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François Hollande au Sommet du Nigeria sur la sécurité de l’Afrique : chef des armées ou chef désarmé dans la lutte contre Boko Haram ?

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Ce samedi 14 avril, François Hollande est à Abuja pour un sommet sur la sécurité régionale largement consacré à la lutte contre Boko Haram. Il est le seul chef d’Etat occidental à assister à cette rencontre. Le signe que la France, en dépit d’une armée et d’un budget de la défense sous pression, est en première ligne pour assurer la sécurité du continent africain.

Atlantico : François Hollande est actuellement au Nigeria pour un sommet sur la sécurité. Quels sont les acteurs en présence et quel est l’enjeu de cette rencontre ?

Antoine Glaser : François Hollande est le seul chef d’Etat d’un pays occidental à être présent à ce sommet. Dans la mesure où le Nigeria est une ancienne colonie britannique, on s’attendait davantage à voir David Cameron que François Hollande.

Cela renforce l’idée que les partenaires occidentaux de la France, et en particulier européens, laissent cette dernière jouer le rôle de gendarme de l’Afrique contre les mouvements radicaux djihadistes, de la même façon que la France était le gendarme de l’Afrique contre les soviétiques à l’époque de la Guerre froide.

Certains pays européens comme la Grande-Bretagne sont représentés au niveau ministériel. Sont également présents les chefs d’Etat africains (Tchad, Cameroun, Niger), engagés dans une coalition pour lutter contre Boko Haram (et soutenue par l’Union Africaine) sur le pourtour du bassin du lac Tchad.

L’enjeu de ce sommet est la lutte contre Boko Haram. En effet, jusqu’à présent, cette lutte concernait surtout le nord du Nigeria. Or maintenant, Boko Haram veut contrôler tout le bassin du lac Tchad pour se sanctuariser.

Par ailleurs, au Nigeria comme en Centrafrique (où s’est rendu François Hollande hier), la France a très peu d’intérêts économiques. En effet, le marché nigérian est plutôt dans les mains des Anglo-saxons. Au travers du renforcement de sa présence militaire, la France compte vendre au Nigeria des véhicules blindés légers, des drones, des engins explosifs, des équipements pour lutter contre les engins explosifs et équiper les Alphajets de l’armée nigériane etc. Si dans les pays du Sahel où la France est engagée militairement, les retombées économiques à court terme sont quasi nulles, la puissance du Nigeria (même si le Nigeria, important producteur de pétrole, souffre de la chute du prix du baril) laisse entrevoir de belles retombées économiques pour l’Hexagone.

Jean-Bernard Pinatel : La plupart des discussions tourneront autour de Boko Haram, où en est la lutte contre le groupe terroriste ? Dans quelle mesure la France y est-elle associée ?

Antoine Glaser : Deux aspects seront au cœur des discussions de ce sommet de sécurité régionale : la lutte contre Boko Haram et la lutte contre la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée.

Au Nigeria, l’arrivée au pouvoir du général Muhammadu Buhari qui est un musulman du nord a relancé la lutte contre Boko Haram -qui semblait avoir été abandonnée par son prédécesseur, Goodluck Jonathan, qui s’occupait principalement du Nigeria « utile » du sud avec le pétrole-.

Muhammadu Buhari a une vraie volonté de lutter contre Boko Haram. Mais le combat contre Boko Haram est aujourd’hui beaucoup plus difficile à mener car le groupe radical djihadiste est dorénavant engagé dans un mode de lutte asymétrique. En effet, Boko Haram s’attaque bien moins à l’armée nigériane qu’auparavant et privilégie les attentats ciblés très meurtriers.

La France a son état-major de l’opération Barkhane à Ndjamena au Tchad. Du fait de la position géographique de cette ville, elle est donc en contrôle de l’ensemble du bassin du lac Tchad. Elle est par ailleurs très active, en particulier en ce qui concerne le renseignement.

