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Une révolution en Syrie ?
Non, une guerre civile confessionnelle

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« La guerre civile est le règne du crime ».
[Corneille, Sertorius]

Contrairement à ce qu’affirme la plupart des commentateurs, ce qui se passe en Syrie n’est pas une révolution mais une guerre civile confessionnelle contre un pouvoir autoritaire d’obédience baasiste [1] qui a su faire jusqu’à présent régner une cohabitation entre toutes les religions, en réprimant d’une main de fer les extrémistes islamiques.

En novembre 2011, je publiais une analyse sur le contexte géopolitique de la crise syrienne et je terminais en évoquant la situation intérieure : « La situation intérieure syrienne est très différente de celle de la Libye. En Syrie vivaient en paix jusqu’à aujourd’hui de nombreuses communautés religieuses qui représentent 30 à 35% de la population face à 65 à 70% de sunnites au sein desquels existe la minorité extrémiste des frères musulmans. Le pouvoir syrien bénéficie ainsi du soutien de ces minorités qui craignent l’arrivée au pouvoir de la majorité sunnite. Le risque est de remplacer un pouvoir qui protège ces minorités par un pouvoir qui les opprime. Pour toutes ces raisons la France ne doit pas aller au-delà d’un discours humanitaire et s’opposer à toute action de l’Otan en Syrie, initiée par les Turcs soutenus, comme toujours, par les Américains ».

Ce qu’oublient trop souvent de souligner la majorité des commentateurs c’est que la résistance des insurgés sunnites et des frères musulmans ne peut exister que grâce à l’aide considérable des monarchies sunnites du golfe mais le succès de leur combat ne peut survenir sans un engagement occidental. En effet, pour les Alaouites et les minorités qui les soutiennent : Chrétiens, Ismaéliens, Druzes, Chiites il s’agit de vaincre ou de mourir.

Les Alaouites sont, en effet, considérés par l’Islam sunnite comme des apostats [2]. Cela leur a valu au XIVème siècle une fatwa du jurisconsulte salafiste Ibn Taymiyya, l’ancêtre du wahhabisme actuel, prescrivant leur persécution systématique et leur génocide. Sa fatwa n’a jamais été remise en cause et est toujours d’actualité, notamment chez les salafistes, les wahhabites et les Frères musulmans. Persécutés pendant 6 siècles, les Alaouites n’ont pris leur revanche qu’avec le coup d’Etat d’Hafez el-Assad, issu d’une modeste famille de la communauté, devenu chef de l’armée de l’air puis ministre de la Défense.

Face à la montée du fondamentalisme qui progresse à la faveur de tous les bouleversements actuels du monde arabe, son fils est soutenu par les 2,5 millions d’Alaouites, les 2 millions de Chrétiens de toutes obédiences, les 500 000 Druzes, les Chiites et les Ismaéliens, instruits du sort de leurs frères d’Irak et des Coptes d’Égypte. Seule minorité à jouer son propre jeu, la minorité Kurde, qui rêve d’un Kurdistan syrien.

La guerre civile confessionnelle est sous-jacente à l’histoire syrienne. Ainsi en 1980, un commando de Frères musulmans s’était introduit dans l’école des cadets de l’armée de terre d’Alep. Ecartant les élèves officiers sunnites, il a massacré 80 cadets alaouites au couteau et au fusil d’assaut en application de la fatwa d’Ibn Taymiyya. Les Frères l’ont payé cher en 1982 à Hama - fief de la confrérie - qui fut pratiquement rasée par son frère, Rifaat al-Assad, faisant plus de 10 000 victimes. Les violences inter-communautaires n’ont jamais cessé depuis, même si le régime actuel a tout fait pour les endiguer grâce à l’idéologie bassiste et en maintenant le pays sous une poigne de fer.

Autant les motivations confessionnelles des monarchies sunnites sont claires, autant la logique de l’activisme américain ne peut s’expliquer que par le jeu des multiples influences qui, dans cette année électorale, pèsent de tout leur poids sur les candidats.

La première est celle des industriels de l’armement américains qui ont toujours tiré un large profit des situations de guerre au Moyen-Orient [3] et de leurs généreux clients, les monarchies du Golfe persique.

La seconde est le pouvoir d’influence de la Turquie, alliée fidèle des États-Unis qui pour la droite religieuse américaine représente le modèle à instiller au Moyen-Orient : « One Nation under God » [3] un fonctionnement démocratique, une armée puissante et équipée de matériel américain.

Pour la France, la position à prendre est claire. Se tenir à l’écart de cette guerre civile tout en faisant pression sur les deux camps pour en limiter les atrocités. Le gouvernement doit expliquer aux Français que la Syrie n’est pas la Libye et même s’il est de bonne guerre pour l’opposition de critiquer l’inaction du nouveau Président, c’est la seule option raisonnable.

Car en Libye, il s’agissait d’une révolution populaire face à un tyran et cela a été l’honneur de la France de mettre fin à ses atrocités. En Syrie, nous sommes face à une guerre civile, déclenchée sous couvert d’un printemps arabe, qui vise à imposer un pouvoir confessionnel extrémiste face à un pouvoir certes non démocratique et violent mais soutenu par toutes les minorités religieuses qu’il a toujours respectées.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Le Parti Baas originel est créé en 1947 à Damas et a pour but l’unification des différents États arabes en une seule et grande nation. La doctrine baassiste combine le socialisme arabe et le nationalisme panarabe. La laïcité est un autre pilier du Baas : ses fondateurs pensaient que seul un État laïc permettrait de regrouper toutes les composantes d’une nation arabe très divisée sur le plan confessionnel.

[2] Mahomet aurait dit : « Quiconque change sa religion, tuez-le. ».

[3] Je jure allégeance au drapeau des États-Unis d’Amérique et à la République qu’il représente, une nation unie sous l’autorité de Dieu, indivisible, avec la liberté et la justice pour tous. Serment au drapeau américain.

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