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Les Américains ont tout à gagner d’une intervention militaire limitée en Syrie et la France y a tout à perdre !

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Les bénéfices pour les Américains :

  • ils répondent à des demandes pressantes de l’Arabie Saoudite qui soutient les Salafistes en Syrie et à qui ils doivent beaucoup : premier client du complexe militaro-américain, l’Arabie Saoudite accepte de limiter sa production pétrolière à 9 millions de barils jours ce qui maintient le prix du baril autour de 100$, rentabilisant ainsi l’exploitation de gaz et de pétrole de schiste sur le sol américain, contribuant à son indépendance énergétique;
  • ils renforcent le clivage entre l’Europe et la Russie et évitent ainsi la création d’une alliance stratégique qui ferait émerger un troisième acteur géopolitique qui perturberait leur jeu « d’adversaire-partenaire » avec la Chine;
  • ils vont, sous couvert de sauver les populations syriennes, pouvoir frapper les bases du Hesbollah, et alléger ainsi la pression sur leur allié israélien;
  • alors qu’ils sont dans un processus de réduction drastique des dépenses publiques, ils justifient ainsi vis-à-vis de leur l’opinion la sanctuarisation des dépenses militaires nécessaires pour préserver demain leur suprématie militaire face à la Chine, qui n’est pas perçue à ce jour par le peuple américain comme une menace;
  • confronté à un Iran nouvellement ouvert aux discussions sur le nucléaire, le complexe militaro-américain a besoin d’un ennemi de relais avec, en prime, le maintien de l’embargo sur le pétrole et le gaz iranien et un regain de tension avec la Russie qui contribuera à geler la poursuite des négociations sur la réduction des armes stratégiques.

Les conséquences négatives pour la France :

  • la nature de la guerre en Syrie n’est pas une révolution mais une guerre civile confessionnelle : sunnites et extrémistes sunnites ( Salafistes, Frères musulmans) contre toutes les autres minorités religieuses qui représentent 40% de la population syrienne. Nous n’avons aucun intérêt à soutenir un parti religieux et les quelques laïques, que les rebelles mettent en avant, seront balayés au profit des extrémistes islamiques, le moment venu;
  • le renchérissement du pétrole et l’affolement des bourses est de nature à étouffer dans l’œuf les faibles perspectives de renforcement de la croissance que l’on a cru voir poindre cet été. Mais c’est peut-être ce que souhaite Hollande : trouver un prétexte humanitaire pour masquer, pendant quelque temps, l’échec de sa politique économique. Cela va satisfaire ses intellectuels de gauche et les patrons des médias dont les ventes s’accroissent en temps de guerre mais certainement pas les milliers de français qui perdront leur emploi à cause de cette décision;
  • alors que nous ne recueillons que les miettes des anglo-saxons en Arabie Saoudite et au Qatar, nous nous fermons l’immense marché potentiel de Irak et de l’Iran pour nos entreprises; nous nous éloignons encore plus de la Russie dont l’alliance est stratégique pour l’Europe;
  • notre pays est toujours intervenu dans le cadre d’un mandat de l’ONU alors que les Américains ont toujours cherché à s’exonérer des contraintes de l’opinion internationale que ce soit face au changement climatique ou pour préserver leurs intérêts stratégiques. Au contraire, si la France veut continuer de peser au niveau international, elle ne peut qu’en faisant amplifier sa voix par l’enceinte onusienne. Cela a été à l’honneur du Président Chirac de refuser d’intervenir aux cotés des Américains en Irak, au prétexte de la présence d’armes de destruction massive. Aujourd’hui, nous nous joignons à une coalition alors que rien ne prouve que des armes chimiques ont été utilisées en Syrie et, si oui, que c’est le fait de l’armée de Assad.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

Autres sources : Économie matin


Syrie : ce danger que fait courir la diplomatie française en refusant de reconnaître, contrairement aux Américains, la vraie nature du conflit

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Un accord russo-américain vise à préparer une conférence internationale sur la Syrie regroupant des émissaires du président Assad et de l’opposition. Un tournant capital.

