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Emmanuel Macron en Chine : le dessous des cartes par le général Pinatel

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FIGAROVOX/ANALYSE – Le voyage en Chine du Président Emmanuel Macron s’effectue dans un contexte favorable et plein de promesses pour les relations entre les deux pays. Jean-Bernard Pinatel livre une analyse des enjeux qui attendent les dirigeants des deux pays.

En se rendant en Chine du 8 au 10 janvier, Emmanuel Macron va rencontrer le Président Xi Jinping qui commence un second mandat de cinq ans avec un gouvernement encore plus restreint. En effet, il dirigera désormais cet immense pays avec un Comité permanent resserré autour de sept fidèles collaborateurs. Macron sera face à un leader qui a exprimé en septembre 2013, au Kazakhstan, une vision stratégique claire et ambitieuse pour l’avenir de la Chine. Xi Jinping a eu l’habileté de ne pas s’appesantir sur les immenses défis que son pays doit relever dans les 20 ans à venir, ce qui aurait pu être démobilisateur. Il les a présentés positivement en les rassemblant dans un seul «projet-concept» qui fait référence à l’ancienne route mythique de la soie et qui est désormais appelé «Belt and Road Initiative» (BRI).

Face à son interlocuteur, le Président Emmanuel Macron dispose de cartes importantes pour donner un nouvel élan aux relations franco-chinoises dans un contexte de relations sino-américaines tendues sur le plan stratégique, économique et technologique.

Le contexte sino-américain

Lundi 18 décembre 2017, en dévoilant la nouvelle stratégie de sécurité nationale américaine, Trump a classé la Chine dans la même catégorie que la Russie en qualifiant ces deux pays de «puissances révisionnistes» et de «concurrents hostiles» qui cherchent à «façonner un monde antithétique aux valeurs et intérêts américains». «La Chine et la Russie défient le pouvoir, l’influence et les intérêts américains, en essayant d’éroder sa sécurité et sa prospérité», indique le document.

Sur le plan économique, Trump a été élu sur le slogan «Make America Great Again» par la classe moyenne américaine qui voit son niveau de vie stagner et qui en attribue la cause à l’hémorragie de l’industrie américaine au profit de l’étranger, et principalement la Chine, le Canada ou le Mexique. Devenu le champion du patriotisme économique, il a forcé, dès son investiture, le Canada et le Mexique à renégocier l’accord Aléna. Le 1er juin 2017 à Washington il a annoncé que les États-Unis, deuxième pollueur de la planète, allaient sortir de l’accord sur le climat signé à Paris en décembre 2015 par la quasi-totalité des pays du monde. Le vendredi 10 novembre 2017, au forum annuel de l’APEC qui se tenait au Vietnam, Donald Trump a confirmé sa décision de retrait de l’accord de libre-échange transpacifique TPP pour privilégier le cadre bilatéral. De même le 1er décembre 2017 les États-Unis ont officiellement informé l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) qu’ils s’opposaient à l’octroi à la Chine du statut d’économie de marché, ce qui devrait leur permettre de maintenir des barrières douanières élevées sur certains produits chinois.

Sur le plan technologique, Trump a lancé le 14 août une enquête sur les conditions de transferts de technologie américaine et le respect de la propriété intellectuelle en Chine.

Cette pression tous azimuts sur la Chine irrite au plus haut point les dirigeants chinois qui n’ont pas manqué de vilipender devant moi cette politique internationale fondée sur le bilatéralisme et le donnant-donnant. Mais tout en dénonçant le risque de guerre commerciale, ils ont choisi de satisfaire l’ego de Trump en rentrant dans son jeu. Lors de sa première visite en Chine les 8 et 9 novembre derniers, Trump a signé pour 253,4 milliards de dollars d’accords commerciaux.

La Chine a des défis immenses à relever

Inégalités et qualité de vie

Ce pays, le plus peuplé du monde, a connu un développement économique sans précédent dans les 25 dernières années. Le PIB par habitant est passé d’environ 1 000 dollars en 1990 à 15 000 dollars en 2016, d’après la banque mondiale. Sur cette période, 700 millions de Chinois sont sortis de la pauvreté. Le pourcentage de Chinois vivant avec moins de 1,25 dollar par jour est passé de 85 % à 11 % entre 1980 et 2012.

Mais cette fabuleuse amélioration s’est accompagnée d’une pollution insupportable pour les habitants de grandes villes et d’une triple croissance des inégalités:

– entre les plus riches et les plus pauvres ;

– entre les provinces chinoises côtières de l’Est et celles de l’intérieur de l’Ouest ;

– entre les villes et les campagnes.

