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Libération des otages français : pourquoi la France risque de rester seule et longtemps au Sahel
L’intervention héroïque mais coûteuse de l’armée française pour libérer des otages dans le Sahel semble montrer une forme d’enlisement du conflit.
Atlantico : Si l’intervention au Mali voulue par François Hollande était une bonne idée, l’intervention héroïque mais coûteuse de l’armée française pour libérer des otages dans le Sahel semble montrer une forme d’enlisement dans ce conflit. Quel est l’état de la situation globale de l’intervention française ? Sommes-nous sur ce théâtre d’opération pour encore longtemps ?
Général (2s) Jean-Bernard Pinatel : La mort héroïque du maître Cédric de Pierrepont et du maître Alain Bertoncello, officiers mariniers des forces spéciale, lors de l’assaut qui a permis la libération des deux otages français et de deux autres otages étrangers n’a que peu de rapports avec la situation générale du conflit. Elle est un épisode douloureux de l’imprudence irresponsable de deux « touristes » qui sont allés dans une zone totalement déconseillée par l’ambassade de France. Le Burkina fait en effet partie des cinq pays de la zone d’opérations Barkane qui comprend aussi le Sénégal, le Mali, le Niger et le Tchad.
Dans la guerre révolutionnaire que nous mènent les djihadistes, plus ou moins inféodés à l’Islam radical et à l’Etat islamique, l’intervention française qui a débuté en janvier 2013 a ramené la situation du stade 5 du processus révolutionnaire [1] – la conquête imminente de la capitale Bamako – au stade 2-3 du terrorisme urbain et à celui de petites bandes éparpillées sur cet immense territoire. Elles sont certes capables de coups de forces ponctuels mais incapables de tenir un objectif plus longtemps que quelques heures avant d’en être délogées par l’intervention de nos forces armées. Néanmoins, nous sommes sur ce théâtre d’opérations pour très longtemps car je ne crois pas que les forces des pays du G5 Sahel, à part celles du Tchad, même bien entraînées et bien équipées, soient capables de faire face aux djihadistes sans notre aide opérationnelle.
Dans une zone difficile à contrôler, la France peut sembler seule. Qu’en est-il ? Sur qui peut-elle compter aujourd’hui ?
La France n’est pas seule mais c’est elle qui supporte le poids le plus lourd car c’est elle qui a le plus d’intérêts stratégiques à sécuriser et à développer cette zone d’Afrique francophone où vivent 93 millions d’habitants, autant de migrants potentiels si la situation se détériorait encore plus. Sur le plan opérationnel,la France ne dispose que d’un soutien limité américain en matière de renseignement et de forces spéciales dans le cadre de leur lutte mondiale contre le terrorisme. Les Etats-Unis interviennent aussi dans la formation des armées locales. Il y a également quelques coopérants militaires européens orientés vers la formation des forces locales. Le principal effort européen est en matière de développement économique puisque les pays regroupés au sein de l’Alliance Sahel [2] financeront plus de 600 projets dans la zone, pour un montant total de 9 milliards d’euros. La France fait partie à cet effort, puisque l’Agence française de développement financera plus de 1,6 milliards d’euros de projets – soit une hausse de 40% de son action en faveur du Sahel sur la période 2018-2022.
Cependant il faut souligner que l’effort militaire pour la France reste supportable puisque le surcoût de l’opération Barkane est inférieur à 2 milliards d’euros en prenant en compte l’usure prématurée de nos matériels soit moins de 5% du budget militaire de la France. En contrepartie notre armée en retire un bénéfice considérable en formation de ses personnels et en retour d’expérience qui contribuent à maintenir sa capacité opérationnelle à un des plus hauts niveaux mondiauxcar une armée qui ne se bat pas perd de sa valeur.
Quels sont les prochains objectifs de l’armée dans cette zone dans les mois qui vont suivre ?
Les objectifs de l’armée sont « être et durer » en reprenant la devise du régiment du Général Bigeard. En effet, l’amélioration de la situation dépend surtout de facteurs non militaires, comme la gouvernance dans les pays du Sahel et en particulier au Mali où la situation ne se stabilisera que si Bamako consent à faire évoluer le statut de l’Azawad, car les Touaregs et les Peuls refuseront toujours de se soumettre aux noirs du Sud. Et aussi de l’évolution politique et sécuritaire dans deux pays limitrophes du théâtre d’opérations : la Libye et l’Algérie.
En Libye [3] si l’offensive du général Haftar aboutissait à éradiquer les milices islamiques qui contrôlent Tripoli et Misrata, la source libyenne des armes et des munitions des djihadistes du Sahel se tarirait. Là encore cette issue favorable ne peut résulter que d’une négociation globale entre les pays qui soutiennent les deux camps. D’un côté l’Italie [4], la Turquie et le Qatar qui appuient les Frères Musulmans dont les milices contrôlent la ville de Misrata et, de facto, contribuent à maintenir à Tripoli le pouvoir fictif du chef du Gouvernement d’Union Nationale Fayez Serraj soutenu par l’ONU et des milices salafistes. De l’autre côté, l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Russie, les Emirats Arabes Unis et en sous-main la France qui a un intérêt stratégique vital à voir se mettre en place à Tripoli un pouvoir capable de stopper tous les trafics en provenance de Libye vers le Sahel. De même, la façon dont l’Algérie réussira à gérer la succession de Bouteflika peut avoir une influence positive ou négative sur la situation au Sahel.
[1] Analysée par le Colonel Lacheroy et que nous avons appris à Saint Cyr :
Stade 1 d’une période de paix apparente mais d’intense propagande, de pression;
Stade 2 : une phase de terrorisme;
Stade 3 : une guérilla avec obligatoirement le contrôle et la complicité des populations;
Stade 4 : la mise en place d’une organisation politico-administrative clandestine et de la formation de troupes régulières;
Stade 5 : le soulèvement général et la conquête du pouvoir.
[2] En juillet 2017, la France, l’Allemagne et l’Union Européenne ont annoncé le lancement de l’Alliance Sahel. Ils ont rapidement été rejoints par la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et le Programme des Nations Unies pour le développement. Plus récemment, l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni, le Luxembourg, le Danemark et les Pays-Bas ont annoncé leur adhésion.
[3] Lire mon analyse : Libye : les conditions d’une sortie de crise.
[4] L’Italie outre son passé colonial a des intérêts économiques considérables en tripolitaine ou ENI, sa compagnie nationale pétrolière, possède la majorité de ses actifs.
Source : ATLANTICO