Janvier 2015 : évaluation de la situation politique et militaire en Irak
Situation politique
La scène politique Irakienne a été dominée par le débat sur la mise en œuvre de l’accord politique avec les sunnites qui a permis la mise sur pied d’un gouvernement d’union nationale, le vote du budget par le parlement et la lutte pour la Présidence de la coalition nationale irakienne.
Les points d’achoppements de l’accord avec les sunnites
Trois points sont l’objet de vifs débats entre les camps Sunnites, Kurdes et Shiites :
- Abrogation de la loi de débasification
- L’amnistie générale
- La constitution de la Garde Nationale.
L’Union des Forces qui regroupe toutes les forces politiques sunnites représentées au parlement irakien a exigé du premier ministre irakien Al Abadi, l’accélération du rythme d’application de l’accord conclu entre les deux parties avant de former le gouvernement actuel, notamment en ce qui concerne la création de la garde nationale, l’amnistie générale et le règlement du dossier de débaasification.
Le président de la République irakienne, le Kurde Fouad Massoum, a indiqué de son côté dans une interview télévisée qu’il était pour l’abrogation de la loi de débaasification et pour remettre ses dossiers à la justice irakienne qui devra juger ceux qui avaient commis des actes et des crimes punissables.
Pour président du groupe parlementaire chiite, Sadikoune, l’accord pour former le gouvernement a prévu seulement de l’amender et non pas de l’abroger.
Les Kurdes, de leur côté, expriment des craintes de voir les habitants des régions sunnites armés car ils estiment que cela comporte des risques d’affrontement communautaire pour les zones litigieuses entre Bagdad et Erbil.
Le vote du budget
Le 12 janvier, le parlement irakien a achevé la deuxième lecture du projet du budget
Le 23 janvier, le représentant du chef religieux chiite Ali Al Sistani a appelé, dans son prêche de vendredi à Karbala, le gouvernement et le parlement irakiens à voter le plus vite possible le budget national de 2015 et selon les cours prévisionnels du pétrole les plus bas possibles.
Le 30 janvier, le parlement a voté un budget national, sur une base de 56 $/b, de 119.585 trillions DI (100 milliards de $) grâce au président du parlement qui est intervenu énergiquement auprès des chefs des groupes parlementaires pour résoudre tous les différends. La moyenne des exportations pétrolières irakiennes, y comprises celles du Kurdistan, serait actuellement de 3.3 millions b/j.
Lutte pour la Présidence de la Coalition Nationale irakienne
Le mois de janvier a également connu une lutte au sein de la Coalition Nationale Irakienne pour le poste de président de la coalition, vacant après la formation du nouveau gouvernement d’Al Abadi, et qui était occupé par l’actuel ministre des affaires étrangères, Ibrahim Al Jaafari. Le Conseil Islamique Suprême a proposé le nom de son chef Amar Al Hakim tandis que l’Etat de Droit de l’ancien premier ministre Nouri Al Maliki s’y est opposé farouchement, disant qu’Al Hakim ne peut être président de la coalition parce qu’il n’est pas membre du parlement irakien. Or la coalition nationale n’a pas de règlement intérieur et rien n’empêche Al Hakim de briguer ce poste. Toutefois, les partisans de Nouri Al Maliki s’acharnent pour garder ce poste parce qu’ils savent très bien que si quelqu’un du Conseil islamique suprême, du Courant Sadriste ou de l’aile d’Al Abadi au parti Dawa l’occupe, ils risquent de perdre ce qui leur reste encore de pouvoir et de ses privilèges et d’être jugés pour corruption, détournement de fonds et meurtres lors des deux mandats de leur chef Al Maliki.
Les opérations contre Daech et la situation sécuritaire
La guerre contre Daech
Bilan après six mois d’opérations
Le 7 janvier, le Pentagone a annoncé que, depuis le début des frappes aériennes, le 8 août 2014, puis en Syrie, depuis le 28 septembre, les appareils de l’alliance occidentale avaient lancé environ 5 000 bombes sur les positions de Daech, touchant plus de 3 000 cibles dont 58 chars.
De son côté, le porte-parole du secrétariat d’Etat américain à la défense, John Kirby, a affirmé, le 24 janvier, que Daech n’a perdu jusqu’à présent que 700 km² de ses territoires en Irak, c’est-à-dire, seulement 1% d’une superficie vaste de 55 000 km², occupés en 2014. Mais les zones libérées, notamment au nord de l’Irak, sont, selon lui, très importantes pour Daech. Pour le porte-parole du Pentagone, Daech, se trouve sur la défensive et a perdu des millions de dollars de ses revenus pétroliers et beaucoup de ses matériels de guerre qui seront difficiles à remplacer.
