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Où va l’Irak ?

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Alors que les observateurs ont les yeux braqués sur la Syrie, chez son grand voisin, l’Irak, se déroule une lutte sanglante pour le pouvoir qui fait mensuellement, mais de façon moins médiatique, au moins autant de morts et de blessés.

En effet, le retrait total des troupes américaines d’Irak qui s’est achevé en décembre 2011 a créé un vide politique et sécuritaire que le Premier ministre Al Maliki accentue par une politique autocratique et communautariste visant à concentrer tout le pouvoir entre ses mains et à en écarter définitivement les Sunnites. Cette politique est menée avec continuité depuis 2009 où Maliki avait réussi à interdire à plus de 500 candidats sunnites de se présenter aux élections législatives, sous prétexte de leur passé bassiste.

Les élections du 7 mars 2010 où la liste irakienne (Irakia) était arrivée de justesse en tête des élections législatives avec 91 députés contre 89 à son parti de « l’Etat de droit » l’ont conduit à radicaliser cette politique. Pour garder le pouvoir, il a du faire alliance avec «l’Alliance nationale irakienne» (ANI), arrivée troisième aux élections et qui regroupe les principaux partis chiites, dont le courant sadriste et le Conseil suprême islamique en Irak (CSII). Il est désormais prisonnier de son aile extrémiste soutenue par l’Iran et notamment de Moktada Sadr, revenu d’Iran après un exil auto imposé de quatre ans. [1] Cette influence iranienne s’est manifestée le samedi 21 mai 2011 quand des dizaines de milliers de partisans de Moktada Sadr ont ainsi défilé dans les rues de Bagdad, menaçant « d’intensifier la résistance armée » et de « réactiver l’Armée du Mahdi », si les troupes américaines restaient en Irak après le 31 décembre 2011.

Cette ligne s’est à nouveau concrétisée en janvier 2012 par la grave crise politique qu’il a initié en signant un mandat d’arrêt contre le vice-président sunnite de la république, Tarek Al Hachimi, qui est l’un des dirigeants de la « liste Irakienne », et, également, en demandant au parlement de voter une motion de censure contre le vice-Premier ministre, sunnite, Saleh Al Mutlag qui est aussi un dirigeant important de cette même Liste Irakienne [2]. Du coup, la « liste Irakienne » qui ne dispose plus aujourd’hui au parlement que de 83 députés [3] et au gouvernement de 9 ministres a déclaré qu’elle boycotterait les travaux du parlement.

La crise politique actuelle souligne l’importance actuelle des kurdes dans le processus politique en Irak. Le vice-président Tarek Al Hachimi a trouvé un refuge, au Kurdistan, qui a décidé de le soutenir et refusé de l’extrader vers Bagdad. Cela a poussé l’un des dirigeants du « bloc de l’Etat de droit » d’Al Maliki de déclarer que le président de la république kurde, Jalal Al Talabani, soutenait le terrorisme. Cette déclaration a entrainé le retrait des députés kurdes du parlement qui ont refusé d’y revenir tant que ce dirigeant n’aura pas présenté des excuses [5].

Dans le même temps Al Maliki a essayé de se débarrasser du chef d’état-major de l’armée irakienne, Babekir Zebarî, qui est d’origine kurde, dans une tentative visant à faire pression sur les dirigeants kurdes et les pousser à changer d’avis et de positions vis-à-vis de sa formation politique. Notons que les deux ministères de la Défense et de l’Intérieur, qui étaient promis à un sunnite et à un kurde, ne sont toujours pas pourvus depuis un an.

Cette ligne visant à éliminer les Sunnites du pouvoir en Irak s’est à nouveau manifestée sur le dossier ouvert par le gouvernorat de Salah ad-Din qui réclame son autonomie par rapport au gouvernement central. Confronté à cette revendication, le premier ministre Nouri Al Maliki a récemment fait une déclaration sur les zones litigieuses et sur la nécessité de refonder un nouveau fédéralisme. Refusant tout référendum visant à créer une province autonome, le plan d’Al Maliki prévoit un transfert de souveraineté de certaines zones turkmènes de Salah ad-Din à Kirkuk et des zones chiites à Bagdad. Si ce projet voyait le jour, les objectifs de certains dirigeants kurdes relatifs à la constitution d’une province autonome kurde et d’un mini-Irak allant de Bassora à Samara seraient réalisés. La part des Sunnites serait très réduite par rapport à leur nombre et à leur présence géographique dans des régions comme Mosul et Kirkuk. Ce scénario serait suicidaire pour l’Irak car rien ne permet de penser que les Sunnites se laisseront rayer de la carte politique sans une farouche résistance qui d’ors et déjà remet en cause les efforts de normalisation sécuritaire enregistré en 2010-2011.

