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Algérie

3 022 commentaires

Le décès du général Lamari marque le début de la fin d’une période de 20 ans de pouvoir dominée par les militaires qui ont conduit la répression contre le terrorisme islamique. Est-ce pour autant le début d’une transition vers un pouvoir politique plus équilibré ?

Le général de corps d’armée Mohamed Lamari, une des figures prédominante de l’aile dite « éradicatrice » de l’armée algérienne contre le terrorisme islamiste, est décédé d’un arrêt cardiaque, lundi 13 février 2012, à l’âge de 73 ans, à Biskra où il s’était retiré. Il a été inhumé, mercredi 15 févier, au cimetière de Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger, en présence de presque tous les hauts responsables politiques et militaires.

Étaient notamment présents :

  • le ministre délégué à la Défense nationale Abdelmalek Guenaïzia [1];
  • le chef d’état-major Gaïd Salah [2];
  • le général Mohamed Touati [3];
  • même l’invisible général Mohamed Médiene, dit « Toufik » était là [4];
  • ainsi que les généraux à la retraite Khaled Nezzar et Abdelhamid Djouadi ont tenu à accompagner Mohamed Lamari à sa dernière demeure.

Mohamed Lamari était reconnaissable à sa carrure imposante de deuxième ligne. Cet ancien officier de l’armée française avait rejoint les rangs de l’armée de libération algérienne et été formé également, après l’indépendance de l’Algérie, à l’académie militaire de Moscou. Il faisait partie des généraux « janviéristes », qui avaient pris la décision d’interrompre le processus électoral, en janvier 1992, pour barrer la route du pouvoir au FIS (Front islamique du salut), qui venait de rafler la majorité des sièges au premier tour des premières élections législatives pluralistes en Algérie. Avant d’être nommé, en 1993, à la tête de l’état-major de l’armée algérienne, au moment où l’Algérie venait de basculer dans la violence islamo-terroriste, le général Mohamed Lamari était passé par différents grades de la hiérarchie militaire. Résolument engagé dans la lutte anti-terroriste, il avait créé une force anti-terroriste d’élite, forte de 15.000 hommes, pour traquer les maquis islamistes. En 2004, le général Lamari avait démissionné de son poste à l’état-major de l’armée, peu après l’élection du président Abdelaziz Bouteflika pour un deuxième mandat, officiellement pour « des raisons de santé ». La démission de ce partisan de ce que la presse algérienne appelait « le tout sécuritaire » avait été perçue alors comme une prise de distance par rapport à la politique de main tendue à l’égard des islamistes de la part du président Bouteflika, favorable à une solution politique.

Sa disparition, comme le retrait prochain annoncé de la vie politique du président Bouteflika, marque-t-elle le début d’une transition politique vers un régime plus démocratique ? La création de la commission Bensalah [5], en mai 2011, par le président Bouteflika, afin de rassembler les propositions des différentes sensibilités politiques et des personnalités nationales pour lui proposer les évolutions souhaitables en matière de loi constitutionnelle et d’élections, est interprétée comme un premier pas dans ce sens. La nomination de Mohamed Touati conforte l’idée que c’est le modèle turc, avant l’accession d’Erdogan, qui semble souhaité par les généraux et auquel Bouteflika, à bout de souffle, aurait consenti. Cela devrait se traduire par un partage plus équitable du pouvoir politique entre les différentes tendances politiques algériennes, un maintien de l’Armée comme garant de la constitution, une normalisation des rapports avec le Maroc, une ouverture sélective de la frontière algéro-marocaine, attendue par tous les habitants de l’Oranais, et la poursuite de la croissance du niveau de vie des Algériens qui a, sous le régime actuel, doublé ces dix dernières années.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] : Abdelmalek Guenaïzia né en 1937 est un vieux compagnon de Khaled Nezzar, il était avec lui à l’école des enfants de troupe. Il a occupé différentes fonctions dans l’armée : directeur central du matériel au ministère de la Défense, commandant des forces aériennes et chef d’état-major de l’armée avant de se « découvrir » une vocation de diplomate en 1990. Il occupera le poste d’ambassadeur d’Algérie en Suisse, durant près de dix ans. Nommé par Abdelaziz Bouteflika, lundi 2 mai 2005, au poste de ministre délégué auprès du ministère de la Défense nationale, il coiffe les nouveaux nommés aux postes de responsabilités militaires, après le départ du poste de chef d’état-major de l’ANP, du Général de CA Mohamed Lamari.

[2] Gaïd Salah, né en 1936, coopté par le général Lamari. Après un long passage à la tête du Commandement des forces terrestres, il a été une des pierres angulaires de la stratégie antiterroriste à l’époque où le général Lamari dirigeait la section antiterroriste.

