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« Vous avez dit Printemps arabe ? »

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Ou comment une belle métaphore devient une désinformation stratégique

« Le printemps arabe » est une belle métaphore qui décrivait assez bien les révolutions tunisienne et égyptienne à leurs débuts. Mais elle a été abusivement utilisée pour présenter ce qui se passait en Libye et en Syrie, fournissant un prétexte à la France pour intervenir dans ces conflits avec le rêve de remplacer les dictateurs de ces pays par des gouvernements démocratiques alors même que l’expérience irakienne et afghane aurait dû conduire nos dirigeants à la prudence.
En rajoutant la guerre à la guerre civile dans ces deux pays, la France et les anglo-saxons ont favorisé l’émergence de l’Etat islamique et accéléré la diffusion d’un Islam radical dans tout le Sahel et en Europe.

Le 4 janvier 2011, il y a neuf ans, le jeune vendeur ambulant Mohamed Bouazizi s’immolait par le feu en Tunisie. Par ce geste, il entendait protester contre la confiscation de sa carriole par la police. Après plusieurs jours de violence qui firent plus de 300 morts, Ben Ali quitta le pouvoir le 14 janvier 2011 pour se réfugier en Arabie Saoudite. Cet acte de protestation allait engendrer les deux plus grandes erreurs stratégiques commises depuis la chute du mur. Et ce sont deux présidents français Nicolas Sarkozy et François Hollande qui en sont les premiers responsables pour avoir écouté les sirènes humanitaires de bobos parisiens médiatiques et superficiels comme Bernard Henry Levy qui sont des ignorants de la réalité profondes des forces religieuses radicales qui agissent dans le monde musulman.

Le 25 janvier les manifestations de rues commencèrent en Egypte. Le 11 février le Président Moubarak abandonna le pouvoir. Quelques jours plus tard, une autre tentative de révolution eut lieu au Bahreïn avant d’être réprimée, dans l’indifférence médiatique générale, par l’Armée de l’Arabie Saoudite. Seuls les évènements qui se sont déroulés en Tunisie, en Egypte et au Bahreïn pouvaient, dans leurs motivations originelles, être considérés comme un « Printemps » en référence au « Printemps des peuples » de 1848 ou au Printemps de Prague. Tout ce qui s’est passé ensuite dans ces deux pays ainsi qu’au Maghreb, en Libye et au Moyen-Orient n’avait plus rien à voir avec des révolutions mues par des aspirations démocratiques.

Bien plus, appliquée à la Libye et à la Syrie cette métaphore a constitué une des grandes désinformations médiatiques de l’après-guerre froide, contribuant à justifier des interventions extérieures qui n’ont fait que rajouter la guerre à des guerres civiles aux motivations autres que démocratiques.
En effet, les manifestations de rue ne furent spontanées qu’en Tunisie, Egypte et Barheim. Elles étaient le fait de la bourgeoisie et des jeunes de la génération Facebook qui protestaient contre la prédation économique réalisée par les familles et les proches des Présidents Ben Ali et Moubarak ou par la famille royale de religion sunnite, très minoritaire au Bahreïn, pays où 80% de la population est chiite.

Mais en Tunisie et en Egypte, cette petite bourgeoisie était mal organisée et a été vite débordée par les Frères Musulmans qui, mieux structurés, ont pris en marche ces mouvements alors que leur stratégie était d’islamiser en profondeur la société avant de chercher à prendre le pouvoir par les urnes. C’est aussi la raison de leur échec total en Egypte et de leur demi-échec en Tunisie.

A Bahreïn, le deux poids deux mesures politique et médiatique dès qu’il s’agit de l’Arabie Saoudite a été total. Les manifestations qui s’y sont déroulées ont été volontairement caricaturées ou passées sous silence en France. Personne n’a appelé le roi du Bahreïn à démissionner, ni n’a encouragé les opposants bahreïniens. Au contraire, l’intervention de l’Arabie saoudite voisine fut soutenue par les Européens et les Américains. Bahreïn est pourtant dirigé par un Roi sunnite qui opprime 80 % de ses sujets qui sont chiites. Personne n’a contesté ce pouvoir assis sur une minorité religieuse, alors que cet argument a été employé à tout bout de champ en Syrie pour contester la légitimité du régime d’Assad.

En revanche en Syrie et en Libye et, il n’y a pas eu de « printemps arabe » mais deux guerres civiles.

En Syrie, avec l’appui du Qatar et de la Turquie, la guerre civile a été initiée par la branche armée des Frères Musulmans qui s’opposent depuis 40 ans par des actions terroristes au régime laïc alaouite, allié de l’URSS athée. François Hollande conseillé par des incompétents irresponsables a joué le camp des islamistes radicaux certes contre un dictateur mais sans percevoir que son régime laïc était le rempart face aux Frères Musulmans et à l’islam radical. Il a fallu l’intervention de la Russie et la résilience des minorités ethniques et confessionnelles et en premier lieu des Kurdes pour qu’un Etat islamique de s’installe pas à Damas.

En Libye c’est une répartition injuste de la manne pétrolière qui a exacerbé la rivalité traditionnelle entre les tribus de la tripolitaine et de cyrénaïques. Le rêve du Président Sarkozy de remplacer un dictateur par un gouvernement d’union nationale, cette fois-ci sous la bannière de l’ONU, sera une fois de plus déçu. Depuis 9 ans on assiste à l’affrontement d’un camp laïque et musulman modéré réunis sous le commandement d’un militaire, le général Kalifa Haftar appuyé par l’Egypte, les émirats arabes unis et par la Russie et d’un camp regroupant des islamiques radicaux et de milices d’obédiences Frères Musulmans qui tiennent la capitale et Misrata. Ce camp est soutenu de plus en plus ouvertement par Erdogan qui, en janvier 2020, va se faire donner l’autorisation d’envoyer des troupes à Tripoli par un parlement à ses ordres. C’est par cette voie contrôlée par des milices islamiques, soutenues par un membre de l’Otan, que les djihadistes du Sahel reçoivent armes et munitions et tuent nos soldats.

Ces erreurs stratégiques ont eu des conséquences tragiques pour les populations de ces pays mais aussi pour l’Europe qui a subi une vague d’immigration massive avec les conséquences sécuritaires et politiques que l’on connait. Pour la France la décennie 2020 risque d’être pire si nous n’arrivons pas à éviter que les islamistes radicaux prennent le pouvoir dans ce G5 sahélien où vivent 93 millions d’habitants francophones.

Comment pourrons-nous alors empêcher l’immigration massive qui en résulterait ?

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
Vice-Président de GEOPRAGMA
Auteur de « Histoire de l’Islam radical et de ceux qui s’en servent », Lavauzelle, Mai 2017

Source : ATLANTICO


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