Jean-Bernard Pinatel : La France n’est historiquement pas présente dans ce pays de culture anglo-saxonne. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne oui. Les Etats-Unis ont aussi déployé 300 soldats au Cameroun dans le cadre d’opérations de renseignement et de surveillance, notamment avec des drones. Washington envisage aussi de vendre au Nigeria des avions spécialement destinés à la lutte anti-terroriste. Ces deux pays ont d’ailleurs aussi été conviés au sommet régional d’Abuja sur la sécurité mais Obama, en fin de mandat, et Cameron, en pleine campagne pour éviter le Brexit, ne seront pas présents.

Depuis juillet 2009 une rébellion salafiste menée par deux groupes djihadistes, Boko Haram et Ansaru, sévit au Nord-Est du Nigéria. Elle a pour objectif d’établir un califat et d’instaurer la charia dans l’ensemble du pays. Cette rébellion est dirigée par Abubakar Shekau qui après la mort du fondateur de Boko Haram, Mohamed Yusuf, a radicalisé la lutte en utilisant les massacres de population et les attentats comme modes d’action contre le pouvoir central. La rébellion et sa répression par les forces de sécurité ont fait 17.000 morts et 2,6 millions de déplacés depuis 2009. Selon l’Index mondial du terrorisme, un rapport publié par l’Institute for Economics and Peace basé à New York, Boko Haram « est devenu l’organisation terroriste la plus meurtrière au monde ».

En 2014 Boko Haram a étendu ses actions au Cameroun, Tchad et Niger ce qui a conduit la France à initier un partenariat militaire en décembre 2014 qui s’est traduit par l’échange croissant de renseignements militaires. La présence du chef de l’Etat français est d’autant plus importante que la mise sur pied de la force internationale mixte d’environ 8.000 hommes décidée en 2015 par le Nigéria, le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Bénin pour pacifier les régions que Boko Haram tente de contrôler se met sur pied lentement et manque cruellement de logistique, de moyens de communication et de transport. «Plusieurs engagements ont été pris par les bailleurs de fonds internationaux et les partenaires stratégiques en vue d’un soutien à la force, mais on n’a rien vu de concret sur le terrain», déplore le général nigérian Lamidi Adeosun, chef de la force régionale.

Quel bilan peut-on faire des opérations militaires françaises en Afrique depuis 2013 : Serval, Sangaris, Barkhane… La France a-t-elle vraiment les moyens d' »assurer » la sécurité du continent africain ?

Antoine Glaser : Sur le plan militaire, la France est au bout de ce qu’elle peut faire. Le chef d’Etat-major de l’armée française, Pierre de Villiers, disait qu’ils étaient « au taquet ». La France ne peut pas faire plus, ni sur le plan des équipements ni sur le plan financier.

La France essaie d’ailleurs par tous les moyens de faire financer l’opération Barkhane par l’Europe (ce qui est loin d’être acquis). Néanmoins, la présence militaire de la France en Afrique, ainsi que son statut de puissance nucléaire- justifient son statut de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU : c’est ce qui lui permet de tenir son rang à l’international.

Jean-Bernard Pinatel : Le président actuel du Nigeria, Muhammadu Buhari, est un ancien général. Il a été élu le 28 mars 2015 face au président sortant Goodluck Jonathan. Il a déclaré jeudi dernier à la BBC que son pays avait « techniquement » gagné la guerre contre Boko Haram. « Boko Haram s’est remis à utiliser des engins explosifs artisanaux », a expliqué le président Buhari, « mais les attaques conventionnelles contre des centres de communication et la population… ils ne sont plus capables d’en mener efficacement ».

Effectivement et contrairement à son prédécesseur, le président Buhari a réussi à reprendre le contrôle des principales villes du Nord Est du Nigéria où Boko Haram développe ses actions. La diminution du nombre de raids meurtriers dans les villes et les villages est effective. Mais en réponse, les jihadistes ont multiplié les attentats-suicides dont certains sont commis par des jeunes, parfois des filles et fillettes.