Alors que les regards sont focalisés sur les frappes de l’aviation israélienne près de Damas, la crise syrienne vient de connaître un tournant capital avec l’accord russo-américain visant à préparer une conférence internationale sur la Syrie regroupant des émissaires du président Assad et de l’opposition.

Des considérations géopolitiques extérieures au théâtre syrien et des faits liés à l’évolution des combats sur le terrain expliquent ce changement majeur de la politique américaine au Moyen- Orient.

Les intérêts stratégiques des Etats-Unis ont profondément évolué depuis dix ans. La montée en puissance de la Chine, la crise économique et financière américaine, l’indépendance énergétique retrouvée avec le Gaz et le pétrole de schiste ont amené Obama à redéfinir ses priorités stratégiques et à faire passer le Pacifique au premier plan au détriment du Moyen-Orient de l’ère Bush et à accepter de partager le contrôle sur cette région du Monde avec la Russie.

Sur le terrain, à moins d’être aveugle comme la diplomatie française, les Américains ont compris que ce n’est pas une révolution qui endeuille la Syrie depuis deux ans mais une guerre civile confessionnelle.

Cette guerre confessionnelle syrienne dure parce que pour le président syrien, les alaouites et les minorités qui les soutiennent : chrétiens, ismaéliens, druzes, chiites, il s’agit de vaincre ou de mourir. Les alaouites sont en effet considérés par l’Islam sunnite comme des apostats (1). Cela leur a valu au XIVème siècle une fatwa du jurisconsulte salafiste Ibn Taymiyya, l’ancêtre du wahhabisme actuel, prescrivant leur persécution systématique et leur génocide. Sa fatwa n’a jamais été remise en cause et est toujours d’actualité, notamment chez les salafistes, les wahhabites et les Frères musulmans. Persécutés pendant 6 siècles, les alaouites n’ont pu prendre leur revanche qu’avec le coup d’Etat d’Hafez el-Assad, issu d’une modeste famille de la communauté, devenu chef de l’armée de l’air puis ministre de la défense. Face à la montée du fondamentalisme qui progresse à la faveur de tous les bouleversements actuels du monde arabe, son fils est soutenu par les 2,5 millions d’alaouites, les 2 millions de chrétiens de toutes obédiences, les 500 000 druzes, les chiites et les ismaéliens, instruits du sort de leurs frères d’Irak et des coptes d’Égypte.

Cette guerre civile confessionnelle dure aussi que parce que la résistance des insurgés sunnites et des frères musulmans ne peut exister que grâce à l’aide considérable des monarchies sunnites du golfe qui jouent avec le feu. Dans l’autre camp, les Russes, confrontés au fondamentalisme sunnite sur le sol, soutiennent les chiites qui sont majoritaires en Iran et en Irak où ils possèdent des intérêts et aussi en Syrie qui leur fournit un accès et une escale sur la Méditerranée pour leur marine.

Mais un événement, peu commenté en France, a modifié la vision américaine sur ce conflit. Après deux ans de guerre civile confessionnelle, les laïcs et les musulmans modérés en résistance contre le pouvoir à Damas sont progressivement supplantés par des islamistes radicaux, mieux organisés, plus entrainés et plus fanatiques. Le 9 avril dernier les masques sont enfin tombés. Abou Bakr Al- Baghdadi, chef de la branche irakienne d’Al-Qaida a annoncé dans un message audio la fusion de son groupe avec le Jabhat Al-Nosra (Front du soutien), principale organisation djihadiste armée en Syrie (2). Le nouvel ensemble s’appelle Al-Qaida en Irak et au Levant. Cette annonce intervient juste après l’appel lancé par le successeur de Ben Laden, Ayman Al-Zawahiri à l’instauration d’un régime islamique en Syrie après la chute du régime de Bachar Al-Assad.

