Retour d’une semaine à Moscou consacrée à la publication en Russie de mon dernier livre
Quand on rentre en France d’un voyage de plusieurs jours en Russie où l’on a rencontré plusieurs amis russes, on est obligé de se poser la question suivante : à l’orée de son quatrième et dernier mandat comment peut-on expliquer que, malgré les sanctions occidentales, la popularité de Poutine reste aussi élevée alors qu’en France celle du Président Macron est aussi basse ?
Alors que le débat sur l’exemplarité du chef n’existe pas en Russie car c’est une évidence même, pêle-mêle et suivant mes interlocuteurs, russes, franco-russe ou français travaillant en Russie, les réponses diffèrent. Mais la réponse qui vient au premier rang est la suivante: il a redressé l’économie du pays et multiplié par quatre le pouvoir d’achat moyen des Russes. Et de me citer plusieurs chiffres que j’ai vérifiés [1] :
- en 1998, quand Poutine est arrivé au pouvoir, le PIB par habitant était d’environ 6000 dollars par an contre 24 000 en France. En 2017 il était d’environ 25000 dollars soit une multiplication par 4 alors que dans le même temps celui des français n’était même pas multiplié par deux (1,7) ;
- mais au delà de ce qui touche directement les ménages mes interlocuteurs ont souligné à l’envie d’autres chiffres jamais présenté dans les médias occidentaux et qui devraient faire pâlir d’envie les dirigeants français :
- le taux de chômage est de l’ordre de 5% ;
- la dette des ménages est de 30% du revenu disponible (contre 115% en France) ;
- la balance commerciale russe depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir a toujours été positive. De faiblement négative en 1998 elle restée en moyenne positive de 50 Milliards de dollars avec un pic à 100 milliards en 2011 (elle est évidemment très liée au prix de l’énergie) ;
- les exportations de biens et services qui étaient de l’ordre de 200 milliards de dollars constants (base 2005) en 1998 seront de l’ordre de 540 milliards de dollars en 2018.
Les sanctions occidentales ont conduit à une réorientation de l’économie très rapide vers l’Asie. Que ce soit dans les grands hôtels, sur la place rouge, au Bolchoï ou dans les musées, les Chinois et les Asiatiques sont partout. L’exemple qui m’a été plusieurs fois cité est que l’embargo, décrété par l’Occident en 2014 sur plusieurs produits (fruits, légumes, produits laitiers, viandes) a plus nuit à la France qu’à la Russie. Il a favorisé l’essor de l’agriculture russe. Pour eux la Russie bénéficie de surcroît du changement climatique En quelques années, la Russie est redevenue un très grand producteur blé. Elle a doublé sa production en cinq ans pour atteindre son record historique en 2017 avec 84 Millions de tonnes. L’ambition russe est d’atteindre en 2020 120 Mt. Par ailleurs, sa proximité avec des zones très importatrices comme le Moyen-Orient, l’Algérie et l’Asie est un facteur de compétitivité. Contrairement à beaucoup de pays dans le monde, le secteur occupe une part plus importante dans l’économie du pays qu’il y a quinze ans. Pour la première fois, les exportations agricoles ont rapporté davantage… que les ventes d’armes, soit environ 15 milliards de dollars.
Un autre facteur soude le peuple russe autour de lui et est le plus souvent souligné par les commentateurs : Poutine a redonné la fierté au peuple russe. La façon dont il gère la crise ukrainienne et ramené la Crimée dans le giron russe en fait partie. Pour les Russes, la Crimée est russe depuis le XVIIIième siècle, suite au traité de Paix de « Küçük Kaynarca » avec l’empire ottoman. Devenue russe le 19 avril 1783, en droit international la Crimée est restée russe depuis. Son rattachement par simple décret par Nikita Khrouchtchev, lui-même ukrainien, à la République soviétique d’Ukraine n’a aucune valeur en droit international et est même en contradiction avec les accords de Yalta.
Un autre point d’étonnement, ce sont beaucoup plus les succès de la diplomatie russe au Moyen-Orient que sa réussite militaire en Syrie qui ont été mis en avant par mes interlocuteurs car ils sont pour eux un contrepoint saisissant de la diplomatie contre productive des tweets du Président américain qui varient selon son humeur du moment. Ainsi L’accord Poutine-Salmane visant à limiter la production de pétrole et à faire remonter les cours du pétrole autour de 80$ le baril a été salué par tous mes interlocuteurs alors même que la Russie n’a fait aucune concession sur son soutien à la Syrie ou à l’Iran. L’aide à la Syrie et les succès opérationnels remarquables d’un faible contingent militaire russe (5000 hommes et 40 avions) n’ont été mentionnés que lorsque j’ai posé la question. On est bien loin à Moscou de l’hystérie militariste russe décrite complaisamment par certains les médias occidentaux et promue par l’OTAN.
Citant aussi le risque islamique qui était l’objet de mon voyage, mes interlocuteurs m’ont répondu que si nos dirigeants politiques étaient moins complaisants et laxistes, les risques seraient limités. Et de me citer la politique d’immigration russe. Elle accueille chaque année plus de 400 000 étrangers qui n’ont qu’un seul choix : s’intégrer ou partir !
Enfin quand on aborde le futur on perçoit une inquiétude réelle pour l’après 2024. Tous mes interlocuteurs sont persuadés que Poutine se retirera et fera comme Eltsine : il mettra en place celui qu’il estime le plus apte pour diriger la Russie quelques temps avant la fin de son mandat. Quand on les presse de questions sur leur pronostic quant à son successeur, ils conviennent que c’est trop tôt pour le dire mais avancent trois critères qui conditionneront son choix : premièrement son successeur devra avoir l’aval des services de sécurité et de l’armée, indispensables pour sa capacité à assurer sa propre sécurité, ensuite il devra être apprécié des milieux avec lesquels Poutine gère et décide les orientations économiques du pays et, enfin, Poutine choisira quelqu’un en mesure de poursuive sa politique étrangère. Aujourd’hui mes interlocuteurs ne voient personne qui remplit ces trois conditions si plusieurs remplissent deux d’entre elles.
En conclusion, un Président soutenu par les trois quart des Russes contre moins d’un quart en France, une économie plus forte et plus diversifiée qu’il n’y parait, un Président et une politique étrangère permettent à la Russie d’occuper une place sur la scène internationale supérieure à la réalité de sa puissance économique et militaire.
Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
Secrétaire Général du Think Tank GEOPRAGMA
Auteur de « Histoire de l’Islam radical et de ceux qui s’en servent », Lavauzelle, Mai 2017
[1] Statistiques OCDE, Banque Mondiale et FMI.