[3] Mohamed Touati est né en 1936 en Kabylie, région d’Azzefoun. C’est un homme lettré, surnommé « el -Mokh » ou le cerveau. Il intègre l’école militaire des enfants de troupe. A l’indépendance, il est chef d’état major de la gendarmerie nationale puis chef d’état major de la troisième région militaire sous le commandement d’un autre ancien sous officier de l’armée française, Khaled Nezzar. Il devient, en 1989, directeur des opérations à l’état-major puis, en 1991, conseiller du ministre de la Défense nationale. Khaled Nezzar et, enfin, conseiller du chef d’état major de Mohamed Lamari. Il prend une part active dans la destitution du président Chadli Bendjedid (janvier 1992), l’arrêt du processus démocratique et l’interdiction du Front islamique du salut (FIS). Paradoxalement, c’est aussi la figure de proue de la CDN (Commission de dialogue national), mise en place par le HCE pour définir les modalités d’une transition politique avec la participation du FIS interdit. C’est lui qui, avec le général de corps d’armée Mohamed Lamari et le général Abdelmadjid Taright, aujourd’hui à la retraite, a défini l’alternative politique à l’islamisme et a appuyé la politique de « concorde civile » qui a permis de neutraliser quelque 6000 islamistes armés depuis son entrée en vigueur, en 1999. Mohamed Touati est le partisan d’un islamisme modéré, intégré dans le jeu du pouvoir, il défend l’idée d’un « rôle à la turque » pour l’ANP. Dans son esprit comme dans l’idée d’autres chefs militaires, il s’agit pour elle d’être « le garant de la constitution ». Chef du Conseil de sécurité à la présidence de la République, un poste crée spécialement pour lui par son ami Larbi Belkheir, il démissionne de toutes ses responsabilités en août 2005. Son retour aux affaires en 2011, après des années d’anonymat, a chamboulé les rapports de force au sein du régime. Bouteflika s’est retrouvé dans l’obligation de le rappeler lors du printemps arabe pour sauver un système politique à bout de souffle. En effet, considéré comme une des éminences grises de l’armée algérienne, le général major Mohamed Touati n’a jamais été un allié pour Bouteflika. Bien au contraire, dès les premières années de son règne, Bouteflika a tout fait pour écarter cet homme, considéré comme une tête pensante du « clan des généraux », afin de marquer la fin d’une époque. A travers la nomination surprise du général Mohamed Touati comme conseiller à la présidence et membre de la commission Bensalah, le président algérien a tendu une main amicale au « clan militaire » avec lequel il cherche désormais à conclure la paix.

[4] Chef du département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), le service de renseignement algérien. Il est né en 1939, dans la wilaya de Bordj Bou Arréridj et étudie à l’école du KGB, après l’indépendance de l’Algérie. En 1986, il devient le chef du département Défense et Sécurité, avant de prendre la tête du DRS en 1990. En 1993, il est promu général de division et, en juillet 2006, général de corps d’armée. Sa position inamovible à la tête du DRS en fait un personnage extrêmement craint qui semble détenir le pouvoir réel en Algérie.

[5] Le président du Conseil de la nation et numéro 2 dans la République algérienne, selon la Constitution actuelle.

  1. descanuts says:

    « pour les intérêts des grandes entreprises privée » je viens de voir un reportage sur la chaîne « planète » à propos de la France Afrique,
    ça craint, ne craignez vous pas que l’image des français vu depuis l’étranger ne soit tellement dégradés que cela ne devienne irréparable, pourquoi me diriez vous ?

    réponse : http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/12/22/sahara-occidental-la-france-contre-les-droits-de-l-homme_1456151_3232.html

    Aucun français n’aurait osé voter cela,
    Nous vivons dans un pays qui respect le droit et la morale,

    rien à changer depuis l’Algérie, la France s’enferme dans un vieux système périmés, qui écorne sérieusement l’image de chaque français auprès des concitoyens du reste du monde

    les récentes lois révisionnistes destinés à cacher le passé le présent et le futur sont une erreur de plus après celles commises
    pa De Gaulle, la non reconnaissance de la guerre d’algérie et de ces crimes innommable, l’amnistie des criminelle de guerre et une censure tenace qui ce renforce chaque année un peu plus, tous cela porte préjudice à chaque français

    comme si la France était seul au monde, ce qui n’est pas le cas,
    et cela n’est pas pris en compte par nos stratège économique politique et militaire, nous ne vivons plus au 19°siecles

    un petit résumé de 132 ans de guerre coloniale en algerie
    par un français des plus censuré en france, auteur d »avoir 20 ans dans les aures », mais chutt la france na jamais réalisé de film sur cette pèriode »

    http://www.youtube.com/watch?v=pKJ8rejC1dU

    http://www.youtube.com/watch?v=RGLrdjkcLdM

    Merci pour votre attention

    • Jean-Bernard PINATEL says:

      Merci de votre commentaire qui soulève deux questions :

      1) Une qui concerne le dossier du Sahara Occidental. La France a, depuis l’origine de cette affaire « La marche verte » d’Hassan II, toujours soutenu le Maroc; que les socialistes ou la droite soient ou non au pouvoir. C’est un dossier que je connais bien car j’ai fait partie de l’équipe qui a géré la libération des otages du Polisario. C’est un vrai débat de géopolitique et vous me donnez l’idée d’y consacrer une analyse un de ces jours.

