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Le rapport Védrine : un état des lieux complet et objectif des relations de la France avec l’OTAN [1]

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Hubert Védrine a le mérite de poser les bonnes questions sur certaines dérives de la stratégie militaire de l’Alliance contraire aux intérêts de la France et de l’Europe. Ses recommandations sont claires pour les maîtriser, mais parfois exprimées dans une forme trop diplomatique pour alerter un public non averti.

Après un historique exhaustif des relations de la France avec l’OTAN (pages 1 à 6), Hubert Védrine s’attache à évaluer le bénéfice (pages 6 à 10) que la France a tiré de son retour, décidé par Nicolas Sarkozy, dans le commandement militaire intégré [2]; décision qui avait été critiquée par l’opposition de l’époque (gauche et vert). Cette analyse, dont il souligne qu’elle est réalisée avec un faible recul (3 ans), porte sur l’influence de la France dans l’OTAN (postes, opérations, stratégie et intérêts industriels), sur l’effet sur l’Europe et sur l’image diplomatique de la France.

Ce retour pour Hubert Védrine a permis de franciser les structures de l’OTAN puisque la participation française est passée de 242 à 925 personnels militaires et l’octroi de postes importants dont notamment un des deux commandements « suprêmes » auprès du secrétaire général : le poste de Commandant Suprême Allié de la Transformation (SACT : Supreme Allied Commander Transformation) [3].

Il souligne le bénéfice, le plus tangible de ce retour, sur la réforme de l’OTAN : « La France a joué un rôle moteur depuis 2009 pour hiérarchiser les priorités, refondre les procédures, ramener le nombre des agences de 14 à 3 (en en espérant une économie de 20%), réduire la structure de commandement (réduction des personnels de -35% en 2013) diminuer de 11 à 7 les états-majors et donc faire faire des économies, et préparer un déménagement vers le nouveau siège en 2016 ».

En revanche, l’influence sur la stratégie lui semble, à juste titre, plus mitigée. Malgré le succès obtenu en novembre 2010, au sommet de Lisbonne, contre l’avis de l’Allemagne et avec l’appui américain pour qu’il soit : « réaffirmé que la stratégie de l’Alliance reste fondée sur la dissuasion nucléaire » la France a « accepté que l’OTAN décide de se doter d’une capacité de défense des territoires et des populations contre les missiles balistiques, sur la base d’une extension du programme de défense de théâtre (ALTBMD : Active Layered Theatre Ballistic Missile Defence) ».
Hubert Védrine souligne que cette décision a été validée par François Hollande au sommet de Chicago avec des réserves : « les principes auxquels la France reste attachée en matière de défense antimissile balistique : le caractère complémentaire, et non substituable, de la défense antimissile à la dissuasion nucléaire; l’adaptation du système à la menace; le contrôle politique par les Alliés; la maîtrise des coûts; la nécessité de préserver la BITDE (base industrielle et technologique de défense européenne); et, enfin, la coopération avec la Russie ».
Dans cette partie du rapport transparaissent les doutes d’Hubert Védrine sur la prise en compte effective des réserves de la France par ses partenaires et en particulier par les États-Unis [4].

Pour les exprimer, il pose et s’attache à répondre à 5 questions (page 7) :

  • « Jusqu’à quel stade de développement la défense antimissile restera-t-elle complémentaire de la dissuasion; à partir de quand sape-t-elle sa crédibilité?
  • Face aux investissements gigantesques de l’industrie américaine (près de 10 milliards de dollars par an ces dix dernières années), quelle sera la part réservée à l’industrie européenne dans la fabrication des éléments de ce début de système défensif ?
  • Une position européenne homogène est-elle possible sur la stratégie et sur leurs intérêts industriels ?
  • Présenté maintenant comme destiné à contrer une menace balistique iranienne, quelle sera la justification de ce système si ce risque était maîtrisé ?
  • La déclaration de Chicago (paragraphe 62) : « La défense antimissile de l’OTAN n’est pas dirigée contre la Russie et elle ne portera pas atteinte aux capacités de dissuasion stratégique russes » est-elle crédible ? ».

Ces 5 questions comportent en elles leur réponse : c’est une erreur stratégique majeure d’accepter le déploiement d’un système antimissile balistique en Europe. Hubert Védrine ne l’affirme pas en ces termes mais ses réponses y conduisent immanquablement. Je considère, pour ma part, que le but stratégique de ce programme est d’éviter la réalisation de l’ensemble européen allant de l’Atlantique à l’Oural que souhaitait le général de Gaulle [5].

