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Entre attentats ciblés et conflits inter-étatiques, quelles sont les véritables menaces qui pèsent sur nos sociétés aujourd’hui ?

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Atlantico : Suite aux différents attentats survenus au cours de ces derniers mois, l’attention des Etats visés semble s’être éloignée d’autres situations, notamment en Mer de Chine. Pourtant, quelle est la menace la plus sérieuse, entre des attentats comme celui de Nice, ou de Dallas, et un conflit en Mer de Chine ?

Jean-Bernard PINATEL : On ne peut pas répondre simplement à votre question pour plusieurs raisons. Premièrement parce qu’ une menace se caractérise par plusieurs critères : sa nature, sa gravité et sa probabilité d’occurrence. Sa nature peut être climatique, militaire, idéologique. Sa gravité : met-elle ou pas en cause nos intérêts vitaux en tant que nation voire de citoyen du monde ? Sa probabilité d’occurrence : est-elle actuelle, à moyen-terme ou à long terme ? On ne peut donc mettre en parallèle ou comparer l’attentat de Nice et celui de Dallas. Celui de Nice est lié étroitement à la prédication wahhabite que l’on a laissé s’installer et proliférer en France et dont encore beaucoup d’hommes politiques et d’intellectuels sous-estiment encore aujourd’hui l’importance du risque qu’elle engendre. L’attentat de Dallas est l’expression de la lutte raciale qui dans les Etats du Sud des Etats-Unis n’a jamais été complétement éradiquée.

Deuxièmement la hiérarchie des menaces dépend du point de vue auquel on se place. Pour l’Etat américain, les deux menaces sont importantes. Le problème racial combiné avec le débat sur l’immigration que Trump a souhaité placer au cœur de sa campagne est une menace pour la démocratie américaine. La question de la mer de Chine confirme la montée en puissance de la Chine et sa volonté de contester les règles du droit maritime établies par les puissances européennes. Sur le fond de ce dossier, les tensions de la Chine avec ses voisins sont récurrentes et proviennent du fait que la Chine a une vision extensive de sa zone d’exclusivité économique (ZEE) fondée sur des facteurs historiques qui ne sont pas pondérés de la même façon par jurisprudence internationale actuelle, d’inspiration occidentale et que la Chine conteste. Le premier différend concerne les îles Senkaku/Diaoyu. [1] Il met aux prises les deux premières puissances régionales Chine et Japon ainsi que Taïpé. Il a une importance stratégique pour la Chine car les SNLE chinois passent au Nord ou au Sud de cet archipel pour gagner les eaux profondes du Pacifique. Sur le plan du droit maritime international la position chinoise est défendable. Ce qui n’est pas le cas pour le second différend territorial en mer de Chine méridionale. Il concerne, en effet, différents archipels et îles de la mer de Chine méridionale, revendiqués en totalité ou en partie par la Chine, Taïwan, le Viêt-Nam, les Philippines, la Malaisie et Brunei. Il s’agit des îles Spratleys, des îles Paracels, des îles Pratas, du récif de Scarborough et du banc Macclesfield. C’est le différend concernant l’archipel Spratly qui recèle le plus de risques de crises graves entre la Chine et ses voisins, du fait de l’intérêt en termes économique et stratégique pour la Chine mais aussi de son éloignement géographique du territoire chinois (environ 1000km) alors qu’il est 5 à 10 fois plus proche des Philippines, de l’Indonésie, du Brunei et du Vietnam, ce qui rend ses revendications plus difficilement acceptables pour ses voisins.

Le risque dans cette affaire est que ces différends régionaux ne se règlent pas par la négociation et débouchent, comme dans le passé, sur des affrontements armés. Le risque d’escalade en crise mondiale est lié à la volonté des Etats-Unis de s’impliquer sur ce théâtre à la demande ou pas d’un des Etats riverains. Cependant la probabilité pour qu’une crise mondiale débouche sur une guerre mondiale est quasi nul du fait du risque nucléaire.

Peut-on vraiment hiérarchiser les risques à l’encontre du monde que l’on connait aujourd’hui ? Quels sont les critères à prendre en compte (localement et mondialement) pour réaliser un « classement » objectif des priorités ?

