américaine du renseignement que les rebelles étaient en train de perdre la guerre. « Erdoğan était en colère » a déclaré l’ex-responsable du renseignement, « et a estimé qu’il a été écarté. C’était son argent et l’interruption a été vue comme une trahison ». Au printemps 2013 les renseignements américains ont appris que le gouvernement turc – via des éléments du MIT, son agence nationale du renseignement et de la gendarmerie, des forces de l’ordre militarisées – travaillait directement avec Al-Nusra et ses alliés pour développer des capacités pour une guerre chimique. « Le MIT était en charge de la liaison politique avec les rebelles, et la gendarmerie se chargeait de la logistique militaire, des conseils et de la formation sur le terrain – y compris la formation dans la guerre chimique », a dit l’ancien responsable du renseignement. « Renforcer le rôle de la Turquie au printemps 2013 a été considérée comme la clé de ses problèmes là-bas. Erdoğan savait que s’il cessait son soutien aux djihadistes tout serait fini. Les Saoudiens ne pourraient pas soutenir la guerre en raison de la logistique – les distances et la difficulté de transporter les armes et fournitures. Erdoğan espérait susciter un événement qui obligerait les États-Unis à franchir la ligne rouge. Mais Obama n’a pas répondu en Mars et Avril. »

Il n’y avait aucun signe public de discorde quand Erdoğan et Obama se sont rencontrés le 16 mai 2013 à la Maison Blanche. Lors d’une conférence de presse plus tard Obama a dit qu’ils avaient convenus qu’Assad « devait disparaître ». Interrogé pour savoir s’il pensait que la Syrie avait franchi la ligne rouge, Obama a reconnu qu’il y avait des preuves que de telles armes avaient été utilisées, mais il a ajouté, « il est important pour nous de faire en sorte que nous soyons en mesure d’obtenir des informations plus précises sur ce qui s’y passe exactement. » La ligne rouge était encore intacte.

Un expert de la politique étrangère américaine qui parle régulièrement avec les responsables de Washington et d’Ankara m’a parlé d’un dîner d’affaires tenu par Obama pour Erdoğan lors de sa visite en mai. Le repas a été dominé par l’insistance des Turcs que la Syrie avait franchi la ligne rouge et leur mécontentement face à la réticence d’Obama à faire quoi que ce soit. Obama était accompagné de John Kerry et Tom Donilon, le conseiller à la sécurité nationale qui allait prochainement démissionner. Erdoğan a été rejoint par Ahmet Davutoğlu, ministre des Affaires étrangères de la Turquie, et Hakan Fidan, le chef du MIT. Fidan est connu pour être très fidèle à Erdoğan, et a été considéré comme un soutien consistant de l’opposition rebelle radicale en Syrie.

L’expert de la politique étrangère m’a dit que ce qu’il avait entendu venait de Donilon. (Ce qui a été plus tard confirmé par un ancien responsable américain, qui en a pris connaissance via un diplomate turc senior.) Selon l’expert, Erdoğan avait demandé la réunion dans le but de démontrer à Obama que la ligne rouge avait été franchie, et avait apporté Fidan pour le soutenir. Quand Erdoğan a tenté de faire entrer Fidan dans la conversation, et que Fidan a commencé à parler, Obama lui a coupé la parole en disant: « Nous savons ». Erdoğan a essayé de faire participer Fidan une seconde fois, et de nouveau Obama le coupa et dit: « Nous savons. » À ce moment-là, Erdoğan exaspéré a dit: « Mais votre ligne rouge a été franchie! » et, l’expert m’a dit, ‘Donilon a dit qu’Erdoğan « avait menacé du doigt le président de la Maison Blanche ». Obama a ensuite désigné Fidan du doigt et dit: « Nous savons ce que vous faites avec les radicaux en Syrie. » (Donilon, qui a rejoint le Conseil sur les relations étrangères en Juillet dernier, n’a pas répondu aux questions sur cette histoire. Le ministère turc des Affaires étrangères n’a pas répondu aux questions au sujet du dîner. Un porte-parole du Conseil national de sécurité a confirmé que le dîner avait eu lieu et a fourni une photo montrant Obama, Kerry, Donilon, Erdoğan, Fidan et Davutoğlu assis à une table. « Au-delà de cela, dit-elle, je ne vais pas lire les détails de leurs discussions. ‘)

Mais Erdoğan n’est pas parti les mains vides. Obama permettait toujours à la Turquie de continuer à exploiter une faille dans un décret présidentiel interdisant l’exportation d’or vers l’Iran, qui faisait partie des sanctions des États-Unis contre le pays. En Mars 2012, en réponse aux sanctions des banques iraniennes par l’UE, le système de paiement électronique SWIFT, qui facilite les paiements transfrontaliers, a expulsé des dizaines d’institutions financières iraniennes, limitant sévèrement la capacité du pays à faire du commerce international. Les États-Unis ont mis en place le décret en Juillet, mais ont laissé ce qui est venu à être connu comme étant un « échappatoire d’or (golden loophole) » : les livraisons d’or à des entités privées iraniennes pourraient continuer. La Turquie est un important acheteur de pétrole et de gaz iranien, et a profité de l’échappatoire en déposant ses paiements en lires turques dans un compte iranien en Turquie; ces fonds ont servi à acheter de l’or turc qui serait exporté vers des confédérés en Iran. 13 milliards de dollars d’or seraient entrés en Iran de cette manière entre Mars 2012 et Juillet 2013.