Les dirigeants chinois ont pris conscience que la persistance de ces nuisances et de ces fortes inégalités freinait la croissance et la rendait instable https://www.imf.org/external/pubs/ft/sdn/2014/sdn1402.pdf Dès son accession au pouvoir, XI Jinping s’est attaqué à réduire la pollution et ces trois inégalités.

La Chine, qui demeure encore le premier émetteur mondial de CO2, est devenue le leader en production d’électricité d’origine renouvelable avec 1 398 TWh en 2015, loin devant les États-Unis (568 TWh), le Brésil et le Canada. Le Président chinois a fixé l’objectif de produire d’ici 2020 au moins 15 % de l’ensemble de l’énergie à partir de sources renouvelables. La Chine essaie encore de réduire plus vite ses besoins en énergie fossile, bien que ceux-ci resteront croissants selon les experts jusque dans les années 2025-2030. Je reviens d’un voyage de 10 jours en Chine en novembre 2017 où j’ai rencontré les responsables impliqués dans les nouvelles routes de la soie à Pékin, Xi’an, Xiamen et Shanghaï. Lorsqu’on visite la Chine en 2017, son engagement à limiter le changement climatique et à maitriser les énergies saute aux yeux et sur ce point fondamental le Président Macron n’aura aucune peine à trouver un terrain d’entente et de coopération avec le Président chinois.

Face aux inégalités entre les riches et les pauvres, le président Xi Jinping s’est attaché à lutter contre la corruption des «mouches», les petits fonctionnaires, qui était perçue par la population comme la première cause d’inégalités. Il n’a cessé de renouveler sa volonté de «bâtir un Parti et un gouvernement propres». Pour le tout-puissant numéro 1 du PCC, il s’agit là d’une «question de vie et de mort pour le Parti et pour la nation».

La «Belt and Road Initiative» (BRI) vise à corriger les deux dernières inégalités en développant l’ouest de la Chine, en l’ouvrant vers l’Asie centrale et l’Europe et en fixant les paysans dans les campagnes.

Pour réussir ce triple défi et dans un contexte de concurrence hostile avec les États-Unis, la Chine doit maîtriser la vulnérabilité que constitue sa dépendance en énergie et en matières premières minérales et agricoles. La «Belt and Road Initiative» (BRI) vise aussi à diversifier ses sources d’importations et à les sécuriser.

La dépendance chinoise en énergie et en matières premières agricoles

La Chine importait en 2015 60% de ses besoins en pétrole, 30% de ceux en gaz naturel et 5,5% de ses besoins en charbon (dont elle est le premier importateur mondial) dont la décroissance est amorcée depuis cette date. 60% du pétrole importé vient encore du Moyen-Orient et d’Afrique.

Par ailleurs, la Chine dispose de moins de 10 % des terres agricoles de la planète alors qu’elle représente plus de 20% de sa population. La Chine est ainsi le premier importateur mondial de produits agricoles. Du fait de la modification de la consommation liée à l’amélioration du niveau de vie (protéines animales) ses besoins ne feront qu’augmenter, posant à la Chine un véritable problème de sécurité alimentaire.

Le soja et les huiles représentent plus de la moitié de ses achats (40 % des flux de soja mondiaux vont vers la Chine, ou 65 % si on se limite à la graine, car c’est le mode d’achat privilégié). Ses importations augmentent ainsi virtuellement d’environ 50 % la surface cultivée totale dont elle dispose. Tout en modernisant son agriculture pour atteindre l’autosuffisance en céréales, la Chine s’est donc engagée depuis une dizaine d’années dans une vaste politique de rachat et de location de terres arables à travers le monde, surtout aux Philippines, en Indonésie et au Laos et plus de 60 millions d’hectares sur le continent africain.

Pour sécuriser ces approvisionnements vitaux, la Chine même une politique de diversification de ses sources d’approvisionnement et des voies d’acheminement.

La principale route maritime par où transitent actuellement 80% des importations chinoises est vitale mais très vulnérable.

C’est pour cette raison que la Chine s’est attachée à construire un «collier de perles» et moins prosaïquement une ceinture de bases aéronavales. Ses ports pour ceux du Myanmar et du Pakistan sont directement reliés à la Chine et constituent les deux premières routes terrestres de la nouvelle route de la Soie.