Ces provocations répétées d’Al Maliki contre la minorité sunnite se traduisent chaque fois par des flambées d’attentats visant les chiites dans les zones où les Sunnites sont implantés, ce qui entraine une augmentation du nombre d’attentats, très inégalement répartis dans le pays, avec des zones très exposées et d’autres plus calmes.

D’une manière générale on peut dire qu’aujourd’hui le Kurdistan et la Région de Bassora, Meysan sont calmes et que la sécurité y est assurée. En revanche, en janvier 2012, les 255 attentats qui ont fait plus de 300 morts [5] se sont concentrés très majoritairement à Bagdad, suivi par Diyala, Mossoul, Al Anbar et Salal ad-Din où les violences avaient explosé durant les deux derniers mois de 2011 après que le gouvernorat de Salah ad-Din ait déclaré ses velléités d’autonomie.

Il y a fort à parier que seul un pouvoir militaire sera capable de maintenir l’unité du de l’Irak et de gouverner sans parti pris communautariste. Les printemps démocratiques arabes rêvés et soutenus par les occidentaux se heurtent à la réalité des cultures, des religions et des traditions. Une fois de plus, on constate, en Irak comme précédemment au Liban et aujourd’hui en Egypte, que la stabilité et la sécurité d’un pays exigent une culture et des valeurs communes ce que les partisans du communautarisme en France ou ailleurs ne veulent pas entendre. Mais les faits sont têtus.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Iran avec lequel il effectue des va et vient constants et où il poursuit ses études théologiques.

[2] Nouri Al Maliki a accusé Al Hachimi d’être impliqué dans des actes perpétrés par des escadrons de la mort visant des hommes politiques irakiens pendant la période 2006-2008. Dans une escalade inhabituelle, la télévision publique irakienne a montré des aveux de l’un des gardes du corps d’Al Hachimi, seulement 48 heures après l’arrestation de ce garde.

[3] Un député Bachar Hamid al-Agaydi à été tué dans un attentat à Mossoul et 8 autres soumis à des menaces ont fait dissidence.

[4] Il promet périodiquement la tenue d’une conférence nationale de réconciliation mais n’en fixe ni la date ni le lieu. Ce n’est pas faute pour la liste Iraqya de donner des gages de bonne volonté puisque fin janvier 2012, Mme Damaloudji, porte parole du groupe a annoncé la décision du groupe Iraqiya de retourner au Parlement pour contribuer au succès de la conférence nationale proposée par le président irakien Jalal Talabani», a expliqué sa porte-parole . Plusieurs hauts responsables politiques irakiens avaient plaidé ces dernières semaines pour un geste d’Iraqiya en ce sens, a-t-elle rappelé. «Les députés vont participer au vote du budget et d’une loi d’amnistie» pour des personnes en détention provisoire, « pour tenter de régler la question de AL Hachémi et d’empêcher le limogeage du vice-président Saleh Moutlak ».

[5] Plus de 400 morts en décembre 2011.


La France paye à Bagdad
son activisme dans le dossier iranien

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Jean-Bernard PINATEL - Président de LP Conseil et de Tiger Corporate Security – Fondée en 2009 avec deux associés, un Français, d’origine irakienne, et un Irakien, résidant à Bagdad, cette société réalise des études de sûreté générale, d’intelligence économique et mène des missions de protection et d’intermédiation.

Un convoi de l’ambassade de France à Bagdad a été visé, lundi matin, le 20 juin 2011, à 08h17, par un attentat terroriste à la voiture piégée dans le quartier d’El Masbah, au sud de Bagdad, non loin de la résidence de l’ambassadeur de France à Bagdad, faisant sept blessés irakiens dont quatre gardes irakiens de l’ambassade. Les trois autres sont des passants qui se trouvaient là par hasard. Aucun membre du personnel diplomatique français ni du personnel français de sécurité n’a été touché, d’après le porte-parole de l’ambassade. L’attentat a eu lieu sur le trajet habituel emprunté par les convois de l’ambassade entre la résidence de l’ambassadeur et les bâtiments de l’ambassade. C’est le second attentat de ce genre dont l’ambassade est victime en trois semaines. Le premier attentat a eu lieu également sur le même trajet.

Le mode d’action choisi et le quartier de Bagdad où il s’est déroulé fait penser que la main de l’Iran est derrière cet attentat.

Quels messages sont-ils ainsi lancés par les iraniens vers les responsables politiques français ? Deux dossiers irritent fortement les iraniens.