Le programme est rapidement devenu une vache à lait pour les politiciens corrompus et les commerçants en Turquie, en Iran et aux Emirats arabes unis. « Les intermédiaires ont fait ce qu’ils font toujours », a dit l’ex-responsable du renseignement. « Prendre 15 pour cent. La CIA a estimé qu’il n’y avait pas moins de deux milliards de dollars retenus. L’or et la livre turque leur « collaient aux doigts ». Les retenues illicites se sont transformées en scandale public « du gaz pour de l’or » en Turquie en Décembre, et a donné lieu à des accusations contre deux douzaines de personnes, y compris d’importants hommes d’affaires et des proches de responsables gouvernementaux, ainsi que la démission de trois ministres, dont un qui a appelé Erdoğan à démissionner. Le directeur d’une banque contrôlée par l’Etat turc qui était au milieu du scandale a insisté les 4,5 millions de dollars en espèces retrouvé par la police dans des boîtes à chaussures au cours d’une perquisition à son domicile étaient destinés à des dons de bienfaisance.

L’année dernière Jonathan Schanzer et Mark Dubowitz ont signalé dans Foreign Policy que l’administration Obama a fermé cet échappatoire en Janvier 2013, mais « ont fait pression pour s’assurer que la législation … ne prenne pas effet pendant six mois ». Ils ont spéculé que l’administration voulait utiliser le retard comme une incitation à amener l’Iran à la table des négociations sur son programme nucléaire, ou pour apaiser son allié turc dans la guerre civile syrienne. Le délai a permis à l’Iran d’accumuler des milliards de dollars de plus en or, ce qui compromet davantage le régime des sanctions ».

La décision américaine de mettre fin au soutien de la CIA pour les livraisons d’armes en Syrie a exposé Erdoğan politiquement et militairement. « L’une des questions à ce sommet en mai était le fait que la Turquie est le seul moyen de fournir les rebelles en Syrie » a dit l’ancien responsable du renseignement. « Elles ne peuvent pas venir par la Jordanie, car le terrain dans le sud est grand ouvert et les Syriens sont partout. Et elles ne peuvent pas venir par les vallées et les collines du Liban – on ne peut pas être certain de qui on rencontrerait l’autre côté ». Sans le soutien militaire des États-Unis pour les rebelles, l’ancien responsable du renseignement a déclaré, « le rêve d’Erdoğan d’avoir un état client en Syrie s’évapore et il pense que nous en sommes la raison. Lorsque la Syrie gagnera la guerre, il sait que les rebelles sont tout aussi susceptibles de se retourner contre lui – où peuvent-ils aller d’autre? Alors maintenant, il aura des milliers de radicaux dans son jardin. »

Un consultant du renseignement américain m’a dit que quelques semaines avant le 21 Août, il avait vu une information hautement classifiée préparée pour Dempsey et le secrétaire à la défense, Chuck Hagel, qui décrivait « l’inquiétude aiguë » de l’administration Erdoğan au sujet des perspectives décroissantes des rebelles. L’analyse mettait en garde sur le fait que les dirigeants turcs ont exprimé « la nécessité de faire quelque chose qui précipiterait une intervention militaire des États-Unis ». A la fin de l’été, l’armée syrienne avait encore l’avantage sur les rebelles, a dit l’ancien responsable du renseignement, et seulement la puissance aérienne américaine pourrait inverser la tendance. À l’automne, l’ancien responsable du renseignement poursuivit, les analystes du renseignement des États-Unis qui continuaient de travailler sur les événements du 21 Août  » ont senti que la Syrie n’était pas derrière l’attaque au gaz. Mais le « gorille de 500 livres ? » (le « monstre ») l’était, comment cela se fait-il ? Les Turcs ont été immédiatement suspectés, parce qu’ils avaient tous les éléments pour y arriver ».

