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Hypothèses et conséquences stratégiques des premières estimations concernant les élections législatives irakiennes

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Les premières estimations des élections législatives irakiennes, si elles sont confirmées lors de la publication des résultats définitifs annoncée pour dimanche ou lundi, sont un désaveu pour la plupart des commentateurs qui ont formulé des prévisions erronées sur ces résultats parce qu’ils ont mal pris en compte le poids respectif des facteurs qui déterminent le jeu politique irakien.

Les faits

Ces élections doivent permettre d’élire 329 députés à la proportionnelle et avec des quotas permettant aux minorités d’être représentées. Ce qui signifie qu’il faut qu’un parti ou une alliance dispose au moins de 165 députés pour pouvoir prétendre à désigner le premier ministre et à exercer le pouvoir.

Résultats provisoires [1]

Parti Tête de liste Estimation du nombre de députés Positionnement
Alliance « En marche » Moqtada Al Sadr 55 Nationaliste, libéral, comme en témoigne son alliance avec les communistes
Alliance la Victoire Haïder Al-Anbadi 51 Liste dirigée par le Premier Ministre que les commentateurs donnaient largement en tête
Alliance de la Conquête Hadi Al-Amera 50 Proche de l’Iran, liste dans laquelle figure les chefs des milices shiites pro Iran
Coalition de l’Etat de droit Nouri-Al-Maliki 25 Liste shiite conservatrice proche de l’Iran
Parti Démocratique Kurde Massoud Barzani 24 Autonomie du Kurdistan
Coalition Nationale Iyad Allawi 21 Pour un Etat irakien laïque, respectueux des croyances de chacun
Union Patriotique Kurde Kosrat Rasul Al 15 Autonomie du Kurdistan, proche de l’Iran
Divers petits partis eu quotas pour minorités Kosrat Rasul Al 88 Autonomie du Kurdistan, proche de l’Iran
TOTAL 329

Ces premiers résultats tendent à démontrer que les irakiens qui sont allés voter (participation d’environ 45%) se considèrent comme une nation arabe, plus laïque que religieuse et donc moins sous influence iranienne que ce que les observateurs occidentaux évaluaient. Ceux qui dans leurs commentaires ont comparé l’Irak au Liban, où l’influence iranienne domine la vie politique, se sont trompés. Bien que l’Iran soit intervenu via les milices shiites iraniennes pour barrer la route de Bagdad à Daech puis pour les aider à reconquérir le pays occupé en payant le prix du sang de 2000 martyrs [2], la méfiance d’une partie du peuple irakien envers les Perses semble plus forte que la solidarité religieuse où les liens tissés dans les combats contre l’Etat islamique.

La preuve en est : la liste qui a obtenu le plus de députés est celle de Moqtada al-Sadr qui ne faisait pas mystère avant le scrutin d’être prêt à s’allier avec tout le monde sauf avec « l’Alliance de la conquête » et le parti d’Al Maliki, jugés par lui trop proches de l’Iran. Ce positionnement confirme le nationalisme de ce leader shiite qu’il avait démontré en juin 2011 en organisant de grandes manifestations dans toutes les grandes villes du pays contre les américains quand ils occupaient l’Irak et dont il exigeait le départ complet. Bien que dignitaire shiite, son nationalisme arabe le pousse à se rapprocher de l’Arabie Saoudite dont il cautionne la politique du nouveau Roi qui essaie de s’éloigner des pratiques moyenâgeuses des wahhabites qui, rappelons-le, dès le premier Califat des Saoud sont allés détruire les tombeaux et les mausolées shiites à Bassora, Karbala et Nadjad [3].

Si on respectait la stricte logique électorale et le positionnement des partis il faudrait s’attendre à une alliance regroupant « En Marche », « l’Alliance la victoire » du premier Ministre Haider Al-Abadi (qui ne restera pas premier ministre si les résultats définitifs confirment la deuxième position de sa liste), « la Coalition Nationale » Iyad Allawi et « le parti démocratique turc (PDK) » de Barzani. Il restera à rallier au moins une vingtaine de députés en provenance des 88 députés des petits partis ou représentants de minorités, ce qui ne devrait pas poser de problème. Les difficultés commenceront lorsqu’il s’agira de nommer le Premier Ministre et les ministres de l’intérieur et de la Défense qui doivent être, selon la constitution, sunnite et kurde si le Premier ministre est shiite.

Mais on ne peut écarter d’emblée une autre hypothèse car Badgad bruisse des pressions de l’Iran pour isoler Moqtada al-Sadr, « vendu » aux saoudiens. Téhéran pousserait à une alliance des trois partis « Alliance la victoire », « Alliance la conquête », « Coalition de l’Etat de droit » et l’UPK. Dans ce cas le Premier Ministre actuel pourrait être reconduit, ce qui ne serait finalement pas pour déplaire aux anglo-saxons qui ont tissé des liens étroits avec lui.

