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La crise de l’euro et la Défense

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Après le marché unique, l’euro, la convergence économique, progresser vers l’Europe de la défense de l’Atlantique à l’Oural

La crise de l’euro montre, une fois de plus, que, en temps de crise, les intérêts géopolitiques s’imposent face à tous les autres.

Les puissances maritimes qui ont dominé le Rimland [1] ont toujours basé leur puissance sur le commerce international et la finance. Cette loi géopolitique a été vérifiée de multiples fois dans le passé : après Venise, les Hollandais, les Portugais, les Espagnols, la Grande-Bretagne, c’est aujourd’hui au tour des États-Unis et de leur vassal britannique. L’attitude de David Cameron au sommet de Bruxelles démontre que les Anglais ne sont pas prêts à renoncer à ces piliers de leur puissance déclinante. Londres a refusé le nouveau traité européen qui lui lierait les mains dans le domaine financier et choisit toujours l’alliance américaine à la solidarité européenne. Ce cavalier seul britannique était prévisible si l’on se rappelle que, pour rééquiper son Armée de l’Air [2], Londres avait choisi de participer à la recherche-développement du programme du F-35 américain à hauteur de 3 milliards de dollars au détriment d’un projet européen, Eurofighter ou du Rafale.

L’implication d’Obama et l’intérêt qu’il témoigne dans la crise de l’euro est purement égoïste et conforme aux intérêts américains. Washington presse les européens de sauver l’euro dans le seul but d’éviter une crise mondiale qui, comme en 2008, se traduirait par une contraction très forte des échanges internationaux et les pénaliserait encore plus que nous. N’oublions pas que la puissance des États-Unis et le niveau de vie des Américains ont été bâtis, en grande partie, sur le commerce international : achat de produits de consommation à bon marché à l’extérieur de leurs frontières, notamment en Chine, ce qui maintient une pression sur les prix aux États-Unis et bénéficie de ce fait aux consommateurs américains dont il dope le pouvoir d’achat. A cela s’ajoute une dette d’état considérable résultant en grande majorité de leurs dépenses militaires destinées à maintenir le contrôle des espaces maritimes et de leur approvisionnement en énergie et matières premières, un déficit commercial abyssal et le maintien d’un dollar faible. Ce cercle vertueux pour les Américains et vicieux pour nous ne peut se pérenniser qu’à deux conditions : une croissance des échanges internationaux et une dette américaine financée par leurs partenaires commerciaux et aujourd’hui, au premier chef, par la Chine.

La crise de l’euro aura eu comme effet bénéfique d’obliger l’Europe continentale à s’unir un peu plus : après la création d’un espace commercial, le marché unique et d’une monnaie, l’euro, voici la convergence économique en marche. Pourquoi alors ne pas franchir un pas de plus dans le domaine de la Défense. La France et l’Allemagne doivent y réfléchir ensemble. Sur le plan des industries de défense, la réussite d’EADS a ouvert magistralement la voie alors que les déboires prévisibles du Rafale à l’exportation rendent impératif d’aller encore plus loin sur ce chemin.
La France, une fois encore, a montré le cap à suivre en prenant le risque de vendre le Mistral à la Russie. C’est aussi l’option la meilleure pour Dassault [3] et la pérennisation d’une capacité de développement d’un avion de combat de 5ème génération [4] en Europe.

Philippe Migault, rédacteur en chef de la lettre de l’IRIS[5], les analyse avec lucidité :

  • «Rejoindre le programme F-35 et mettre nos compétences et nos finances au service du Pentagone et de l’industrie de défense américaine (..);
  • adosser Dassault Aviation à EADS pour développer un appareil européen. Cela revient à clairement donner le leadership du groupe à la France. Berlin refuserait, sans doute;
  • s’allier aux Suédois de Saabs, voire constituer un pôle avion de combat avec eux au sein d’EADS. Inutile de décrire la partie de meccano-politico-industriel : l’échec sanctionne les projets dont les protagonistes sont pléthore et les leaders mal définis;
  • pourquoi ne pas commencer à réfléchir à l’option russe ? Absurde ? Non. Dans les années 90, Sukhoï a proposé à Dassault Aviation de concevoir un avion de combat de cinquième génération. L’avionneur au Trèfle, encore très optimiste sur le Rafale, avait décliné l’offre. Peut-être faudrait-il y repenser. Parce qu’au-delà des avions, il ne reste que deux industries de défense en Europe capables de produire toute la gamme des armements, la russe et la française. Sans leur alliance, il n’y aura pas de réelle autonomie stratégique européenne.»

