Le Centrafrique ne sera pas un guêpier militaire, à condition d’une gestion politique avisée et d’un effort économique et humanitaire important
Malgré un mandat de la communauté internationale et les massacres interreligieux à Bangui, l’intervention française en Centre-Afrique commence dans un contexte international et national mitigé.
En effet, le soutien logistique et financier limité apporté par les Américains et les Européens à notre action, les déclarations contradictoires de François Hollande sur le maintien au pouvoir du Président centrafricain autoproclamé, Michel Djotodia, l’absence d’ennemi clairement identifié, les Sélékas étant un nom générique qui regroupe des formations seulement connues de quelques spécialistes, la mission même d’interposition entre des communautés qui rappelle les mauvais souvenirs du Rwanda ou du Liban, les moyens limités engagés dans un territoire plus grand que la France, la nouvelle réduction des effectifs militaires, annoncée au moment même où nous ouvrons un nouveau théâtre d’opérations, créent une toile de fond peu favorable à un soutien de l’opinion à cette intervention perçue, à tort, par les commentateurs comme un probable guêpier.
Cette analyse a donc pour but de présenter les éléments déterminants qui fondent la décision d’intervenir en Centre-Afrique.
La première certitude est que c’est la France qui, en mars 2013, a décidé de laisser les Sélékas s’emparer de Bangui et de les laisser chasser le Général Président Bozizé que nous avions soutenu militairement sans relâche depuis son accession au pouvoir dix ans plutôt [1].
En effet, les rebellions dans la région des trois frontières (Tchad, RCA, Soudan) au Nord de la RCA, sont endémiques et nous sommes intervenus trois fois en dix ans dans une indifférence médiatique totale pour stopper les colonnes de rebelles fonçant vers Bangui:
le 30 octobre 2006, le mouvement rebelle UFDR (Union des forces démocratiques pour le rassemblement) déclenche une offensive vers le Sud à partir de la région de Birao et s’empare de la localité de Ouandja Djalé (150 km au sud de Birao) pour pousser ensuite vers Bria et ouvrir la route vers Bangui. À la demande des autorités centrafricaines, les militaires français appuient, à partir de fin novembre, les FACA et la FOMUC dans la ville de Birao [2]. Le 10 décembre, après plusieurs séries de combats brefs et violents, une dernière localité (Ouanda Djalle) est reprise aux combattants de l’UFDR;
- en mars 2007 - Deuxième offensive rebelle qui s’empare de l’aéroport Birao. Une nouvelle opération est alors déclenchée à partir des unités d’alerte en France et des unités pré positionnées (Tchad, Gabon, RCI), pour reprendre l’aérodrome de Birao. Ces unités françaises appuient aussi des unités FACA déployées simultanément et leur redonnent confiance. Le 13 avril 2007, alors que les rebelles de l’UFDR ont été repoussés jusqu’à leur sanctuaire de la frontière tchadienne, un accord de paix est signé entre le gouvernement de RCA et l’UFDR à Birao;
- en décembre 2012 - Troisième offensive rebelle. Certains mouvements jugeant que les accords de paix signés en 2007 n’ont pas été respectés, lancent une offensive militaire. Lors de cette troisième offensive, les rebelles qui attaquent vers le Sud sur 2 axes, prennent en un mois de nombreuses localités et ouvrent la route pour Bangui : Birao, Bria, Bambari, Ouadda, Ndélé, Kaga Bandoro, Damora à 80 km de la capitale) permettent d’étendre l’influence des rebelles sur le Nord et le Centre de la RCA. La France intervient une nouvelle fois fin décembre 2012. Trois compagnies et deux hélicoptères Puma viennent en renfort depuis le Gabon et le Tchad de la compagnie du 8ème RPIMa qui assure la sécurité de l’aéroport. Plus de 600 militaires français sont alors présents. Mi-janvier, suite à la baisse des tensions dans la capitale, deux hélicoptères Puma et une compagnie (2e REP) partent pour le Mali et participent aux opérations dans l’Adrar des Ifoghas;
- trois mois plus tard, en mars 2013, les rebelles de la Séléka passent à nouveau à l’offensive à partir du Nord et du Centre de la RCA. La reprise des combats à proximité de Bangui obligent à déployer, en plus des 250 militaires sur place, environ 300 militaires français en provenance du Gabon. La Séléka défait rapidement les FACA, soutenues par les contingents des derniers alliés de Bozizé (Afrique du Sud et Ouganda) et causent des pertes importantes aux forces africaines qui tentent de lui couper la route de Bangui. Bangui qui tombe le 24 mars. Le président Bozizé fuit et se réfugie au Cameroun.
C’est au niveau de la géopolitique qu’il faut chercher pourquoi, cette fois-ci, la France a laissé les Sélékas pénétrer dans Bangui, en mars 2013, à un moment où nous occupions l’aéroport avec des forces que l’on aurait pu rapidement renforcer ?
La France a, vraisemblablement, voulu donner un coup d’arrêt à l’offensive politique et économique chinoise et sud-africaine en Centre-Afrique, favorisée par Le Président Général Bozizé qui, à juste titre, trouvait que la France et les entreprises françaises n’investissaient pas assez massivement en Centre-Afrique, pour développer l’exploitation de ses ressources pétrolières et minières.
