Analyse de la situation politique et militaire en Irak, 1er décembre 2015
Situation politique
Dans un contexte géopolitique profondément modifié par l’intervention Russe en Syrie, en novembre 2015, la situation politique en Irak a continué de se détériorer. Ces tensions accrues se sont manifestées tant à Bagdad qu’à Erbil ainsi que dans les relations entre le Kurdistan et la capitale.
A Bagdad, l’Alliance Nationale chiite, attisée en sous-main par Al Maliki et à laquelle appartient le premier ministre irakien Haider Al Abadi, ne cesse de mettre des bâtons dans les roues du gouvernement. Les députés de sa formation font assaut de critiques contre les réformes promises et lancées par le premier ministre pour répondre à la colère des manifestants qui s’élèvent contre la corruption régnant dans les rouages de l’État irakien [1]. Ces mesures, et notamment celles relatives à l’abrogation des privilèges et des prérogatives des parlementaires et des hauts fonctionnaires de l’État bénéficient d’un soutien populaire très large. Mais la lenteur de leur adoption, du fait du combat retardateur mené par les députés, font perdre à Al Abadi une partie de sa popularité auprès des couches les plus défavorisées de la population. De son côté, le Bloc National qui regroupe les partis sunnites participants au pouvoir en place, s’est lui aussi disloqué, donnant naissance à une formation politique fondée sur des bases strictement sectaires.
Au Kurdistan, le problème du troisième mandat du président sortant de la province autonome, Massoud Barzani, n’est pas encore résolu. Ce dernier s’accroche au pouvoir alors que son mandat est terminé depuis le 20 aout 2015, jour où devait avoir lieu l’élection présidentielle.
En outre, les différends entre Bagdad et Erbil se sont, eux aussi, gravement aggravés à la suite de la libération de Sinjar et les incidents qui ont eu lieu dans la ville de Touz Khourmatou.
En effet, dès la libération de Sinjar réussie, le président de la province du Kurdistan, Massoud Barzani, a déclaré dans une conférence de presse que Sinjar avait été libérée par le sang des combattants kurdes de Peshmergas et qu’elle faisait désormais partie du Kurdistan, affirmant qu’il œuvrerait pour en faire un chef-lieu d’un nouveau gouvernorat irakien, provoquant le mécontentement du gouvernement irakien qui a catégoriquement rejeté cette déclaration.
Quant à Touz Khourmatou, ville à dominante turkmène et chiite des affrontements armés entre les Peshmergas kurdes et les milices chiites de l’Organisme de Mobilisation Populaire.
Ces situations compliquent les rapports entre Bagdad et Erbil et font penser qu’en l’absence d’un homme fort et respecté à Bagdad on se dirige pas à pas vers une séparation de la province autonome kurde. Cette éventualité de séparation du Kurdistan de l’Irak a été publiquement évoquée par Barzani lors d’une récente rencontre avec l’ambassadrice norvégienne en Irak et en Jordanie.
Toutes ces évolutions sont en partie dû à la difficile situation économique du pays, fragilisée par la baisse du baril de pétrole et le coût croissant des dépenses militaires.
Situation militaire et sécuritaire
La situation militaire
Pour la première fois depuis plus de18 mois des succès militaires significatifs ont été remportés contre Daesh au Nord à Sinjar et au Sud à Ramadi.
Le 13 novembre, Sinjar, prise par Daesh depuis un an, a été libérée par les Peshmergas kurdes grâce à appui aérien de la coalition internationale. Les combattants de Daesh s’en sont retirés après des combats qui ont duré trois jours mais opposer la résistance farouche habituelle. Dans un communiqué de presse, le Conseil National Kurde a indiqué que cette opération « Sinjar Libre » visait et à couper les lignes d’approvisionnement de Daesh, la ville se trouvant sur l’axe reliant Mossoul à Raqqa. Des combattants yézidis et d’autres minorités ethniques de la région ont pris part aux combats.
La libération de Sinjar constitue la première défaite importante de Daesh depuis près de six mois.
Depuis septembre 2015, Ramadi constitue l’objectif des forces irakiennes aidées par des milices sunnites entrainées par les américains. L’offensive vise à encercler Ramadi par le Nord et l’Ouest comme la récente prise du pont de Palestine sur l’Euphrate tend à le démontrer. Fin novembre, les forces gouvernementales se sont emparées de l’Ouest de la ville et avançent vers l’Est en ratissant la zone maison par maison. Les forces de Daesh sont concentrées à l’Est de la ville afin de pouvoir se replier si nécessaire sur Falluja qui reste leur point d’appui le plus important de la région. La reconquête de Ramadi, ville de 300 000 habitants, n’est désormais plus qu’une question de temps et marquera certainement un tournant important dans la guerre contre Daesh.
La situation sécuritaire
La situation sécuritaire ne s’améliore que très lentement malgré les mesures drastiques de sécurité prises par le gouvernement. On dénombre ainsi 547 morts par attentats en novembre contre 636 morts en septembre, 760 en aout et 703 en juin soit une diminution de près de 30%.
[1] Certaines réformes d’Al-Abadi comme celle relative à l’abrogation des postes des vice-présidents de la république et du premier ministre, de quatre ministères et des 300 hauts postes font l’objet de critiques constitutionnelles. Al-Maliki à qui ces mesures ont coûté son poste de vice-président de la république et qui possède une base politique plus large que celle d’Al-Abadi au sein du parti chiite Dawa est l’un des plus grands dénigreur de cette mesure.