Cette alliance stratégique avec la Russie ne se fera pas en un jour mais, à long terme, elle est aussi vitale pour l’Europe que la résolution de la crise de l’euro car, qu’on l’approuve ou non, personne n’a trouvé jusqu’ici une autre recette que l’impératif de défense pour financer massivement des programmes de long terme en recherche-développement, condition essentielle du maintien d’une base industrielle compétitive et clé d’un retour à la croissance économique.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Concept élaboré par le Britannique Halford Mackinder (1861-1947), fondateur de la géopolitique.
Le « Rimland » comprend la ceinture périphérique qui entoure le cœur continental de la masse terrestre eurasiatique ou « Heartland ». Les territoires du « Rimland » vont de l’Europe occidentale au Japon en passant par le Proche et le Moyen-Orient, L’Inde, la Birmanie, la péninsule indochinoise, l’Indonésie, les Philippines, la Corée et le Japon. Le Rimland ceinture ainsi l’espace Europe de l’Est et russo-sibérien et chinois à L’Ouest, au Sud et à l’Est.

[2] Le Royaume-Uni est aussi le seul pays européen à s’être engagé fermement avant même que le processus de sélection soit terminé (BAE faisait partie de l’équipe Lockheed Martin). Cet engagement initial de plus de deux milliards de dollars dans la phase DDS (10% selon les prévisions optimistes de 2001) est complété par un autre investissement, à hauteur de 880 millions, destiné à fournir l’infrastructure nécessaire pour mettre le F-35 Lightning II (JSF) en service, et portant notamment sur l’intégration du système d’armes, la formation, les simulateurs et la réduction du bruit + un coût d’acquisition de 5 milliards de dollars environ pour 50 avions.

[3] Dont la famille au travers du « groupe industriel Marcel Dassault » possède 50,55%, EADS 46,32%, le reste, soit 3,13%, étant du domaine public.

[4] La première génération (1945-1955) correspond à des appareils à réaction subsoniques, sans radar de bord, armés de mitrailleuses et de bombes à gravitation. Ce sont par exemple les MiG 15 et 17, le F-86 Sabre, l’Ouragan;

La deuxième génération (1955-1960) est caractérisée par la vitesse supersonique, une aérodynamique, une motorisation et des matériaux plus performants, des radars embarqués et l’introduction de nouvelles armes, telles que les missiles air-air. On peut citer comme exemples les MiG 19 et 21, les F-104, F-105, F-106, le Mirage III et le Draken (Suède);

La troisième génération (1960-1970) est caractérisée par une plus grande manœuvrabilité, des capacités multi rôles (air-air et air-sol). Les moteurs plus puissants, les équipements de bord et les systèmes d’armes sont plus avancés avec un début d’intégration : MiG 23 et 25 et le Sukhoi SU-15, les F-4 et F-5, le Jaguar, le Mirage F1 et le Super Etandard;

La quatrième génération (1970-1990) est la plus répandue aujourd’hui. L’intégration des systèmes est la règle (radars, communications, armes), ce sont des appareils multirôles capables d’effectuer différentes missions au cours d’une même sortie. Ces avions sont, pour la plupart, en cours de modernisation. Parmi les nouveautés ajoutées, on peut noter le GPS, des systèmes de vision nocturne, de nouveaux systèmes de navigation, de guidage laser pour le ciblage, des casques pour pilote « interactifs » (meilleure vision, affichage d’informations). Ce sont par exemple les MiG 29 et 31, Sukhoi SU-27, F-14, F-15, F-16 et F-18, AV8 Harrier, Tornado, Mirage 2000 et Viggen;

La génération 4.5 est apparue les toutes dernières années du XXe siècle. Les avions sont supérieurs en performances à la quatrième génération et ont des capacités proches de celles de la cinquième génération. L’intégration des systèmes inclut dorénavant la composante humaine à travers des interfaces homme-machine, l’informatisation est presque totale, et ce sont des systèmes conçus pour les opérations en réseau. Ils ont des caractéristiques relevant de la furtivité, que ce soit au niveau des matériaux ou de la conception destinée à réduire leur signature radar. Ces appareils sont presque tous multirôles et multimissions, par tout temps, de jour comme de nuit : on peut citer les Sukhoi SU-33 et SU-35, le F-18 Super Hornet, l’Eurofighter Typhoon, et le Rafale. Ces deux dernier appareils sont très proches de la cinquième génération;

La cinquième génération se caractérise par une combinaison entre systèmes : furtivité, composante humaine et l’intégration réseau global C4ISTAR. Ce sont de véritables centrales informatiques, capables de combats air-air, d’attaque au sol, de défense antimissile tactique, de suppression des défenses aériennes, de frappe en profondeur, de commandement et contrôle de drones ou d’essaims de drones. La puissance de feu est polyvalente, la vitesse et la manœuvrabilité sont accrues. Les autorités militaires américaines classent le F-22 Raptor et le F-35 Lightning II JSF dans cette catégorie.

