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Analyse de la situation politique et militaire en Irak - Janvier 2016

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Situation militaire

Le fait du mois est la décision de Washington d’accroitre son engagement militaire en Irak. Face au succès de l’intervention Russe en Syrie (les forces d’Assad sont sur le point de prendre Alep) et le déploiement de troupes turques au Kurdistan, Washington [1] a décidé à d’accroitre son effort terrestre en Irak par l’envoi d’éléments de la 101ème division aéroportée pour aider les forces irakiennes et les peshmergas à reprendre Mossoul et Raqqa. Des détachements précurseurs des 17 000 hommes de la 101ème division aéroportée sont en cours de déploiement sur la base aérienne d’Ain Al Assad [2]. Selon le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter, 500 soldats du quartier général de la 101e division aéroportée se joindront aux combats en Irak fin février. 1.300 soldats supplémentaires de la 2e brigade vont se déployer en Irak à la fin du printemps pour former et appuyer l’armée irakienne et les peshmergas kurdes. Cette décision a aussi pour but de couper l’herbe sous les pieds de la Turquie qui, sous prétexte de lutter contre Daesh, veut éviter la création d’un Etat Kurde et positionner des forces armées au Kurdistan syrien et irakien.

Ashton Carter [3] dans un discours aux soldats de la 101e Division aéroportée sur le point d’être déployée en Irak, a nommé les deux plus grandes zones urbaines contrôlées par l’EI, Mossoul dans le nord de l’Irak, troisième plus grande ville du pays, et Raqqa, la capitale de fait de l’EI, dans l’est de la Syrie, comme les principales cibles, pour la prochaine période, d’opérations coordonnées aériennes, terrestres et spéciales. Il a ainsi précisé la stratégie d’Obama dans la guerre contre Daesh dans les termes suivants: « Je sais que la 101e a pris Mossoul autrefois et vous pourriez le refaire ». « Nous pourrions déployer de nombreuses brigades sur le terrain et arriver en force, mais cela deviendrait probablement notre combat et seulement notre combat ». Un tel effort « américaniserait le conflit, permettant à l’EI d’appeler ceci une occupation étrangère ». « Plus problématique encore seraient les efforts pour tenir des villes comme Mossoul et Raqqa si elles étaient vaincues par une force d’invasion plutôt que par des alliés locaux de Washington, tels que les forces kurdes et les troupes gouvernementales irakiennes ». Au lieu de cela, a-t-il expliqué, « nous allons permettre à des forces locales motivées et une coalition internationale au plan de campagne clair, avec le leadership américain et toutes nos capacités impressionnantes de frappes aériennes, forces spéciales, outils informatiques, renseignement, équipement, mobilité et logistique; de formation, conseil et assistance de la part de ceux sur le terrain, dont vous, de réussir ».

Cet engagement accru américain suit le succès des forces irakiennes à Ramadi. Avant la libération de Ramadi, peu de monde aurait parié en Irak sur un succès de l’armée irakienne. Mais mieux équipées notamment de missiles antichar Kornet et 4AT, les forces irakiennes ont pu neutraliser à distance les voitures piégées conduites par des kamikazes au cours de ses attaques. Daesh ne peut obtenir des gains de terrain dans ses attaques qu’en lançant simultanément 60-70 voitures piégées à la fois pour comme c’était le cas, ce mois-ci, lors des batailles de Tharthar et de l’est d’Amiria Faluja.

Situation Politique

Malgré le succès de l’Armée Irakienne à Ramadi qui a amélioré l’image internationale de l’Irak, le Premier ministre Haider Al Abadi est toujours dans une situation politique délicate sur le plan intérieur tant vis à vis des Kurdes que des sunnites, communautés qui représentent chacune environ 20% de la population irakienne.

Avec le Kurdistan les rapports continuent de se détériorer pour trois raisons, politique, militaire et économique. Bien que les grands acteurs régionaux, Turquie et Iran, ne soient pas du tout favorables à l’émergence d’un Etat Kurde, les incessantes revendications kurdes d’autodétermination et d’indépendance ne sont pas de nature à détendre les rapports entre Erbil et Bagdad. D’autant plus que des centaines de conseillers et experts américains au Kurdistan ont établi directement des postes de commandement communs avec les Kurdes pour gérer ensemble les opérations et le renseignement contre Daesh. L’attitude des américains qui arment et appuient les Kurdes, et dont ils ont besoin pour reprendre Mossoul, fait craindre à Bagdad qu’il existe une certaine entente américano-kurde sur le statut ultérieur des territoires libérés par les Kurdes et notamment sur la ville de Mossoul. Enfin la chute des cours du pétrole sur le marché mondial a aggravé les difficultés économiques de la province du Kurdistan, notamment parce que Bagdad ne verse plus sa part de budget à la province kurde en représailles aux exportations de pétrole qu’Erbil effectue directement, le Kurdistan ayant augmenté de façon indépendante ses exportations pétrolières en 2015 à plus de 600 000 b/j.