On ne peut pas hiérarchiser les risques à l’encontre du monde car il n’existe aucune menace perçue avec les mêmes niveaux de gravité et de probabilité d’occurrence par tous les grands acteurs internationaux que sont les Etats y compris malheureusement sur la question de la gravité, de l’urgence et des moyens à affecter pour limiter le changement climatique mondial.

Ainsi, du point de vue de l’establishment américain et des lobbies qui contrôlent le pouvoir politique à Washington, la première menace est le risque de perdre la primauté mondiale qu’ils exercent sans partage depuis l’effondrement de l’URSS. Pour cela ils développent une stratégie permanente visant à attiser les tensions en Europe, au Moyen-Orient et en Asie ce qui leur permet de justifier auprès des citoyens américains le maintien d’un budget militaire de 597 milliards de $ en 2015, qui est supérieur au total de ceux des autres grands acteurs mondiaux [2]. Grâce à ce budget militaire, ils disposent d’une puissance sans égale. Ils en retirent des bénéfices extraordinaires comme celui de pouvoir fabriquer de fausses menaces [3], de déclencher sans véritable opposition de la communauté internationale une intervention militaire comme ce fut le cas en 2003 en Irak. De tenter de réinstaller une guerre froide en Europe en pratiquant la désinformation directement ou via l’OTAN sur la menace Russe. Cette crise et les actions de désinformation qui visent à empêcher tout rapprochement entre l’Europe et la Russie qui menacerait leur suprématie mondiale ont été dénoncées par plusieurs hauts responsables militaires [4] et diplomatiques [5] européens. Bien plus les Etats-Unis s’arrogent le droit d’espionner les dirigeants du monde entier y compris leurs meilleurs alliés comme ce fut le cas pour Angela Merkel ; de déstabiliser des régimes qui s’opposent à leurs objectifs stratégiques et économiques comme en Syrie ou en Amérique latine ; de tuer partout dans le monde grâce à leurs drones toute personne qu’ils décident de qualifier de terroriste. Ce qui nous menace c’est que par absence de vision, désinformation ou corruption les dirigeants européens s’alignent peu ou prou sur les positions américaines. Ils empêchent ainsi à l’avènement d’un monde réellement multipolaire qui est le seul type d’organisation mondiale avec le respect de quelques grands principes [6] qui peut conduire à un monde plus stable.

Ce chaos mondial masque, de mon point de vue, la menace la plus grave pour la France et l’Europe qui découle de la volonté des théologiens wahhabites d’installer dans nos pays des Etats islamiques guidés la charia [7]. Depuis le milieu du XVIIIème siècle ils poursuivent le but de convertir par la prédication et le djihad, le milliard et demi de musulmans à leur vision de l’islam mais aussi tous ceux qu’ils considèrent comme des polythéistes (les catholiques qui adorent Dieu mais aussi la sainte vierge par exemple) et des apostats (les laïques). Le wahhabisme auquel son inspirateur Ibn Abd al-Wahhab, un théologien ,qui est né dans un oasis proche de Riyadh, a donné son nom est une doctrine religieuse qui prône le retour aux débuts de l’islam dans l’application rigoureuse des faits et gestes du prophète sans accepter de les relativiser par les acquis de la civilisation. Face à la corruption des élites, comme la réforme en son temps, cette doctrine exerce une attraction puissante sur les masses musulmanes confrontées à l’enrichissement et à la corruption financière et religieuse des potentats locaux. Mais Ibn Abd al-Wahhab a vite compris qu’il ne pourrait atteindre son objectif religieux par la seule prédication, il a donc fait alliance avec un émir Muhammad Ibn Saoud qui était habité par un désir de puissance et de conquêtes et dont les descendants dirigent l’Arabie Saoudite. Pour moi c’est la principale menace à laquelle nous avons à faire face du fait de sa nature (qui peut se comparer à une guerre psychologique), de sa gravité (elle menace l’essence même des valeurs de nos sociétés) et de son occurrence (les ressources du pétrole donnent à l’Arabie Saoudite depuis le milieu des années 70 les moyens de financer ce prosélytisme). Cette vision radicale de l’Islam et son prosélytisme s’attaquent directement aux valeurs qui fondent nos états démocratiques (la séparation de l’église et de l’Etat, l’égalité homme femme, les droits de l’homme et notamment des enfants ; etc). Si nous ne voulons pas en comprendre l’origine, sa nature, son but ultime (le califat mondial), ses modes d’action nous risquons insensiblement, pas à pas, de limiter puis d’abandonner les valeurs sur lesquelles nos civilisations se sont construites. L’affaire du burkini est à ce titre exemplaire car les wahhabites veulent par ce type de provocation savamment dosée nous faire accepter leur vision de la femme.

