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Les conditions politiques à remplir pour vaincre Daesh

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L’afflux de migrants venant du Moyen Orient et les drames humains qui en sont la conséquence incite à répondre à deux questions : qu’est-ce qui permet l’enracinement de Daesh au Moyen-Orient ? Comment vaincre cette organisation terroriste ?

Répondre à ces questions c’est mettre en lumière les facteurs déterminants de la stratégie victorieuse de Daesh face à l’indétermination stratégique occidentale écartelée entre des objectifs inconciliables.

En effet, le califat, un an après sa proclamation par Abou Bakr al-Baghdadi, révèle un quadruple échec.

En premier lieu l’échec de la stratégie politique et militaire américaine en Irak. Politique d’abord, avec le choix d’un premier Ministre, Al Maliki, qu’ils ont mis en place en 2006 et ont soutenu jusqu’en 2014, le laissant exercer un pouvoir sans partage et fondé exclusivement sur la communauté chiite. Ils ont ainsi fermé les yeux lorsqu’il a bafoué la constitution de son pays, pourtant inspiré par eux, en n’attribuant pas les ministères importants (intérieur et défense) qui devaient être dévolus aux Sunnites et aux Kurdes. Militaire ensuite. En effet, depuis sa reformation par les américains, la nouvelle armée irakienne, dont Al Maliki se méfiait, était mal équipée, gangrenée par la corruption, le népotisme, la formation insuffisante, l’absence de moral et la volonté de se battre. Ces sont les milices shiites, (dirigées, encadrées, formées et équipées par l’Iran et appuyées par des Iraniens et des libanais du Hezbollah avec le général Qasem Soleimani [1] à leurs têtes) qui ont sauvé Bagdad, repoussé Daesh à l’Ouest du Tigre et qui ont représenté plus des 2/3 des forces engagées dans la reconquête de Tikrit. Enfin, si les frappes de la coalition ont un certain effet d’attrition sur les forces de Daesh, sans forces terrestres en état de se battre, cet effet reste limité et est obtenu au prix de dégâts collatéraux importants sur civils, les habitations et les infrastructures, engendrant la colère des populations sunnites locales.

Échec également des monarchies gériatriques du Golfe Persique qui ont contribué à l’émergence de Daesh dans le but de renverser le régime bassiste et alaouite d’Assad et de le remplacer par un pouvoir sunnite ami. Aujourd’hui Daesh, en contrôlant le gouvernorat d’Al Anbar et les 420 km de frontière commune avec l’Arabie Saoudite, menace ce royaume qui se méfie de son armée, de sa minorité chiite, de la moitié de sa population étrangère et qui est en guerre sur ses frontières Sud avec les rebelles Hutis.

Échec de la Turquie qui considère les kurdes dont 15 millions sont turcs comme sa première menace et qui laisse sa frontière ouverte, offrant une base arrière aux djihadistes pour vendre leur pétrole, se ravitailler en armes et munitions et soigner leurs combattants [2]. Erdogan a espéré ainsi renverser Assad et restaurer l’influence séculaire de la Turquie sur la Syrie.

Échec de l’Europe et, au premier lieu de la France, qui ont cru à un printemps arabe et qui, diabolisant le régime d’Assad, sont co-responsables du départ de plusieurs milliers de jeunes européens en Syrie, générant, par un effet boomerang, une menace sur leur propre territoire.

Les seuls gagnant à l’heure actuelle sont les Kurdes et l’Iran

Vainqueurs en Irak dès lors qu’ils étaient correctement équipés, les Peshmergas ont clairement démontré leur valeur militaire. Vainqueurs en Syrie où, malgré l’attentisme Turc, et avec l’aide des frappes américaines, ils ont repris Kobané. Vainqueurs en Turquie où, pour la première fois, ils rentrent en masse au Parlement et deviennent désormais une force politique avec laquelle Erdogan devra compter.

C’est l’engagement des milices iraniennes sur le sol irakien qui ont sauvé Bagdad. Confrontés à la déroute de l’armée irakienne à Ramadi, capitale du gouvernorat d’Al Anbar, par Daesh, les américains, pragmatiques, ont compris que sans l’appui terrestre iranien ils n’arriveraient pas à vaincre Daesh. Alors qu’il se refuse toujours à engager des troupes au sol, l’accord préliminaire sur le nucléaire iranien témoigne d’une modification de la stratégie d’Obama confronté au risque de perdre son investissement irakien [3] et de voir son allié saoudien directement menacé.
A partir de ce constat combattre Daesh demandera du temps car les frappes aériennes sont relativement inefficaces contre un ennemi totalement imbriqué dans la population.

Les conditions nécessaires à la mise en œuvre d’une stratégie gagnante contre Daesh sont :

  • exiger de la Turquie, membre de l’OTAN, qu’elle ferme sa frontière à Daesh, mette fin à tous ses trafics qu’elle autorise sur son territoire et cesse ses frappes contre les Kurdes ;
  • stopper toutes les actions de déstabilisation du régime d’Assad jusqu’à l’éradication du califat ;
  • faire pression auprès du gouvernement irakien pour une mise en œuvre effective du programme de réconciliation nationale [4];
  • mettre en place auprès des Peschmergas et des milices iraniennes et irakiennes des contrôleurs aériens avancés pour optimiser l’efficacité des frappes aériennes durant les offensives ;
  • ne pas trop compter sur une reconstruction rapide de l’armée irakienne tant que ne seront pas votées les deux lois d’amnistie générale et de fin de la débassification.

Tant que ces conditions politiques ne seront pas réunies l’engagement de troupes au sol occidentales contre Daesh serait faire tuer nos soldats pour un résultat aléatoire.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL, auteur de « Carnet de guerres et de crises 2011-2013 », Lavauzelle, Mai 2014 et de « Russie, alliance vitale », Choiseul, 2011.

[1] Le major général Soleimani, 58 ans dirige depuis 1998 Al-Qods, force d’intervention extérieure (à l’image de nos forces spéciales) de l’Iran. Chef brillant tacticien et charismatique, sa force est destinée à soutenir les chiites au Moyen-Orient. C’est lui qui contribue à bâtir la branche armée du Hezbollah libanais. En 2012, il engage les forces armées d’Al-Qods dans le conflit syrien et en 2015 au Yémen.

[2] Alahed

[3] « Globalement les américains ont dépensé davantage à ce jour en Irak depuis mars 20 que pour l’ensemble du deuxième conflit mondial », Général Vincent Desportes, « La guerre probable », Economica, octobre 2009, page 12.

[4] Lire : http://www.geopolitique-geostrategie.fr/jean-bernard-pinatel/analyses/irak

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