Hubert Védrine, de son coté, est en particulier très clair sur son impact sur nos relations avec la Russie : « Elle n’est pas convaincante, en tout cas aux yeux des Russes, qui considèrent sincèrement ou pas, ou pour prendre un gage, que l’aboutissement de ce programme (les phases 3 et 4 de l’EPAA) correspondrait à une rupture des équilibres stratégiques. Qu’on l’approuve ou non, cette politique obère la politique russe de l’Alliance, comme de chacun des Alliés. La politique française (et d’autres pays) envers la Russie ne devrait pas découler d‘une sorte d’engrenage contraint, mais être définie en tant que telle ».

Il conclut son analyse par un jugement auquel j’adhère totalement : « Même revenue dans l’OTAN, la France n’a donc guère pu que préserver jusqu’ici, dans les textes, la dissuasion nucléaire sans influencer, ralentir ou modifier un projet majeur du complexe militaire industriel américain depuis les années Reagan (et, déjà en partie, installé au Japon, en Israël et dans le Golfe), et qui comporte un potentiel de bouleversement stratégique. ».

* * *

La deuxième partie de son rapport est consacré à faire l’état des lieux très complet et précis de l’Alliance, de l’OTAN et de l’Europe de la défense. Autant Hubert Védrine souligne la vitalité et le dynamisme de l’Alliance (pages 10 à 12), autant il constate les avancées limitées et fragiles, les espérances déçues de l’Europe de la défense malgré 25 ans d’efforts (pages 13 à 19) ce qui n’étonnera aucun analyste des questions diplomatiques et de défense.

* * *

La troisième partie est consacrée aux recommandations (pages 19 à 24). Elles sont sans surprise dans la ligne de son analyse et expriment fortement le volontarisme intact d’Hubert Védrine qui souhaite que la France ne subisse pas sans réagir, comme beaucoup de ses partenaires européens, les dérives initiées par les États-Unis et conformes à leurs intérêts stratégiques. Il souhaite que la France soit la vigie et le garant des intérêts de l’Europe dans l’Alliance et dans son organisation militaire.
Il exprime cette conviction par trois mots forts qui constituent une des parties importantes de son rapport : « Vigilance, exigence, influence » auxquels on ne peut que souscrire.

Pour Hubert Védrine:

  • « Vigilance signifie que nous devrons veiller à ce qu’elle reste une Alliance militaire, recentrée sur la défense collective, et le moins possible politico-militaire dans son action;
  • Vigilance aussi sur le caractère défensif de l’Alliance et sur son fondement : la dissuasion nucléaire;
  • Vigilance sur le risque de « phagocytage » conceptuel et théorique. Il faudra que notre armée préserve sa capacité propre d’analyse des menaces, de réflexion et de prévision sur les scénarios et même de planification, ce qui a été le cas jusqu’ici, sans « s’en remettre » aux structures de l’OTAN, ou européennes;
  • Vigilance encore sur les enjeux industriels et technologiques ». La réduction considérable du budget militaire américain « va rendre encore plus offensif le fameux complexe militaro-industriel américain envers ses concurrents, dont les européens, sur les marchés européen et mondiaux ».

Face à ces risques, Hubert Védrine recommande aux autorités françaises de promouvoir: « une européanisation de l’Alliance »; la conception et la mise en œuvre « d’une stratégie industrielle française, et européenne, dans l’OTAN » et de « persévérer de façon plus concrète, en étant plus exigeants dans la construction d’une Europe de la défense ». Hubert Védrine estime que le moment est opportun car « tout concourt à ce qu’il y ait, conjoncturellement, une certaine disponibilité américaine voire une demande pour un rôle accru des Européens dans l’Alliance ».

* * *

Hubert Védrine conclut cet excellent rapport auquel j’adhère sans réserve par une adresse volontariste au président de la République : « La mutation de la politique étrangère, et de défense, américaine et l’évolution incertaine du monde multipolaire instable, rendent plus nécessaire, et moins impossible, un rôle accru des Européens pour leur propre défense en attendant qu’ils l’assument un jour, pour l’essentiel, par eux-mêmes, tout en restant alliés des Américains. Cette politique doit être menée de front, simultanément, au sein de l’Union européenne, de l’OTAN, de groupes ad hoc, selon des tactiques adaptées à chaque cas et à chaque enceinte et en anticipant les échéances. C’est une politique audacieuse et décomplexée d’influence accrue dans l’Alliance qui facilitera les efforts européens de la France. Le maintien d’un certain niveau de capacité est bien sûr indispensable à sa réussite ».

