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Les interventions de la France en Afrique sont-elles vouées à être polluées par l’héritage de la colonisation ?

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Pour faire face à l’instabilité en Centrafrique, la France va envoyer, à terme, un millier d’hommes sur place. « Nous devons être présents, à notre place », a déclaré à ce sujet François Hollande.

Atlantico : En proie à une instabilité grandissante, la Centrafrique voit le contingent militaire français basé sur son territoire porté à 1000 effectifs. D’après le ministre de la Défense français Jean-Yves Le Drian, cette intervention « n’a rien à voir avec le Mali. » Cette mission, présentée comme une opération de maintien de l’ordre, est-elle selon vous légitime ?

Ferhat Mehenni : La France est de nouveau en guerre en Afrique subsaharienne ; pour la quarante-neuvième fois depuis les supposées indépendances d’il y a cinquante ans. Point n’est besoin de s’interroger sur la légitimité de cette expédition. C’est presque une affaire de routine. Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de rage. Au-delà des questions de forme de cette aventure, comme ses justifications en apparence « humanitaires » que les officiels français avancent en appui de leur argumentaire, son timing et son coût, il y a une question de fond qui mérite que les géostratèges français se posent : Quelles sont les raisons fondamentales de la déstabilisation de l’Afrique francophone, obligeant la France à y intervenir aussi fréquemment ?

Si, en arrondissant les chiffres, on comptabilise une intervention militaire française par an depuis les années soixante, on remarque que rien que pour les deux dernières années (2011-2013) il y en a eu quatre. La moyenne double brusquement. Et on comprend que si la France différait depuis le mois de mars sa réaction contre la prise de pouvoir par la rébellion Seleka à Bangui, c’était vraisemblablement pour des questions de logistique. Elle n’aurait plus tous les moyens de sa politique en Afrique. En effet, engluée dans le bourbier de l’Azawad et du Mali, alors que la situation tarde à être stabilisée même en Côte-d’Ivoire où elle était intervenue début 2011 pour faire tomber Laurent Gbagbo, elle n’avait pas pu éviter, le 24 mars 2013, la chute de Bozizé, l’un de ses protégés. On peut en conclure qu’elle ne pouvait pas, par prudence ou par manque de moyens, mener deux guerres à la fois, l’une contre le MNLA en ex Mali et l’autre contre la Seleka, en ce qu’il y a lieu d’appeler désormais l’ex-Centrafrique. Cette nouvelle intervention qui complique les alliances françaises avec ses dictatures africaines impliquées dans l’opération Serval – Idris Debby est parmi ceux qui soutiennent le nouveau pouvoir à Bangui – risquerait de compromettre davantage le déjà improbable retour à la stabilité en ex Mali. En quelques mots, la position française s’en trouve sérieusement fragilisée. Ses prises de risques paraissent inconsidérées et l’Afrique apparaît plus que jamais comme le casse-tête pouvant mener la France à y perdre sa sphère d’influence.

Alors, au lieu de se croire obligée de se comporter face aux Africains en éternel gendarme, qui commence à être dépassé par les événements et qui le sera totalement dans très peu d’années, car le processus de déstabilisation à l’œuvre va s’accélérer, la France ne devrait-elle pas reconsidérer sa relation à ce continent ravagé par la violence, la maladie et la misère ?

Jean-Bernard Pinatel : La légitimité d’une opération militaire en droit international peut avoir plusieurs fondements :

  • le premier est la légitime défense; si votre territoire ou vos forces sont attaquées vous avez le droit de vous défendre et de demander à vos alliés de vous aider. C’est sur cette idée que l’Alliance Atlantique et son organisation militaire l’OTAN ont été créées;
  • le second qui en découle est qu’il est légitime pour un État d’intervenir au profit d’un autre État agressé si le pouvoir de cet État est légitime et qu’il lui en fait explicitement la demande;
  • le troisième, et on est dans ce cas en Centre-Afrique, lorsque le Conseil de sécurité de l’ONU le décide devant une situation inacceptable pour la communauté internationale.

En Centre-Afrique, le problème est que la légitimité du pouvoir en place n’existe pas. C’est pourquoi la France, malgré les demandes pressantes de certains pays africains, a attendu d’avoir le feu vert du Conseil de sécurité pour s’engager.

Décidée jeudi par l’ONU, l’intervention de la France est désormais placée sous le chapitre VII de Charte des Nations Unies autorisant le recours à la force face à une menace avérée contre la paix et la sécurité internationale. La résolution officialise le déploiement des troupes panafricaines de la Mission internationale de soutien en Centrafrique (Misca), déjà sur place avec 2500 hommes, ainsi que celui d’une force française d’appoint, pour rétablir l’ordre, sécuriser les axes routiers, permettre un accès humanitaire et le retour des populations civiles dans leurs villages abandonnés.

