stratégie militaire et diplomatique
Mer de Chine :
le développement de la puissance chinoise se heurte à la résistance des États riverains :
Japon, Philippines, Malaisie, Vietnam et Taïwan
Il a suffi que le 14 septembre 2012, six navires appartenant au ministère du Territoire et des ressources naturelles chinois se soient approchés à 22km de l’archipel inhabité, dénommé Diaoyu par la Chine et appelé Senkaku par le Japon, pour déclencher une grave crise des relations sino-japonaises dont les médias ont abondamment rendu compte.
Ce groupe d’îles inhabitées, mais dont les fonds marins pourraient receler du pétrole et du gaz, est situé à 400km au Sud-Est des côtes chinoises et du Sud-Ouest de l’Île d’Okinawa (située elle-même à 600km au Sud-Ouest du Japon) et à 200km au nord-est de Taïwan qui les réclame également [1].
Les tensions de la Chine avec ses voisins sont récurrentes et proviennent du fait que la Chine a une vision extensive, pour ne pas dire impérialiste, de sa zone d’exclusivité économique (ZEE).
Si le différend concernant les îles Senkaku/Diaoyu met aux prises les deux premières puissances régionales, c’est le différend territorial en mer de Chine méridionale qui est pour la Chine l’enjeu stratégique capital. Il concerne, en effet, différents archipels et îles de la mer de Chine méridionale, revendiqués en totalité ou en partie par la Chine, Taïwan, le Viêt Nam, les Philippines, la Malaisie et Brunei. Il s’agit des îles Spratleys, des îles Paracels, des îles Pratas, du récif de Scarborough et du banc Macclesfield.
Mais c’est le différend concernant l’archipel Spratly qui recèle le plus de risques de crises graves entre la Chine et ses voisins, du fait de l’intérêt en termes économique et stratégique pour la Chine mais aussi de son éloignement géographique du territoire chinois (environ 1000km) alors qu’il est 5 à 10 fois plus proche des Philippines, de l’Indonésie, du Brunei et du Vietnam, ce qui rend ses revendications plus difficilement acceptables pour ses voisins.
L’histoire des archipels contestés
La carte ci-dessous situe ces poussières d’îles dont la superficie totale n’excède pas 15km². Elles n’étaient pas habitées jusqu’à une époque récente car elles n’ont pas d’eau douce. Selon le droit maritime international, elles sont donc considérées comme des écueils et non des îles et, à ce titre, les revendications de souveraineté sur les parties émergées ne peuvent pas s’appliquer aux eaux territoriales. Selon la limite des 200 milles marins, le quart Ouest de l’archipel se trouve dans la Zone Économique Exclusive (ZEE) vietnamienne, le quart Sud dans la ZEE de Malaisie et du Brunei, le quart Est dans celle des Philippines et le quart Nord au-delà de ces zones. Or, chacun des pays riverains de la Mer de Chine méridionale revendique l’ensemble de l’archipel et les eaux afférentes et refuse tout plan de partage.
En 1974, c’est la Chine qui a pris la décision de modifier à son profit cette situation bloquée par des actions militaires au service d’une politique systématique d’appropriation de ces archipels. Profitant de division du Vietnam et de la faiblesse des Sud Vietnamiens à qui le traité de paix de Paris avait attribué l’archipel Paracel, la Chine le conquiert par la force : les combats firent 71 morts.
En 1975, le Vietnam est unifié, en rétorsion Hanoï occupe, en avril, 7 des îles des Spratleys sur les 37 que compte l’archipel. Puis, chacun des états riverains de la mer de Chine du Sud s’empare par surprise d’îles ou de récifs de l’archipel des Spratleys.
En 1978, c’est au tour des Philippines d’occuper 7 îles dans le Nord de l’archipel des Spratleys, puis une d’une huitième, Commodore Reef, réclamée par la Malaisie qui de son côté s’empare en 1983 de 3 îlots des Spratleys, dont Swallow Reef, à 60km d’Amboya Cay, contrôlée par le Vietnam, mais revendiquée par Manille et Kuala Lumpur.
En 1980, Itu Aba, la plus grande île, la seule où on trouve de l’eau potable. Envahie par les Japonais qui en firent une base sous-marine, elle a été restituée cette année-là par les Américains à Taïwan. Un aéroport avait été construit en 2007.
De 1978 à 1988, Hanoï s’empare d’une quinzaine d’îlots supplémentaires des Spratleys : le Vietnam en contrôle aujourd’hui 21 dont l’île Spratley et South West Cay.
Ce n’est qu’à partir de 1987 que Pékin commence à s’intéresser vraiment aux Spratleys et à y apparaître physiquement. La Chine occupe ainsi 7 îles, principalement à l’Ouest et au Sud-Ouest.
En 1988, un accrochage sérieux entre les marins vietnamiens et chinois fait 70 nouvelles victimes et cause la perte de trois bateaux vietnamiens, les positions chinoises aux Spratleys en sont renforcées.
