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Le militaire et la parole publique

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Je publie sur mon blog cette analyse que j’ai reçue via mon réseau. Elle qui a été écrite par un colonel dont je ne publie pas le nom parce que je n’ai pas réussi encore à le joindre pour obtenir son autorisation.

L’air du temps est à la morosité à un an d’une élection que l’ensemble du pays considère comme une échéance déterminante. L’insatisfaction est partout, les récriminations se multiplient pour contester un système social considéré comme inefficace et injuste par la fraction la plus activiste de la population. Les institutions républicaines sont décriées, jugées incapables de relayer les clameurs grandissantes et de prendre en compte les besoins les plus élémentaires de tout un chacun, quand ce n’est pas ceux des indigents qui frappent à notre porte et que notre morale oblige à secourir. Les débordements sociaux conduisent à des spectacles de guerre civile devenus insupportables. Cependant, l’agression de l’Islam obscurantiste risque de frapper de nouveau notre territoire, tandis que les périls se multiplient sur la scène internationale. L’armée et la police sont aux abois. L’Etat endetté plus que de raison semble impotent pour faire face à ce marasme. Le pays en devient ainsi l’un des plus pessimistes de la planète.

Il ne nous appartient pas de donner les recettes pour faire face. Les programmes électoraux proposés pour apporter paix et harmonie se multiplient et ainsi redonner espoir aux Français. Des événements récents consacrent cependant l’interdiction faite à la société militaire de participer à ce grave débat. Celle-ci est en effet soumise dans notre pays à un devoir de réserve qu’elle respecte scrupuleusement et peine ainsi à se faire entendre lorsque certains de ses membres jugent nécessaire de le faire. Ces épisodes amènent à considérer que cette obligation place plus que jamais les militaires en situation de sous-citoyenneté. Les affaires se multiplient et mettent en cause le sommet de la hiérarchie, plus particulièrement des officiers généraux en première ou deuxième section dont le rôle non accessoire est de défendre les personnels placés sous leurs ordres ainsi que le devenir de l’institution militaire, celle-ci ne disposant pas, ou encore si peu, d’une représentativité corporatiste pour s’exprimer.

Ce constat touche au fonctionnement élémentaire de l’Etat. L’institution militaire participe en effet, avec la diplomatie, la justice ainsi que la police, aux pouvoirs régaliens de l’Etat. Ces pouvoirs sont ceux de la souveraineté. Ils définissent l’Etat originel, ceux pour lesquels il a été créé, c’est-à-dire pour pourvoir à un besoin élémentaire devenu son premier devoir : la sécurité de chacun. Les armées assurent la défense du pays, leur existence conditionne celle du pays, sa toute première sécurité. Les incidents sus évoqués amènent donc à se poser la question : pourquoi cette aliénation sur un sujet si grave, ce cantonnement du militaire ? Une tradition lointaine qui prétend être fondatrice de la démocratie soumet le pouvoir militaire au pouvoir civil. « Cedant arma togae », « Que les armes le cèdent à la toge » est ainsi la parole de Cicéron communément et fort savamment rapportée. Le gouvernement militaire, représenté par les armes, doit faire place au gouvernement civil, représenté par la toge. Qu’en est-il vraiment ? Replaçons cette parole dans son contexte : Celle-ci intervient dans celui d’une guerre civile romaine qui mettra fin à la direction collégiale de la république. Cicéron finira lui-même assassiné dans cette période sombre de l’histoire de Rome. La guerre civile, vécue par l’auteur, guerre qui est toujours la pire de toutes, inspire assurément cette parole. L’histoire de France est également marquée par la guerre civile et un nombre conséquent de coups d’Etat militaires. Le pouvoir en place a été bousculé pour un projet ayant souvent conduit à la catastrophe historique et à l’abaissement du pays. Plus récemment, c’est la conséquence des événements douloureux de la décolonisation, en Algérie plus particulièrement avec le putsch d’avril 1961, qui a placé l’armée sous surveillance et contribué à durcir le droit d’expression des militaires et leur devoir de réserve. Acteur potentiel de la sédition, le pouvoir militaire est considéré comme liberticide, générant l’impéritie et de grands déboires nationaux. C’est la menace de guerre civile, la crainte de l’instauration par la force d’un pouvoir non démocratique qui place le militaire dans l’état de sujétion que nous lui connaissons. Ainsi de récentes prises de parole ou comportement d’officiers généraux à propos de décisions gouvernementales ont immédiatement conduit à des commentaires de presse évoquant un prochain coup d’état militaire, en jetant même quelques noms en pâture à la vindicte publique. Les agents de l’Etat sont tout également soumis au devoir de réserve mais c’est sans les armées, devenues « la grande muette » que ce devoir s’avère être le plus rigoureux. Pour autant, nombre de fonctionnaires civils sous couvert de leur représentation syndicale transgressent allègrement et impunément leur devoir de réserve.

Le militaire s’y est dignement résigné, par éthique, la détention des armes de la nation et « la mort comme hypothèse de travail [1] » lui réservant en retour la meilleure considération au sein du corps social comme l’indiquent les récents sondages. Néanmoins, si le militaire se ressent comme un citoyen exemplaire, il se considère également comme diminué par un statut aliénant, limitant son droit d’expression, droit pourtant garanti à tout un chacun par la constitution. Cette situation conduit à l’éloigner du monde politique et de toute possibilité d’accès à la représentation nationale, de toute participation à la décision en vue du bien commun. S’étant vu accorder le droit de vote en même temps que les femmes de notre pays, il est statutairement le seul agent de l’Etat obligé de quitter son corps s’il veut se présenter au suffrage populaire.

