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La loi de programmation militaire (2019-2025)

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Inscrit dans le marbre des choix stratégiques essentiels, planifie une remontée en puissance de nos forces mais ne balaye pas toutes les craintes sur l’avenir de notre Défense.

La LPM va être adoptée par le Parlement le 27 juin, à l’Assemblée nationale, et le 28 juin, au Sénat, à l’issue de la commission mixte paritaire (CMP), dont la première réunion a eu lieu mardi 19 juin.

Elle marque « une inversion de tendance historique », s’était réjoui le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Jean-Pierre Bosser lors de son audition à l’Assemblée nationale en février dernier. Et de préciser que la France est « désormais sur une trajectoire de remontée en puissance ». Cette LPM prévoit une croissance de 1,7 milliards par an jusqu’à 2022 puis de 3 milliards jusqu’en 2025 pour porter à cette date l’effort de défense à 2% du PIB.

Saluons à sa juste mesure cet effort que la nation, sous l’autorité du Président de la République, va s’engager à faire. Cela dit, il n’est pas interdit de se poser quelques questions sur les choix stratégiques effectués et donc sur l’emploi de ces sommes. Et en particulier, sur ce que cache cette accélération de l’effort à partir de 2022 ?

Cette augmentation est rendue indispensable par le renouvellement des composantes de notre dissuasion nucléaire dont les crédits annuellement alloués passeront de 3,9 milliards d’euros en 2017 à 6 milliards d’euros en 2025 et ce pour une durée initiale de 10 ans, soit 65% de plus par an par rapport aux sommes dépensées lors de précédente LPM (2014-2019).

La volonté d’augmenter de façon considérable le budget de la défense vient donc, en très grande partie, du choix politique de maintenir une dissuasion nucléaire crédible comme clé de voûte de la stratégie militaire de la France, ce qui constitue pour moi un impératif indiscutable. Il s’agit donc de préparer le renouvellement des vecteurs et des armes compte tenu de leur obsolescence naturelle (le Triomphant mis en service en 1997 aura 33 ans en 2030) et des progrès technologiques, notamment en matière de détection sous-marine, de défense anti-missiles, etc.

Néanmoins, il est nécessaire d’expliquer clairement aux Français pourquoi, dans le contexte stratégique actuel et prévisible à moyen terme, on a décidé de renouveler presque à l’identique [1] le format qui existait du temps où les divisions soviétiques étaient déployées à deux étapes du tour de France de nos frontières. En effet, cette décision nous conduit à consacrer la grande majorité de l’augmentation des crédits militaires prévus entre 2018 et 2030 au renouvellement des moyens de la dissuasion nucléaire, d’où plusieurs questions légitimes :

1) le maintien de la composante aérienne de la dissuasion est-il indispensable ?

2) De même le maintien en permanence d’un SNLE en patrouille est-il justifié ?

Si l’effort de 3 milliards supplémentaires par an est effectivement réalisé à partir de 2023, les décisions prises pour la dissuasion nucléaire n’entraineront aucune incidence négative sur la modernisation des équipements de nos forces classiques, sur la formation des personnels, le maintien en condition des matériels et la condition militaire. Mais comment ne pas entendre les craintes légitimes fondées sur l’expérience récente. En effet, passer d’un accroissement annuel de 1,7 à 3 milliards à partir de 2022 constitue un effort budgétaire considérable. Et le précédent de la révision de 2015, où François Hollande avait lui aussi repoussé l’effort en fin de période, peut donner à réfléchir. En effet on a vu ce qu’il en est advenu en 2018 de l’augmentation supplémentaire des 1 milliard d’euros prévus lors de la révision de 2015 : 850 millions de crédits d’équipement ont été supprimés….

Par ailleurs, sur le plan doctrinal, maintenir une composante aérienne à la dissuasion nucléaire n’affaiblit-il pas la dissuasion elle-même car cela ne prouve-il-pas que l’on n’est plus sûr à l’avenir de pouvoir assurer l’ « indétectabilité » des SNLE [2]? En outre, la composante aérienne est-elle une assurance suffisante en cas de défaillance de la composante sous-marine, notamment en termes de portée et de capacité de pénétration [3] ? Toutes ces questions ont été légitimement posées lors des débats en commission. Une seule chose est sure : elles expliquent le coût qui est programmé pour mener les recherches nécessaires au maintien de la crédibilité de notre dissuasion nucléaire. Mais personne, chez nous comme chez nos adversaires potentiels, n’est capable de leur apporter une réponse définitive. Ce sont ces incertitudes qui constituent pour le général Lucien Poirier l’essence même de la dissuasion. [4]

Au final, si la dissuasion nucléaire reste la clé de voute de notre défense, elle ne doit pas nous faire oublier que les menaces auxquelles nous aurons à faire face dans un avenir prévisible rendront plus que jamais nécessaire la disponibilité de forces classiques bien équipées, bien entrainées et composées de soldats motivés. Car la nation reconnaitra leurs sacrifices en se souciant particulièrement de la condition militaire.


Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
Auteur de « Histoire de l’Islam radical et de ceux qui s’en servent », Lavauzelle, Mai 2017

[1] A l’exception de la composante terrestre, les Hades, qui ont été démantelés en 1997.

[2] Le Point.

[3] Même si nos aviateurs viennent brillamment de démontrer qu’ils sont capables de frapper sans opposition à 6000km de leurs bases ce qui est suffisant pour Moscou, Téhéran ou New-York mais insuffisant pour Pékin.

[4] Dissuasion et Puissance moyenne », RDN, mars 1972, p.363.

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