Une provocation de plus envers la Russie :
la Géorgie dans l’OTAN ?
Le président géorgien Mikheïl Saakachvili [1] a effectué, le 30 janvier 2012, sa première visite officielle à Washington. L’ordre du jour comprenait le prochain sommet de l’OTAN à Chicago, où la Géorgie espère enfin obtenir une « feuille de route » pour entrer dans l’Alliance atlantique, en s’appuyant sur sa participation dans la coalition internationale en Afghanistan où 1600 soldats géorgiens sont présents sur le terrain, constituant le plus gros contingent des pays non membres de l’OTAN.
Cette intégration de la Géorgie, patrie de Staline, dans l’OTAN serait considérée par la Russie comme une provocation supplémentaire des occidentaux, inféodés aux intérêts américains. L’intégration est, en effet, ardemment et ouvertement souhaitée par les géopoliticiens américains. Ces conseillers, que l’on retrouve aussi bien dans les camps conservateurs que démocrates, considèrent, en effet, que le maintien en l’état de la division de l’Heartland est un impératif stratégique car il assure la suprématie des États-Unis, leader du Rimland [2].
Face à cette perspective, la France doit user de son influence nouvelle dans l’Alliance et dans l’OTAN pour s’opposer de toutes ses forces à la perspective d’une entrée de la Géorgie dans l’Alliance atlantique.
Mikheïl Saakachvili est très affaibli en Géorgie. Il essaie par cette visite de redorer son blason, au moment où il est très critiqué au sein même de son parti. En effet, face à une opposition grandissante que plusieurs coups politiques et médiatiques ratés ont renforcé, le nouveau maire de Tbilissi, Guigui Ougoulava, 35 ans, apparaît à beaucoup des responsables du parti au pouvoir comme le seul capable de leur éviter une défaite aux élections présidentielles de 2013.
De son coté, par cette invitation, Obama démontre qu’à Washington les considérations géopolitiques pèsent toujours plus lourd que les idéaux démocratiques.
7 ans de pouvoir de Saakachvili en Géorgie ou une espérance démocratique déçue
7 ans après son élection triomphale à la Présidence de la République, Saakachvili, qui avait été nommé en 1997 « homme de l’année » par un panel de journalistes et de tenants des Droits de l’homme, est devenu en 2012 un Président prêt à tout pour se maintenir au pouvoir.
Cette opposition et les tensions intérieures en Géorgie ont grandi avec les derniers coups de poker manqués qu’il a tentés notamment pour réaliser l’un de ses objectifs prioritaires : obtenir le retour des provinces perdues, créant à cet effet, un ministère de la réintégration, dès son accession au pouvoir en 2004.
Ses deux premiers coups de poker avaient pourtant été des succès mais ils lui ont fait perdre toute mesure. En mai 2004, par un mélange d’action psychologique et de pression militaire, il était parvenu à chasser du pouvoir d’Adjarie le président Abachidze qui avait proclamé l’indépendance. En 2007, il avait obtenu la fermeture de la base russe de Batoumi que Moscou avait finalement acceptée en gage de la normalisation des rapports entre les deux pays.
Dès lors, l’Abkhazie et l’Ossétie étaient devenus ses prochains objectifs.
Mais les Ossètes ne sont les Abkhazes. Le peuple Ossète se sent, depuis plusieurs siècles, plus proches des Russes [3] que des Géorgiens. Déjà en 1991 la Géorgie avait essayé, sans succès, de s’emparer de Tskhinvali, capitale de l’Ossétie du Sud. Moscou, en réponse aux objectifs de réintégration de Saakahvili, avait, depuis 2004, fourni un passeport russe à tous les Ossètes du Sud ce qui en faisait de fait des citoyens russes, la Russie ne reconnaissant pas la double nationalité.
Dans la nuit du 7 au 8 août 2008, après plusieurs jours d’accrochages frontaliers entre séparatistes ossètes et armée régulière géorgienne, conforté par la tenue un mois plus tôt de manœuvres conjointes avec les forces américaines sur sol et la présence d’instructeurs américains dans son armée, Saakachvili [4] lançait les troupes géorgiennes à l’assaut de l’Ossétie du Sud causant plus de 150 victimes sud-ossètes, ainsi que des morts et des blessés dans les forces de maintien de la paix de la CEI, à prépondérance russe. S’appuyant sur le droit de protéger les ressortissants russes, la riposte de Moscou fut rapide et brutale. L’armée géorgienne fut mise en déroute après 4 jours de combat et la route de Tlibissi était ouverte. Le président Sarkozy, qui présidait l’Union européenne, obtenait un arrêt des combats et un retrait des forces russes mais, en contrepartie, la Russie s’estima désormais en droit de reconnaitre et de protéger l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkazie.
En décembre 2009, dans la ville géorgienne de Koutaïssi, Saakachvili décidait de dynamiter un monument russe, dédié à la mémoire des morts de la Seconde Guerre mondiale. Pour couper court aux critiques au sein même de son gouvernement et de la Russie, il prenait, dans la précipitation d’avancer, cette destruction de trois jours. Mal préparée, l’explosion provoquait la mort accidentelle d’une fillette de sept ans et de sa mère.
