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Analyse de la situation géopolitique, politique et militaire en Irak – Début Octobre 2015

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La fin du mois de septembre et ce début d’octobre est marqué par l’intervention militaire Russe en Syrie et les propositions de Vladimir Poutine de constituer un front uni contre Daesh. Pour ce faire, les Russes, selon des sources irakiennes, auraient commencé à déployer à Bagdad un état-major politique et militaire, car coalition ou pas, une coordination des opérations sur le terrain et dans l’espace aérien s’impose.
Alors que la situation politique en Irak reste confuse tant à Bagdad qu’à Erbil, les Etats-Unis continuent de se comporter en pays conquis et mettent en place en Irak, sans un aval formel du gouvernement et des partis irakiens, une stratégie opérationnelle identique à celle des Russes en Syrie qui elle s’appuie sur une demande formelle du gouvernement Assad.
Malgré tous les démentis, des troupes terrestres américaines venant de la Jordanie sont entrées, en septembre, dans les territoires irakiens d’Al Anbar par le poste frontière de Trébil pour former, entrainer les tribus sunnites et les équiper par un pont aérien sur l’aéroport militaire de Habbaniyya. La stratégie américaine est vraisemblablement, dans un premier temps, de concentrer leurs efforts sur le gouvernorat d’Al ANBAR pour deux raisons. Ils bénéficient de l’appui de certaines tribus sunnites avec lesquelles ils ont conservé d’étroits contacts depuis le « Surge » et ils veulent protéger leur allié saoudien qui possède 420 km de frontières avec ce gouvernorat. Il semble aussi que le premier objectif des Etats-Unis soit de libérer la ville de Ramadi, chef-lieu du gouvernorat (300 000 h mais dont 1/3 ont fui lorsque Daesh s’est emparé de la ville), plutôt que la ville de Faluja (200 000h), plus proche de Bagdad mais dont la population reste acquise à Daesh.
La situation sécuritaire est toujours très mauvaise dans 4 gouvernorats sur 18 : 4 gouvernorats totalisent 92% des attentats au mois de septembre : Nineveh (173 morts) ; Salah Dine (160) ; Al Anbar (155) et Bagdad (96). La situation est meilleure à Kikuk (44 morts) et à Diyala (8).

Situation politique

En septembre, les appels à diviser l’Irak en mini-Etats selon ses composantes communautaires ont continué de se faire entendre à l’extérieur comme à l’intérieur de l’Irak. Les partis politiques au pouvoir ont rejeté ces appels. Le Conseil Islamique Suprême, à l’unisson des partis au pouvoir, a condamné les déclarations du directeur de la Defense Intelligence Agency, le Général [1] Vincent Stewart, sur le démembrement de l’Irak, estimant « qu’elles visent le tissu national de la société irakienne et qu’elles approfondiront davantage les différends qui existent actuellement entre les différentes composantes ethniques et religieuses du pays ». De même la Coalition des Forces Irakiennes qui représente les Sunnites au parlement irakien a accusé la politique américaine d’être à l’origine des projets tendant à morceler la patrie arabe, considérant que l’évocation par de hauts responsables américains l’idée du démembrement de l’Irak et de la Syrie « n’est pas une simple hypothèse mais il s’agit plutôt d’un énième tentative pour l’imposer sous prétexte de la politique du fait accompli [2] ».

En septembre
, les manifestations qui avaient commencé dans les principales villes irakiennes en aout, ont durci le ton. Au lieu d’appeler à soutenir le premier ministre dans ses réformes, les manifestants lui demandent d’agir vite en mettant en chantier de véritables réformes ou de partir. Les irakiens sont aujourd’hui en majorité convaincus qu’Hayder Al Abadi sera incapable de mener de réelles réformes en raison du système politique des quotas communautaires et partisans qui répartit les postes clés de l’Etat, sans parler de la guerre contre Daesh et de son coût très élevé.

De son côté, le chef de la Coalition Nationale, Ayad Allawi, a appelé, dans un communiqué de presse, à changer le premier ministre et à désigner à sa place un homme capable de mener les réformes, un homme non autoritaire, rassembleur et respectueux de la concordance nationale, de la constitution et des lois en vigueur afin de sauver le pays en ne marginalisant aucune force politique.

Au Kurdistan, la fin prochaine du deuxième mandat présidentiel de Massoud Barzani, qui a déjà été prolongé de deux ans, entraine une situation de blocage entre le PDK et l’UPK. Les partisans de Massoud Barzani qui occupent des postes importants au Kurdistan et à Bagdad essaient de prolonger son mandat. Barzani a appelé à organiser des élections présidentielles directes afin de passer outre le Parlement du Kurdistan. Mais le parti Goran et les autres partis islamiques qui dominent le Parlement du Kurdistan ainsi que l’UPK [3] insistent pour régler l’affaire au Parlement du Kurdistan [4].

Ce qui est paradoxal dans cette situation c’est que les Etats-Unis l’Iran et la Turquie souhaitent le maintien de Barzani à la tête du Kurdistan afin de ne pas courir le risque d’une mise en cause de la stabilité qui y règne jusqu’à présent. Washington s’agite en coulisse pour trouver des solutions pour ses deux alliés en difficulté, Al Abadi et Barzani, afin qu’ils puissent poursuivre le combat contre Daesh.

Situation sécuritaire

Le fait marquant du mois de septembre est le renforcement des forces américaines stationnées en Irak et la mise en place d’une stratégie opérationnelle que Washington veut imposer au gouvernement irakien et à l’Iran. Cette stratégie militaire s’appuie sur les tribus sunnites, les Peshmergas kurdes et une partie des forces armées irakiennes. Ils sont, pour Washington, les clefs de la crise irakienne.