La France a toujours suivi voire précédé inutilement la position américaine de diabolisation de l’Iran sur le dossier nucléaire alors que tout laisse à penser qu’il s’agit, une fois de plus, d’une désinformation du lobby militaro-industriel américain [1].

Bien plus, la veille de l’attentat, elle a accueilli le 19 juin à Villepinte, le rassemblement européen de plusieurs dizaines de milliers d’exilés et opposants iraniens. Cette manifestation aurait notamment réuni autour de Maryam Radjavi, présidente élue de la Résistance iranienne, plusieurs personnalités américaines très en pointe sur la dénonciation du régime iranien comme Rudy Giuliani, ancien maire de New York et candidat à la présidence des États-Unis (2008),Tom Ridge, premier secrétaire à la Sécurité intérieure des États-Unis (2003-2005) ou Bob Filner, membre du congrès et Président du Comité de la Chambre sur les affaires des anciens combattants depuis 2007. Tous les orateurs ont dénoncé avec vigueur la répression menée par le régime iranien notamment contre la principale organisation d’opposition irakienne, celle des Moudjahiddines du Peuple.

Autant il est légitime de fustiger le régime autoritaire du Président Mahmoud Ahmadinejad, autant il est contreproductif de suivre les États-Unis dans la dénonciation d’une menace inexistante. Par ailleurs, il serait utile que des leaders politiques français expriment leur souhait d’un retrait total des forces américaines d’Irak, selon le calendrier prévu (décembre 2011). Une évolution de la position française sur le dossier nucléaire iranien et une affirmation du souhait de voir l’Irak retrouver en décembre sa pleine souveraineté seraient de nature à tarir une source inutile de risques contre nos ressortissants en Irak.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Lire mon précédent article du 10 juin 2011 : « L’arme nucléaire de l’Iran : une autre désinformation américaine qui se dégonfle ».


L’Iran accroit sa pression pour obtenir un retrait total des forces américaines d’Irak

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Le 27 février 2009, dans un discours sur la base de Marines de Camp Lejeune, en Caroline du Nord (Sud-Est), Barack Obama avait annoncé que les derniers soldats américains quitteraient l’Irak avant la fin décembre 2011. Aujourd’hui, il reste en Irak un peu moins de 50 000 militaires américains, répartis dans une dizaine de bases.

A Bagdad, les ministres de l’Intérieur et de la Défense du gouvernement Maliki ne sont toujours pas nommés, l’Intérieur devant revenir à un chiite et la Défense à un sunnite.

Mais le premier ministre, Nouri Al Maliki, a refusé jusqu’à présent les candidats pressentis souhaitant la nomination de responsables sans envergure à ces postes essentiels pour la sécurité, afin de conserver tout le pouvoir entre ses mains. Un ancien officier sunnite qui était considéré comme favori pour occuper le poste de ministre de la Défense a fait l’objet d’un attentat par stick-bombe sous sa voiture et est gravement blessé.

C’est dans ce contexte que surviennent des déclarations contradictoires de responsables américains sur le respect du calendrier annoncé de retrait total des forces américaines.

L’Iran de son côté refuse de voir perdurer des bases américaines à ses frontières et accentue la pression, via les milices de Moktada Sadr, pour que le calendrier annoncé soit respecté.

Ainsi le mois dernier, Moktada Sadr a menacé « d’intensifier la résistance armée » et de « réactiver l’Armée du Mahdi » si les troupes américaines restaient en Irak après le 31 décembre prochain. Des dizaines de milliers de ses partisans ont ainsi défilé le 21 mai dans les rues de Bagdad, menaçant de reprendre la lutte armée si les forces américaines ne quittent pas le pays, comme prévu. A Bassora, c’est plus de 5.000 personnes qui ont lancé le même avertissement aux États-Unis.

Sur le terrain, l’Iran, par l’intermédiaire de milices à sa solde, accentue la pression contre les bases américaines.

Cinq roquettes Katiouchas ont été tirées à l’aube du 6 juin contre l’immense base américaine de Camp Victory, à l’Ouest de Bagdad, tuant 5 soldats américains.

Au Sud, l’aérodrome de Bassora, où est située une autre base américaine, a été visé en mai par trois attaques de missiles Katiouchas tandis que les convois américains ont subi deux attaques à l’engin explosif. Trois militaires américains auraient été blessés au cours de ces attaques.

Alors que la sécurité continue à s’améliorer globalement en Irak depuis 2009, le non-respect du calendrier annoncé risquerait de replonger le pays dans la guerre civile.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL


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