Pendant que des données interceptées et autres données relatives aux attaques du 21 août étaient recueillies, la communauté du renseignement a vu des preuves pour étayer ses soupçons. « Nous savons maintenant que c’était une action secrète prévue par les gens d’Erdoğan pour pousser Obama à franchir la ligne rouge », a déclaré l’ancien responsable du renseignement. « Il fallait que cela dégénère en une attaque au gaz dans ou près de Damas, lorsque les inspecteurs de l’ONU » – qui sont arrivés à Damas le 18 Août pour enquêter sur des utilisations antérieures du gaz – étaient là. L’accord était de faire quelque chose de spectaculaire. Nos officiers supérieurs ont été informés par la DIA et autres moyens de renseignement que le sarin a été fourni via la Turquie – qu’il ne pouvait arriver là qu’avec le soutien de la Turquie. Les Turcs ont également dispensé une formation dans la production et la manipulation du sarin. » La majeure partie des informations permettant cette évaluation provenait des Turcs eux-mêmes, par l’intermédiaire de conversations interceptées dans le sillage immédiat de l’attaque. « Les preuves principales étaient les réjouissances et le contentement turcs après l’attaque relevé dans de nombreuses données interceptées. Les opérations sont toujours planifiées de manière super-secrète, mais tout part en fumée quand il s’agit de s’en vanter après. Il n’y a pas de plus grande vulnérabilité que lorsque les auteurs réclament de la reconnaissance pour leur succès. » Les problèmes d’Erdoğan en Syrie seraient bientôt terminés:« le gaz s’échappe et Obama dira ligne rouge et l’Amérique attaquera la Syrie, ou au moins, c’était l’idée. Mais ça ne s’est pas passé de cette façon. »

Après l’attaque de la Turquie, les renseignements ne sont pas arrivés jusqu’à la Maison Blanche. « Personne ne veut parler de tout cela » l’ex-responsable du renseignement m’a dit. « Il y a une grande réticence à contredire le président, bien qu’aucune analyse de la communauté du renseignement n’ait soutenu sa précipitation à condamner. Il n’y a pas eu un seul élément de preuve supplémentaire de l’implication syrienne dans l’attentat au sarin produit par la Maison Blanche depuis que le bombardement a été annulé. Mon gouvernement ne peut rien dire parce que nous avons agi de manière tellement irresponsable. Et puisque nous avons tenu Assad responsable, nous ne pouvons pas revenir en arrière et accuser Erdoğan.

La volonté de la Turquie à manipuler les événements en Syrie à ses propres fins semblait avoir été démontrée à la fin du mois dernier, quelques jours avant le premier tour d’élections locales, quand un enregistrement, prétendument d’Erdoğan et ses associés, a été publié sur YouTube. Il comprenait des discussions au sujet d’une opération sous faux pavillon qui justifierait une incursion de l’armée turque en Syrie. L’opération était centrée sur le tombeau de Suleyman Shah, le grand-père du très vénéré Osman I, le fondateur de l’Empire ottoman, qui est près d’Alep et a été cédée à la Turquie en 1921 lorsque la Syrie était sous la domination française. Une des factions rebelles islamistes menaçait de détruire la tombe en tant que site d’idolâtrie, et l’administration Erdoğan menaçait publiquement de représailles s’il lui arrivait quoi que ce soit. D’après un rapport de Reuters portant sur la conversation ayant fait l’objet de fuites, une voix censée être celle de Fidan parlait de créer une provocation: « Maintenant, regardez, mon commandant [Erdoğan], si l’on veut avoir une justification, j’envoie quatre hommes de l’autre côté. Je leur fais lancer huit missiles sur un terrain ouvert [dans le voisinage de la tombe]. Ce n’est pas un problème. La justification peut être créée. » Le gouvernement turc a reconnu qu’il y avait eu une réunion nationale de sécurité sur les menaces émanant de la Syrie, mais a déclaré que l’enregistrement avait été manipulé. Le gouvernement a ensuite bloqué l’accès du public à YouTube.

À moins d’un changement majeur de politique par Obama, l’intrusion de la Turquie dans la guerre civile syrienne est susceptible de continuer. « J’ai demandé à mes collègues s’il y avait un moyen d’arrêter le soutien continu d’Erdoğan aux rebelles, surtout maintenant que ça va si mal » m’a dit l’ancien responsable du renseignement. « La réponse a été: « Nous sommes foutus. » Nous pourrions en parler publiquement si c’était quelqu’un d’autre que M. Erdoğan, mais la Turquie est un cas particulier. C’est un allié de l’OTAN. Les Turcs ne font pas confiance aux occidentaux. Ils ne peuvent pas vivre avec nous si nous menons une démarche active contre les intérêts turcs. Si nous rendions public ce que nous savons sur le rôle de M. Erdoğan avec le gaz, ce serait catastrophique. Les Turcs diraient: « Nous vous détestons pour nous dire ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire. »

4 Avril 2014

[1] Front Al-Nosra, également dénommé Jabhat al-Nosra ou Nosra « Front pour la victoire du peuple du Levant »), est un groupe djihadiste de rebelles armés affilié à Al-Qaïda, apparu dans le contexte de la guerre civile syrienne. À partir de novembre 2013, il prend également le nom de al-Qaïda Bilad ash-Sham « al-Qaïda au Levant » (AQAL. Il est dirigé par Abou Mohammad Al-Joulani. Il est en passe devenir en 2013 le plus important groupe rebelle de la guerre civile syrienne. Il est également doté d’une branche libanaise, qui revendique un attentat commis à Beyrouth en janvier 2014.

