L’engagement inattendu en première ligne des forces françaises au Mali
Après six mois durant lesquels la situation semblait figée au Nord-Mali avec des négociations engagées sous les auspices de l’Algérie avec le MNLA et Ansar Dine, la situation militaire au Mali a connu, vendredi 11 janvier, un rebondissement surprenant.
En effet, jeudi 10 janvier, après des combats qui ont duré près de 24 heures et qui ont fait de nombreuses victimes dans les rangs de l’armée malienne, les rebelles se sont emparés de la localité de Konna, située à 60 km au Nord de la ville de Mopti, 3ème ville du pays qui, avec 120 000 habitants, est 4 fois plus peuplée que Gao, la capitale du Nord-Mali.
Cette action des rebelles marque un tournant dans la crise malienne.
Pour la première fois, la rébellion a mené une action de conquête au Sud de l’Azawad, le territoire revendiqué par le MNLA et Ansar Dine.
Par sa présence à Konna, la rébellion menace ainsi directement Mopti et son aéroport international et indirectement Bamako qui ne se trouve plus qu’à 600 km et où vivent plus de 5000 français.
Les rebelles ont visiblement été encouragés à agir par plusieurs facteurs :
- les nombreuses déclarations des responsables politiques français qui n’ ont cessé de répéter à l’envie que la France ne ferait qu’instruire et apporter un soutien logistique à l’armée malienne et aux forces de la CEDEAO et n’interviendrait pas directement dans les combats;
- les atermoiements de la CEDEAO qui n’envisageait pas d’être prête à appuyer une contre-offensive avant le troisième trimestre 2013;
- la situation de zizanie politique régnant à Bamako où les forces politiques sont incapables de réaliser une union nationale;
- l’échec des négociations menées entre Ansar Dine et les autorités de transition de Bamako.
Les rebelles ont pu ainsi penser qu’ils disposaient d’un créneau favorable pour pousser leur avantage vers le Sud pour se mettre soit dans une position de force pour reprendre la négociation, soit pour s’emparer du pouvoir à Bamako, comme l’on fait en leur temps les peuples du Nord du Tchad conduit par Hissen Habré [1], Goukouni Oueddei [2] ou Idriss Deby [3].
L’intervention aérienne de la France, guidée certainement du sol par des détachements des forces spéciales, est facilitée par le terrain : les rebelles ne peuvent, en effet, utiliser pour progresser avec leurs Toyotas vers Mopti qu’un étroit couloir entre le fleuve Niger et ses bras et le plateau Diogon. On peut donc penser que, dès les premières frappes, les rebelles ont stoppé leur progression vers le Sud et se sont camouflés dans la localité de Konna où il semble, à cette heure, que l’armée malienne ait repris pied, sans pour autant la contrôler totalement.
Parallèlement, la France a envoyé un groupement de parachutistes de la 11ème brigade pour sécuriser l’aéroport international de Mopti, situé à 8 km à l’ouest de la ville, contre la localité de Sévaré, situé sur la RN6; axe Nord-Sud conduisant à Bamako. Le contrôle de cet aéroport est stratégique pour le Mali car il permet d’y stationner les avions et hélicoptères nécessaires à l’appui renseignement et feu des troupes au sol.
Le Président de la République va désormais devoir faire le choix entre deux options militaires:
- une mission d’interdiction défensive dans laquelle nos avions n’interviendront que si les rebelles franchissent une ligne matérialisée sur le terrain, par exemple par Konna; longtemps au Tchad ce fut le parallèle de Moussoro;
- une mission de destruction dans la profondeur pour affaiblir le potentiel rebelle, comme ce fut le cas en Libye ou lors de l’intervention en Mauritanie contre les colonnes du Polisario en 1977 : tout véhicule armé circulant dans une zone de chasse définie avec précision étant alors susceptible d’être détruit.
Sur le plan diplomatique, la France doit désormais jouer serré. Un appui direct aux forces maliennes doit avoir pour contrepartie un arrêt de la zizanie politique à Bamako car sans unité politique, les militaires maliens feront de la politique au lieu de s’entrainer pour reconquérir le Nord de leur pays et la France sera entrainée dans une intervention sans fin et couteuse même si elle ne présente pas de gros risques pour nos soldats.
Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
[1] Gorane ou Toubou et du clan Anakaza.