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Analyse de la situation politique et militaire en Irak - Mars 2016

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En Irak, le mois de février a été le théâtre de l’affrontement des influences extérieures américaines et iraniennes ; les premières cherchant à écarter les milices shiites de la future bataille de Mosul ; les secondes, s’appuyant sur les partis shiites irakiens, essayant de les imposer dans une région pourtant essentiellement sunnite et kurde.

Sur le plan des opérations militaires, il semble clair que le gouvernement irakien veuille régler le cas de Faluja et sécuriser définitivement le Nord de Bagdad avant de s’attaquer à Mosul. Et la puissante contre-offensive menée par Daech le 28 février en direction de la ville d’Abou Ghraib, dont les limites Est touchent pratiquement l’aéroport international de Bagdad, est de nature à les conforter dans cette résolution.

Cette décision de s’emparer d’abord de Faluja, puis de sécuriser le nord-ouest de Bagdad jusqu’à Samara, repousse clairement à 2017 la reprise de Mosul. Elle contraint la diplomatie américaine à essayer de s’entendre avec les Russes pour éviter au camp démocrate, en cette année pré-électorale, l’humiliation de voir Raqqa, capitale de l’Etat islamique, libérée par les forces syriennes appuyées par les Russes alors qu’en Irak la bataille décisive de Mosul n’est même pas amorcée.

Situation militaire

13-03-2016-mica

Il semble que les irakiens veulent régler le cas de Faluja avant de s’attaquer à Mosul. En ce début du mois de mars Faluja est totalement encerclée mais la bataille pour chasser les djihadistes de la ville sera, à mon avis, extrêmement difficile. Daech est installé dans cette ville depuis longtemps et ses positions sont beaucoup plus fortifiées et piégées qu’à Ramadi.
Au sud de la ville de Faluja, les unités de l’armée et de la police irakiennes se trouvent à vue du pont de Faluja, situé à l’ouest de la ville mais le 26 février, elles ont dû repousser une contre-offensive lancée par Daech. Parallèlement, l’Etat-major irakien, cherche à couper les routes du Nord avec « l’organisation des milices populaires » qui a causé à Daech des pertes importantes en vies humaines et en matériels dans le district de Karma Nord-Est de Faluja.

Au nord de Faluja, dans la région d’Albou Abid, à 20 km au nord de Ramadi, selon un chef tribal de la région, toutes les routes d’approvisionnement de Daech ont été coupées par les hommes des tribus.

Le 28 février, Daech a lancé une vaste offensive sur Abou Ghreb, dans la région de Hasswa, à l’ouest de Bagdad, obligeant les populations locales à prendre la fuite. Les combattants de Daech ont, pendant ces combats, incendié le silo de Khan Dhari ainsi que plusieurs camions chargés de blé qui s’y trouvaient. L’aviation militaire irakienne a lancé plusieurs raids sur ces nouvelles positions de Daech pour les en déloger. C’était la première fois depuis 2014 que Daech arrive jusqu’à là. Des forces militaires irakiennes, notamment le régiment présidentiel, ont été déployées aux alentours de l’aéroport international de Bagdad, tout proche d’Abou Ghreb, pour parer à toute éventualité.

Sur le plan politique

Le 24 février, le premier ministre irakien Haider Al Abadi a évoqué la question des milices de l’Organisme de Mobilisation Populaire, en disant que ces forces doivent prendre part à la libération de la ville de Mosul. Cette déclaration a entrainé de fortes réactions dans les milieux politiques et populaires irakiens. L’utilisation des milices shiites pour libérer Mosul, ville à dominante sunnite et à forte minorité kurde, est perçue par les sunnites comme une volonté de les écarter de cette bataille et de remplacer l’occupation actuelle de la ville par les djihadistes de l’Etat Islamique par celle des milices pro-iraniennes. Haider Al Abadi a déclaré que la décision de libérer Mosul serait une décision purement irakienne. Les partis et les coalitions shiites ont, bien sûr, soutenu cette déclaration tandis que les partis sunnites ont critiqué ses propos, soulignant que la libération de la ville de Mossoul doit être faite par les habitants de ce gouvernorat sunnite en coopération avec l’armée irakienne et les peshmergas mais sans la participation des milices shiites.

Tout de suite après sa déclaration, le premier ministre a tenu à rencontrer, à plusieurs reprises, les chefs des milices shiites pour leur faire part de son soutien et démentir les rumeurs de pressions américaines et internationales. Pour les observateurs, cela constitue une volte-face d’Al Abadi par rapport aux accords passés avec les parties locales et internationales dans le cadre de la lutte contre Daech. Ces accords avaient prévu d’écarter les milices shiites des champs de bataille qui se trouvent dans les gouvernorats à majorité sunnite, à consolider le rôle de l’armée irakienne et des combattants des tribus sunnites dans les combats contre Daech. Cette déclaration d’Al-Abadi est semble-t-il destinée à conforter sa position intérieure vis à vis des partis shiites car elle a été faite juste après son annonce de remanier son gouvernement en l’ouvrant à des techniciens ce qui pourrait entrainer le départ de plusieurs ministres shiites. Ce faisant, il rejoint les rangs des pro-iraniens car écarter les milices shiites c’est écarter politiquement l’Iran de la scène irakienne. Pour l’Iran, les villes irakiennes à l’Est du Tigre sont ses portes vers la Syrie. C’est pourquoi Téhéran essaie d’imposer les milices shiites en tant que composante de la bataille de Mosul, afin d’éviter le scénario de la bataille de libération de Ramadi qui s’est déroulée sous surveillance et commandement américain direct et avec une participation sunnite armée et efficace.

Situation sécuritaire

A Bagdad, en général, les crimes organisés de vol à main armée en plein jour, en uniformes militaires ou policiers et à bord de voitures ressemblant à des véhicules officiels, de kidnapping et d’assassinats pour diverses raisons ont continué comme avant. Mais les attentats à l’explosif et à la voiture piégée ont baissé. Le plus violent attentat à l’explosif a eu lieu, le 25 février au soir, lorsque deux kamikazes portant des ceintures d’explosifs se sont fait exploser dans une mosquée shiite, située au quartier de Shula, faisant 12 morts et une trentaine de blessés.
Dans 12 des gouvernorats du Nord et du Sud, la situation sécuritaire est toujours calme et sous contrôle, et reste toujours tendue dans l’ensemble des 6 gouvernorats dans lesquels Daesh réalise des attentats puisque l’on déplore 450 morts contre 397 morts en janvier et 545 en décembre 2015.

Ainsi, dans le gouvernorat d’Al Anbar on déplore 98 morts contre 106 morts en janvier et 182 en décembre ; à Nineveh 92 morts contre 86 en janvier et 132en décembre ; à Salahuldein 78 morts contre 74 en janvier et 86 en décembre, à Kirkuk 77 morts contre 43 en janvier et 73 en décembre ; à Diyala 36 morts contre 32 en janvier et en décembre et à Bagdad 69 morts contre 56 en janvier et 60 en décembre.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

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