On peut être effaré, une fois de plus, par l’incapacité de nos dirigeants à anticiper et accepter la dure réalité du terrain (3). Leur idéologie, qui magnifie la révolution et les révolutionnaires, les rend aveugles. Elle a conduit François Hollande, il y a à peine deux mois, le 14 mars dernier, en marge d’un sommet européen à Bruxelles, à souhaiter une levée rapide de l’embargo européen pour pouvoir livrer des armes aux rebelles syriens.

Si, grâce à nos armes, la Syrie devenait un sanctuaire djihadiste, la menace contre l’Europe et la France se rapprocherait dangereusement et c’est tout le pourtour méditerranéen qui s’embrasserait. La probabilité d’un attentat par missile sol-air contre nos lignes commerciales aériennes s’accroitrait dangereusement.

Tous les ingrédients extérieurs et internes à la Syrie laissent à penser que cette guerre civile confessionnelle syrienne devrait durer jusqu’à un épuisement des combattants. Devant les 70 000 morts et les 5 millions de personnes déplacées, le devoir des membres du conseil de sécurité et de la France n’est pas de soutenir un camp contre l’autre mais de s’entendre comme viennent de l’initier les Russes et les Américains pour trouver une solution de compromis acceptable par les deux parties. C’est un compromis de cet ordre qui, au Liban voisin, a permis de mettre fin à 15 ans de guerre civile et de ramener une paix précaire mais une paix quand même.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

1. Mahomet, aurait dit : « Quiconque change sa religion, tuez-le.».
2. Le Front Al-Nostra a été fondé par des combattant d’Al-Qaida qui avaient combattu l’occupation américaine en Irak entre 2003 et 2009 et qui étaient venus soutenir la « révolution syrienne ».
3. Consulter mes analyses précédentes.

Autres sources : ATLANTICO


Une révolution en Syrie ?
Non, une guerre civile confessionnelle

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« La guerre civile est le règne du crime ».
[Corneille, Sertorius]

Contrairement à ce qu’affirme la plupart des commentateurs, ce qui se passe en Syrie n’est pas une révolution mais une guerre civile confessionnelle contre un pouvoir autoritaire d’obédience baasiste [1] qui a su faire jusqu’à présent régner une cohabitation entre toutes les religions, en réprimant d’une main de fer les extrémistes islamiques.

En novembre 2011, je publiais une analyse sur le contexte géopolitique de la crise syrienne et je terminais en évoquant la situation intérieure : « La situation intérieure syrienne est très différente de celle de la Libye. En Syrie vivaient en paix jusqu’à aujourd’hui de nombreuses communautés religieuses qui représentent 30 à 35% de la population face à 65 à 70% de sunnites au sein desquels existe la minorité extrémiste des frères musulmans. Le pouvoir syrien bénéficie ainsi du soutien de ces minorités qui craignent l’arrivée au pouvoir de la majorité sunnite. Le risque est de remplacer un pouvoir qui protège ces minorités par un pouvoir qui les opprime. Pour toutes ces raisons la France ne doit pas aller au-delà d’un discours humanitaire et s’opposer à toute action de l’Otan en Syrie, initiée par les Turcs soutenus, comme toujours, par les Américains ».

Ce qu’oublient trop souvent de souligner la majorité des commentateurs c’est que la résistance des insurgés sunnites et des frères musulmans ne peut exister que grâce à l’aide considérable des monarchies sunnites du golfe mais le succès de leur combat ne peut survenir sans un engagement occidental. En effet, pour les Alaouites et les minorités qui les soutiennent : Chrétiens, Ismaéliens, Druzes, Chiites il s’agit de vaincre ou de mourir.

