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Erdogan réouvre le conflit du Haut Karabagh pour mettre en difficulté Poutine qui a mis en échec sa politique syrienne

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Dans la nuit du vendredi 2 au samedi 3 avril 2016, l’Azerbaïdjan a lancé une offensive pour envahir la République Arménienne du Karabagh. Trois jours après cette décision prise par les présidents turcs et azerbaïdjanais MM. Erdogan et Aliev et une centaine de morts l’offensive a échoué et un cessez le feu est entré en vigueur. Cet évènement rappelle que le haut Karabagh est un conflit latent entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie dans lequel la main de la Turquie, coupable du génocide arménien, est toujours présente. Ce conflit gêne la Russie attachée à maintenir des bonnes relations avec ces deux pays et avec l’Iran chiite. Une fois de plus l’histoire permet d’éclairer la crise actuelle.

Retour sur l’histoire

Au début de 20ème siècle l’Empire ottoman a perdu l’essentiel de ses possessions européennes dans les Balkans. Il compte environ 35 millions d’habitants, dont 2 millions d’Arméniens chrétiens. Ces Arméniens vivent pour l’essentiel au pied du Caucase, et en Cilicie, au sud de la Turquie actuelle. En 1909, le mouvement des Jeunes-Turcs prend le pouvoir. Ils se fixent pour objectif de rassembler les populations de langue turque et de créer une nation turque racialement homogène [1].
Le début de la première guerre mondiale, dans laquelle l’empire Russe est allié à la France et à la Grande-Bretagne, amène naturellement les jeunes-Turcs à faire pression sur le Sultan pour rallier la coalition opposée avec l’espoir de reconquérir la Crimée et le Caucase dont ils ont été chassés au XIXème siècle par les victoires russes. Mais l’armée ottomane subit une terrible défaite à la bataille de Sarikamis [2]. Les jeunes-Turcs prennent prétexte de l’engagement des arméniens [3] aux cotés des russes pour mettre en œuvre leur projet de Turquie racialement homogène. Ce projet est mis en œuvre avec méthode. 1,2 million d’arméniens sont assassinés soit les deux tiers de la population arménienne de l’époque dans ce qui est aujourd’hui considéré comme le premier génocide de l’histoire, jamais reconnu par la Turquie.

En 1923 l’oblast autonome du Haut-Karabagh composé à 94% d’arméniens est rattaché administrativement par Staline à République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan [4] créant ainsi le différend qui est la cause de crises entre l’Arménie chrétienne et l’Azerbaïdjan chiite. On retrouve ici la même problématique qu’en Crimée, conquise sur l’empire Ottoman en 1783 par les armées de Catherine II et qui a fait l’objet d’un rattachement arbitraire à l’Ukraine en 1954 [5] par Nikita Khrouchtchev.
Gorbatchev démissionne de son poste de Secrétaire général le 26 décembre 1991 et l’Union soviétique est dissoute le 31 décembre 1991. Dès cette date, les obstacles qui empêchaient l’Arménie et l’Azerbaïdjan de se lancer dans une guerre disparaissent [6]. La guerre [7] qui se déroule de 1992 à mai 1994 cause au moins 30 000 morts dans chaque camp et entraine le déplacement d’un million de réfugiés [8]. Depuis 1995, l’OSCE offre, sans succès, sa médiation aux gouvernements d’Arménie et d’Azerbaïdjan pour rechercher une solution du différend acceptable par les deux parties. En vain, les gouvernements arméniens ne veulent rien céder des acquis de la guerre qui a permis au haut Karabagh de disposer d’une frontière commune avec l’Arménie notamment par le corridor de Latchin (voir carte ci-dessous).

12-04-2016-mica

Le jeu perdant d’Erdogan

Mis en échec par l’intervention russe en Syrie, Erdogan qui considère les Kurdes comme une menace plus importante que Daech est de plus en plus critiqué en Europe pour son double jeu. De plus Il n’a pas réussi à entrainer l’OTAN dans une confrontation avec la Russie en abattant le Sukkoi 24 russe. La réactivation de la crise du Haut Karabagh [9] lui permet de créer une diversion et de mettre dans l’embarras Poutine. En effet, la Russie qui soutient l’Arménie chrétienne entretient également de très bonnes relations avec l’Azerbaïdjan chiite, pays riverain de la mer Caspienne comme la Russie et l’Iran. Or ces pays se sont entendus en septembre 2014 pour assurer la sécurité de leur mer intérieure et se partager les ressources qu’elle possède [10].
Le président Recep Tayyip Erdogan a assuré que la Turquie serait aux côtés de l’Azerbaïdjan « jusqu’au bout ». Et de prier « pour le triomphe » des Azerbaïdjanais, qui sont « nos frères », a dit le président turc. Il a également critiqué le groupe de Minsk de l’OSCE, dirigé par la France, la Russie et les Etats-Unis et chargé de la résolution de ce conflit
Malheureusement pour lui l’Armée du Karabagh n’a pas eu besoin du soutien de la Russie pour stopper l’agression. Elle dispose en effet d’un terrain qui lui est favorable, les forces d’Azerbaïdjan étant obligées d’attaquer du bas vers le haut (le Haut Karabagh est une zone de moyenne montagne entre 500 et 900 d’altitude). Par ailleurs l’armée du Haut Karabagh est possède un très bon niveau opérationnel qui a récemment été démontré en Syrie où elles sont intervenues pour repousser les islamistes de la ville arménienne de Kessab, située en Syrie contre la frontière Turque au Nord de Lataquié.

