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La planète est-elle plus instable que jamais maintenant qu’il n’y a plus de gendarme du monde évident ?

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Les tensions persistantes entre l’Inde et le Pakistan surviennent au moment où Donald Trump rencontre Kim Jong-un au Vietnam tandis que Jared Kuschner - gendre du Président américain - entame une tournée au Moyen Orient afin de défendre son plan de pacification par l’investissement.

Avec Jean-Bernard Pinatel

Atlantico: Faut-il en conclure que la situation géopolitique devient dès lors plus instable sans le concours des Etats-Unis, qui semblent avoir redéfini leur rôle de « gendarme du monde »?

Jean-Bernard Pinatel : La période 1945-1990 a certainement été une période d’une stabilité supérieure à celle qui a suivie l’effondrement de l’URSS car ces années ont été celles du bipolarisme dans lequel les deux principales puissances mondiales étaient à la fois adversaires et partenaires. Adversaires d’abord sur le plan idéologique et dans des guerres limitées où ils s’affrontaient par puissance régionale interposée. L’exemple type est en la guerre du Vietnam où les avions américains ont eu à affronter dans les airs les Mig19 soviétiques pilotés par les Nord-vietnamiens et qui s’est terminée en 1975 par la chute de Saigon. Mais aussi, partenaire pour éviter une escalade nucléaire aux extrêmes qui aurait conduit avec certitude à leur destruction réciproque. C’est pourquoi les deux superpuissances, après la crise des fusées de Cuba, entamèrent des négociations sur la limitation et la réduction des armes nucléaires. Ces négociations, qui se poursuivirent après 1990, aboutirent à plusieurs traités qui avaient pour but de maintenir une dissuasion réciproque, mais au plus bas niveau, et d’éviter des ruptures d’équilibre dangereuses comme celle de la crise des SS20 entre 1979 et 1983 [1] (qui aboutit au traité d’interdiction des missiles de moyenne portée duquel Trump vient de se retirer sous de fallacieux prétextes). Ce monde divisé en deux camps a connu une période de grande stabilité sous l’ombre terrifiante des arsenaux nucléaires des deux supergrands.


Avec l’effondrement de l’URSS en 1990-92, la seule superpuissance mondiale sont les Etats-Unis. Ils auraient effectivement pu être les « gendarmes du monde » si la mission de « forces de l’ordre » des gendarmes avait été prise au pied de la lettre par les Etats-Unis pour promouvoir un monde ouvert et en Paix. Au lieu de cela, notamment à partir de 2001, les Etats-Unis se sont comportés comme des pyromanes sous l’influence des néoconservateurs.

En Asie centrale, après le retrait des troupes soviétiques, deux chefs de guerre avaient les forces et le prestige pour diriger l’Afghanistan. Ahmad Shah Massoud, appelé le commandant Massoud et Gulbuddin Hekmatyar. Initialement associé dans le mouvement de la jeunesse musulmane, ces deux chefs de guerre se séparèrent et s’opposèrent après le soulèvement raté de 1975, initié par leur mouvement. La « Société islamique » se scinda alors. Les islamistes les plus modérés se rassemblèrent autour de Massoud, au sein du « Jamaat-e Islami » ; les éléments islamistes les plus radicaux fondèrent le « Hezb-e Islami » avec Gulbuddin Hekmatyar à leur tête.

Durant toute la lutte contre les soviétiques puis contre le régime pro-russe de Kaboul c’est Hekmatyar, le plus radical, qui reçut la grande majorité de l’aide américaine, conformément à la doctrine Casey. Et en favorisant l’Islam radical, ils finiront pas provoquer l’effondrement du régime de Kaboul, certes pro-russe mais laïc, qui fut remplacé par le régime islamique radical des Talibans. Ces derniers donnèrent asile à Ben Laden et favorisèrent le développement d’Al-Qaida.

Après le 11 septembre 2001, les néoconservateurs convainquirent Bush d’attaquer l’Irak sous le fallacieux prétexte que Saddam Hussein disposait d’armes de destruction massive. Et une fois encore au lieu d’un dictateur laïc, certes peu fréquentable, les Etats-Unis déstabilisèrent totalement les structures étatiques de ce pays et facilitèrent l’éclosion de l’Etat islamique.

Ces interventions occidentales, selon les tactiques américaines, ont causé des destructions massives aux infrastructures et des pertes civiles directes et indirectes dans ces pays, probablement de l’ordre de deux millions de personnes [2]. Le Colonel Legrier dans son retour d’expérience d’Irak écrit [3] « La question qui se pose est de savoir si la libération d’une région ne peut se faire qu’au prix de la destruction de ses infrastructures (hôpitaux, lieux de culte, routes, ponts, habitations, etc.). C’est là, l’approche assumée sans complexe, hier et aujourd’hui, par les Américains ; ce n’est pas la nôtre ».

C’est ce que résume parfaitement cette caricature

En Europe, contrairement aux promesses orales du secrétaire d’État américain James Baker faites à Gorbatchev [4], une fois le Pacte de Varsovie dissous, les Etats-Unis n’ont cessé de vouloir étendre l’OTAN jusqu’aux frontières de la Fédération de Russie, déstabilisant les régimes qui s’y opposaient comme celui du premier Ministre slovaque Méciar qui voulait que son pays rentre dans l’Union Européenne mais pas dans l’OTAN [5]. Les Etats-Unis ont financé, à caisses de dollars ouvertes, les partis d’opposition et la Slovaquie finit par rejoindre l’OTAN en 2004. La déstabilisation de l’Ukraine et la réaction russe en Crimée aboutit à la réinstauration d’une guerre froide entre l’Europe et la Fédération de Russie, offrant aux Etats-Unis leur objectif stratégique essentiel : éviter la création d’une Eurasie qui contesterait leur domination mondiale. Mais en poursuivant leur intérêt stratégique, les Etats-Unis le font au détriment du rôle qu’on leur attribue trop complaisamment de gardien de l’ordre mondial.