Les Alaouites sont, en effet, considérés par l’Islam sunnite comme des apostats [2]. Cela leur a valu au XIVème siècle une fatwa du jurisconsulte salafiste Ibn Taymiyya, l’ancêtre du wahhabisme actuel, prescrivant leur persécution systématique et leur génocide. Sa fatwa n’a jamais été remise en cause et est toujours d’actualité, notamment chez les salafistes, les wahhabites et les Frères musulmans. Persécutés pendant 6 siècles, les Alaouites n’ont pris leur revanche qu’avec le coup d’Etat d’Hafez el-Assad, issu d’une modeste famille de la communauté, devenu chef de l’armée de l’air puis ministre de la Défense.

Face à la montée du fondamentalisme qui progresse à la faveur de tous les bouleversements actuels du monde arabe, son fils est soutenu par les 2,5 millions d’Alaouites, les 2 millions de Chrétiens de toutes obédiences, les 500 000 Druzes, les Chiites et les Ismaéliens, instruits du sort de leurs frères d’Irak et des Coptes d’Égypte. Seule minorité à jouer son propre jeu, la minorité Kurde, qui rêve d’un Kurdistan syrien.

La guerre civile confessionnelle est sous-jacente à l’histoire syrienne. Ainsi en 1980, un commando de Frères musulmans s’était introduit dans l’école des cadets de l’armée de terre d’Alep. Ecartant les élèves officiers sunnites, il a massacré 80 cadets alaouites au couteau et au fusil d’assaut en application de la fatwa d’Ibn Taymiyya. Les Frères l’ont payé cher en 1982 à Hama - fief de la confrérie - qui fut pratiquement rasée par son frère, Rifaat al-Assad, faisant plus de 10 000 victimes. Les violences inter-communautaires n’ont jamais cessé depuis, même si le régime actuel a tout fait pour les endiguer grâce à l’idéologie bassiste et en maintenant le pays sous une poigne de fer.

Autant les motivations confessionnelles des monarchies sunnites sont claires, autant la logique de l’activisme américain ne peut s’expliquer que par le jeu des multiples influences qui, dans cette année électorale, pèsent de tout leur poids sur les candidats.

La première est celle des industriels de l’armement américains qui ont toujours tiré un large profit des situations de guerre au Moyen-Orient [3] et de leurs généreux clients, les monarchies du Golfe persique.

La seconde est le pouvoir d’influence de la Turquie, alliée fidèle des États-Unis qui pour la droite religieuse américaine représente le modèle à instiller au Moyen-Orient : « One Nation under God » [3] un fonctionnement démocratique, une armée puissante et équipée de matériel américain.

Pour la France, la position à prendre est claire. Se tenir à l’écart de cette guerre civile tout en faisant pression sur les deux camps pour en limiter les atrocités. Le gouvernement doit expliquer aux Français que la Syrie n’est pas la Libye et même s’il est de bonne guerre pour l’opposition de critiquer l’inaction du nouveau Président, c’est la seule option raisonnable.

Car en Libye, il s’agissait d’une révolution populaire face à un tyran et cela a été l’honneur de la France de mettre fin à ses atrocités. En Syrie, nous sommes face à une guerre civile, déclenchée sous couvert d’un printemps arabe, qui vise à imposer un pouvoir confessionnel extrémiste face à un pouvoir certes non démocratique et violent mais soutenu par toutes les minorités religieuses qu’il a toujours respectées.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Le Parti Baas originel est créé en 1947 à Damas et a pour but l’unification des différents États arabes en une seule et grande nation. La doctrine baassiste combine le socialisme arabe et le nationalisme panarabe. La laïcité est un autre pilier du Baas : ses fondateurs pensaient que seul un État laïc permettrait de regrouper toutes les composantes d’une nation arabe très divisée sur le plan confessionnel.

[2] Mahomet aurait dit : « Quiconque change sa religion, tuez-le. ».

[3] Je jure allégeance au drapeau des États-Unis d’Amérique et à la République qu’il représente, une nation unie sous l’autorité de Dieu, indivisible, avec la liberté et la justice pour tous. Serment au drapeau américain.


Une intervention en Syrie de l’OTAN ?
Pour quels intérêts de la France ?

