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Du bon usage de la rusticité

Cette analyse que je partage totalement, est réalisée par le Général de division (2s) Daniel Roudeillac Il sert dans les troupes aéroportées jusqu’en 1994, et exercera notamment les fonctions de Chef de corps au Liban et au Tchad.

Les médias se font de plus en plus l’écho des récriminations de certains soldats engagés en Afrique pour traquer les terroristes islamistes dans le Sahel. S’agissant du soutien logistique de l’homme, les critiques portent notamment sur l’absence de climatiseur, l’état des lits de campagne et des installations sanitaires (douches, WC etc…) sans parler de la médiocrité de la nourriture. Il est regrettable que ces mêmes médias ne fassent pas mention des unités d’appartenance des intervenants ou à tout le moins de leur « Groupement temporaire d’intervention ».

Il est important également de noter qu’aux objections faites à ces récriminations, l’argument avancé consiste à dire que » nous ne sommes plus au XX siècle » et qu’à l’évidence « un soldat ne peut pas vivre dans les conditions précaires, qui étaient celles d’autrefois ».

Il serait hasardeux de prendre pour argent comptant ce genre d’argumentaire.

Le soldat qui se plaint de ses conditions de vie prend inévitablement pour référence ce qu’il a vécu ou ce que ses camarades ont pu lui raconter à propos des modalités de soutien adoptées au sein des unités de l’OTAN engagées notamment en Afghanistan….avec les succès que l’on sait ! Le soutien de l’homme en opération contre un ennemi insaisissable, tel que le conçoivent les Américains, ne saurait être un modèle à retenir.

Car l’histoire enseigne que les guerres asymétriques impliquent de ne pas trop se démarquer des conditions de vie de son adversaire, si on veut parvenir à l’éradiquer ou au minimum à contrecarrer ses projets. Les Allemands, les Britanniques, les Soviétiques ont su aller jusqu’aux limites de la rusticité pour se battre sur les arrières de leurs adversaires du moment. Plus près de nous, en Indochine et surtout en Algérie, seules les unités, sachant adopter les règles de vie sur le terrain de leur adversaire, ont obtenu des résultats durables.
Il serait donc contre-productif de laisser croire aux jeunes soldats que la logistique à l’américaine est la panacée et que l’arrivée du climatiseur importe autant que celle des munitions.

Mais la rusticité en opération suppose quelques règles d’organisation et de fonctionnement des unités aux antipodes de celles adoptées depuis quelque temps.

Pour être vécue au jour le jour sans récrimination la rusticité suppose une grande cohésion des unités, que seule les structures régimentaires ou bataillonnaires garantissent. Le regroupement et l’engagement d’unités au sein de formations temporaires sans âme vaut pour une opération ponctuelle limitée dans le temps, mais se traduit dans la durée par des dysfonctionnements logistiques nuisibles au bien-être du soldat. Ce dernier redécouvre le vieil adage selon lequel « on n’administre bien que de près ». La centralisation du soutien entre les mains d’organismes lointains et impersonnels, et l’externalisation de fonctions du soutien de l’homme peuvent se concevoir en temps de paix mais échouent en opération. Le chef direct doit pouvoir disposer d’une certaine liberté financière pour pallier les difficultés locales du soutien et prendre des dispositions immédiates pour « améliorer l’ordinaire » … lorsque cela est concevable !

La rusticité implique par conséquent cohésion et proximité.

Incontournable face à un adversaire qui s’accommode de rien, elle suppose aussi la relève périodique des unités ou leur transfert temporaire sur des structures d’accueil et de remise en condition dotées de plus de confort. Ces relèves sont coûteuses mais il serait bon de ne pas oublier que la recherche d’économies a des limites à la guerre, sauf à penser que le soldat passe au second plan des préoccupations, puisque « les systèmes d’arme de haute technologie doivent palier ses faiblesses »…

Il est clair que ces relèves impliquent de disposer des effectifs nécessaires.

Il est illusoire de croire qu’on peut faire la guerre loin de chez soi en ne disposant que d’unités comptées au plus juste. La guerre, même au XXI° siècle ne se fait pas selon les mêmes critères que ceux définis « en haut lieu ».

Je ne sais pas si la guerre est une affaire trop sérieuse pour être confiée aux militaires, mais je sais en revanche que le soutien du soldat est une affaire trop importante pour être confiée aux comptables de Bercy.


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