Le 25 janvier, les deux ministères irakiens de la défense et de l’intérieur ont publié un rapport commun sur les six derniers mois de combats contre Daech. Durant cette période, 4223 combattants du « Rassemblement des milices chiites irakiennes » ainsi que plus d’une soixantaine de « Gardiens de la révolution islamique Iranienne » dont cinq officiers supérieurs et trois combattants du « Hezbollah libanais » ont trouvé la mort dans les combats contre les moudjahidines de l’Etat Islamique. Parallèlement, le commandant du Rassemblement des milices chiites a estimé, dans une déclaration de presse, que Daech serait définitivement vaincu en Irak en quelques mois. Selon lui, la présence du chef des Gardiens de la révolution iranienne, Qassem Suleimani, sur les champs de bataille contre Daech a contribué à élever le moral des troupes des milices chiites. Selon lui le soutien de l’Iran à l’Irak dans la guerre contre Daech, est très supérieur à celui de l’alliance occidentale car ses combattants n’ont reçu d’armes et de munitions que de l’Iran.
La bataille pour isoler Mossoul
Le 24 janvier, les Peshmergas ont lancé, à l’aube, une offensive sur les positions de Daech du district de Wana, situé à 25 km au nord-est de Mossoul, libérant plusieurs villages avec l’appui des appareils de l’alliance occidentale.
A Mossoul, selon des témoins locaux, les combattants de l’Etat Islamique sont moins nombreux qu’avant aux points de contrôle et on constate une augmentation du nombre de voitures qui transportent les morts et les blessés vers les hôpitaux de la ville. Les appareils occidentaux ont frappé ces derniers jours des positions de Daech au sein même de Mossoul. De sons d’explosions ont été entendus au nord-ouest de la ville. La DCA de Daesh a tiré sur les avions occidentaux.
Gouvernorat de Diyala
Les forces armées irakiennes, soutenues par les milices chiites, ont totalement contrôlé, en janvier, le district de Mukdadyia qui était la dernière place forte de Daech dans le gouvernorat de Diyala (en rouge sur la carte ci-dessus). Selon les informations de presse, il y aurait eu, durant les combats de Mukdadyia, 50 morts parmi les forces armées et les milices chiites et 200 blessés. Daech y a perdu 15 hommes. Le vice-président sunnite de la république a lancé un appel au premier ministre et au président du parlement irakien pour faire stopper les exactions commises par les miliciens chiites qui accompagnaient les forces armées irakiennes à Diyala. Il a indiqué que ces miliciens ont dynamité des mosquées et des maisons dans les régions libérées, soulignant qu’il a reçu à ce propos beaucoup de plaintes de chefs de tribus et de dignitaires de la région.
Gouvernorat d’Al Anbar
Le 26, une opération conjointe comprenant l’armée et la police irakiennes, des combattants tribaux sunnites, des miliciens chiites, l’aviation irakienne et celle de l’alliance occidentale a permis la libération de la région d’Albou Ghanam qui se trouve à l’est de Ramadi. (voir la carte du point de situation de décembre).
Situation sécuritaire
En dehors des 4 gouvernorats où Daech est présent et de Bagdad, la situation est calme dans l’ensemble des 13 autres gouvernorats du Nord et du Sud du pays.
Du fait des opérations aériennes, Daech revient aux modes d’actions traditionnels des terroristes : des actions brutales avec peu d’effectifs et utilisant des voitures piégées et des kamikazes. On assiste donc à une augmentation des attentats dans les gouvernorats dans lesquels Daech déploie ses opérations. Ils ont causé 815 morts en janvier 2015 selon la répartition suivante : Niveneh, 254 ; Diyala, 138 ; Salahuldein, 122 ; Bagdad, 93, Kirkuk, 28.
Focus sur Bagdad
En janvier, on note une moyenne de 2 attentats par jour faisant heureusement peu de victimes comparé aux grands attentats des mois précédents. Plusieurs gangs de ravisseurs ont été démantelés favorisant la baisse du nombre d’enlèvements. Toutefois, la situation s’est tendue à Bagdad lorsqu’un avion civil de la compagnie aérienne Fly Dubaï a été touché, le 27 janvier, par cinq balles alors qu’il atterrissait à l’aéroport international de Bagdad. Une petite fille, qui était à bord, a été légèrement blessée. Une enquête a été immédiatement ouverte et le ministre du transport s’est rendu sur place. Il a déclaré que les balles avaient été tirées de l’extérieur et non pas de l’intérieur de l’aéroport. Le lendemain, les forces de l’ordre ont lancé une vaste campagne de perquisition autour de l’aéroport, notamment à Abou Ghreb.
Dans sud du pays, la situation sécuritaire a été calme sauf à Bassora où on a observé une tension sectaire entre Sunnites et Chiites à la suite de l’assassinat, début janvier, de trois imams sunnites.