Cette attente d’un brevet de légitimité n’est pas sans risque d’image pour la France. Nos soldats qui sécurisent l’aéroport de Bangui et l’ambassade de France sont restés l’arme au pied et ne sont pas intervenus pour faire cesser les massacres dans Bangui en l’absence d’un vote du conseil de sécurité qui a été long à obtenir du fait notamment des réticences américaines.

Cela signifie-t-il que la France ne doit pas venir « faire le gendarme » en Centrafrique, et plus largement dans les autres pays africains ? Doit-elle se désinvestir de ses anciennes colonies, et ce dans tous les domaines ?

Ferhat Mehenni : En voulant et en croyant apporter à l’Afrique la stabilité dont elle aurait besoin, la France ne devrait-elle pas se poser la question si, elle-même ne ferait-elle pas partie du problème, ou ne serait-elle pas carrément « Le » problème de la guerre qui y sévit ? Pour y voir plus clair, reprenons les éléments du puzzle africain.

Au commencement, il y avait la colonisation.

Le capitalisme ne se conçoit pas sans mondialisation et celle-ci ne peut se réaliser sans la colonisation qui en est la pierre angulaire. Les nations européennes, dont la France, mues par l’appât du gain, ont été les agents ayant engagé les processus au service de ces deux impérieuses nécessités capitalistes. L’Afrique francophone en est le produit historique. Mais devant des colonies qui s’étaient avérées d’abord beaucoup moins rentables qu’on l’escomptait au début, puis carrément déficitaires, les pays colonisateurs, après les avoir dotées chacune de son État, les ont confiées aux autochtones par le biais du mouvement de décolonisation auquel l’ONU a servi de terrain d’atterrissage. Le processus qui devait en améliorer la configuration fut entravé par la Guerre Froide et n’a dû reprendre qu’à la chute du Mur de Berlin. En effet, ce n’est qu’en 1993 qu’un nouvel État africain, l’Erythrée, est né.

Le problème fondamental de la géopolitique issue de la colonisation est qu’elle a été conçue, à l’époque, en fonction des intérêts des métropoles et non de ceux des peuples indigènes. Ceux-ci, ignorés, piétinés, se sont vus chacun spolié de son territoire et de son identité. En les tronçonnant et en les divisant arbitrairement, puis en affectant chacun de leurs démembrements à un nouveau pays créé ex nihilo et conçu comme un camp de concentration des peuples, la colonisation, en général et française en particulier, en a logiquement fait les agents actifs de la transformation en cours de la géopolitique. Ces peuples et leurs actions en faveur du recouvrement de leur souveraineté sont aujourd’hui en phase avec les besoins de la mondialisation qui consacre la liberté sur la dictature, le droit sur l’arbitraire. Ce n’est pas par hasard qu’une Organisation des États émergents d’Afrique a vu le jour depuis deux ans.

Les interventions militaires françaises vont donc à contre-courant de la marche de l’Histoire. La stabilité et la paix que la France aurait intérêt à défendre en Afrique devrait être celle des peuples et non celle des dictatures et des États artificiels. Prendre la défense de ceux-ci contre la marche des peuples vers leur liberté, c’est se comporter en Don Quichotte et en agresseur. En revanche, elle gagnerait en prestige et en solide amitié chez tous les peuples qu’elle aiderait à accéder à son État. La francophonie et la sphère d’influence de la France en Afrique ne se prêteraient plus aux coups de boutoirs des nouveaux prétendants qui, chez ces dictatures soi-disant acquises à Paris, lui taillent des croupières depuis des décennies. Alors, l’Azawad, le Sud de la Côte d’Ivoire, la Kabylie, le Sud-Ouest de la Centrafrique et de tant de peuples et de territoires de l’Afrique francophone seront de nouveaux pays et de nouveaux partenaires de choix pour l’avenir de la France.

Jean-Bernard Pinatel : L’histoire est parfois cruelle. François Hollande et les socialistes, quand ils étaient dans l’opposition et durant la campagne présidentielle, soutenaient ce point de vue et n’ont cessé de dénoncer l’interventionnisme français en Afrique sans tenir compte du nouveau contexte géopolitique.

En effet, les États-Unis d’Obama, prix Nobel de la Paix, ne veulent plus être les gendarmes du Monde car cela leur coute très cher et la priorité pour le peuple américain est de rétablir leur économie.

On l’a observé dans les affaires syriennes et libyennes.