[2] Seymour « Sy » Myron Hersh est un journaliste d’investigation américain, né le 8 avril 1937 à Chicago, spécialisé dans la politique américaine et les services secrets. Il écrit notamment pour The New Yorker.

[3] Missile Russe SAM 7.


L’évolution de la situation militaire en Irak les 20 et 21 juin

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La situation militaire a peu évoluée ces dernières 48 heures à l’exception de la prise de contrôle par ISIL:

  • du poste frontière AL Qa’im avec la Syrie
  • de 5 villages dans le district de Al Moqdad

Les forces de sécurité irakiennes contrôlent toujours la raffinerie de Baiji.

Les faits à suivre : y aura-t-il une suite aux combats qui ont opposé ISIL et le JRTN au Sud-Ouest de Mossul ? Comment les divergences qui s’expriment entre sunnites de Mossul sur le soutien à apporter à ISIL vont-elles évoluer à la lumière de ces combats ?

irak-21-juin-2014

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL


Evolution de la situation militaire en Irak : bilan des 18 et 19 juin 2014

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Durant ces dernières quarante-huit heures tant à l’Ouest et au Sud du Kurdistan les Peshmergas ont conforté leurs positions, tandis qu’à l’Ouest et au Nord de Bagdad les forces de sécurité irakiennes ont repris l’offensive enregistrant des premiers succès. Les djihadistes s’efforcent de couper toute continuité géographique entre les forces de sécurité irakienne et les Peshmergas.
irak-21-06-2014

Gouvernorat de Kirkuk

Des violents combats ont eu lieu en différents endroits de la périphérie de Kirkuk après plusieurs salves de roquettes « Katioucha » tirées par les Peshmergas contre les insurgés dans la région de Mulla Abdulla 10 km à l’Ouest de Kirkuk ; Ces combats n’ont permis aucun progrès des insurgés vers la ville contrôlée entièrement par les Peshmergas appuyées par des miliciens turkmènes.

Néanmoins les djihadistes essaient de contourner Kirkuk par le Sud afin de contrôler la route Bagdad Kirkuk où 7 Peshmergas ont été tués par l’explosion d’un IED.

Gouvernorat de Salah Uddin

Les combats autour de la raffinerie de Baiji se sont poursuivis. Les attaques des djihadistes d’ISIL ont été repoussées. Au cours de ces combats le chef Djihadiste saoudien nommé Abu Yamama al-Dosari a été tué. Les 200 employés qui restaient encore dans la raffinerie ont pu être évacués.

Des violents combats ont opposé les forces de sécurités irakiennes et les insurgés à Al Alam au 5 km Nord de Tikrit.

Les Peschmergas, sous la pression des insurgés et des djihadistes se sont retirés du district de Tuz Khurma qui est un important carrefour à 50Km au Sud de Kirkuk.

Gouvernorat de Diyala

Le gouverneur de Diyala a échappé à un attentat alors qu’il visitait à Baqubah la prison où 40 prisonniers appartenant à Al-Qaida ont été exécutés il y a quatre jours.

Des combats ont opposés les Peshmergas et les insurgés dans le district de Jalawla. La ville de Qarah Tappah est contrôlée par les Peshmergas.

Les forces de sécurités irakiennes contrôlent 6 villes dans le Sud du gouvernorat, les peshmergas le Nord et les djihadistes et insurgés 9 villes dans le centre

Gouvernorat d’Al Anbar

Les forces de sécurité irakiennes ont repris l’offensive dans ce gouvernorat.

Les combats se poursuivent dans le district d’Al Qaem à proximité de la frontière Syrienne qui contrôle la route directe Alep Bagdad. Les Forces de sécurité irakienne ont repris les contrôle de la ville de Nahr as Saqlawiyah qui couvre l’axe principal (N1) Bagdad Bassora et du village Abu Taiban au Sud de la ville de Ramadi. Par ailleurs, elles ont repoussé une attaque contre le poste de police de Haditha au Nord-Ouest de Ramadi.

Bagdad

Bagdat totalement quadrillé par les forces de l’ordre Est calme seuls deux attentats ont été signalés qui ont blessé 5 civils.

Gouvernorat de Karbala

Une grande manifestation organisée par le gouverneur de la Province s’est tenue hier au cours de laquelle 5000 volontaires réservistes de l’Armée ont été mobilisés pour sécuriser la province.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL


Situation militaire en Irak, le 17 juin 2014

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Voici la situation militaire en Irak, hier 17 juin telle que j’ai pu la reconstituer avec l’aide de plusieurs messages de mes amis irakiens. On voit que les djihadistes n’ont pas pu déboucher hors des zones à dominante sunnite. Les Peshmergas ont avancé et contrôlent toutes les zones à dominante de peuplement Kurde. Bagdad est calme. Le rétablissement de la situation dans ces zones prendra du temps et passe par la négociation avec les tribus sunnites. Sinon la ligne de front actuelle marque le tracé de la partition de l’Irak où son évolution en trois États fédérés.

irak-juin-2014

Gouvernorat de Kirkuk

La ville et une grande partie du gouvernorat est sous le contrôle des Peshmergas. Néanmoins le District de Daqooq et la ville d’Al Hawija sont sous le contrôle des djihadistes.