A ce jour, quelles sont les situations les plus préoccupantes ? Terrorisme, Mer de Chine, Sahel, tensions dans les grands lacs…quels sont les « situations » qui devraient attirer l’attention de nos dirigeants ?

Pour moi ce n’est ni le terrorisme ni les situations de crises dans certaines régions du monde qui sont vraiment préoccupantes car on saura toujours maintenir le risque que représente le terrorisme à un niveau acceptable sans pour autant bouleverser notre façon de vivre. Ce qui a été fait en matière de sécurité pour l’Euro, les fêtes de Bayonne ou le feu d’artifice du 15 aout à Biarritz montre que c’est possible de prévenir ce risque sans rien changer à notre mode de vie en acceptant seulement quelques contraintes. Pour les situations de crise entre Etats, le risque nucléaire les maintiendra toujours à un niveau régional ou local et de plus nous avons acquis une grande expérience dans leur gestion.

Ce qui est nouveau et dangereux pour moi c’est le risque de soumission à un ordre religieux rétrograde qu’il ne faut pas confondre avec tous les autres courants de l’Islam mais qui est issu de l’un d’entre eux le hanbalisme. C’est donc aux musulmans d’agir mais ils ne le feront que si de notre côté nous arrêtons de soutenir la vision impérialiste de l’establishment des Etats-Unis et ses interventions permanentes dans les affaires du monde. Cette vision des intérêts des Etats-Unis qu’incarne Hilary n’est pas celle du peuple américain tant dans le camp démocrate que dans celui des républicains comme le montre y compris dans leurs excès les débats actuels de la primaire américaine.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

Source : ATLANTICO.

[1] Le conflit en mer de Chine est une crise qui implique les Etats riverains de cette mer au sujet de 2 groupes d’iles et de récifs coraliens. La première crise concerne îles Senkaku/Diaoyu sont constituées de cinq îles inhabitées, dont la plus grande fait seulement 3,5 km2 et les autres quelques dizaines d’hectares. Ce groupe d’îles inhabitées est situé à 200 km au nord-est de Taïwan qui les réclame également ; à 400 km au Sud-Est des côtes chinoises et à 400 km au Sud-Ouest de l’île d’Okinawa (située elle-même à 600 km au Sud-Ouest du Japon.

[2] Chine (145) + Russie (67) + Grande-Bretagne (56) + Inde (48) + France (47) + Japon (41) + RFA(37) données de l’ IISS de Londres qui publie chaque année Military Balance.

[3] Le budget des 16 agences de renseignement américain est égal au total du budget de la Défense de la Fédération de Russie.

[4] Lors de son audition devant l’Assemblée nationale le 31 mars 2015, le directeur du renseignement militaire (DRM), Christophe Gomart, a relaté comment, au plus fort de la crise en Ukraine en 2014, les Etats-Unis ont, au travers de transferts de renseignement au sein de l’OTAN, tenté de faire croire aux Européens que les Russes allaient envahir l’Ukraine de manière imminente. Le 16 avril 2015, le général Skrzypczak, Conseiller au ministère polonais de la défense, s’est entretenu avec le magazine polonais Gazetta Prawna et a déclaré ne plus soutenir Kiev à cause d’une loi ukrainienne glorifiant les milices nazies qui massacrèrent 80 000 Polonais en Volhynie et en Galicie pendant la seconde guerre mondiale.

[5] Le Figaro

[6] Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; la non intervention dans les affaires intérieurs d’un Etat, etc.

[7] La charî’a constitue le corpus de normes et de règles doctrinales, sociales, culturelles et relationnelles de l’Islam révélées par Mahomet, «dernier Prophète de Dieu».

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