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La Chine va-t-elle s’impliquer militairement au Moyen-Orient ?

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Article publié par « Le Figaro », le 01 février 2016.

La guerre contre l’EI en Syrie et en Irak implique désormais, outre les puissances régionales, l’ensemble des grandes puissances membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU à l’exception de la Chine. Aussi est-il légitime de se poser la question : la Chine restera-t-elle la grande absente du chaudron irako-syrien ?

Le voyage du président chinois Xi Jinping, du 19 au 23 janvier 2016, en Arabie saoudite, en Égypte et en Iran démontre clairement l’influence géopolitique croissante de Pékin au Moyen-Orient. Il est donc légitime de se demander si la Chine va aussi s’impliquer militairement dans la lutte contre les terroristes de l’Etat Islamique ? La déclaration du Président Xi Jinping, annonçant que son pays entendait faire payer aux «criminels» de Daesh l’«atroce assassinat» d’un ressortissant chinois, en Syrie [1], détenu depuis septembre dernier peut le faire penser d’autant plus que cet assassinat coïncide avec la mort de trois cadres chinois dans l’attaque de l’hôtel Radisson de Bamako le 20/11. Le gouvernement chinois peut-il se contenter de déclarations et ne rien faire pour protéger ses ressortissants à l’extérieur du pays ?

La ligne politique chinoise au Moyen-Orient

Dans un document publié à Pékin en janvier 2016, la Chine a réaffirmé sa détermination à développer ses relations avec les pays arabes sur la base des cinq principes : « le respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, non-agression mutuelle, non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures, égalité et avantages réciproques et coexistence pacifique. Elle soutient le processus de paix au Moyen-Orient, la création d’un État palestinien indépendant et pleinement souverain sur la base des frontières de 1967 et ayant Jérusalem-Est comme capitale ainsi que les efforts déployés par la Ligue arabe et ses États membres à cette fin. Elle s’en tient au règlement politique des crises régionales et appuie la création d’une zone exempte d’armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive au Moyen-Orient. Elle soutient les efforts actifs des pays arabes visant à renforcer l’unité, à contrer la propagation des idées extrémistes et à combattre le terrorisme ».

Conformément à cette ligne politique, la Chine s’est maintenue jusqu’à présent à l’écart de la lutte contre l’Etat islamique. Cette attitude était dictée par le désir de ne pas déplaire à l’Arabie Saoudite et au Qatar, deux de ses principaux fournisseurs de pétrole, ennemis farouches du régime de Bachar el-Assad et qui soutiennent les groupes islamistes, mais aussi pour ne pas fournir d’arguments à tous les prédicateurs salafistes qui veulent embrigader dans le terrorisme la population Ouighour du Xinjiang.

Néanmoins, la position chinoise reste très éloignée de la solution « démocratique à tous prix », que semble défendre hypocritement les Etats-Unis et l’Europe en Syrie quand on connaît le soutien indéfectible qu’ils apportent à des régimes corrompus ou moyenâgeux comme celui en place en Arabie Saoudite.

La position chinoise insiste sur la nécessité d’un compromis, plutôt que la révolution et ses conséquences directes, le désordre et le chaos généralisé.
La Chine a donc conservé naturellement ses relations diplomatiques avec Damas et y maintient un ambassadeur. Pékin soutient diplomatiquement le gouvernement d’Assad [2]. La Chine n’a jusqu’à présent acheminé en Syrie, de manière ouverte, qu’une aide humanitaire au profit du croissant rouge syrien et a promis une aide importante pour la reconstruction du pays.

Fait nouveau, en mai 2015, sur le plan militaire, la Chine a affiché sa coopération navale en Méditerranée orientale avec la Russie à l’occasion de manœuvres navales communes.

Aussi, il apparait légitime de se demander si on ne va pas assister à un changement de cette politique traditionnelle face à la menace que constitue l’Etat islamique, à l’implication plus ou moins directe et ouverte des Etats du Moyen-Orient notamment celle de la Turquie et aux conséquences que cela peut engendrer pour la sécurité dans le Xinjiang.

En effet, la Chine apprécie toujours une situation selon trois points de vue : le droit international et la légitimité, ses intérêts internationaux et sa stratégie globale, et les conséquences sur le plan intérieur c’est-à-dire pour le Moyen-Orient les activités des djihadistes Ouighours de la province extrême orientale du Xinjiang.

Le risque salafiste au Xinjiang

Pékin prend en effet très au sérieux le risque de contamination des Ouighours [3] du Xinjiang [4] par le salafisme djihadiste, même si cette population musulmane n’est pas acquise à priori aux djihadistes. En effet, elle est de tradition soufie et, de ce fait, considérée par les salafistes comme déviante [5] car revendiquant une relation directe avec Dieu et faisant du prophète un simple instrument de la révélation.
Néanmoins, les musulmans chinois sont passés de près de 11 millions en 1951 à plus de 20 millions aujourd’hui. [6] D’autres estimations avancent le chiffre de 40 à 60 millions, avec plus de 30.000 imams et presque 24.000 mosquées répartis principalement dans les provinces musulmanes.
A partir de la fin des années 80, les séparatistes musulmans de la province autonome du Xinjiang sous l’influence d’Al Qaida, ont de plus en plus contesté l’autorité centrale de Beijing. Néanmoins ce conflit est resté peu médiatisé en occident par rapport à la lutte des Tibétains contre le gouvernement central chinois.