Gouvernorat de Salu Uddin et ville de Tikrit

Les villes de TIkrit, Albu, Seniya, Eoainat, Sulaiman, Bek et les faubourgs d’Awja sont contrôlés par les djihadistes et les insurgés sunnites. Les combats se déroulent autour de Samara et de la raffinerie de Baiji dont la production a été stoppée et le personnel évacué.

Gouvernorat de Diyala

La population est mélangée d’Arabes et de Kurdes majoritairement sunnites. Au Nord les Peshmergas ont occupé les zones à majorité Kurdes : Jalawla, Khanaqin and KaraTaba. Les Faubourgs de Al Uthaim et Saadiya sontcontrôlés par les insurgés sunnites. Baquba, le chef-lieu de la province est l’objet d’attaques d’insurgés sunnites.

Gouvernorat d’Al Anbar

Faludja et pratiquement tout le gouvernorat est contrôlé par les insurgés sunnites notamment la ville frontière de Trebil, Kubaisa, Ana, Rawa, Rutba, Heet et Haditha sont contrôlées par les insurgés sunnites et les djihadistes. Néanmoins les forces de sécurité irakiennes contrôlent toujours le district d’Al Khalidiya.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL


La situation en Irak et perspectives

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Écoutez également l’interview accordée par Jean-Bernard PINATEL à FRANCE CULTURE, lors du journal du 12 Juin 2014, à 22h :

Irak : les jihadistes s’approchent de Bagdad, Barack Obama n’exclut aucune option

Les faits

Mossoul, la deuxième ville d’Irak, bordée de champs pétroliers, est tombée, mardi 10 juin, aux mains de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Mercredi matin, cinq cent mille civils fuyaient la ville, selon l’Organisation internationale pour les migrations.

Après le gouvernorat Al-Anbar avec la ville de Falloujah (200 000 habitants 15ème ville d’Irak), mythique pour les Marines américains qui est aux mains des djihadistes qui ont trouvé appui ou neutralité auprès des tribus sunnites écœurées par le sectarisme du Premier Ministre Maliki, voici Mossoul (2 000 000 habitants-3ème ville d’Irak) qui est aux mains des Djihadistes. Ils contrôlent désormais une zone à cheval sur le Nord Est de la SYRIE et le Nord Ouest de l’Irak.
groupes

Analyse de la situation

Cette offensive Djihadistes tombe au plus mauvais moment pour le Premier Ministre sortant Al Maliki. Certes sa liste “coalition pour l’État de droit” est arrive en tête aux dernières élections législatives de fin Avril 2014 mais avec 92 députés il a besoin de nouer des alliances pour atteindre la majorité de 165 sièges. Or les deux autres grands partis shiites, la coalition libérale de Moktar Al Sahr (34 députés) et la Coalition des citoyens de Ammar Al Hakimi (27 députés) ont déclaré être prêts à s’allier avec la coalition de l’État de droit pour gouverner à condition que ce parti désigne un autre chef de file que Maliki. Est-ce l’urgence de la situation militaire nouvelle va infléchir leur position et voter l’État d’urgence et les pleins pouvoirs que réclame Maliki.

A-t-il d’autres solutions alternatives ? Une alliance avec les Kurdes qui ont 62 députés [1] n’est réalisable qu’à deux conditions : qu’il cède sur le statut de Mossoul et de Kirkuk et des champs pétroliers qui les entourent. Les Kurdes en revendiquent le contrôle. Et, de plus, qu’il autorise le Kurdistan à attribuer des concessions et à exporter directement son pétrole via la Turquie sans autorisation préalable de Bagdad. A ce prix politique que Maliki a toujours refusé de payer jusqu’à présent, les peshmergas qui disposent d’une force de plus de 150 000 hommes bien entrainée et équipée sont en mesure de chasser les islamiques des positions qu’ils viennent de conquérir. Ce n’est malheureusement pas le cas de l’Armée irakienne qui a été dissoute par les américains et a été reconstituée à partir de 2009 en incorporant notamment des milices sans tradition ni valeur militaire. De plus Maliki s’est toujours méfiée de l’Armée et elle est donc mal équipée et mal entrainée.

