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Situation politique et sécuritaire en Irak : Octobre 2014

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Après la nomination du nouveau premier ministre Hayder Al Ebadi le 11 aout, la stabilisation de la situation militaire survenue au mois de septembre notamment grâce aux bombardements américains et à la mobilisation des milices chiites, la situation politique et sécuritaire de l’Irak connaît une inflexion positive même si elle reste limitée et si un long chemin reste à faire pour chasser Daech d’Irak. En effet, cette issue favorable dépend essentiellement des négociations en cours avec les sunnites qui ne font que commencer et dont les exigences légitimes pourront être difficilement acceptées par tous les partis chiites.

Situation politique

Conscient que la victoire dans la guerre contre Daech ne sera pas possible sans une union nationale et est donc de nature politique tout autant que militaire, le premier ministre irakien Hayder Al Ebadi s’est engagé dans une grande négociation avec les sunnites tant à Bagdad qu’avec ceux qui sont réfugiés en Jordanie qu’il est allé rencontrer en octobre à Aman. Il a, par ailleurs, nommé les Ministres de la Défense et de l’Intérieur, fonctions qu’Al Maliki n’avait jamais voulu pourvoir. Ces nominations démontrent sa volonté d’Union Nationale en nommant aux postes clés de Ministre de la Défense un responsable sunnite et aux finances un responsable Kurde [1].

Les nominations politiques

L’événement le plus important d’octobre est, sans aucun doute, la désignation, le 18 octobre, par le premier ministre des deux ministres de l’intérieur et de la défense, respectivement, Mohammed Al Ghadban, du bloc chiite Badr [2], et Khalid Al Oubedi [3], de la coalition sunnite Mitahidoune. Lors de la même séance parlementaire qui a officialisé cette désignation, le parlement irakien a aussi voté la désignation du vice premier ministre irakien Roz Nouri Shawis et du ministre des finances Hoshiar Zibari, tous deux de l’Alliance du Kurdistan.

Les négociations avec les Sunnites

Le premier ministre irakien Hayder Al Ebadi s’est rendu en Octobre à Aman où il a rencontré six grands chefs tribaux du gouvernorat d’Al Anbar. M. Al Ebadi a voulu ainsi élargir les négociations qu’il mène avec les chefs tribaux sunnites présents à Bagdad avec ceux exilés en Jordanie. Il cherche à faire participer les deux groupes au combat contre Daech. Tandis que le groupe de Bagdad affirme qu’il recevrait dans les prochains jours des armes d’une quantité illimitée du gouvernement irakien pour les distribuer à ses volontaires, des proches du groupe d’Amman indiquent, pour leur part, que ce groupe est sur le point de passer un accord avec le gouvernement irakien pour que ses 30 000 combattants sunnites soient mobilisés dans le combat contre Daech.

Par ailleurs, face aux menaces auxquelles les communautés sunnites d’Irak font face à la fois de la part de Daech mais aussi des milices chiites [4], plusieurs chefs religieux et tribaux sunnites et en particulier le grand chef religieux sunnite, Abdul Malik Al Saadi, résidant en Jordanie ont élaboré une initiative et l’ont remise au premier ministre irakien Hayder Al Ebadi lors de sa visite à Amman. Ces chefs religieux et tribaux ont souligné dans cette initiative, leurs doutes sur l’efficacité des frappes aériennes occidentales pour éradiquer Daech, précisant que si ces frappes ne sont pas accompagnées des solutions politiques qu’ils préconisent, elles ne permettraient pas de vaincre Daech et accentueraient encore davantage les violences communautaires en Irak. Ces revendications sont classées en 14 points et comportent notamment l’arrêt des bombardements et des pilonnages aveugles des villes sunnites, le retrait de l’armée irakiennes des régions sunnites, l’amnistie générale, l’abrogation de la loi de « débassification », la réintégration des officiers de l’ancienne armée irakienne et la dissolution des milices chiites comme sunnites.

Situation sécuritaire

La situation sécuritaire en Irak est très différente suivant les gouvernorats.

On ne signale aucun incident sécuritaire important dans 10 gouvernorats sur 18. Au Nord dans les trois gouvernorats kurdes et au Sud du Pays dans les 7 gouvernorats chiites (An Najaf, Al Diwaniyah, Wasit, Maysan, Dhi Qar, al Muthanna et Al Basrah.