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Le Canard enchaîné de mercredi 23 novembre, sous la plume de Claude Angeli, toujours aussi bien renseigné, annonce que des officiers du renseignement français ont été envoyés au Nord du Liban et en Turquie avec pour mission de constituer les premiers contingents de l’Armée syrienne libre grâce aux déserteurs ayant fui la Syrie. « Plusieurs membres du Service action de la DGSE et le Commandement des opérations spéciales (COS) sont déjà prêts en Turquie, s’ils en reçoivent l’ordre, à former ces déserteurs à la guérilla urbaine », affirme l’hebdomadaire. C’est une « intervention limitée préparée par l’OTAN » qui est en projet. « Aide à la rébellion civile et militaire, présentation d’une résolution à l’Assemblée générale de l’ONU, trafics d’armes aux frontières de la Syrie, contacts nécessaires avec Washington via l’OTAN… autant de sujets en discussion entre Paris, Londres et Ankara », indique le « Canard ».

Que doit-on en penser sur un plan géopolitique ?

Remarquons en préalable qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que des agents Français de la DGSE soient au contact des rebelles syriens en Turquie et au Liban. C’est le rôle des services secrets de se renseigner et d’aider, si la décision politique en est prise, d’aider une rébellion. De plus, la France a toujours exercé un rôle particulier au Levant. A la fin de la seconde guerre mondiale qui a connu la fin de l’empire ottoman, allié de l’Allemagne, le 25 avril 1920, la Société des Nations attribua à la France un mandat de protectorat sur la Syrie et le Liban. Il devait permettre officiellement aux États du monde arabe d’accéder à l’indépendance et à la souveraineté. En septembre-octobre 1920, s’appuyant sur les communautés ethniques et religieuses afin de diviser pour régner, le général Gouraud, haut-commissaire de la République, créa 6 états :

  • le Grand Liban, en majorité des chrétiens, ainsi que de villes côtières conformément aux souhaits émis par les maronites;
  • l’État d’Alep, centré sur la ville d’Alep et de sa région;
  • l’État de Damas. Il comprend la ville de Damas et sa région;
  • un territoire autonome alaouite, directement placé sous autorité française;
  • l’État du Djébel el-Druze est institué, avec Soueïda comme capitale.

En juin 1922, un premier regroupement a lieu avec la réunification des États de Damas, d’Alep et de Lattaquié en une fédération syrienne avec Homs comme capitale, située au centre stratégique du nouvel État.

Pour la France soutenir un corridor humanitaire est une position diplomatique incontournable vis-à-vis des peuples arabes. Comment, en effet, justifier que l’on est intervenu en Libye pour protéger les populations et que l’on ne fait rien pour elles en Syrie.

Mais c’est, à mon avis, le maximum qu’il faut faire.

Pourquoi ?

Parce que nos intérêts sont fondamentalement différents de ceux de la Turquie en Syrie. La Turquie est en pointe en Syrie à cause du problème Kurde et de son ambition qui vise à rétablir son influence dans le monde arabe. En effet, le risque pour la Turquie est que se créée en Syrie comme en Irak une situation de faiblesse du pouvoir central et qu’un autre Kurdistan autonome se mette en place le long de ses frontières couvrant le Nord d’Alep à la frontière irakienne où résident 1,5 à 2 millions de Kurdes qui sont des alliés objectif de Damas comme le sont toutes les minorités face au risque d’une prise de pouvoir de la majorité sunnite et de sa faction extrémiste religieuse, les frères musulmans.

Si cette situation se réalisait, la Turquie craint que les 15 millions de Kurdes de Turquie, qui sont considérés comme des citoyens de seconde zone, cherchent à disposer de la même liberté. Cette perspective est inimaginable pour la Turquie qui est prête à la réprimer comme dans le passé dans le sang [1].