Les Ouighours représentent, en effet, l’ethnie la plus nombreuse du Xinjiang soit 46% de la population (13 millions) malgré une « hanisation » galopante depuis l’arrivée au pouvoir de Mao. Il existe par ailleurs une diaspora ouïgoure très active regroupée dans le Congrès mondial des Ouïghours dont le siège est à Munich, l’Allemagne ayant accueilli de nombreux réfugiés politiques ouïghours. Cette organisation est présidée par Rebiya Kadeer, militante des droits de l’homme, libérée des prisons chinoises qui vit aux Etats-Unis où existe une association américaine des Ouïghours: le Uyghur Human Rights Project, forme classique des ONG soutenues par la CIA et le département d’Etat américain [7].

Pékin considère que ces structures sont des organisations terroristes et dénonce des liens avec le Mouvement islamique du Turkestan oriental, classée comme organisation terroriste [8], qui cherche à établir un État islamique Ouighour dans le Xinjiang.

L’implication de la Turquie dans le soutien aux djihadistes Ouighours

L’ethnie ouighour fait partie d’un vaste ensemble turcique et bénéficie ainsi de relais dans les pays voisins où existent des minorités turcophones et en premier lieu dans la Turquie d’Erdogan. Alors qu’il lutte contre le sentiment national Kurde, et nie le génocide arménien, Recep Tayep Erdogan appuie le développement du panturquisme. Ainsi en juillet 2009, depuis le G8 d’Aquila (Italie), il a dénoncé une « forme de génocide» au Xinjiang. La diplomatie turque s’est ensuite employée à modérer ses propos. Mais les services secrets turcs sont à la manœuvre pour aider le Mouvement Islamique de l’Est du Turkestan à acheminer les combattants Ouighours en Syrie.

Seymour Hersh rapporte dans Military to Military [9] les inquiétudes de l’ambassadeur de Syrie en Chine Imad Moustapha [10] : « Erdogan a transporté des Ouighours vers la Syrie par des moyens de transport spéciaux tandis que son gouvernement s’agitait en faveur de leur combat en Chine. Les terroristes musulmans ouighours et birmans qui s’échappent par la Thaïlande se procurent d’une manière ou d’une autre des passeports turcs puis sont acheminés vers la Turquie d’où ils transitent vers la Syrie. »
L’ambassadeur a ajouté qu’il existe une « ratline » [11] qui achemine les Ouighours – les estimations vont de quelques centaines à quelques milliers – depuis la Chine via le Kazakhstan pour un éventuel transit par la Turquie. « Le fait qu’ils aient été aidés par les services secrets turcs pour se rendre en Syrie depuis la Chine en passant par la Turquie a été à la source de tensions énormes entre services secrets chinois et turcs. La Chine est inquiète du soutien de la Turquie envers les combattants Ouighours en Syrie, qui pourrait très bien s’étendre au Xinjkiang. Nous fournissons déjà des informations concernant ces terroristes et les routes qu’ils empruntent pour rejoindre la Syrie aux services secrets chinois. »
Le journal IHS-Jane’s Defence Weekly a estimé en octobre 2015 qu’au moins 5000 futurs combattants Ouighours étaient arrivés en Turquie depuis 2013, dont peut-être 2000 avaient fait mouvement vers la Syrie. Moustapha a déclaré qu’il détenait des informations selon lesquelles « au moins 860 combattants Ouighours se trouveraient en Syrie. »

Les indices d’une implication militaire accrue de la Chine au Moyen-Orient

La presse officielle chinoise louait le 12 mai 2015 la relation de plus en plus étroite entre Pékin et Moscou, tandis que les deux puissances lançaient conjointement des manœuvres navales inédites en Méditerranée [12]. Ces exercices rassemblent neuf navires de guerre russes et chinois pour une durée prévue de 11 jours, a rapporté le quotidien Global Times.

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La Méditerranée est une partie du monde où les deux pays n’avaient jamais procédé à des exercices militaires communs, ont précisé les médias à Pékin. « Cela montre clairement que les deux pays vont œuvrer ensemble au maintien de la paix et de l’ordre international de l’après-guerre», a commenté l’agence de presse Chine Nouvelle, qui voit dans ce rapprochement la garantie d’une «contribution à un monde meilleur ».