Cette relégation source d’incommunication répond-t-elle à une nécessité avérée ? Si l’on reprend l’exemple antique, on doit remarquer que la parole de Cicéron a été peu mise en pratique. Les consuls romains, figures de proue du gouvernement de la république romaine, étaient élus par le Sénat et disposaient de prérogatives à la fois civiles et militaires. Les armées romaines étaient ainsi commandées par des consuls dont la formation militaire était parfois très superficielle. Le « Cursus honorum » d’un citoyen de haut rang comportait immanquablement un passage sous les armes pour assurer une campagne militaire ou un commandement sur les frontières de l’empire. Rome doit assurément sa longévité à une conjugaison performante entre registre militaire et civil. La France « faite à coup d’épée », selon Charles de Gaulle [2], ceci grâce aux « rois de guerre » [3], n’a pas échappé à cette règle. On évoque par ailleurs Carl Von Clausewitz et son adage bien connu : « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». Mais plutôt qu’une rupture, ce constat marque l’interaction entre ces deux registres. La subordination du militaire à la politique suppose que ce dernier soit bien au fait de l’art de la guerre. L’usage de la force est une option offerte pour traiter le problème de l’Autre, ce dernier disposant éventuellement de la même possibilité. Les conséquences doivent donc en être soigneusement évaluées. Nul mieux que le militaire peut y contribuer. Notre histoire récente illustre les déboires découlant du non-respect de cette réalité lorsque la politique générale conduite par le pays ne correspondait pas à ses options au plan militaire. Or, il faut bien reconnaître que le cursus actuel de nos politiques les éloigne de ce registre. La disparition du service militaire a diminué la part de la population imprégnée de la spécificité de ce métier bien particulier, voué à la préparation et la conduite de la guerre. La technicité croissante des armements complique l’imbroglio opératif. Jamais le « brouillard de la guerre » [4], dans un contexte où se multiplient les acteurs potentiels, où les agressions possibles couvrent un large éventail, de la subversion terroriste à la dissuasion nucléaire, de la cyberguerre à la guerre dans l’espace, ne semble avoir été aussi impénétrable. Pour un politique, il faut donc acquérir une spécialisation nécessitant un investissement conséquent pour saisir cette spécificité et embrasser ce large et bien inquiétant registre. Peu nombreux sont les élus qui y sacrifient, plus nombreux sont les stratèges de salon qui pontifient sur les écrans, encore plus sont ceux qui pratiquent la politique de l’autruche en affectant un pacifisme de bon aloi, en niant ou minorant toute probabilité de conflit, en refusant de se reconnaître tout ennemi dans un monde que chacun souhaite voir pacifié. Comme chacun le sait, les souhaits correspondent rarement à la réalité.

La césure n’est donc ni inéluctable, ni souhaitable pour le bon fonctionnement de l’Etat. L’exercice de la démocratie ne peut qu’y être adapté.

Il est nécessaire que le militaire prenne pleinement part à la vie de la cité, qu’il puisse porter jugement sur les grandes décisions qui marquent l’existence du pays, qu’il puisse plus aisément parvenir « à la toge », quand bien même beaucoup se satisfassent de l’en tenir éloigné en prétextant d’une inaptitude consubstantielle à son état. Cette sous-citoyenneté doit cesser.

Il est normal de s’inquiéter de voir la défense du pays s’étioler depuis des décennies face aux menaces d’un monde en grand bouleversement. Il est normal de dénoncer un Etat perdant toute autorité face à la transgression, à la délinquance et à l’insurrection en maintenant son système judiciaire en état d’anémie. Il n’est pas normal de voir une jeunesse promise au chômage parce que son système éducatif ne valorise pas l’effort et la pourvoit d’un savoir inadapté sanctionné par des diplômes corrompus. Il est navrant de voir le triste spectacle offert par la jungle de Calais, de constater l’incapacité à réguler une immigration délibérément mal contrôlée afin de satisfaire aux critères d’une charité très mal ordonnée. Il est plus qu’inquiétant de voir le divertissement précéder le bien commun, de voir ses pourvoyeurs et autres faquins accaparer la paroleen plaçant la dérision au-dessus de la raison, en éloignant ainsi le citoyen de la réalité et des devoirs de la chose publique. L’ultime alarme surgit au constat des choix malheureux et assurément démagogiques d’une république qui détruit lentement mais sûrement l’Etat par une gestion des deniers publics orientée vers la satisfaction des insatiables, des imposteurs et des vociférants.

Sur ces rubriques, les citoyens de toute condition doivent s’exprimer. Les militaires ne peuvent en être écartés.

Col (er) desTdM

[1] Du titre d’un ouvrage récent du colonel Michel Goya « Sous le feu, la mort comme hypothèse de travail », Taillandier».

[2] In « la France et son armée ».

[3] Titre accordé au roi de France. cf. Joël Cornette, Le Roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Petite bibliothèque Payot.

[4] Formule de Carl von Clausewitz, « De la guerre ».

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