[5] Institut des relations internationales et stratégiques : www.iris-france.org


La France n’a plus les moyens militaires de ses ambitions politiques : une fausse affirmation ?

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Le journal Le Monde titrait en première page de son édition du mercredi 13 juillet : « La France n’a plus les moyens militaires de ses ambitions politiques ».

Cette affirmation est discutable si l’on regarde les forces militaires mises sur pied au regard des besoins opérationnels actuels. Elle est fausse si l’on compare les moyens financiers investis par la France pour sa Défense, soit un budget annuel de 66 milliards de dollars qui nous place dans le top 5 mondial.

Que se passe-t-il donc dans la boite noire (Armées, DGA, Industries de Défense) qui reçoit des inputs financiers importants et fournit des outputs insuffisants en matière de capacités militaires face aux besoins réels du moment ? Répondre à cette question c’est analyser la chaine des décisions qui partant de la définition des menaces à l’expression des besoins militaires passe par le lancement des projets de développement des systèmes d’armes, pour aboutir à la mise sur pied et au maintien opérationnel des forces.

C’est à ce débat et à cette analyse qu’il faut s’attacher avant de demander à la Nation des efforts financiers supplémentaires. Depuis que je m’intéresse à ces questions [1] jamais une évaluation prospective des menaces n’a été réalisée en indépendance totale avec les lobbyistes des industries d’armement qui sont présents au sein même des partis politiques. Il en découle bien souvent le lancement de programmes inadaptés aux menaces réelles ou à notre stratégie de Défense.

Ce serait le cas, s’il était adopté, du système de Défense anti-missiles que les américains nous poussent à déployer et qui couterait, selon une estimation provisoire, probablement sous-évaluée à dessein, plusieurs milliards d’euros à la France. Ce système, sur le plan de la théorie stratégique, affaiblirait notre dissuasion, sur un plan opérationnel ne servirait à rien face aux menaces actuelles et serait probablement inefficace face à la menace potentielle qu’il est chargé de contrer : un missile lancé par un État voyou. Aucun spécialiste sérieux ne croit qu’il assurerait un taux d’interception proche de 100%. L’expérience du système Patriot, déployé lors de la guerre du Golfe, montre que l’on en est loin. Autre exemple : on peut se demander si une partie des sommes dépensées à la modernisation de notre force de dissuasion nucléaire n’aurait pas mieux été investie dans le développement d’un système français de drones dont les opérations en Afghanistan et en Libye ont démontré l’utilité.

La cause première de cette perte en ligne est à rechercher dans le  manque d’investissement sur les questions de Défense des responsables politiques de droite ou de gauche quand ils sont dans l’opposition. Quand ils arrivent au pouvoir, sans bagage militaire suffisant, ils sont prisonniers des choix biaisés que leur présentent les commissions et groupes de travail réunis à cet effet. Incapables de concevoir et d’imposer les choix drastiques qui s’imposent, les gestionnaires des budgets de la Défense sont condamnés à faire de l’échenillage. Le résultat est toujours le même depuis le départ du Général de Gaulle. A force de couper un peu partout, il manque un peu de tout. Cela est vrai pour les forces qui sont mises sur pied et qui répondent aux besoins réels mais aussi pour celles inscrites dans la programmation militaire pour satisfaire les lobbies. Et une fois de plus c’est aux chefs militaires sur le terrain de faire avec… et, pour l’honneur des armes de la France, ils y réussissent souvent. C’est ce qui explique le mauvais moral  permanent des personnels de l’administration centrale et au contraire le moral excellent des forces combattantes.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] 1973 – Ma thèse, soutenue à l’UER de Sciences politiques de Paris 1, était consacrée à : « Les effets de la politique et des dépenses militaires sur la croissance économique (le cas français : 1945-1973) », à la suite de la quelle j’ai publié, en 1976, deux livres : l’un consacré à l’évolution des menaces : « La guerre civile mondiale », Calmann-Lévy et l’autre : « L’économie des forces », Fondation pour les études de Défense, qui traitait de la cohérence dans les choix des systèmes d’armes.


Les valeurs militaires
dans un monde sans repère

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Article publié dans Le Figaro, début juin 2011

En Afghanistan, en Afrique, partout où je rencontre nos soldats en opérations, je croise de jeunes héros. Ils sont bien de notre temps, mais vous les côtoyez souvent sans les voir, car ils ressemblent banalement à tous ces jeunes de France, qui vivent dans nos villes et nos campagnes. Ni lansquenets, ni bêtes de guerre, ils sont vos enfants, vos voisins, et aussi des jeunes filles et de jeunes mamans que l’on reconnait mal sous le casque et le gilet pare-balle. Beaucoup ont une famille, qui partage ce métier sans l’avoir choisi, au gré des mutations et des absences, sans espérer grand-chose en retour sinon la considération et le soutien de leurs concitoyens, quand un drame survient.