La France fournit au Nigeria des images satellitaires ainsi que des images prises par ses avions Rafale qui survolent la zone du lac Tchad où agit Boko Haram. Selon l’entourage du ministre français de la Défense, 2000 dossiers images auraient déjà été remis aux autorités d’Abuja. Des Nigérians sont aussi formés à l’interprétation d’imagerie par le renseignement militaire français. Le document opérationnel signé par les armées française et nigériane détaille plusieurs actions à mener d’ici à la fin 2016. Elles portent notamment sur la lutte contre les engins explosifs artisanaux, le sauvetage au combat et aux exercices militaires transfrontaliers et maritimes conjoints avec les pays voisins du Nigeria.

Dans un contexte de gel du budget de la défense française et alors que l’Allemagne investit désormais plus que la France dans son armée, de quels moyens véritables la France dispose-t-elle pour lutter contre Boko Haram ?

Jean-Bernard Pinatel : La France doit éviter à tout prix que Boko Haram étende durablement ses actions au Tchad, au Cameroun et au Niger et réalise ainsi sa « jonction » avec les groupes djihadistes AQMI et Mujao qui cherchent à contrôler toute la bande désertique qui s’étend du Sud de la Libye et de l’Algérie jusqu’à la Mauritanie. C’est par une meilleure coordination du renseignement que la France peut apporter son aide ainsi que par la formation et la livraison d’armements. Cela impliquera donc l’engagement d’effectifs supplémentaires en faible nombre.

Alors que la France est en perte de vitesse au Moyen-Orient, ses engagements militaires en Afrique lui permettent d’y apparaître comme une puissance influente. Pour autant, est-ce vraiment le cas ?

Antoine Glaser : De Paris à Bamako, l’expression « guerre contre le terrorisme, tous ensemble » est employée. Or, d’une part, la France est seule et d’autre part, la guerre contre le terrorisme n’est pas une politique.

La militarisation de la politique africaine n’a qu’un temps et masque tous les autres problèmes sociaux, économiques. C’est une politique qui fonctionne à court terme mais qui est largement insuffisante si elle n’est pas accompagnée d’une réengagement politique et d’une aide financière au développement.

En outre, alors que la France met tous les moyens sur la sécurité et sur ses capacités militaires, tous ses partenaires traditionnels mais aussi les puissances émergentes (Chine, Turquie, Maroc -qui entre d’ailleurs de plus en plus en concurrence avec la France-) font du business. La France perd des parts de marché absolument incroyables y compris dans un pays comme la Côte d’Ivoire -qui est pourtant le « fief gaulois » de la France en Afrique- : Pierre Gattaz qui était en Côte d’Ivoire il y a 15 jours a souligné qu’en une dizaine d’années, la part de marché de la France en Côte d’Ivoire est passée de 28% à 11%. Cette situation est d’autant plus paradoxale qu’un pays comme la Grande-Bretagne a atteint l’objectif de l’aide au développement des pays occidentaux de 0,7% du PNB, alors que la France est toujours à 0,35%.

Finalement, cette politique militaire française hypertrophiée, si elle peut à court terme profiter à l’influence de la France et de François Hollande au niveau international, sert en réalité de cache-misère à une présence française globalement en déshérence sur ce continent.

Jean-Bernard Pinatel : La France dispose d’un siège permanent au conseil de sécurité et, par la même, est capable de s’opposer à des résolutions de l’Assemblée Générale qui ne seraient pas conformes à ses intérêts. Mais son influence dans cette assemblée est aussi liée à sa capacité d’entrainer dans son sillage d’autres Etats et notamment ceux de l’ensemble francophone. Cette capacité d’influence dépend donc directement de l’appui militaire qu’elle est capable d’apporter à ces Etats dont l’intégrité est menacée par le terrorisme islamique. Il devrait être clair pour nos responsables politiques que c’est en priorité en Afrique que la France doit être capable de projeter des forces car elle est la seule puissance à y disposer encore de plusieurs bases permanentes et à y maintenir des relations de confiance et de savoir-faire qui lui permettent de coopérer efficacement avec les armées locales. En tout état de cause, c’est sur ce théâtre africain que la France a vocation à être le fer de lance d’une éventuelle coalition.

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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