Perspectives

Les djihadistes contrôlent aujourd’hui en Irak toutes les zones à forte implantation sunnite qui sont situées essentiellement à l’Ouest de l’Irak, créant un continuum avec le Nord Syrien où ils règnent aussi par la terreur. Mais aujourd’hui Ils ont atteint le point ultime de leur conquête. Et ils ne pourront pas conserver ces zones bien longtemps soit du fait de l’alliance de Maliki avec les Kurdes qui serait une solution irakienne et dont la mise en œuvre peut être rapide soit à moyen terme du fait de l’intervention des Turcs et des iraniens qui ne peuvent accepter de voir se constituer à leurs frontières un nouvel sanctuaire djihadiste. Notons que si l’Arabie Saoudite et le Qatar, les États-Unis voire la France de François Hollande ne les avaient pas aidés à fonds perdus en Syrie en croyant pouvoir es utiliser pour atteindre leurs objectifs stratégiques on n’en serait pas là. Mais les terroristes se sont émancipés de la tutelle de leurs sponsors grâce à des trafics de tout ordre dont la contrebande du pétrole extrait des champs pétroliers de Syrie qu’ils contrôlent. Au final ce sont toujours les populations civiles qui sont les victimes des erreurs de jugement de leurs dirigeants au Moyen-Orient aujourd’hui et demain en Europe.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

Auteur de Carnet de guerres et de crises 2011-2013, Lavauzelle, Mai 2014

[1] Les autres formations sont la coalition Sunnite avec 55 députés qui restera plus que jamais dans l’opposition et les listes laïques (26 députes) et divers (11 députés) qui ne peuvent être qu’une force d’appoint.


CARNET DE GUERRES ET DE CRISES : 2011 – 2013

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CARNET DE GUERRES ET DE CRISES : 2011 - 2013

Parution mai 2014

Général (2S), officier parachutiste, instructeur commando, Jean-Bernard Pinatel est un dirigeant d’entreprise et un consultant international, expert reconnu en intelligence économique et en gestion des risques. Titulaire de plusieurs titres de guerre, blessé en opérations, il est breveté de l’École Supérieure de Guerre et ancien auditeur de l’IHEDN. Docteur en études politiques, diplômé en physique nucléaire, il est l’auteur de quatre livres sur les questions géopolitiques.

Carnet de guerres et de crises - Jean-Bernard Pinatel

Il s’agit ici, à travers des chroniques de guerres, de crises et d’analyses de dossiers brûlants, de proposer le regard sans concession d’un officier parachutiste devenu chef d’entreprise, homme de terrain et de réflexion, sur les années 2011-2013 qui ont marqué une inflexion majeure dans le contexte international qui détermine la sécurité et le développement économique de la France et de l’Europe. Ces chroniques, postées sur le blog www.geopolitique-geostrategie.fr et reprises dans divers médias, expliquent clairement les enjeux et mettent en lumière les faits déterminants, souvent peu connus qui sous-tendent ces événements. L’auteur, en citoyen libre et responsable, réfute les explications sommaires de commentateurs soucieux de sensationnel, dévoile les signaux faibles et les facteurs porteurs d’avenir qui déterminent l’évolution de ces événements et critique sans langue de bois, chaque fois que nécessaire, l’amateurisme ou le caractère partisan des décisions politiques qui ne sont pas conformes aux intérêts de la France.

EXTRAITS

INTRODUCTION - page 7 - 2011-2013, trois années d’évolutions géopolitiques majeures

« … Il s’agit ici, à travers des chroniques de guerres, de crises et d’analyses de dossiers brûlants, de proposer le regard d’un officier parachutiste, homme de terrain et de réflexion, sans concession aux partis.

Ces articles mettent en lumière le contexte géopolitique et stratégique de ces événements qui sont autant de facteurs déterminants de l’évolution des relations internationales, de la sécurité et du développement économique de la France et de l’Europe. Ils s’attachent à souligner la notion d’ « intérêts permanents » au-delà de toute réaction émotionnelle qui, bien souvent en démocratie, entache le jugement et les décisions des responsables politiques soumis à la pression des médias et des opinions publiques… »

L’évolution de l’influence de la France 2011-2013 - page 16

« … Ces trois années ont vu le maintien de l’influence de la France en Afrique grâce à l’efficacité de son outil militaire démontrée en Afrique (Lybie, Mali) mais une perte sensible au Moyen-Orient du fait des erreurs géopolitiques et stratégiques de François Hollande. Le Président, chef de la diplomatie et des armées, sous l’influence américaine et celle des lobbies juifs en France, a surestimé les risques du nucléaire iranien et sous-estimé la nature confessionnelle de la guerre en Syrie où les crimes contre l’humanité sont malheureusement le fait des deux camps… »

Mali : que peut-on montrer de la guerre - page 207

« … Il faut permettre à des journalistes d’accompagner nos forces à la seule condition qu’ils ne mettent pas en danger nos soldats par leurs reportages et donc qu’ils respectent certains embargos. Par exemple pour l’Armée de l’Air, ils ne doivent pas rendre compte du décollage de nos avions pour une mission de bombardement jusqu’à ce que ces derniers soient rentrés sains et saufs à leur base. Il ne faut pas non plus montrer l’ensemble de notre dispositif à un endroit précis ou ne pas faire des zooms sur les antennes de nos moyens de détection électroniques, etc.