Les 8 autres gouvernorats sont dans une situation sécuritaire plus ou moins grave suivant la présence et l’influence de Daech et les affrontements interconfessionnels :

  • Bagdad et les trois gouvernorats contrôlés par Daech ont connu de nombreux attentats : 50 à Bagdad (200 morts environ), 79 à Al Anbar (200 morts environ), 61 à Salahadine (120 morts environ), 51 à Nineveh (90 morts);

  • dans les 3 autres, la situation est moins critique : 36 attentats à Diyala (40 morts), 19 à Babel (70 morts), 5 à Karbala (18 morts).

Les principales opérations militaires d’octobre 2014

Les forces de sécurité irakiennes aidées par les Pechmergas et l’appui aérien de la coalition visent dans un premier temps à repousser et contenir Daech à l’Ouest du Tigre. A cet effet, elles ont mené plusieurs opérations visant à reprendre le contrôle des ponts au Nord de Bagdad et au Nord-ouest de Mosul.
Afin de parfaire ce contrôle, Tikrit devrait être leur prochain objectif. De son côté Daech, en s’emparant de la ville de Hit, s’assure le contrôle l’axe Al Qa’im (ville frontière avec la Syrie), Falluja qui borde le Sud de la zone qu’il occupe.

irak

Les forces de Daech ont pu s’emparer de plusieurs zones et localités à la suite du retrait des troupes gouvernementales. Le 2 octobre, après deux jours de combats faisant de nombreuses victimes, la ville de Hit est tombée entre les mains de Daech. Ce qui a causé un exode des populations civiles. Cette progression de Daech a été rendu possible grâce à l’aide de 3000 combattants venus en renfort de Syrie. Selon l’un des chefs de la tribu d’Albu Nimer, Daech a exécuté 50 membres de cette tribu et assiège actuellement, au nord de Ramadi, 200 autres dont des femmes et des enfants.

Les forces irakiennes ont mené trois opérations majeures.

Au nord du gouvernorat de Babel, soutenues par des milices chiites ont pu libérer le district stratégique de Jurf Al Sakhar qui se trouve à mi-chemin entre Bagdad, Karbala, Babel et Al Anbar. Mais cette victoire a été très coûteuse en vies humaines. La localité est presque vidée de ses 80 000 habitants. A la suite de quatre mois de combats et de pilonnages systématiques de l’aviation et de l’artillerie, environ 10 000 miliciens chiites pro-gouvernementaux sont entrés dans la ville où ne résidaient plus qu’environ 400 familles en majorité sunnite. On a rapporté que des actes de vengeance ont été perpétrés contre les membres de ces familles par les miliciens chiites.

Au gouvernorat de Salah Dine, selon une source de l’armée irakienne, les troupes irakiennes soutenues par des milices chiites se sont emparées, après plusieurs mois de combats violents avec les hommes de Daech, des deux quartiers de Tamim et de Naft de la ville de Béji qui se trouve à 40 km au nord de Tikrit et à 170 km au nord de Bagdad.
Pour sa part, le président Fouad Massoum a déclaré lors d’une réunion tenue avec une délégation de la mairie de Mossoul que les préparatifs de la libération de Mossoul étaient en cours.

Au nord du pays, les forces irakiennes ont progressé à l’intérieur de la localité de Zemar. Selon une source, la police locale de Zemar a repris son travail habituel. A cette opération qui a duré trois jours sous une couverture aérienne des appareils irakiens ont pris part des Pechmergas, des milices chiites et des membres des tribus locales.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Avec les Kurdes les différends portent surtout sur des questions économiques (budget, pétrole).

[2] Pro iranien.

[3] Originaire de Mosul et en charge de cette base aérienne où étaient stationnés les Mirages achetés à la France par Saddam Hussein.

[4] Utiles pour la lutte contre Daech, les milices chiites se livrent à des exactions contre les populations sunnites qu’ils sont sensés libérés. Leur contrôle par le pouvoir et ultérieurement leur désarmement une fois Daech refoulé hors d’Irak constitueront le facteur essentiel de la normalisation de la situation politique en Irak.

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