Un autre tracé suit le chemin historique de l’ancienne route de la Soie. Cette route part de X’ian, que le Président Macron va visiter et où a été découverte en 1974 «l’Armée de terre cuite» qui protège le mausolée de l’empereur Qin. Elle traverse le Kirghizistan, les villes de Samarcande et de Boukhara en Ouzbékistan et de Merv au Turkménistan d’où une branche s’oriente vers la Turquie et l’Europe et l’autre vers l’Iran et le Moyen-Orient.

Enfin la dernière est dédiée au chemin de fer et à la route. Elle part aussi de Xi’an, traverse le nord du Xinjiang, le Kazakhstan, la Russie, la Pologne et relie le nord de l’Europe à la Chine. Ainsi, le 18 janvier 2016, après 18 jours et 12 000 km traversés et deux ruptures de charge, le premier train de marchandise parti de la ville de Yiwu dans la province du Zhejiang a fait son arrivée à Barking, dans la banlieue de Londres.

Ce gigantesque effort d’infrastructure n’a pas qu’un but stratégique, il est réalisé pour favoriser le développement de tout l’ouest de la Chine en l’ouvrant vers l’Asie centrale, le Moyen-Orient, la Russie et l’Europe. En effet, et les Chinois ne cessent de le rappeler, 1% du PIB investi dans l’infrastructure génère au moins 1,5% de croissance supplémentaire dans les pays et les régions traversés. Par ailleurs, alors que les États-Unis affichent leur volonté de ne passer des accords qu’en bilatéral, la Chine affiche une volonté de coopération multilatérale avec les États et les institutions financières régionales et internationales pour financer ce gigantesque chantier par un «pool» de banques dont le capital a été ouvert à tous les pays traversés.

L’enjeu technologique

Par ailleurs, le Président Macron qui veut relancer la recherche française et favoriser le développement des technologies d’avenir trouvera chez le Président Chinois une oreille attentive. Car la Chine a un besoin immense des technologies occidentales, d’autant plus que la source américaine risque de se tarir prochainement.

Enfin la Chine est confrontée comme la France à l’Islam radical. Le pays comporte entre 60 à 100 millions de musulmans sunnites (selon les données fournies par le Centre international de la population de l’Université d’État de San Diego pour le «U.S. News & World Report», la Chine possède 65,3 millions de musulmans. Le site internet de la BBC «religion et éthique» donne une fourchette de 20 à 100 millions (1,5 à 7,5 % du total) de musulmans en Chine). Ceux-ci se répartissent majoritairement dans les populations du Nord-Ouest (Hui) et occidentales (Ouïgours, Kazakhs, Tadjiks, Dounganes). Depuis 2013 la Chine a eu à déplorer des attentats terroristes de masse provenant essentiellement des populations ouïgours. Les services chinois pointent la Turquie, dont les services auraient facilité l’accès de djihadistes chinois en Syrie. Par ailleurs les trois routes terrestres de la soie qui traversent le Myanmar, le Pakistan et l’Ouzbékistan sont confrontées aussi à l’Islam radical.

Enfin en tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU, comme la France, la Chine est présente financièrement, économiquement et souvent militairement sur tous les théâtres du Moyen-Orient et africains qui intéressent directement notre sécurité et notre développement, notamment à Djibouti où selon Defense News, leur nouvelle base est capable d’héberger une brigade complète (7 à 10 000 hommes).

Le Président Macron va rencontrer un dirigeant très largement impliqué dans les défis posés à son peuple, dans un contexte géopolitique favorable à la France.

Les Présidents Macron et Xi Pinjing ont donc de nombreux points à évoquer qui concernent les deux pays: le défi climatique, les énergies propres et/ou renouvelables, les partenariats scientifiques, technologiques et commerciaux et aussi les dossiers sécuritaires qui nous concernent, notamment face à l’Islam radical au Moyen-Orient et en Afrique.

SOURCE : LE FIGARO


Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

Auteur de :

  1. Mamiah Mbanda Fred says:

    Le monde dans son ancrage stratégique connait d’importante modifications. La France et la Chine engagé dans un effort de diversité et de multilatéralisme tentent de converger leur perception du monde notamment sur la question climatique qui semble essentiel. Il est fort intéressant où les Etats unis semblent s’enfoncer vers un unilatéraleralisme exacerbé et un bilateralisme aux arcanes d’une diplomatie plus large et consensuel, qu’il soit nécessaire pour la France et la Chine d’élaborer des plateforme d’inclusion et de coopération beaucoup plus ouvertes et engagé pour répondre aux défis de la mondialisation et infléchir la diplomatie américaine.

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