Le Président Trump durant sa campagne présidentielle n’a cessé de souligner le coût/efficacité négatif pour les Etats-Unis de ces interventions dans le monde et en particulier en Asie centrale et au Moyen-Orient, alors que la Chine apparait à terme comme la seule grande puissance mondiale capable de leur contester leur suprématie mondiale. Malgré les réticences de son administration, le Président Trump essaie, autant que faire se peut, de rester fidèle à son analyse et de tenir ses promesses électorales.

Quelles sont les conséquences régionales de cette apparente modification stratégique américaine, entre grandes et moins grandes puissances ?

Jean-Bernard Pinatel : Si le désengagement américain militaire se confirme, c’est clairement la Russie qui en bénéficiera au Moyen-Orient. Grâce à sa diplomatie et sa connaissance pointue du monde musulman et persan, Moscou est capable de parler à tout le monde et de maintenir un savant équilibre entre l’Iran, la Turquie, l’Arabie Saoudite, l’Egypte et aussi Israël et a su apparaitre, aux yeux des dirigeants de cette région, comme le seul grand qui tient ses engagements. Cela dit, les Etats-Unis resteront très présents du fait de leur poids économique et financier, de leurs livraisons d’armes et de la coopération militaire que cela implique dans le Golfe persique, en Irak et avec Israël. Quant à la Chine, elle avance ses pions en Afghanistan, au Pakistan et en Iran qui sont les pays les plus proches de ses frontières et riches en matières premières et en sources d’énergie. Quant à la France, sa stratégie de suivisme des Etats-Unis ne lui permet de recueillir que quelques miettes et elle a perdu, à cause de sa malheureuse politique syrienne, tout poids réel dans cette région du monde.

Dans le cas asiatique, qui présente la particularité de voir apparaître une puissance – La Chine- qui pourrait être la principale rivale des Etats-Unis, Washington n’aurait-il pas tendance à s’engager plus avant ?

Jean-Bernard Pinatel : Les Etats-Unis ne peuvent que constater, sans pouvoir s’y opposer directement, la montée en puissance de la Chine et notamment le contrôle de facto qu’elle a établi sur la mer de Chine, mer peu profonde (profondeur moyenne de l’ordre de 300 mètres) et dans laquelle ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins sont très vulnérables durant leur trajet vers les détroits qu’ils ont à franchir [6]pour gagner les eaux profondes du Pacifique. La stratégie des Etats-Unis est dictée par la géopolitique. Puissance maritime, les Etats-Unis cherchent à endiguer l’expansion chinoise vers ses voisins. Au Nord le Japon, la Corée du Sud et Taïwan que Trump ne veut pas reconnaitre comme appartenant à la grande Chine sans que Pékin en paye le prix [7]. Au Sud en soutenant le Vietnam qui s’affronte avec Pékin sur le contrôle des iles Paracels. Il est significatif que la rencontre Trump-Kim se situe à Hanoi [8] et aussi l’Indonésie, les Philippines et la Malaisie au Sud où les diplomaties des deux rivaux s’affrontent.

Pour ma part, je pense que le risque majeur pour les Etats-Unis reste la création d’une Eurasie sous l’égide de Pékin via les nouvelles routes de la soie. Le seul pays qui est capable de mettre à mal ce projet est la Fédération de Russie qui tout en collaborant avec la Chine s’en méfie viscéralement. C’est pour cela que je pense, qu’à plus ou moins long terme, on assistera à une volte-face américaine vis-à-vis de la Russie et nous payerons le prix de les avoir suivis dans la voie des sanctions économiques qui pénalisent notre économie mais pas la leur.


Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
Secrétaire Général du Think Tank GEOPRAGMA
Auteur de « Histoire de l’Islam radical et de ceux qui s’en servent », Lavauzelle, Mai 2017

Source : ATLANTICO

Date de publication : 28/02/2019

[1] Qui aboutit au traité d’interdiction des missiles de moyenne portée duquel Trump vient de se retirer sous de fallacieux prétextes.

[2] Lire l’étude réalisée par des médecins légiste anglosaxons et téléchargeables en ligne Body Count.

[3] Dans un article que la Ministre des Armées a fait retirer de la Revue de Défense Nationale de février 2019. Quand on est un bon vassal on ne critique pas la manière de se comporter de son suzerain.

[4] 9 février 1990 au Kremlin.

[5] J’allais tous les 15 jours à cette époque à Bratislava.

[6] Entre le Japon et Okinawa et entre Okinawa et Taiwan où une multitude d’iles et ilots japonais rend ce franchissement discret pratiquement impossible.

[7] Il l’a reproché à Obama durant la campagne présidentielle d’avoir fait ce cadeau à Pékin sans contreparties.

[8] Le résultat maximum de ses conversations auquel on peut s’attendre n’est pas une dénucléarisation de la Corée mais son engagement à détruire les missiles capables de menacer les Etats-Unis.

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