C’est pour cela qu’il faut des journalistes accrédités défense, c’est-à-dire des journalistes spécialisés ayant acquis une formation de base sur les questions militaires, pour qu’ils soient en mesure de réaliser eux-mêmes cette autolimitation nécessaire à la sécurité de nos forces. C’est la seule contrainte que doivent accepter les rédacteurs-en-chef : avoir dans leur rédaction suffisamment de journalistes accrédités s’ils veulent être autorisés à couvrir les opérations militaires… »

CONCLUSION - page 214 (deux derniers paragraphes)

… « Dans le concert des nations, les États n’ont que des intérêts. Certains sont partagés et mondiaux comme la lutte contre le réchauffement climatique ; d’autres sont régionaux comme l’union économique européenne mais aucun n’implique la vassalisation de la France aux intérêts américains et israéliens telle qu’on l’observe aujourd’hui sous la Présidence de François Hollande. La France et les Français n’y en tireront aucun bénéfice économique. Tous ceux qui, comme moi, sur le terrain aident les entreprises françaises à se développer au Moyen-Orient, savent que les entreprises américaines et israéliennes concurrentes foulent au pied les normes anticorruption internationales avec la complicité de l’administration américaine qui les a établies. Ils se servent de cette moralisation, affichée mais jamais pratiquée, pour contrer les concurrents des États-Unis.

Bien plus, je soutiens que cette politique d’alignement sur les États-Unis, à laquelle le Général de Gaulle s’était toujours opposé, dessert fondamentalement les intérêts de la France et des Français. Elle ne peut qu’accroître le chaos mondial, pénaliser notre développement économique et mettre en danger la sécurité des Français. Malgré le travail admirable de nos services anti-terroristes, que les médias clouent au pilori lorsqu’un djihadiste réussit à passer entre les mailles du filet, nous allons devoir faire face, dans les années à venir, à des attentats sur notre sol qui seront liés directement à la politique partisane et irresponsable menée par notre gouvernement au Moyen-Orient et en Asie centrale. Elle ne sert que des intérêts particuliers ou étrangers qui ne sont pas ceux de la France.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL


Ukraine : les pulsions isolationnistes des Etats-Unis et le manque de coordination de l’UE aggravent-ils la situation ?

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Tandis que la diplomatie américaine reste partagée entre l’expansionnisme et la prudence en Ukraine, l’Europe continue d’hésiter sur l’adoption de sanctions économiques qui pourraient l’handicaper. Un piétinement qui ne risque pas d’arranger la situation alors que le risque de débordements est toujours bien présent.

Atlantico : Bien que Barack Obama ait promis de nouvelles sanctions à l’encontre du Kremlin suite au drame d’Odessa, les pro-russes semblent continuer leur avancée dans l’Est du pays. Pendant ce temps, l’Europe continue d’être divisée sur la marche à suivre. En quoi ce manque de coordination aggrave-t-il la situation ?

Jean-Bernard Pinatel : S’il est évident que le camp occidental, et plus particulièrement l’Europe, est divisé sur la marche à suivre, je ne pense pas qu’un manque de coordination soit le problème déterminant pour expliquer les risques actuels. Il y a pour l’instant deux acteurs centraux : le gouvernement de Kiev et les pro-russes de l’Est, et quoi que l’on en dise, leurs actions ne sont pas uniquement le résultat de manipulations émanant des uns et des autres. S’ils sont en ce moment dans une claire logique d’affrontement, on le voit à Odessa et ailleurs, Moscou n’a aucunement l’envie de voir la situation dégénérer pour autant. Il en va de même pour l’Allemagne et certains pays d’Europe Centrale, l’ambiguïté diplomatique de Berlin ayant été bien illustrée par les récentes déclarations de l’ex-Chancelier Schroeder qui prône une stratégie du dialogue avec Poutine. Il est en effet conscient, comme beaucoup d’Allemands, des conséquences que pourrait avoir une spirale de sanctions économiques qui pénaliseraient le commerce à l’Est. La France de François Hollande continue pour sa part d’appliquer en bon vassal les directives de Washington et campe sur une position de va t-en guerre qui détone très peu de celle prônée par les États-Unis. L’Europe ne marche clairement pas comme un seul homme et semble ainsi condamnée à l’impuissance.

En face, la stratégie de Moscou reste d’après moi de nature défensive après l’annexion réussie de la Crimée, une trop forte poussée des pro-russes risquant d’aboutir à une partition de l’Ukraine et donc à terme au rattachement de Kiev, berceau historique de la Russie, au giron de l’Union Européenne et de l’OTAN. Moscou aurait dans l’absolu bien plus intérêt à conserver une Ukraine pleine et entière qui deviendrait une « nouvelle Finlande », c’est-à-dire un état frontalier à la neutralité bienveillante à l’encontre du Kremlin. La demande par Vladimir Poutine à l’OSCE d’organiser une table ronde sur l’Ukraine dès cette semaine à Moscou semble ainsi bien démontrer cette volonté de calmer le jeu pour le moment.

Pour Washington, l’objectif final reste d’empêcher coûte que coûte une extension de la Russie à l’Ouest et la formation d’un bloc eurasiatique qui viendrait contrer la puissance maritime des États-Unis. Cette théorie, forgée par des conseillers d’influence comme Zbigniew Bzrezinski continue actuellement de dicter une bonne partie des enjeux américains dans la région. L’intérêt américain est donc premièrement d’utiliser le « coin » ukrainien pour pousser à la division de l’Europe.

