Libye : la guerre contre Kadhafi, militaire et médiatique
Les avions de Kadhafi ont bombardé, malgré le cessez-le-feu qu’il avait annoncé. Au poker menteur, le vieux dictateur a 40 ans d’expérience… Méfiance.
Je voudrais tout d’abord m’élever contre les abus de langage de certains commentateurs qui clament déjà : nous sommes désormais en guerre avec la Libye.
Dans un état de guerre, il n’y a pas de limitation sur la nature des forces engagées. L’action de la coalition est clairement encadrée par le mandat du conseil de sécurité et exclut l’engagement de forces terrestres sur le sol libyen.
Nous sommes encore clairement dans une gestion de crise où les actions militaires ne sont qu’une composante d’une stratégie générale dans laquelle les actions diplomatique, médiatique, et psychologique seront tout aussi décisives pour son succès.
Or nous savons qu’à ce jeu le colonel Kadhafi excelle. Les militaires français en conservent la mémoire.
En 1986, le leader libyen avait fait de la base d’Ouaddi-Doum, dans la bande contestée d’Aouzou une plate-forme surarmée destinée à appuyer les actions de ses troupes contre le Tchad. Pour camoufler la montée en puissance de cette menace, il avait déployé toute une propagande complaisamment relayée par certains médias qui présentait Ouaddi-Doum comme une plateforme logistique destinée à fournir une aide humanitaire au Sahel.
Le 14 février 1986, le président de la République François Mitterrand autorisait la neutralisation de la base libyenne. L’opération devait être exécutée par un raid aérien de douze Jaguar français opérant directement à partir de Bangui [1]. Le SIRPA (service d’information et de relations presse des armées) que je dirigeais attirait l’attention de Monsieur Paul Quilès, alors ministre de la Défense, sur le risque de voir apparaître dans la presse des photos de femmes et d’enfants tués par nos bombes. Monsieur Quilès donnait alors l’ordre d’adjoindre à nos avions des caméras et appareils de photos qui rapporteraient la preuve que cet aérodrome était bien une base militaire fortement armée. Le dispositif s’avéra efficace et deux jours plus tard le 16 février 1986. L’Armée de l’Air [2] réussit à neutraliser la piste d’envol tout en récupérant des dizaines de photos démontrant l’évidence du caractère totalement militaire de cette plateforme. Dès que les photos du bombardement furent disponibles à Paris, le 20 février, le Général Litre, qui dirigeait les opérations de l’Armée de l’Air tenait au Ministère de la Défense une conférence de presse qui acheva de détruire le mythe libyen.
A quoi faut-il s’attendre ?
La manœuvre de désinformation est déjà commencée avant même l’intervention de la coalition : Kadhafi essaie d’en diminuer la légitimité en proclamant qu’il accepte le cessez-le feu demandé par l’ONU. Heureusement des reporters sur le terrain témoignent que les attaques contre la population se poursuivent dans certaines villes.
Lorsque les actions aériennes seront lancées, il faut s’attendre à voir les médias convoqués pour constater des destructions d’habitations et dans les décombres des femmes et des enfants qu’il aura probablement lui même tués.
C’est pourquoi il serait préférable de frapper des colonnes dans le désert que des installations en bordure ou dans les villes et en tout état de cause de disposer d’images de chaque frappe pour démontrer qu’elles n’ont pas causées de dégâts collatéraux.
A l’ère de l’audiovisuel et aujourd’hui de l’audiovisuel numérique, le mensonge par manipulation de l’image devient une pratique de plus en plus courante dans la gestion des crises et la manipulation de l’opinion publique.
Gardons en mémoire l’affaire du charnier de Timişoara, il est probable que Kadhafi va essayer de nous servir une action de désinformation de ce type.
Sur les médias du monde entier est publiée la photo d’un père pleurant sur le corps de son bébé et de sa femme devant un charnier à Timişoara, où, d’après les insurgés, les émeutes des 17 et 19 décembre ont fait 4 632 morts. Cette photo accable le régime de Nicolae Ceauşescu, le dernier dictateur communiste européen. En fait cette photo, réalisée par un reporter américain, est un montage : Les opposants ont réalisé la macabre mise en scène en déterrant une vingtaine de cadavres du cimetière ; l’homme n’est pas le père de l’enfant ; ce dernier a été victime de la mort subite du nourrisson ; et la femme, qui n’est pas sa mère, a été emportée par une cirrhose.
Ces exemples démontrent qu’il faut apporter à la gestion médiatique de cette crise autant d’importance qu’à sa gestion diplomatique et militaire. L’objectif est de maintenir aux yeux de l’opinion la légitimité de l’action entreprise en gardant en permanence en mémoire qu’en démocratie il n’est de légitimité que reconnue par l’opinion publique.
Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
[1] Capitale du Centre-Afrique, État africain ayant une frontière commune avec le Tchad.
[2] Raid de 8 jaguar depuis Bangui à plus de 1 600 km, escortés de 4 F1 soutenus par 2 Atlantic et ravitaillés par 5 C135.
Source : Libye : la guerre contre Kadhafi, militaire et médiatique