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Pourquoi les bombardements américains contre l’Etat islamique n’ont pas pu l’empêcher d’infiltrer Kobané

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Les forces kurdes qui défendent la ville-frontière de Kobané sont acculées face aux islamistes, et ce malgré les attaques aériennes à répétition menées par la coalition. Sans renseignement au sol, ces dernières n’auront pas l’efficacité escomptée.

Atlantico : Les frappes aériennes de la coalition autour de de Kobané ont beau s’intensifier, elles n’empêchent pas les islamistes de pénétrer toujours plus loin dans la ville kurde située non loin de la frontière avec la Turquie. Comment expliquer l’inefficacité de l’aviation occidentale sur ce théâtre de guerre ?

Jean-Bernard Pinatel : Les djihadistes sont constitués en petites unités mobiles utilisant des véhicules tout-terrain, ce qui leur permet de se camoufler sans difficulté, notamment dans les zones urbaines ou semi-urbaines.

Rappelez-vous, quand il a fallu aider les révolutionnaires libyens pour en finir avec l’armée de Kadhafi, qui avait également réfugié ses troupes dans les villes pour échapper aux frappes, on a du faire intervenir de nuit des hélicoptères, guidés par les forces spéciales qui évoluaient au sol. En effet les avions, avec leurs moyens de détection, ne peuvent pas identifier des combattants lorsque ceux-ci se camouflent à l’intérieur d’une zone urbaine. Autrement, les risques de toucher des civils sont bien trop élevés, on l’a vu à plusieurs reprises à Gaza.

Cela remet-il en cause l’utilité de l’aviation dans un cadre comme celui de la Syrie ?

Avec l’aviation, on peut traiter des concentrations de troupes et des dépôts logistiques visibles. Jusqu’ici, la coalition a pris pour cible essentiellement des raffineries pétrolières et des puits de pétrole ; le reste est beaucoup plus difficile à atteindre. Les djihadistes se sont préparés, ils ont enterré leurs dépôts logistiques, et se déplacent par petites unités à toute vitesse. Il faudrait avoir des avions en permanence sur zone pour pouvoir se permettre d’avoir des objectifs mobiles. Sans avoir de troupes au sol pouvant guider les frappes avec un temps de réaction qui soit de l’ordre de la minute, on ne peut pas causer de dommages importants à leurs troupes. Une solution serait de maintenir des avions en vol en permanence, ce qui coûterait bien trop cher.

>>Lire également en deuxième partie d’article : Le drame de Kobané, révélateur parfait de tous les non-dits et mensonges proférés sur l’EI (et sur nos « alliés »)

Les membres de la coalition ont-ils pêché par naïveté en estimant pouvoir se limiter à l’emploi de la force aérienne ?

Non, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une stratégie de destruction, mais d’attrition. En Lybie, au bout de trois semaines, les médias avertissaient déjà que les opérations menées ne portaient pas leurs fruits. Il a fallu cinq mois. On ne peut pas bloquer en l’espace de deux mois l’EI, qui s’est beaucoup mieux préparé que l’armée de Kadhafi. Des pertes sont causées, certes, mais on ne peut pas pour autant bloquer certaines offensives, dont celle de Kobani est un parfait exemple.

Ceux qui sont les plus susceptibles d’intervenir dans cette ville-frontière, mais qui sont en même temps les alliés officieux des djihadistes, ce sont les Turcs. Erdogan, depuis le début, a aidé les « révolutionnaires » syriens. Il ne faut pas oublier que la Turquie vit dans la nostalgie de l’Empire Ottoman, époque à laquelle la Syrie lui appartenait.

La coalition manque-t-elle de renseignement au sol ? Un tel argument pourrait-il aller dans le sens des services français, qui poussent, contre l’avis du Quai d’Orsay, pour une reprise du dialogue avec Damas ?

Pour que la coalition bénéficie de renseignement au sol, il faudrait avoir pu former et équiper les combattants kurdes en outils de guidage de frappes aériennes : lasers, postes de radio, etc. Tout cela exige une formation que les Occidentaux n’ont pas eu le temps de délivrer.

Petit-à-petit, on obtiendra davantage de renseignement, les Peshmergas et les Irakiens seront mieux formés et équipés, mais cela prendra du temps.

Un autre handicap qui concerne le risque djihadiste en France : la France est le seul pays avec les Etats-Unis à avoir supprimé son ambassade à Damas. Les Allemands l’ayant conservée, leurs services fonctionnent avec ceux des syriens, ce qui leur permet d’obtenir du renseignement sur les apprentis djihadistes partis se battre là-bas. La France, elle, alors qu’elle compte le plus fort contingent de jeunes djihadistes, n’est pas informée comme il le faudrait. François Hollande n’a pas su comprendre l’affaire syrienne : pour lui ce sont des révolutionnaires, alors qu’il s’agit essentiellement d’une guerre civile confessionnelle.

L’Arabie saoudite et le Qatar ont pensé pouvoir déstabiliser le régime minoritaire de Bachar el-Assad, oubliant que l’ensemble des minorités syriennes, soit 35% de la population, le soutient. On me dira que la Russie et l’Iran fournissent un soutien non négligeable, mais si Assad tient, c’est surtout parce qu’il bénéficie du l’approbation d’une grande partie la population dont une partie des sunnites, qui savent bien que si le président tombe, ce n’est pas un gouvernement de révolutionnaires laïques qui prendra le pouvoir. En réalité ce sont toujours les islamistes qui l’emportent sur les modérés et les démocrates.

Propos recueillis par Gilles Boutin

Source : ATLANTICO

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