      2) L’autre plus générale. Est-il légitime ou non de juger le passé avec les valeurs d’aujourd’hui sur le passé. Ma position est claire : il ne faut jamais juger l’histoire et ceux qui l’ont écrite avec les idées d’aujourd’hui car c’est le faire sans prendre en compte le contexte des croyances, idées, des lois, des modes de vie qui prévalaient à l’époque. Car alors où s’arrêter ! Prenons l’exemple de la colonisation. La conquête de l’Ouest par les Américains s’est déroulée à la même époque que la conquête de l’Algérie. Faut-il accuser aujourd’hui tous les Américains de génocide car les colons venus de tous les pays d’Europe ont pratiquement exterminé les peuples indiens ? Faut-il aussi trainer tous les Espagnols devant la cour internationale de justice car ils ont rayé de la carte la civilisation Aztèque et Maya ? Une civilisation progresse en se servant des erreurs du passé pour construire l’avenir ; ce n’est pas en étant en permanente repentance que l’on prépare l’avenir.

      3) De plus, vous écrivez : « mais chutt la france n’a jamais réalisé de film sur cette pèriode ». On voit que vous n’êtes pas un cinéphile car, au contraire, les films français qui traitent, en tout ou partie, de la Guerre d’Algérie sont très nombreux. En voici une liste qui n’est peut-être pas exhaustive :

      1962 : Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda

      1963 : Adieu Philippine de Jacques Rozier

      1963 : La Belle Vie de Robert Enrico

      1964 : Muriel ou le Temps d’un retour d’Alain Resnais

      1964 : Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy (allusion légère, mais explicite à la question des appelés en Algérie)

      1964 : L’Insoumis d’Alain Cavalier avec Alain Delon

      1964 : L’Amour à la mer de Guy Gilles

      1966 : Les Centurions de Mark Robson d’après Jean Larteguy

      1966 : La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo

      1966 : Le Vent des Aurès de Mohammed Lakhdar-Hamina

      1970 : Élise, ou la vraie vie de Michel Drach

      1971 : Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier

      1973 : R.A.S. de Yves Boisset

      1975 : Chronique des années de braise de Mohammed Lakhdar-Hamina (ce film ne parle pas de la guerre , mais de la période 1944-1954 qui voit se développer les ingrédients qui conduiront au conflit)

      1977 : La Question de Laurent Heynemann, film clé sur la réalité de la torture pendant le conflit

      1982 : L’Honneur d’un capitaine de Pierre Schoendoerffer

      1986 : Les Folles années du twist de Mahmoud Zemmouri

      1988 : Cher frangin de Gérard Mordillat

      1991 : La Guerre sans nom de Bertrand Tavernier

      1994 : Les Roseaux sauvages de André Téchiné

      1996 : Mon capitaine, un homme d’honneur (Marciando nel Buio) de Massimo Spano

      1997 : Vivre au paradis de Bourlem Guerdjou.

      À partir de 2000, la production devient plus abondante, comme si le temps était venu de lever enfin les tabous :

      2004 : Escadrons de la mort, l’école française de Marie-Monique Robin, sur les « suites » de la guerre et l’exportation du « savoir faire » français

      2004 : Nuit noire, 17 octobre 1961 de Alain Tasma

      2005 : La Trahison de Philippe Faucon

      2006 : Mon colonel de Laurent Herbiet

      2007 : Michou d’Auber de Thomas Gilou

      2007 : Nocturne de Henri Colomer

      2007 : Cartouches gauloises de Mehdi Charef

      2007 : L’Ennemi intime de Florent Emilio Siri

      2007 : Algérie, histoires à ne pas dire de Jean-Pierre Lledo.

      Bien à vous,

      Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

  2. Jean-Bernard PINATEL says:

    Chère lectrice, cher lecteur,

    En réponse à vos réactions publiées sur Algérie-focus et Senego, contrairement à ce que vous pensez, je ne suis pas à la retraite, je travaille quotidiennement dans les pays sur lesquels portent mes analyses, pour aider les grandes entreprises françaises à y développer leur activités, en réduisant les risques autant que faire ce peu pour leurs personnels et pour leurs investissements.

    Modestement et sans prétention d’incarner la vérité, j’essaie de croiser une expérience de terrain et une vision géopolitique. Je crois au débat et à l’intelligence partagée pour cerner une réalité complexe, cela vaut mieux que les attaques ad hominem.

    Pour ce qui concerne le niveau de vie des Algériens comme des Français, le ressenti est toujours plus négatif que la réalité économique d’autant plus qu’en Algérie la croissance économique pourrait être bien plus rapide si de nombreux freins et blocages qui limitent son essor disparaissaient. C’est ce qui a été fait en Turquie et que mes contacts en Algérie espèrent voir réaliser demain dans leur pays.

    Très cordialement,

    Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

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