Par ailleurs, en novembre 2015, Pékin a conclu un accord de dix ans avec Djibouti, pour permettre à la Chine d’y construire une plateforme qui abritera des infrastructures logistiques militaires. «Il s’agira de leur premier emplacement militaire en Afrique». Cette base sera tournée d’une part vers l’Océan Indien pour sécuriser la route maritime d’acheminement du pétrole du Golfe Persique et vers l’Afrique. C’est la première base chinoise située aussi à l’Ouest. Elle pourrait constituer un relais et un point d’appui précieux si Pékin décidait d’engager des troupes ou de fournir des équipements militaires à la Syrie.

Pour l’instant, l’action ouverte de la Chine se borne à un soutien diplomatique de l’Etat syrien, à une aide humanitaire et à une promesse de 30 milliards après la guerre pour aider à la reconstruction du pays. Le 2 novembre 2015 l’ambassadeur de Chine à Damas, Wang Qi Jian, recevant une délégation syrienne une délégation de religieux et de tribus, a réitéré le soutien de son pays « au règlement politique de la crise en Syrie pour préserver la souveraineté du pays et l’unité de ses territoires ».

On peut donc affirmer sans crainte que la Chine ne restera pas à l’écart d’un règlement politique de la crise syrienne. De plus, si la guerre contre Daesh s’éternise, il est certain que les menaces pour la sécurité de ses ressortissants au Xinjiang ou de ses expatriés augmentera et qu’il sera de plus en plus difficile au gouvernement chinois de se borner à des déclarations comme en 2015 sans rien faire pour venger les victimes chinoises des terroristes.

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Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Fan Jinghui a été enlevé le 10 septembre ; exécution Annoncée le 19/11/2015 par Daesh.

[2] Elle a joint son véto en 2014 à une résolution du Conseil de sécurité de l’Onu présentée par la France qui devait renvoyer le « dossier syrien » devant la Cour pénale internationale (CPI pour ses violations monumentales des droits de l’homme et du droit humanitaire international.

[3] Les Ouïghours font partie d’un vaste ensemble de groupes ethniques et culturels turco-mongole dont les Kirghizes, les Ouzbeks et les Kazakhs que l’on trouve aussi au Xinjiang qui composent la majorité des populations de l’Asie Centrale. Les peuples turcs regroupent 22 groupes ethniques couvrant le Caucase (Azerbaïdjan, Crimée, Daguestan, la Moldavie), l’Iran, l’Asie centrale (d’Ouest en Est : le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Kirghizstan, le Kazakhstan, Karakalpakie), la Mongolie, la Chine (le Xinjian), la Russie (la Sibérie, la Iakoutie) Tous des groupes parlent des langues turciques apparentées, de la famille ouralo-altaïque, qui sont des langues agglutinantes.

[4] Cette province chinoise vaste comme 3 fois la France est frontalière de 8 Etats– la Mongolie, la Russie, le Kazakhstan, le Kyrgyzstan, le Tajikistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde.

[5] Ces peuples turciques pratiquent un Islam sunnite hanafite (interprétation la plus ouverte des 4 tendances du sunnisme qui laisse une forte marge de manœuvre dans l’interprétation de la charia). Aux quatre écoles juridiques, s’ajoutent quatre écoles théologiques qui sont relativement en état de conflit. Les tribus turques d’Asie Centrale adhérent au maturidisme, une école relativement marginale. De plus, l’Islam des Ouïghours a été fortement influencé par le soufisme, qui est la voie mystique et ésotérique de l’Islam. Par la pratique de l’ascèse et de la méditation, le soufi atteint un état mystique où il fusionne avec Dieu, lui procurant une connaissance intuitive de Dieu au-dessus du Prophète, simple instrument de la révélation.

[6] Statistiques officielles du Gouvernement chinois.

[7] Depuis le début des années 2000, des dizaines d’organisations avec un programme démocratique ont vu le jour, principalement en Amérique du Nord et en Europe à Munich qui est la ville d’Europe qui possède la plus grande population ouïghoure et qui accueille le plus d’organisations. Aujourd’hui, par l’intermédiaire de la National Endowment for Democracy, le Département d’État des États-Unis finance la plupart des organisations indépendantistes ouïghoures militant pour un État démocratique.

[8] Le Mouvement islamique du Turkestan oriental est placé sur la liste officielle des groupes terroristes de la République populaire de Chine, des États-Unis et du Kazakhstan. En 2002, les Nations unies ont classé le mouvement comme étant proche d’Al-Qaida.

[9] Military to Military

[10] Imad Moustapha, actuel ambassadeur de Syrie en Chine, était le doyen de la faculté des sciences de l’Université de Damas, et un proche collaborateur d’Assad, lorsqu’il fut nommé en 2004 ambassadeur de Syrie à Washington, poste qu’il occupa pendant 7 ans.

[11] Route secrète.

[12] Manœuvres navales inédites en Méditerranée pour Pékin et Moscou et Des navires de guerre chinois et russes arrivent en Méditerranée pour des exercices conjoints (RT)

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