Selon ces sources, les troupes américaines essaient depuis presque un mois, de prendre en main le dossier sécuritaire d’Al Anbar, en gelant, d’abord, les opérations de l’armée irakienne, puis faisant pression pour retirer les milices chiites des environs de la ville de Ramadi, chef lieu d’Al Anbar, tout en les empêchant de s’approcher de la ville de Faluja. Parallèlement, dans les districts de Khalidyia et dans le camp de Habbaniyya, à 20 km à l’est de Ramadi, les troupes américaines équipent d’armes et de matériels les forces des tribus sunnites grâce à des avions cargos qui atterrissent tous les jours à l’aéroport militaire de Habbaniyya.

La mise en place unilatérale de cette stratégie génère des interrogations et des critiques à Bagdad. Un analyste irakien soutient que Washington utilise les hommes des tribus d’Al Anbar pour faire pression sur le gouvernement irakien pour écarter les milices chiites des opérations militaires de ratissage des territoires libérés des mains de Daesh à Al Anbar. Selon lui, les forces des Etats-Unis jouent un rôle négatif dans ce gouvernorat car elles ne participent pas directement aux combats. A cet égard, l’un des chefs des milices chiites, Karim Nourri, a déclaré que « les Etats-Unis ne sacrifieront même pas un seul soldat pour l’Irak et que leurs interventions dans les affaires intérieures de l’Irak visaient à le disloquer » ; ajoutant que « l’Organisme de Rassemblement Populaire n’a pas besoin de l’autorisation de quiconque pour poursuivre son combat contre Daesh ». De son côté, la commission Sécurité et Défense du parlement irakien a affirmé que Washington n’avait pas le droit de geler les opérations militaires de l’armée irakienne contre Daesh à Al Anbar, soulignant que les milices chiites de l’Organisme de Rassemblement Populaire continueront leurs opérations militaires contre Daesh à Al Anbar. La commission tiendra en octobre une réunion extraordinaire pour répondre à cette action unilatérale américaine. Pour sa part, la présidence du parlement irakien a exclu que les forces américaines arrêtent les opérations militaires de l’armée irakienne et des milices de l’organisation de rassemblement populaire à Al Anbar, affirmant que ces dernières continueront leurs opérations à Al Anbar. De son coté, le porte-parole de la milice chiite Bader, les forces du Rassemblement Populaire se trouveront là où se trouvera Daesh et rien ne les empêchera de l’être d’autant qu’elles sont soutenues par les grands chefs religieux chiites et par le peuple irakien, affirmant qu’il n’y a aucune raison pour qu’elles se retirent d’Al Anbar ou de tout autre gouvernorat irakien.

Dans le gouvernorat de Salah Dine, Daesh s’est à nouveau emparé de la localité de Béji après le retrait de l’armée irakienne et des milices chiites. Le gouvernement irakien a lancé, le 19 septembre, une nouvelle campagne militaire pour reprendre Béji en passant par la localité de Sinyia. Selon les informations de presse, les combattants des milices chiites seraient sur le point d’entrer dans les quartiers résidentiels des deux villes.

A Bagdad, la situation sécuritaire continue d’être détériorée. Le nombre des attentats à l’explosif et des enlèvements a augmenté, multipliant le mécontentement de la rue irakienne vis-à-vis du gouvernement irakien à cause de son incapacité à assurer la sécurité pour les citoyens irakiens. A signaler notamment deux attentats très meurtriers : le 17 septembre deux kamikazes se sont fait exploser au sein de la foule au centre de Bagdad, tuant plus de 30 personnes et blessant 120 autres. Le 20 septembre, une voiture piégée a explosé près d’un marché populaire situé au quartier d’Amni, au sud-est de Bagdad faisant des dizaines de morts et de blessés.

Au Nord et au sud du pays, il n’y avait aucun attentat à signaler en septembre.

Néanmoins, septembre avec 636 morts par attentats est moins sanglant qu’aout (760), et juin (703).

4 gouvernorats totalisent 92% des attentats au mois de septembre
: Nineveh (173 morts) ; Salah Dine (160) ; Al Anbar (155) et Bagdad (96). La situation est meilleure à Kikuk (44 morts) et à Diyala (8).

[1] Lieutenant General Vincent R. Stewart became the 20th Director of the Defense Intelligence Agency and the Commander, Joint Functional Component Command for Intelligence, Surveillance and Reconnaissance.

[2] Pour cette coalition, les Etats-Unis sont directement responsables de la détérioration de la situation dans les pays arabes, du déchirement de leurs entités, du pillage de leurs richesses naturelles et de la provocation des guerres civiles afin de dessiner une nouvelle carte pour le Moyen-Orient.

[3] Dans un communiqué de presse publié, le 10 septembre, par le bureau politique du PDK à l’occasion du 54e anniversaire de la révolution de 1961 de Mustapha Barzani a affirmé que s’il n’y avait les actuels différends politiques, le peuple du Kurdistan n’aurait jamais été aussi proche de son autodétermination et il aurait fait des pas importants vers la réalisation des aspirations du mouvement de libération du Kurdistan. Toutefois, il a annoncé qu’il était prêt à agir dans un esprit national irakien pour créer une concordance nationale et résoudre tous les problèmes politique et juridique de l’Irak et pour garder le bercail du Kurdistan unifié.

[4] Les difficultés de Massoud Barzani viennent du fait que le Kurdistan n’a pas sa propre constitution. C’est la constitution irakienne qui y est valable. Elle autorise à beaucoup de mécanismes de pouvoir kurdes qui étaient en cours avant 2005 d’être encore applicables. De ce fait les deux principaux partis politiques du Kurdistan, le PDK et l’UPK, se partagent le pouvoir et les postes importants à Erbil et Soulymanyia où se trouvent leurs fiefs respectifs.

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