Autre coup de poker manqué, l’opposition géorgienne découvrait, le samedi 13 mars 2010, qu’elle était vendue aux Russes. En effet, ce soir-là, une des principales chaînes de télévision du pays, Imedi (Espoir), considérée comme la voix du pouvoir, annonçait que l’armée russe venait d’envahir la Géorgie, que le président Mikhaïl Saakachvili avait été assassiné et que les leaders de l’opposition s’inclinaient devant Moscou. Il fallait être à l’écoute avant 20 heures pour savoir que ce n’était qu’une fiction. Un vent de panique s’emparait d’une partie de la population : les réseaux téléphoniques étaient saturés. Une station-service était même dévalisée à Gori… Ce qui devait être un coup médiatique pour discréditer l’opposition se retourna contre Saakachvili. Du patriarche de l’église orthodoxe, à des figures de la société civile, les critiques furent nombreuses. Les diplomates occidentaux fustigèrent Imedi. John Bass, ambassadeur américain, dénonça l’irresponsabilité de la chaine, d’autant que l’émission contenait une déclaration truquée de Barack Obama. Le ministère des Affaires étrangères russe qualifia d’« irresponsable et immorale » cette « provocation » « qui n’aurait pas pu être préparée sans le concours des autorités ».
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Aujourd’hui, dans la Géorgie de Saakachvili, l’opposition, taxée d’être inféodée à Moscou, est durement réprimée. Ainsi, le 26 mai 2011, la dispersion de la manifestation de l’opposition où la police a tiré et tué plusieurs manifestants, tandis que 46 autres furent portés disparus, selon les médias géorgiens. Cette répression fut condamnée dès le lendemain par le porte-parole du département d’ État à Washington Mark Toner : « Nous sommes au courant des actions de protestation en Géorgie. Nous considérons qu’il faut respecter la liberté de réunion pacifique et d’expression des citoyens en Géorgie tout comme dans n’importe quel autre pays. Nous invitons le gouvernement géorgien à enquêter sur les incidents de ces derniers jours qui ont fait plusieurs morts ».
Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
[1] Saakachvili, qui a fait ses études universitaires aux États-Unis dans les années 1990, a été nommé en octobre 2000 ministre de la Justice du gouvernement du Président Chevardnadze ; fonction dont il démissionne 11 mois plus tard en dénonçant la corruption de plusieurs membres du gouvernement. Il fonde alors un parti d’opposition le Mouvement national démocrate. Les élections législatives de novembre 2003 sont qualifiées de trucage grossier par les observateurs internationaux. Des manifestations politiques massives ont lieu alors à Tbilissi. Après 2 semaines de tensions, le 21 novembre 2003, Saakachvili force les portes du Parlement géorgien à la tête des manifestants et chasse du pouvoir le président Chevardnadze. Après une courte campagne présidentielle financée par la fondation Soros, il est élu président en janvier 2004, à 36 ans.
[2] Consulter mon livre Russie, alliance vitale, pages 77 à 86.
[3] Le 25 septembre 1750, le peuple ossète envoya une ambassade à Saint Petersburg, auprès de l’impératrice Elisabeth Pétrovna, à laquelle ils déclarèrent que « le peuple ossète tout entier souhaite devenir sujet de la couronne russe ». Les cinq ambassadeurs ossète et l’archimandrite Pakhomi prièrent l’impératrice d’autoriser les Ossètes à descendre de la montagne. L’autorisation étant accordée, les Ossètes s’établirent dans les plaines du Caucase du Nord.
Aujourd’hui, bien que séparé par les montagnes, les Nord-Ossètes (qui vivent à l’intérieur des frontières russes) et les Sud-Ossètes (qui vivent en territoire géorgien) ont gardé des liens très forts avec leurs parents, communiquant étroitement, se rendant de fréquentes visites, se rencontrant lors de la célébration de nombreux mariages.
[4] Du 15 au 25 juillet 2008, en Géorgie s’était tenu sous commandement américain l’exercice «Immediate Response 2008 (IR-08)» combinant des forces américaines (US Army et US Marine Corps), de la Géorgie, de l’Azerbaïdjan, de l’Arménie et de l’Ukraine. Cet exercice semble avoir considérablement accru la confiance du président Saakachvili dans ses forces armées. À la fin de l’exercice, 117 militaires américains (appartenant aux US Marine Corps) étaient présents au sein des troupes géorgiennes en tant qu’instructeurs. Dans ce contexte de tension avec l’Ossétie du Sud, l’exercice «Immediate Response 2008», qui comportait l’engagement des forces américaines en Géorgie, pouvait être interprété par les Géorgiens et les Russes comme un engagement moral des États-Unis, voire de l’OTAN, à soutenir Saakachvili, ce que ce dernier a pris à tort pour argent comptant, les Occidentaux n’étant pas en mesure de s’opposer sur le terrain à un engagement des forces russes.