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Rapport téléchargeable à l’adresse : Élysée.fr

[2] Le retour de la France dans le commandement intégré est proclamé au Sommet de l’OTAN de Strasbourg/ Kehl, les 3 et 4 avril 2009.

[3] Ce commandement est chargé de l’élaboration des concepts et des doctrines de l’Alliance, de l’entraînement des forces et de la préparation des capacités militaires. A ce titre, il est responsable de la promotion et de la mise en œuvre de la « Smart Defence ».

[4] J’ai moi-même condamné cette acceptation française dans un article de septembre 2012 : «Crédibilité de la dissuasion française face à l’évolution de l’anti-missile balistique».

[5] Consulter dans mon livre Russie, Alliance vitale, Choiseul, 2011 le chapitre États-Unis face à l’Europe : éviter l’unification du « Hearland », maintenir la suprématie du « Rimland », pages 77 à 86.


Gaz et pétrole de schiste : vers des forages tests en France dans un proche avenir ?

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« Les faits sont têtus » - Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine

Prenons le pari que François Hollande, avant la fin de son mandat, sera contraint d’autoriser des forages tests pour le gaz et le pétrole de schiste et, une nouvelle fois, infléchir sa position initiale.

Pourquoi ?

Parce que sur les plans des valeurs sociétales, de la compétitivité de la France, de l’emploi et du pouvoir d’achat des Français, il ne pourra pas faire autrement.

Sur le plan des valeurs

On ne peut pas prétendre vouloir réindustrialiser la France sans promouvoir les valeurs qui guident tout entrepreneur et que les écologistes les plus radicaux s’attachent à détruire.

J’écrivais dans la conclusion de mon dernier ouvrage [1] : « Face à l’accélération du progrès et l’inquiétude que génèrent les « invités inattendus » [2] de certaines découvertes, un « principe de précaution » s’est peu à peu imposé en Europe au cours de ces trente dernières années. Il témoigne d’un rapport nouveau à la science, que l’on interroge désormais moins pour ses savoirs que pour ses doutes. Si on n’y prend pas garde, ce principe deviendra de fait « un principe d’abstention », supprimant la dialectique du risque et de l’enjeu consubstantiel au développement humain, et son corollaire, la responsabilité individuelle ».

Sur le plan de la compétitivité, de l’emploi et du pouvoir d’achat

Les réserves mondiales de gaz de schiste estimées par l’AIE, correspondraient à 380 000 milliards de m³, soit 120 à 150 ans de la consommation actuelle de gaz naturel. En Europe, les réserves de gaz de schiste sont estimées entre 3 000 à 12 000 milliards de m³ (source : CERA, Cambridge Energy Research Associates). Elles sont essentiellement situées en Pologne et en France, où elles permettraient de couvrir sa consommation de gaz pendant 50 à 100 ans [3].

Les États-Unis ont commencé à forer dans les années 90 avec l’esprit d’entreprise et le désordre [4] qui ont caractérisé dans le passé les ruées vers l’or et vers l’or noir.

En 2011, ils sont redevenus exportateurs nets de produits pétroliers pour la première fois depuis 1949 [5]. Selon l’AIE, en 2017, au plus tard, les États-Unis deviendront le premier producteur mondial de pétrole devant l’Arabie saoudite. Ils produisent aujourd’hui 10,9 millions de barils par jour à comparer avec 11,6 millions pour Riyad. D’ici une dizaine d’années, les États-Unis n’auront plus besoin d’importer du pétrole du Moyen-Orient. Cette réalité aura des conséquences géostratégiques immenses aux quelles il faut nous préparer.

La Chine, de son coté, s’est fixée un objectif de production de 30 milliards de mètres cubes par an à partir des schistes, ce qui équivaut à presque la moitié de sa consommation de gaz en 2008.