En février 1992, le parlement chinois vote une loi sur les eaux territoriales qui réaffirme solennellement la souveraineté de Pékin sur l’ensemble des Spratleys. Immédiatement, Pékin chasse les Vietnamiens d’Eldad Reef portant désormais à 9 le nombre de positions chinoises dans les îles Spratleys. La même année, le Brunei revendique la souveraineté des eaux entourant le récif Louisa, toujours dans l’archipel des Spratleys.
La situation est donc particulièrement complexe et tendue. Pas moins de cinq états y ont placé des garnisons : environ 1 500 Vietnamiens, 450 Chinois, une centaine de Malaisiens, une vingtaine de Brunéiens et une centaine de Philippins. Tous sont ravitaillés à partir du continent.
Pour résumer et conclure sur cet historique, les Paracels sont entièrement sous domination chinoise; quant aux Spratleys, la carte ci-dessous détaille leur occupation par les différents états riverains de la Mer de Chine du Sud.
Les enjeux
Quels sont les enjeux qui justifient cette tension et ces crises entre pays riverains ?
1. L’extension de la ZEE chinoise
Au regard du droit international, la possession d’un territoire côtier par un état justifie ses prérogatives sur une certaine étendue d’eaux territoriales et de Zones Économiques Exclusives (ZEE). La Chine qui possède 18 000 km de frontières maritimes et 2 285 872 km² de (ZEE) répondant aux normes internationalement reconnues. Elle ne se classe qu’au 20ème rang mondial en se basant sur cette évaluation. Mais si elle réussissait à s’approprier les 1 591 147km² de zones de la ZEE de Taïwan (1 149 189 km²) et des îles Spratley (439 820 km²) elle remonterait au 10ème rang mondial [2] avec 3 877 019 km². Cette contestation vise donc à augmenter de plus de 40% la surface maritime de sa ZEE.
2. Les ressources naturelles et halieutiques
Les deux archipels ont d’abondantes ressources naturelles : des réserves de guano évaluées à plusieurs millions de tonnes, des produits marins variés (poissons recherchés, homards, tortues, carets, abalones, mollusques rares…). Le phosphate est présent sur ces îles ainsi que celle de nodules polymétalliques dans leurs fonds marins. Par ailleurs, environ 10% de la pêche mondiale est effectuée en mer de Chine méridionale.
3. Le contrôle du commerce international
La mer de Chine méridionale est un carrefour de routes commerciales d’une importance capitale car c’est la route la plus courte entre le Pacifique Nord et l’océan Indien. Par le détroit de Malacca passe 5 fois plus de pétrole que par le canal de Suez et 15 fois plus que par le canal de Panama. Par la mer de Chine méridionale transitent les 2/3 de l’approvisionnement énergétique de la Corée du Sud, 60% de l’approvisionnement énergétique du Japon et de Taïwan et 80% des importations chinoises en brut, ce qui fait plus de la moitié des importations énergétiques d’Asie du Nord-Est. La mer de Chine méridionale est ainsi bordée par 10 des plus grands ports mondiaux dont Singapour et Hong-Kong, et voit passer 90% du commerce extérieur de la Chine et un tiers du commerce mondial.
La mer de Chine méridionale est donc un lieu de passage très important commandé par quelques détroits faciles à interdire. Posséder les îles Paracels et Spratleys, c’est faciliter le contrôle d’une part non négligeable du commerce maritime mondial qui y transite.
4. Les ressources en gaz
D’après Robert D. Kaplan [3], la mer de Chine méridionale renferme un stock estimé à 25 000 milliards de m³ de gaz naturel (à comparer aux 187 100 milliards de m³ de gaz que comporterait la terre d’après British Petroleum, en 2010, ce qui fait presque 13,4% des réserves mondiales [4].
5. Le déploiement d’une flotte sous-marine
La mer de Chine méridionale est la seule le long des côtes de Chine à posséder des eaux profondes et à permettre un accès relativement aisé au Pacifique ce qui est essentiel pour assurer un déploiement sécurisé de ses SNLE. Le contrôle par une puissance étrangère des îles Paracels et Spratleys serait de nature à mettre en péril ce déploiement.
Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
[1] Les îles Senkaku/Diaoyu sont constituées de cinq îles inhabitées, dont la plus grande fait seulement 3,5 km² et les autres quelques dizaines d’hectares. Le Japon a annexé les Senkaku en 1895, après la première guerre sino-japonaise. A la fin de la seconde guerre mondiale, les îles ont été, avec Okinawa, placées sous administration américaine avant d’être restituées au Japon en 1972, au terme d’un accord qui ne les mentionne toutefois pas explicitement. Depuis 1971, Taïwan (territoire indépendant de fait, mais dont la Chine revendique la souveraineté) et la République populaire de Chine revendiquent leur souveraineté sur ces îles.
[2] Derrière les États-Unis (11,35M km²), la France (11,03), l’Australie (8,5), la Russie (7,6), la Nouvelle Zélande (6,9), l’Indonésie (6,2), le Canada (5,6), le Royaume–Uni (5,6), le Japon(4,6).
[3] Is Chief Geopolitical Analyst for Stratfor, a private global intelligence firm, and a non-resident senior fellow at the Center for a New American Security in Washington.