Sur le plan régional et international

Les résultats de cette élection sont dans les urnes une défaite pour les religieux qui dirigent l’Iran car ils sont obligés de constater que, malgré leur intervention qui a sauvé Bagdad et les 2000 martyrs morts dans les combats contre l’Etat islamique, la partie de la population irakienne qui est allée voter et qui est la plus âgée se méfie toujours de son puissant voisin. Plusieurs irakiens m’ont dit : « ce qui comparent notre situation à celle du Liban [4] se trompent nous avons 5000 ans d’histoire derrière nous » ou encore « nous sommes une nation arabe, nous faisons partie du monde arabe et pour la majorité d’entre nous ne souhaitons pas vivre dans un Etat islamique ».

Mais ce qui est inscrit dans la logique des urnes n’est pas ce qui finalement pourrait s’imposer à Bagdad. Dans cette deuxième hypothèse, qui n’est pas la plus probable, l’Iran sauverait provisoirement ses acquis et disposerait encore d’une influence importante à Bagdad pour limiter autant que possible les prétentions américaines à s’implanter massivement et durablement en Irak.

Dans la première hypothèse ce serait une victoire pour l’Arabie Saoudite et son nouveau Roi Mohammed Ben Salmane avec lequel Moqtada al-Sadr a établi des liens personnels. Sa volonté de changer rapidement les pratiques moyenâgeuses, que ses prédécesseurs avaient maintenues dans son pays, séduit les irakiens même s’ils pensent qu’un risque d’attentat venant de l’intérieur du royaume pèse sur lui car il bouscule trop vite les fondements de la croyance et des pratiques wahhabites qui restent encrées chez de nombreux imams saoudiens. Ce serait également une victoire pour les Etats-Unis et pour Trump qui avait vertement reproché à Obama d’avoir dépensé, entre 2003 et 2011, 3000 milliards en Irak et d’en être reparti sans le pétrole. La menace de voir l’Irak, dont 60% de la population est shiite, rejoindre une alliance shiite s’éloignerait.

Cela dit, dans les deux hypothèses, les négociations pour maintenir des bases américaines en Irak ne seront pas une formalité mais la corruption, qui reste un mal endémique en Irak et dont les américains ont abondamment usé sous les mandats d’A-Maliki, devrait leur permettre d’obtenir la majorité des voix nécessaires au Parlement pour ratifier ce traité.

En conclusion et sous réserve d’une improbable surprise à l’annonce des résultats définitifs, l’éclatement de l’Irak qui avait envisagé été sous Obama en trois entités confessionnelles et ethniques n’est plus d’actualité. Dans l’hypothèse la plus logique, la nouvelle équipe au pouvoir devrait conduire l’Irak sur une voie dans laquelle la corruption ne serait plus la seule clé des affaires notamment parce que Moqtada al-Sadr est riche et que l’argent ne dirige pas sa vie.

De leur côté, les dirigeants iraniens devront assumer cet échec confessionnel et prendre en compte dans leur politique le fait que des bases américaines seront à nouveau implantées à proximité de leurs frontières ce qui devrait, à moins de fuite en avant, les amener à plus de retenue dans leur soutien au Hezbollah.

Néanmoins, dans la première hypothèse, il ne faudrait pas que Netanyahou en déduise que les amis des amis sont ses amis. Les irakiens restent très solidaires des palestiniens et ce qui s’est passé récemment à Gaza a été condamné unanimement par le peuple et une grand partie de la classe politique.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

Secrétaire Général de GEOPRAGMA

Auteur de :

[1] Le terme de « libéral » dont est affublé en Irak Moqtada al-Sadr signifie dans l’esprit des irakiens qu’il prend la liberté de s’allier avec les communistes alors qu’il est un dirigeant religieux qui condamne l’athéïsme.

[2] J’emploie ici le terme utilisé en Irak et en Iran car la guerre contre l’Etat Islamique était une « guerre sainte » qui faisait l’objet d’une Fatah du grand Ayatollah Ali Husseini al-Sistani.

[3] Lire Jean-Bernard Pinatel, « Histoire de l’Islam radical », éditions Lavauzelle, 2017, pages 26 à 29.

[4] Les shiites libanais essentiellement regroupés au Sud du Litani ont été depuis les années 70 sous la pression d’Israël qui considère que cette partie du Liban lui appartient ou tout au moins qu’il doit la contrôler pour protéger ses territoires du Nord des palestiniens de l’OLP de Yasser Arafat. C’est cette pression constante qui a justifié la mise en place de la FINUL. Après la guerre de 1982, initiée par Israël pour s’emparer du Sud du Litani et qui s’est traduit par une quasi-défaite de l’armée israélienne (670 morts autant que durant la guerre des six jours) a conduit à la création du Hezbollah qui est soutenu par l’Iran et dont la capacité opérationnelle a été démontrée et renforcée par la guerre en Syrie.

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