La révolution du gaz de schiste a été favorisée par le fait qu’aux États-Unis les propriétaires du sol sont aussi propriétaires du sous-sol et donc participent directement au profit des compagnies pétrolières [6]. Elle va profiter à l’économie américaine et lui offrir un atout majeur : elle est en train de faire chuter le prix de l’énergie à un niveau incroyablement bas aux États-Unis, sans entrainer une répercussion aussi importante ailleurs. En effet, contrairement à celui du pétrole, le marché du gaz est peu mondialisé. Pour le transporter d’un continent à l’autre, il faut en effet le liquéfier, ce qui en triple le prix. Du coup, l’offre et la demande ont tendance à s’équilibrer sur une base régionale. Voilà pourquoi le méthane se vend aujourd’hui 2,5 dollars les 28 m³ sur le sol américain, contre 9 dollars en Europe et 20 dollars en Asie. Conséquence directe de cette chute des prix, les Américains sont en train de reconvertir à toute vitesse leurs centrales électriques fonctionnant au charbon afin qu’elles fonctionnent au gaz, avec des effets bénéfiques sur le réchauffement climatique. Des industries grandes consommatrices d’énergie se relocalisent dans les régions productrices. Les entreprises installées de Chicago à San Diego économisent aujourd’hui au total 400 millions de dollars par jour sur leur facture d’électricité. L’équivalent d’une baisse des coûts de production de 10%, selon les calculs de Natixis. « Cela leur procure un avantage comparatif énorme sur l’Europe, et l’écart va continuer de se creuser », commente Patrick Artus, chef économiste chez Natixis.

Enfin, cette course au gaz et au pétrole de schiste a un effet d’entraînement considérable sur beaucoup d’autres secteurs : « Les foreurs ont aussi besoin de logiciels informatiques, d’avocats, de spécialistes en droit minier, de logements et de restauration sur place… », énumère Phil Hopkins, un économiste de Philadelphie.

Il ne faut pas s’étonner que, dans les milieux industriels et politiques, des voix écoutées comme celles de Louis Gallois et de Michel Rocard s’élèvent pour réclamer que le gouvernement infléchisse sa position, imprudemment réaffirmée récemment par François Hollande qui semble prisonnier de son alliance avec les écologistes.

Quels sont les risques liés à l’exploitation du gaz de schiste et comment les minimiser ?

Le gaz se trouve emprisonné dans une roche mère à des profondeurs de l’ordre de 2000 à 3000 mètres. Pour permettre au gaz de circuler dans la roche-mère et d’être drainé vers le puits creusé il faut rendre cette dernière plus perméable.

C’est le rôle des micro-fractures créées par la technique dite de « fracturation hydraulique ». Elle consiste à injecter dans le puits, à très haute pression et via un tubage adapté, un mélange d’eau, de sable et d’additifs.

Les risques potentiels à maîtriser sont donc : les conséquences des multiples fractures sismiques, la pollution de l’eau des nappes phréatiques situées à 150 mètres de profondeur en moyenne et qui seront traversées par de nombreux puits d’exploitation, la pollution des sols en surface, la consommation d’eau et l’impact visuel des derricks sur le paysage.

Des sociétés comme Total, devenues écologiquement responsables à la suite de grandes catastrophes écologiques, assurent qu’elles savent les maîtriser [7].

Dans ces conditions et devant l’enjeu immense que constituent le gaz et le pétrole de schiste pour la compétitivité de l’économie française, la transition énergétique et la création d’emplois, directe et indirecte, qui en découlerait, le président de la République sera contraint de réviser très rapidement sa position.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Russie, Alliance vitale, Choiseul, 2011.

[2] Cette expression a été formulée par J. Fourastié, Les 40 000 Heures (1965), rééd. aux éditions de l’Aube.
Lire Russie, Alliance, vitale, Choiseul, 2011.

[3] Seuls les forages permettront d’affiner cette prévision.

[4] Multitude de petits entrepreneurs, accords privés entre les propriétaires des sols qui sont aussi les propriétaires du sous-sol, absence de réglementation d’encadrement des techniques et de leur conséquences sur l’environnement. En 2030, ce qui permettra aux États-Unis d’être auto-suffisants, alors que le pays envisageait, il y a encore quelques années, des importations massives de gaz liquéfié. Une étude réalisée par le MIT prévoit que le gaz naturel fournira 40% des besoins énergétiques des États-Unis à l’horizon 2030, contre 20% aujourd’hui.

[5] Comme l’indique le Département de l’énergie (DoE), les raffineurs ont exporté quotidiennement près de 2,9 millions de barils de carburants divers (essence, fioul domestique, gazole) pour 2,4 millions de barils importés. Le gaz de schiste représente à présent 15% de la production gazière américaine (contre 1% il y a 10 ans) et cette part devrait monter à 25%.

[6] Pour lever nombre d’oppositions en France et isoler les écologistes radicaux qui souhaitent nous ramener au temps de la bougie, il suffirait de réviser le code minier pour obliger les compagnies exploitantes à consacrer un pourcentage du prix du m³ extrait à l’indemnisation des communes et des propriétaires du sol.

[7] Consulter Total - Gaz de schiste.


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