Par ailleurs, la Turquie d’Erdogan, déjà omniprésente en Irak, veut rétablir son influence sur le monde arabe. On l’a vu lors de l’intervention franco-britannique en Libye. La Turquie en juillet 2011, alors que le rapport de force entre les rebelles et des forces fidèles à Kadhafi n’évoluait pas, a tenté de se positionner en médiateur entre les deux parties, jouant son propre jeu dans une coalition dont pourtant elle faisait partie.

Le monde aura un jour à se pencher sur le problème du peuple Kurde. N’insultons pas l’avenir en laissant l’OTAN faire sienne les intérêts et les objectifs de la Turquie en Syrie.

En effet, le Kurdistan historique, zone de peuplement kurde, s’étend sur environ 520 000 km², la superficie de la France. La majeure partie du Kurdistan est située en Turquie et borde au Nord toute la frontière syrienne, irakienne et le Nord-ouest de la frontière iranienne. C’est une région montagneuse qui s’élève d’Ouest en Est depuis une altitude de 1000 m à des sommets supérieurs à 3000 mètres. Les Kurdes seraient 25 à 35 millions, répartis majoritairement entre ces quatre États : environ 15 à 17 millions en Turquie (20 à 25% de la population turque), 6 à 8 millions en Iran (#10%), 2 à 3 millions en Irak (#10%), 1 à 2 millions en Syrie (10%) et plusieurs dizaines de milliers disséminés en Arménie, en Géorgie, en Azerbaïdjan, au Turkménistan, en Kirghizie et au Kazakhstan. En outre, on estime que 700 000 Kurdes sont réfugiés en Europe.

Enfin, la situation intérieure syrienne est très différente de celle de la Libye. En Syrie vivaient en paix jusqu’à aujourd’hui de nombreuses communautés religieuses qui représentent 30 à 35% [2] de la population face à 65 à 70% de sunnites au sein desquels existe la minorité extrémiste des frères musulmans. Le pouvoir syrien bénéficie ainsi du soutien de ces minorités qui craignent l’arrivée au pouvoir de la majorité sunnite.
Le risque est de remplacer un pouvoir qui protège ces minorités par un pouvoir qui les opprime.

C’est ce que craignent les Russes pour la communauté orthodoxe. Par ailleurs, la Russie est historiquement en compétition avec la Turquie dans cette partie du Monde. La Russie et l’ancien empire Ottoman, directement ou dans le cadre d’une coalition, se sont faits en 4 siècles 12 fois la guerre durant un total de 60 ans. Il n’existe pas d’autres exemples ou deux belligérants peuvent afficher un tel « palmarès ». [3]

La Russie s’opposera avec fermeté à toute résolution du conseil de sécurité qui entrebâillerait la porte à une intervention militaire en Syrie. Pour toutes ces raisons la France ne doit pas aller au-delà d’un discours humanitaire et s’opposer à toute action de l’Otan en Syrie initiée par les turcs soutenus comme toujours par les américains. [4]

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] A partir de 1984 une guerre civile eut lieu en Turquie qui a fait 37 000 morts (pour la plupart kurdes) et abouti à la destruction de 3 000 villages kurdes dans « le Sud-est de la Turquie » et produit entre 500 000 et 2,5 millions de réfugiés internes.

[2] 2,5 millions alaouites, 2 millions de chrétiens dont la moitié d’orthodoxes, 1,5 millions de kurdes, 500 000 druzes sur 20 millions d’habitants.

[3] Guerres russo-turque de 1568-1570, de 1676-1681, 1686-1700, 1710-1711, 1735-1739 ou « guerre austro-russe contre la Turquie », 1806-1812, 1828-1829, de 1853-1856 ou guerre de Crimée, de 1768-1774, de1877-1878. Il faut y ajouter la guerre russo-turque de 1914-1917 dans le cadre de la Première Guerre mondiale et la guerre soviéto-turque de 1917-1918 dans le cadre de la Guerre civile russe.

[4] Lire à ce sujet mon livre Russie, Alliance vitale, éditions de Choiseul, 2011, pages 100 à 107.


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