En Centre-Afrique, les États-Unis, par la voix de leur secrétaire d’État, John Kerry, accordaient leur préférence à une mission 100% africaine, Washington dénonçant la « gabegie onusienne ». L’Amérique contribuera seulement pour 40 millions de dollars (en lieu et place des 22% de sa quote-part réglementaire) à l’action de la Misca qui va dépendre de contributions volontaires, et non obligatoires, des États membres via un fonds fiduciaire ouvert à ces fins. Autant dire que la pérennité de la Misca n’est pas assurée.
Pourquoi intervient-on alors et ne laisse-t-on pas les africains régler seuls leurs problèmes ? Parce que certains États amis nous le demandent même si d’autres sont plus réservés. Et surtout parce que la France a peur que le Centre-Afrique, qui est livré aujourd’hui à des bandes de pillards du Nord, ne devienne, si on laisse pourrir encore plus la situation, un repaire pour les terroristes islamiques du Sahel car il n’y a plus depuis longtemps d’État digne de ce nom à Bangui.

Ce n’est donc pas tant la présence française qui est remise en cause, mais qui elle choisit de soutenir ? Tous les gouvernements sont-ils à mettre dans le même sac « dictatorial » ?

Ferhat Mehenni : Que l’on ose dans l’Hexagone se poser juste cette question : au nom de quel bon sens peut-on opposer la stabilité dictatoriale au droit des peuples à leur autodétermination ? Au nom de quel droit peut-on opprimer un peuple et l’empêcher d’avoir son État au même titre que tous les peuples accomplis du monde ? Ne commet-on pas un crime contre l’humanité à chacune des interventions militaires en Afrique ? N’est-il pas temps de remiser les visions géostratégiques nées du temps de la colonisation et s’en donner d’autres à la lumière des nouvelles lectures de l’Histoire et des nécessités de la mondialisation ? N’est-il pas préférable de mettre un terme à ces aberrants États actuels où, comme au Cameroun, un ministre pour enterrer un parent, doit se rendre soit en Centrafrique soit au Nigéria où sa famille vit depuis la nuit des temps ?

Par ailleurs, on le voit à travers l’actualité africaine, les interventions militaires ne règlent pas les problèmes politiques qui les justifient. En Côte-d’Ivoire, dont il faut désormais parler au passé, comme au Mali et demain en Centrafrique, les peuples qui ne veulent plus vivre ensemble vont se séparer. Autant les aider à le faire sans violence. Ce serait là la meilleure mission de la France qui, enfin, va être en harmonie avec ses valeurs et ses idéaux des Lumières.

Jean-Bernard Pinatel : Non car la France a depuis longtemps évité de prêter le flanc à une accusation de néo-colonialisme et ne s’engage militairement que lorsque son action est légitimée par la communauté internationale.

En Centre-Afrique, il n’y a plus d’État mais une population livrée à des bandes de pillards comme c’est encore le cas en Somalie même si la situation s’y améliore dans ce pays grâce à l’action internationale.

En Côte d’Ivoire la France est intervenue pour faire respecter le résultat d’élections démocratiques et chasser Laurent Gbagbo qui, battu, refusait de quitter le pouvoir.

La démocratie est un Graal qui demande de parcourir un long chemin plein d’embuches. La plupart des États africains se sont engagés dans cette voie. Il faut les aider à progresser plutôt que de dénoncer en permanence leurs manquements démocratiques.

Autres sources : ATLANTICO

  1. Charles MASSI says:

    L’analyse est très pertinente sur la forme, les questions du fond n’ont pas été largement débattues. L’exercice serait très intéressant si l’auteur évoquait aussi les réelles raisons d’interventions de la France auprès de certains chefs d’Etat qualifiés de dictateurs. Si, la France a intervenu en Centrafrique à un certain moment pour repousser les rebelles dans les années antérieures, pourquoi ne l’a t’elle pas fait lors de l’entrée de la Seleka en 2013? En lisant cette analyse, l’auteur parle d’un certain rapprochement de ce pays avec la Chine et l’Afrique du Sud. Devrons-nous aujourd’hui accuser son ingérence dans les conflits en Afrique ou lui rappeler sa responsabilité à travers ses différents accords de défense signés à l’époque avec les Etats africains. La France a beaucoup d’avantages sur les autres partenaires en quête sur le continent africain surtout francophone, pourquoi ne l’utilise t’elle pas cet avantage au détriment des autres partenaires financiers du continent? Il est temps que la France redéfinit sa politique française de l’Afrique. Car, le compagnonnage qui lie le continent africain avec la France ne date pas de nos jours. Nous partageons presque les mêmes principes et les mêmes valeurs. Elle a à gagner en aidant les Etats africains à être responsables et matures au lieu de se dépendre totalement d’elle. Elle n’a pas à démettre un Chef d’Etat et de placer un autre qu’elle finira par le remettre en cause lorsque celui-ci ne sert plus ses intérêts. Je pense que c’est mon avis et il n’engage que moi.
    Bien à vous.

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