L’église de Kassab

Face à cette agression la diaspora arménienne [11] s’est immédiatement mobilisée et les grandes puissances où elle est très influente notamment aux Etats-Unis, en Russie et en France sont intervenues pour faire pression sur l’Azerbaïdjan. Mais ce cessez le feu est loin d’ouvrir la voie à un règlement définitif de ce conflit.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Ils organisent le massacre de 20 000 à 30 000 Arméniens à Adana, dès leur prise de pouvoir.

[2] Le 6 janvier 2015, la bataille de Sarıkamış au Sud de Kars et à proximité des frontières de l’Arménie actuelle est un désastre. Seul 10 % de l’armée parvint à se replier. Enver Pacha abandonna le commandement des opérations et accusa les Arméniens de la région d’être aux côtés des Russes après son retour à Constantinople.

[3] En décembre 1914, Nicolas II de Russie visita le théâtre du Caucase. Le chef de l’Église arménienne et le président du bureau national arménien, Alexandre Khatissian, rencontrèrent l’empereur à Tbilissi :« De tous les pays, les Arméniens se pressent pour rejoindre les rangs de la glorieuse armée russe, prêts à donner leur sang pour la victoire de l’armée russe… Que le drapeau russe flotte librement sur les Dardanelles et le Bosphore, que les Arméniens sous le joug turc puissent recevoir la liberté, que le peuple arménien de Turquie qui a souffert pour la foi du Christ reçoive la résurrection pour une nouvelle vie. Source : Wikipedia.

[4] Staline, alors commissaire du Peuple pour les nationalités, est chargé d’appliquer le découpage ethnique décidé par le comité central avec des républiques et des régions autonomes. Il décide le rattachement du Karabagh à la République socialiste soviétique d’Arménie. Mais, les protestations du dirigeant du parti communiste d’Azerbaïdjan, Nariman Narimanov et surtout un soulèvement anti-soviétique à Erevan en 1921 le font changer sa décision et à attribuer le Karabagh à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan en 1921.

[5] A la fin de la seconde guerre mondiale les Tatars de Crimée furent tous déportés pour avoir aidé les Allemands. Le 19 février 1954, Nikita Khrouchtchev, dont l’Ukraine était la patrie d’adoption, rattacha l’oblast de Crimée à la République socialiste soviétique d’Ukraine (RSSU) à l’occasion du 300e anniversaire de la réunification de la Russie et de l’Ukraine.

[6] Un mois auparavant, le 21 novembre, le parlement azerbaïdjanais avait annulé le statut d’oblast autonome du Karabagh et renommé sa capitale Khankendi. En réaction, le 10 décembre avait eu lieu un référendum au Karabagh, sur initiative de parlementaires. Les Arméniens votent massivement en faveur de l’indépendance. Le 6 janvier 1992, la région déclare son indépendance de l’Azerbaïdjan.

[7] La plupart des sources citent le nombre à 25-35 000 tués dans chaque camp. Le département d’Etat américain a évalué ce nombre à environ 30 000. Le nombre de victimes est du même ordre que celui causé par d’autres conflits ethniques, comme la guerre civile en Géorgie.

[8] Environ 400 000 Arméniens ont fui l’Azerbaïdjan vers l’Arménie ou la Russie, et quelque 30 000 autres ont quitté le Karabagh. Parmi ces derniers, beaucoup sont rentrés au Karabagh à la fin de la guerre. Environ 800 000 Azéris ont été déplacés par les combats, y compris ceux d’Arménie et du Karabagh. D’autres groupes ethniques de l’enclave ont été forcés de se réfugier dans des camps construits par l’Azerbaïdjan et par l’Iran. Source : Wikipédia.

[9] Erdogan s’en va-t-en guerre ou l’histoire d’une raclée mémorable au Karabagh

[10] Ce 4ème sommet de la Caspienne a rassemblé la Russie, l’Iran, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan. Ces pays ont trouvé un accord sur les questions de « sécurité et de stabilité dans la région » et s’engagent à « garantir la sécurité et la stabilité dans la région de la Caspienne », à « garantir l’équilibre des armements des États riverains en mer Caspienne » et à « organiser la défense selon le principe de la suffisance raisonnable en respectant les intérêts de toutes les parties et sans porter préjudice à la sécurité des autres parties ». Le texte précise également : « Les parties mèneront leurs activités en mer Caspienne selon les principes suivants : navigation en mer Caspienne autorisée uniquement pour les navires battant pavillon d’un pays riverain, droit de libre passage vers d’autres mers et l’Océan mondial conformément aux normes et principes du droit international et des ententes intervenues entre les parties compte tenu des intérêts légitimes des pays de transit. » Un consensus a été trouvé sur une autre question importante.

[11] Sur une population arménienne mondiale estimée à 11 millions de personnes, seul moins d’un tiers (3,3 millions) vivent en Arménie et 130 000 dans le Haut-Karabagh.

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