Ils portent les armes de la cité en votre nom, et chaque jour s’en servent, où vous les envoyez. Car leur métier est bien la guerre, même si, pour bien en mesurer le coût, ils chérissent plus que tout la paix…

Ils acceptent de payer le prix du sang, l’épreuve de la blessure. Mais, disent-ils, s’ils deviennent invalides, alors que ce soit « de guerre ». Leur plus grande crainte est d’être un jour regardés comme des victimes, maladroites ou incompétentes, qu’on aurait bernées dans une mauvaise aventure… Car même au fond d’un lit d’hôpital, leur silence et celui de leurs proches ne doivent pas faire oublier qu’ils sont fiers et soucieux de leur honneur. Ils croient que la mission est sacrée et qu’une vie peut lui être consacrée. Ils savent confusément qu’il n’est pas inique que l’individu se donne, corps et âme, à la collectivité. Ils y verraient même une certaine noblesse ou un trait qui les distingue et les grandit et c’est pour cela qu’ils ne sont pas des mercenaires. Mais ils le deviendront quand la cité ne les reconnaitra plus pour cette singularité !

Les soldats ont le tort d’être pudiques, quand il faut se vendre. Celui de ne pas être compris, parce qu’ils s’expliquent trop peu, se réfugiant dans un silence qui préserve les familles et évite les malentendus. Il est si difficile de témoigner de nos épreuves sans le recul du temps ! Mais quand bien même ils parleraient, pourquoi écouterait-on, quand rien n’y oblige, ceux qui finalement incarnent le tragique de la vie ? La mort leur colle à la peau alors que la société l’a rayée de son quotidien.

Pourtant, il n’est de héros sans légende. Et il suffirait ici de dire les faits, dans leur brutale simplicité. De considérer qu’en dehors de toute option politique le sacrifice d’un jeune Français pour les siens est une valeur en soi digne d’intérêt. Qui pourrait le faire, sinon les médias ? A de rares exceptions près - quelques émissions tardives, et d’excellents articles, si l’on cherche bien – c’est plutôt le silence qui règne, toujours moins cruel cependant que les quelques mots qui expédient nos pertes - chaque semaine - entre page judiciaire et météo du lendemain.

Alors quoi, finalement ? Notre société, si évoluée, avide de libertés et de loisirs, a-t-elle encore besoin de héros et de légendes ? Chacun connait la réponse. Les jeunes Français sont capables de donner vingt noms de footballeurs et chanteurs en tous genres devenus icônes de leur quotidien en délivrant le message de la célébrité et de l’enrichissement. Combien, d’individus qui - quel que soit leur métier - ont choisi de consacrer leur vie aux autres ?

Ces gamins de 20 ans, qui offrent leur vie quand la République le demande, mériteraient cette reconnaissance ! Mais ils ne font pas fortune. J’ai la faiblesse de croire qu’ils constituent cependant la plus précieuse de nos richesses, toute d’humanité, de chair et de sang.

Nous aurons toujours besoin de ces jeunes hommes et femmes pour ce métier de soldat, qu’aucune machine ne fera à leur place. Qui peut croire que la guerre devienne un jour l’affaire de robots commandés à distance par les « riches », contre des « pauvres » à la poitrine nue ? Aucune démocratie ne le supporterait. Les hommes sont condamnés à rester l’instrument premier du combat. Mais en trouvera-t-on encore longtemps pour porter nos armes ?

Rien n’est moins sûr si nous continuons à ignorer l’histoire de nos héros, qui est aussi celle de notre pays s’écrivant sous nos yeux. Rien n’est moins sûr si la nation n’y reconnait pas ses fils et persiste à refuser une considération qu’ils n’osent même plus solliciter, dans la cacophonie de ceux qui exigent tout et n’importe quoi. Une société « fabrique » ses défenseurs en leur offrant une place et une reconnaissance particulières. Elle génère, au sens propre, les volontaires qui feront le choix des armes, malgré des contraintes exorbitantes. Un choix rationnel, qui n’est pas seulement la réponse à l’irrésistible appel d’une vocation.

Prenons garde que ces volontaires ne deviennent les victimes silencieuses d’un pays qui ne se rappellerait plus ni leur mérite, ni leur utilité, ni même d’avoir un jour exigé leur sacrifice. Nous ne les trouverions simplement plus.

Général de corps d’armée Hervé Charpentier, Commandant des forces terrestres


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