Par ailleurs, le Tchad venait de nous appuyer d’une façon décisive au Mali pour réduire le sanctuaire des Ifoghas et il n’est un secret pour personne que les rebelles du Nord-Est ont leur sanctuaire à cheval sur la frontière tchadienne.
L’absence à Paris au récent Sommet des états africains du Président sud-africain Jacob Zuma qui soutenait Bozizé peut s’expliquer ainsi. Les Sud-Africains, principale puissance africaine avec le Nigéria, où l’influence anglo-saxonne reste prégnante, considèrent le Sud de l’Afrique comme leur zone naturelle d’influence, Centrafrique inclus.
La dimension historique de ce conflit ne doit pas aussi nous échapper. Le Centre-Afrique marque la limite Est de l’Afrique francophone. Il possède une frontière commune avec le Soudan du Sud et le Soudan du Nord. Dans la mémoire des Britanniques, qui ont bloqué l’envoi d’un « Battle group européen » un moment envisagé par Bruxelles, l’affaire de Fachoda qui avait marqué la fin de l’expansion coloniale française vers la haute Égypte reste vivace.
La deuxième question à laquelle il faut répondre et que tous les observateurs se posent : la situation sur le terrain est-elle maîtrisable avec les effectifs déployés ?
La réponse, là encore, n’est pas militaire mais politique et nécessite d’analyser les forces qui composent la Séléka.
La majorité des combattants présents à Bangui font partie de l’UFDR : Union des Forces Démocratiques pour le Rassemblement, recrutée principalement dans l’ethnie Gula. Son dirigeant est le président autoproclamé Michel Am Nondroko Djotodia [3], rebaptisé président de transition dont François Hollande avait trop rapidement exigé le départ. Puis, devant la réalité de la situation sur le terrain (soutien du Tchad, forces combattantes les plus nombreuses), s’étant ravisé, il a décidé de le soutenir.
Si les autorités françaises trouvent avec lui et ses principaux chefs de guerre un bon accord, la situation à Bangui se rétablira rapidement. En effet, les autres formations présentes dans la Séléka sont probablement celles dont le désarmement, si elles restent à Bangui, ne doit pas poser de trop gros problèmes à l’Armée française [4].
En conclusion, l’intervention de la France en Centrafrique procède plus de la lutte d’influence que se livrent les grands acteurs mondiaux et régionaux dans ce continent [5] en plein développement que d’une action pour éviter que le Centrafrique ne devienne, comme la Somalie, un repère djihadiste ou d’une intervention à but humanitaire pour éviter un affrontement de type confessionnel même si cette dimension est nouvelle dans ce pays et doit être prise sérieusement en compte [6].
Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
[1] En mars 2003, un accord entre le président-général Bozizé, qui vient de prendre le pouvoir par un coup d’état, et le président Chirac conduit à la mise en place de l’opération Boali pour soutenir les FACA et la FOMUC (Force multinationale de la CEMAC - Communauté économique et monétaire des États d’Afrique Centrale).
[2] Ville de 18 000 habitants située à 850 km au Nord de Bangui et dotée d’une piste d’aviation, infrastructure stratégique dans la région.
[3] Le président de transition est un ancien fonctionnaire du ministère du Plan, puis des Affaires étrangères, et ex-consul à Nyala, capitale du Sud-Darfour au Soudan. Il a créé l’UFDR en septembre 2006 et opérait essentiellement, avant la dernière offensive vers Bangui, dans les préfectures arabophones de Vagata et Haute Kotto, dans le Nord-Est. On retrouve dans l’UFDR certains des hommes qui ont aidé François Bozizé à renverser Ange-Félix Patassé en 2003, mais que les promesses non tenues du pouvoir et le non-respect des accords de paix de 2007 ont mécontentés.
[4] Il s’agit de la CPJP et deux autres formations créées de fraîche date :
- la Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP) qui recrute majoritairement ses combattants dans l’ethnie Runga qui est implantée dans un territoire voisin de l’ethnie Gula. Son dirigeant est le général Noureddine Adam dont le porte-parole Éric Néris-Massi est le beau-fils de Charles Massi. Ce proche de l’ancien président Ange-Félix Patassé, qui s’était rapproché ces dernières années de Bozizé, a, semble-t-il, hésité avant de rallier la Seleka;
- la Convention patriotique du salut du kodro (PSK : kodro signifiant pays, en sango) qui a été officiellement lancée lors d’une « Assemblée constituante » en juin 2012. Son fondateur, Mohamed-Moussa Dhaffane, en est devenu le président, avant d’être aussitôt proclamé, dans le communiqué final, « à titre exceptionnel et honorifique au grade hors hiérarchie de général major assimilé des Forces armées ». Dhaffane assura, dans le passé, les fonctions de président ad hoc de la Croix-Rouge centrafricaine, tout en étant membre de la CPJP, qu’il quitta pour créer son propre mouvement;
- l’A2R regroupe de vrais officiers de la FACA dans une structure clandestine dont l’adhésion à la coalition date seulement de la fin décembre 2012.
[5] Influence de « combattants » soudanais visible chez les rebelles de la Séléka et présence de forces sud-africaines aux côtés du président déchu.
[6] Jusqu’ici, les conflits en RCA étaient plutôt marqués, dans le passé, par la dimension ethnique.