Avec les sunnites ce sont les graves incidents qui ont eu lieu après l’explosion de voitures piégées conduites par des kamikazes à Bakuba, Mugdadyia et Jadidat Al-Shatt, faisant des dizaines de morts et de blessés shiites et provoquant la colère des milices shiites de la région. Des miliciens shiites ont immédiatement attaqué les habitants sunnites de la ville de Mugdadyia, massacrant les populations sunnites et incendiant 10 mosquées sunnites. Suite à ces exactions, L’Union des Forces sunnites qui est la principale formation représentative des sunnites, a décidé de boycotter les séances du parlement et les réunions du gouvernement irakien. 190 députés sur les 328 étant absents, le parlement irakien n’a pu poursuivre ses travaux. L’Union des Forces Sunnites a renouvelé sa demande d’application de la Charte d’Entente Politique en tant garantie de la réconciliation nationale et notamment ses exigences de dissolution des milices shiites, du retrait de toutes leurs armes lourdes, moyennes et légères et de réserver le port d’armes aux seuls agents de l’Etat et à l’armée irakienne auquel il faut ajouter l’aide au retour les expulsés et les déplacés de guerre chez eux et leur dédommagement.

Le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Irak a été tenu informé de ces exigences sunnites lors d’une réunion tenue avec l’Union des Forces Sunnites. A l’issue de cette réunion, le représentant du secrétaire général de l’ONU a publié un communiqué de presse appelant tout le monde à éviter les violences, les actes de vengeance et le discorde communautariste et à ne pas attaquer les lieux saints pour ne pas provoquer, de nouveau, une guerre communautariste.

De leur côté, les partis shiites accueillent sans enthousiasme le déploiement de forces de la 101ème division aéroportée américaine. L’Alliance Nationale, shiite, a déclaré qu’elle attendait une explication du premier ministre. La Coalition de l’Etat de droit de l’ex-premier ministre Nourri Al Maliki s’est, étonnée du mutisme gouvernemental à l’égard du déploiement de nouvelles troupes américaines en Irak et de la nature de cette nouvelle présence dans le pays. En revanche, le Conseil Islamique Suprême, a déclaré que ce renforcement entrait dans le cadre de l’accord stratégique signé entre l’Irak et les Etats-Unis.

Situation sécuritaire

Dans 12 des gouvernorats du Nord et du Sud, la situation sécuritaire est toujours calme et sous contrôle, et s’est légèrement amélioré dans l’ensemble des 6 gouvernorats dans lesquels Daesh réalise des attentats puisque l’on ne déplore que 397 morts en janvier contre 545 en décembre (-28%).

Ainsi dans le gouvernorat d’Al Anbar on déplore 106 morts contre 182 en décembre ; à Nineveh 86 contre132 ; à Salahuldein 74 contre 86, à Kirkuk 43 contre 73 ; à Diyala 32 stable et à Bagdad 56/contre 60.

En revanche à Bagdad on doit souligner aussi l’augmentation considérable des cas d’enlèvement. Environ une vingtaine de personnes sont enlevées chaque jour auxquels s’ajoutent des cambriolages, d’assassinats, de vols à main armée et de chantages. Dans la plupart des cas, les groupes des malfaiteurs portent des uniformes militaires. Il y a deux semaines, cinq policiers ont été enlevés au centre de Bagdad, à la rue Sadoune où se trouve l’ambassade française. Pendant la même période, trois soldats américains se trouvant dans un appartement situé au sud de Bagdad ont été, eux aussi, enlevés. Même un vice-ministre de la justice a été enlevé.

A noter qu’une partie de ces actes criminels ont un caractère sectaire. Ils visent les Kurdes habitant dans les quartiers de Bagdad à majorité shiite. Les Kurdes de Bagdad sont menacés de mort par des hommes cagoulés se présentant à leur domicile comme des membres des milices shiites connues. Ils leur demandent de quitter Bagdad. Le président irakien Fouad Massoum qui est lui-même kurde a accueilli plusieurs chefs de tribus kurdes résidant à Bagdad venus pour se plaindre de cette situation. Il s’est engagé à punir les coupables mais le gouvernement irakien semble dans l’incapacité totale d’y faire face.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Actuellement 200 membres des forces d’opérations spéciales qu’il avait envoyés en Irak en décembre 2015 sont sur le terrain et engagés dans des actions secrètes contre l’EI. Ceci n’inclut pas les 50 membres des opérations spéciales collaborant actuellement dans le nord-ouest de la Syrie avec des forces insurgées, en particulier le PYD kurde. Cette « Force expéditionnaire de ciblage spécialisée » va « commencer la chasse aux combattants et aux chefs de l’EI, les tuer ou les capturer où qu’ils soient, eux et d’autres cibles clés ».

[2] La base aérienne Al-Asad est une base aérienne irakienne, située à environ 180 kilomètres à l’ouest de Bagdad, dans la province d’Al-Anbar.

[3] World Socialist Web Site.

  1. Je vous remercie pour ces informations très précises enfin un état des lieux debarrassé des opinions, non dits, et imprécisions habituels.

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