Acte XIX des Gilets jaunes : pourquoi le choix du gouvernement de communiquer sur le rôle de l’armée est catastrophique
La décision de déployer des unités de la force Sentinelle pour protéger des lieux qui pourraient faire l’objet d’attaques par les extrémistes est une décision symbolique forte.
Avec Jean-Bernard PINATEL
Atlantico : N’y a-t-il pas au départ une erreur de communication à l’origine de l’imbroglio autour de la participation de forces armées au dispositif de la journée de samedi ?
Jean-Bernard Pinatel : La décision de déployer des unités de la force Sentinelle pour protéger des lieux qui pourraient faire l’objet d’attaques par les extrémistes (Black Blocs, anarchistes, etc.) est une décision qui a une portée symbolique forte et comme toute décision de cette importance elle doit être évaluée sur la forme, sur le fond et sur son opportunité.
Sur la forme, cette décision a fait l’objet d’une annonce par le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux à la sortie du Conseil des Ministres: « La mission Sentinelle sera mobilisée de manière « renforcée » samedi dans le cadre des manifestations des « gilets jaunes » afin de protéger des bâtiments officiels et autres « points fixes » », a-t-il dit.
Cette décision marque une escalade symbolique très forte du gouvernement dans le maintien de l’ordre. Aussi Il est très étonnant qu’elle ait été faite à la presse de façon si brève par le porte-parole du gouvernement à l’issue du conseil des Ministres et sans en préciser les modalités. Immédiatement les supputations les plus extrêmes ont circulé dans les médias et les médias sociaux. Cette annonce aurait dû être réalisée conjointement lors d’une conférence de presse par le Premier Ministre et le chef d’Etat-Major des armées. Cela aurait évité les déclarations plus ou moins contradictoires des porte-paroles civils et militaires qui ont réagi à chaud sans visiblement avoir des éléments de langage communs sur la nature et les modalités de cet engagement dans le cadre d’une opération de maintien de l’ordre.
On entend tout et son contraire depuis l’annonce par le gouvernement du déploiement de militaires lors de la manifestation des Gilets jaunes. Quel est le cadre précis de la mission confiée à l’armée ce samedi ?
Sur le fond, les armées françaises ne font plus de maintien de l’ordre depuis en 1921 date de création de la gendarmerie mobile qui constituent les forces de deuxième catégorie. Le dispositif sentinelle fait partie du dispositif anti-terroriste et sa mission est une protection des points sensibles par des éléments fixes et mobiles. Dire que cela ne change rien à leur mission comme l’a affirmé le Général gouverneur de Paris est en partie faux. Car une mission se définit certes par un effet à produire mais aussi par un contexte dans lequel on doit la remplir et surtout par la nature de l’ennemi auquel on va être confronté. Si l’effet à produire : défendre des points sensibles est le même, la situation est profondément différente. On est plus dans un contexte anti-terroriste comme devant la pyramide du Louvre où, en février 2017,des parachutistes de la 3ème compagnie du 1er RCP ont été attaqués par un terroriste égyptien au cri de l’ « Allah Akbar » qu’ils ont blessé et maitrisé mais dans le cadre d’un maintien de l’ordre. Et surtout l’ennemi auquel risquent d’avoir à faire les soldats n’est pas le même. Dans une opération anti-terroriste ils sont face à des ennemis qui sont là pour tuer. Demain ils seront face à des anarchistes en majorité français qui sont là pour les harceler et piller.
Interrogé ce matin sur France Info, le gouverneur militaire de Paris, le général Bruno Leray, a évoqué les consignes qu’il a reçu dans le cadre du déploiement de militaires ce samedi au cours de la manifestation. Il a évoqué la procédure évoquant la possibilité d' »aller jusqu’à ouvrir le feu ». Cette déclaration vous semble-t-elle surprenante ?
Votre question m’amène à discuter de l’opportunité de cette décision. Pour cette mission les militaires n’ont pas les protections et les armes non létales des gendarmes mobiles. S’ils sont confrontés à des jets de pavés ou de cocktails Molotov, ils n’ont que leurs armes de guerre pour se défendre. Après les sommations d’usage ils n’auront d’autre choix que de tirer. A mon avis ce qui s’est passé samedi dernier ne justifie pas l’engagement de l’armée. Les forces de l’ordre n’ont pas pu empêcher le saccage des Champs Elysées parce que des ordres leur avaient été donnés pour limiter l’emploi des armes non létales qu’elles ont en dotation et peut-être aussi à cause d’une stratégie opérationnelle inadaptée. Mais en prenant cette décision le Président de la République joue un coup de poker. Si les extrémistes sont dissuadés de s’en prendre à l’armée et n’attaquent aucun des points sensibles qu’elle protège, cela permettra de libérer des forces de 2ème catégorie pour contrôler les manifestants. Dans le cas contraire on peut tout craindre et tout dépendra de l’entrainement, de la discipline et du sang-froid des chefs des unités qui seront attaqués.
Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
Secrétaire Général du Think Tank GEOPRAGMA
Auteur de « Histoire de l’Islam radical et de ceux qui s’en servent », Lavauzelle, Mai 2017
Source : ATLANTICO