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Réussir le désengagement en Afghanistan pour que nos soldats ne soient pas morts pour rien

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Il faut d’abord affirmer que la présence de nos forces dans ce pays depuis 2001 a contribué à éviter des attentats meurtriers en France car la nouvelle forme de guerre à laquelle nous sommes confrontés ignore les frontières.

En 1976, dans « La guerre civile mondiale » [1] je décrivais ainsi la nouvelle forme de guerre à laquelle nous devrions faire face à l’avenir : « à y regarder d’un peu près, le concept d’une guerre civile mondiale cerne assez étroitement la réalité. Il transpose, à l’échelle de la planète désormais ressentie comme un monde fini, l’idée du combat fratricide que se livrent les citoyens d’un même État. Et il est bien exact que le système international actuel est le premier à avoir une vocation mondiale, sans échappatoires possibles à ses blocages et à ses conflits. Il implique une guerre sans front, qui déborde les frontières et dépasse les militaires, pour défendre des enjeux vitaux dans un processus qui peut aller jusqu’à la mort. …A force de détournements d’avions et d’actes terroristes, les Palestiniens ont essayé d’impliquer le monde entier dans leur cause, et le monde dans leur ensemble est de venu leur champ de tir. »

En allant combattre en Afghanistan, les Talibans – qui permettaient à Al Qaïda de disposer d’un sanctuaire pour entrainer et fanatiser ses combattants – nous les avons obligés à se battre sur place, nous leur avons causé des pertes importantes et nous avons réduit ainsi le risque d’attentats sur notre sol. C’est un fait incontestable : aucun attentat majeur n’a eu lieu depuis lors aux États-Unis ou en France malgré une menace toujours présente qui a réclamé, parallèlement à l’action hors de nos frontières, une vigilance constante sur notre sol de nos services spécialisés (DCRI en particulier) et de l’ensemble de la population.

J’affirme que la sécurité dont nous avons profité sur notre territoire depuis 2001 est en partie due au combat qu’ont mené nos soldats à Kaboul.

Pour que demain les éternels contempteurs de toute action militaire ne puissent prétendre « qu’ils sont morts pour rien » et pour écarter durablement le risque terroriste venant d’Afghanistan, il est impératif de réussir cette manœuvre de désengagement militaire. Elle doit comprendre une dimension politique et diplomatique qui est essentielle à son succès. L’objectif durant cette période est de continuer à réduire au maximum les extrémistes « internationalistes » d’Al Qaïda et de les dissocier des talibans afghans qui ont des objectifs majoritairement « nationaux » et qui seront, d’une manière ou d’une autre, partie prenante du devenir de l’Afghanistan.

Ainsi, réussir cette manœuvre suppose donc de trouver un accord avec toutes les parties prenantes internes et externes de ce conflit. Doivent donc être intégrés dans ce processus d’une part les pays qui ont une frontière commune avec l’Afghanistan : le Pakistan, la Chine, l’Iran et les anciens pays de l’empire soviétique que sont le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan et d’autre part les grandes puissances qui ont un intérêt à ce que ce désengagement ne permette pas aux islamistes radicaux de se renforcer, au premier chef la Russie et les grands pays occidentaux qui ont envoyé des troupes sur place.

Le Pakistan est, en effet, le premier intéressé par le devenir de l’Afghanistan. Les militaires pakistanais, qui exercent en sous-main le pouvoir effectif dans ce pays, considèrent que l’Afghanistan doit leur offrir la profondeur stratégique qui leur fait défaut face à l’Inde. Ils veulent donc à Kaboul un régime ami qui rejette toutes les ouvertures indiennes de coopération économique ou militaire.

L’Iran où vivent 2 millions de Baloutches, a accueilli sur son sol depuis l’invasion de l’URSS, 3 millions de réfugiés Afghans et compte achever le bouclage de ses frontières avec le Pakistan et l’Afghanistan au plus tard en 2015 pour stopper l’infiltration de groupes armés et le trafic de drogue [2], l’Iran a, en effet, entrepris depuis les années 90 la construction d’un mur de 1800 km le long de ces frontières.

La Chine, qui a passé récemment un accord stratégique [3] avec Islamabad, voit dans le Pakistan un pays qui lui permettra de s’affranchir du détroit d’Ormuz pour son approvisionnement pétrolier et gazier et dans l’Afghanistan une source de matières premières [4].

La Russie, confrontée encore plus que nous au terrorisme islamique, a un intérêt majeur à ce qu’un régime fort, non contrôlé par les islamistes, perdure à Kaboul. Dès janvier 2009, le représentant russe auprès de l’OTAN, Dmitri Rogozine [5], déclarait que la Russie était prête à reconstruire en Afghanistan les 142 ouvrages industriels que l’URSS avait édifiés. Elle dispose aussi dans les anciens pays de l’empire soviétique de forces et de points d’appui essentiels pour favoriser la stabilisation afghane.

En effet, la Russie reste de fait la puissance tutélaire du Tadjikistan [6], avec la présence de la 201e division de fusiliers motorisés (l’une des plus importantes sur un territoire étranger avec 5 000 hommes) et le site d’observation de l’espace « Okno » près de Nourek. Le président d’Ouzbékistan [7], Islom Karinov leur a cédé la base aérienne de Ghissar, situé à l’Ouest de la capitale Douchanbé. . D’ores et déjà, les forces spéciales russes coopèrent avec les forces de sécurité de l’Ouzbékistan pour faire face aux menaces du parti clandestin Hizb ut-Tahrir (le Parti de libération islamique) qui a étendu son influence sur les pays limitrophes de l’Ouzbékistan et de la Russie.

Pour la seconde année, en août 2010, le président Dmitri Medvedev a tenu une réunion avec les présidents du Tadjikistan, de l’Afghanistan et du Pakistan à Sotchi pour discuter de la coopération sur les questions régionales. Les entretiens ont abordé notamment la lutte contre le terrorisme, l’extrémisme et le trafic de drogue ainsi que la reconstruction de l’Afghanistan.

C’est à l’Europe qu’il revient de réunir cette vaste conférence internationale et de mettre autour d’une table toutes ces parties prenantes car les américains n’en veulent pas. Ils ne souhaitent pas, en effet, se lier les mains par des accords internationaux et ne veulent pas siéger à la même table que l’Iran et probablement que la Russie dont pourtant dépendent une partie de stabilité future de l’Etat Afghan.

Le sacrifice de nos soldats constitue une ardente obligation pour le Président de la République. Il lui commande de tout tenter pour réussir ce désengagement, au risque de déplaire à notre allié américain.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] « La guerre civile mondiale », co-écrit avec Jacqueline Grapin, Calmann-Lévy, 1976.

[2] Les autorités iraniennes ont saisi, entre mars 2010 et mars 2011, quelque 420 tonnes de drogues, représentant 80% de l’opium et 40% de l’héroïne saisis dans le monde, selon des chiffres officiels.

[3] Lire l’article : « La Chine derrière la mort de Ben Laden ».

[4] Ainsi, en avril 2009, l’entreprise d’État China Metallurgical Construction Corporation a payé 3,5 milliards de dollars – plus du double de la somme escomptée – pour acquérir la mine de cuivre d’Aynak, à 50 km au sud de Kaboul, dans la province du Logar contrôlée par les Talibans.

[5] RIA Novosti, M. Fomichev, 27 janvier 2010.

[6] Les Tadjiks représentent 25 % de la population afghane.

[7] Les Ouzbeks représentent 6 % de la population afghane.

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