On ressort justement beaucoup la théorie du « Grand Echiquier » de Brzezinski pour décrypter le caractère offensif de la stratégie américaine en Europe. La Maison Blanche n’est-elle toutefois pas modérée dans le même temps par des volontés moins bellicistes ?

Il est tout à fait clair que Barack Obama, président démocrate par ailleurs, souhaite consacrer son deuxième mandat à la résolution des problèmes intérieurs des Etats-Unis plutôt qu’au lancement de nouvelles aventures militaires. Il doit toutefois compter avec l’importance du lobby militaro-industriel américain et sa volonté de maintenir un « ennemi extérieur » pour justifier le poids de l’administration fédérale, poids souvent contesté sur la scène politique intérieure. Le consentement à l’impôt est ainsi directement corrélé, ne serait-ce que dans l’esprit de nombreux décideurs américains, à des enjeux de sécurité sur la scène internationale. Laurent Fabius, et plus largement la France, font parti de ceux qui épousent totalement cette vision du monde actuellement. Néanmoins, certains hommes politiques mis en place par Obama (on pense notamment à Chuck Hagel, actuel Secrétaire d’État à la Défense, NDLR) s’avèrent effectivement très sceptiques sur la menace russe, le principal enjeu étant aujourd’hui de consolider les intérêts américains dans le Pacifique, zone autrement plus sensible et stratégique que l’Europe actuellement.

L’opinion publique américaine semble par ailleurs de plus en plus divisée, seulement 53% étant favorable aux sanctions contre Moscou alors que 62% de la population reste fermement opposée à l’option militaire. La Maison Blanche a-t-elle de plus en plus de mal à faire valoir l’interventionnisme auprès de ses électeurs ? En quoi cela peut-il impacter sa politique ?

Les Américains ont une mémoire politique (contrairement aux Français semble t-il) et ont bien gardé en tête le souvenir de l »entourloupe autour des armes de destruction massive en 2003. A cela s’ajoute les centaines de cercueils américains qui sont, chaque année, retournée sur le sol national sous l’œil des caméras. Dans un tel contexte, l’opinion américaine n’a effectivement plus envie de soutenir des interventions dont les intérêts immédiats pour l’Amérique semblent quasi-inexistants. Les citoyens étant de moins en moins réceptifs aux stratégies de la tension utilisées jusqu’ici, Washington aura de fait de plus en plus de mal à déclencher des opérations extérieures sans un soutien intérieur.

Jusqu’où Poutine pourra t-il être tenté d’aller pour tester ces limites de la diplomatie occidentale ?

Vladimir Poutine est en vérité très gêné par la situation actuelle, forcé qu’il est de ne pas trop mécontenter les velléités nationalistes des Russes et des Ukrainiens russophones face aux provocations du gouvernement de Kiev (opérations militaires, tentative de suppression du russe comme seconde langue officielle…). Un débordement ne pourrait aboutir qu’à une partition de l’Ukraine qui signifierait, encore une fois, le rattachement de Kiev au bloc occidental et la présence de l’OTAN aux frontières de la Russie. Les atouts de Moscou sont en vérité économiques et politiques dans cette affaire, l’Ukraine se retrouvant aujourd’hui face à une dette publique et un déficit abyssal que Bruxelles et le FMI seraient bien en mal de combler aujourd’hui sans imposer des réformes drastiques que le gouvernement sera incapable de mener. Les prochaines élections tourneront ainsi autour de deux enjeux, la situation budgétaire et le prix du gaz, deux thèmes sur lesquels Moscou dispose d’un net avantage stratégique. Poutine semble en tout cas prêt à mettre beaucoup d’argent sur la table au regard de l’importance d’un tel enjeu pour son opinion publique afin de ramener à Kiev un gouvernement qui lui soit moins défavorable.

« L’actuel secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel a déclaré le 2 mai « Les 28 membres de l’Otan doivent augmenter leur budget consacré à la défense malgré leurs difficultés financières pour faire face à Moscou qui, sur le long terme, va chercher à tester l’Alliance atlantique ». Faut-il y voir le départ d’un renouveau militaire pour le Vieux Continent ?

On constate malheureusement que la tendance est plutôt actuellement à la baisse des budgets militaires, notamment en France. Ce type de déclarations américaines se faisait déjà entendre lors du conflit libyen alors que Washington constatait amèrement que seul Londres et Paris étaient capables de mener une opération extérieure digne de ce nom, le tout sous condition d’un soutien logistique de l’US Navy. Un « renouveau » de l’Europe est en tout cas difficile à imaginer pour l’instant, d’autant plus que les dirigeants occidentaux ont compris que la Russie n’était pas dans une logique d’agression militaire actuellement. En politique étrangère comme en politique intérieure, Hollande n’a plus les moyens militaires et économiques de ses émotions.

Source : ATLANTICO


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