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Relations Chine – Occident : de simples représailles ou un véritable durcissement diplomatique ?

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Début août, deux Canadiens qui vivaient en Chine depuis 1984 ont été arrêtés pour espionnage. Un peu plus tôt, le Conseil National des recherches du Canada était victime d’une cyber-attaque identifiée comme d’origine chinoise. Faut-il y voir de simples représailles pour une accusation qui a déplu à Pekin ou un véritable durcissement des relations entre la Chine et l’Occident ?

Il y a rien de neuf sous le soleil levant. L’espionnage industriel comme politique et militaire a été pratiqué de tous temps par les États. Les États-Unis, comme l’a révélé Wikileaks avec la NSA, et les moyens colossaux dont cette agence dispose, en sont et de loin les champions, espionnant même leurs plus fidèles soutiens comme Angela Merkel. En rétorsion, le 10 juillet dernier, l’Allemagne a expulsé le chef local de la CIA du territoire allemand.

La Chine de son côté a aussi institutionnalisé l’espionnage industriel dans le cadre d’un plan quindécennal (2005-2020) qui se fixe pour objectif : « d’obtenir une indépendance technologique complète de son outil industriel d’ici 15 ans par “l’importation, l’absorption, l’assimilation et la ré-innovation du savoir-faire étranger ».

Pour ce faire la Chine utilise des moyens légaux et illégaux. L’acquisition du savoir-faire étranger se fait d’abord par le biais des appels d’offres internationaux. Les entreprises qui soumissionnent doivent le faire avec un partenaire local… Depuis 2009, les autorités chinoises ont conditionné l’entrée sur le marché chinois par une obligation de transfert technologique (ou des codes sources pour les logiciels) pour les entreprises étrangères. Ainsi le partenaire chinois du groupe Volkswagen en Chine est soupçonné de s’être livré à un transfert de technologie illégal au détriment du constructeur automobile allemand, écrit le quotidien allemand Handelsblatt dans son édition du vendredi 27 juillet. Parmi les moyens en marge de l’illégalité, la Chine utilise son très vaste réseau d’étudiants chinois à l’étranger pour tenter de récupérer des données. Les étudiants chinois ne choisissent pas eux-mêmes le lieu et la nature de leurs stages. Chaque thématique répond en fait aux directives et aux objectifs définis par les autorités en fonctions des priorités de l’industrie chinoise et chaque étudiant est suivi de très près par les ambassades de tutelle dans les pays de résidence. Ainsi, les cyber attaques et la cyber sécurité qui en découle ne sont que le prolongement de l’espionnage classique lié au développement du patrimoine immatériel et des réseaux.

Dans l’affaire d’Ukraine, la Chine a d’avantage pris le parti de la Russie que celui de l’Occident. Dans quelle mesure assiste-t-on à la création d’un axe de pensée sino-russe, en opposition avec l’Occident ?

Je récuse totalement ce terme d’Occident qui induit que les intérêts de l’Europe et des Etats-Unis sont les mêmes, ce qui n’est pas le cas dans la crise ukrainienne (voir un précèdent interview pour Atlantico, 21/07/2014). Les Etats-Unis exercent sans partage la suprématie mondiale et veulent la conserver par tous les moyens, militaire, économique et financier. Les dirigeants européens n’ont plus aucune conscience des intérêts stratégiques de l’Europe. Depuis le plan Marshall et à l’exception du Général de Gaulle ils ont été totalement vassalisés aux intérêts américains par une « soft corruption ». En effet, leur carrière est très souvent financée par les think tanks, instituts stratégiques ou fondations américains. Le salaire des militaires en poste à l’OTAN est très supérieur à celui qu’ils perçoivent dans leur armée nationale. Des analystes stratégiques comme François Hesbourg, qui se répand dans les médias pour soutenir une position dure contre la Russie dans la crise ukrainienne, leur doivent leur carrière et leur niveau de vie.

En revanche, la Chine qui conteste cette suprématie américaine et qui a besoin de l’énergie et des matières premières russes a tout intérêt à soutenir Moscou, d’autant plus que Pékin a aussi des revendications territoriales en mer de Chine. En revanche, il n’y a pas d’axe Moscou-Pékin mais des intérêts communs à un moment et sur un dossier donnés comme celui de la contestation de la suprématie américaine car la Russie a une méfiance viscérale de la Chine avec laquelle elle possède 4195 km de frontières. Du côté russe de la frontière, un immense territoire riche et pratiquement vide avec ses 17 millions d’habitants dont 80% sont concentrés dans des grandes villes comme Krasnoïarsk ou Irkoutsk. Au sud 80 fois plus de chinois ! Je suis devenu un ami du Général parachutiste Alexandre Lebed quand il était gouverneur du Kraï de Krasnoïarsk (1998-2002) et j’ai pu mesurer avec quelle application il faisait la chasse aux clandestins chinois.

La Chine a-t-elle véritablement les capacités de durcir ses relations à notre égard ? Quelles en seraient les conséquences, tant pour elle que pour l’Occident ?

La Chine n’a aucune envie de durcir actuellement ses relations ni avec les Etats-Unis ni avec l’Europe. En effet, ses dirigeants estiment qu’ils n’en ont pas encore les capacités ni sur le plan militaire ni sur le plan technologique. Par exemple, les chinois n’ont pas encore de porte-avion en service. Le premier ne sera opérationnel que dans 5 ans estiment les experts militaires [1]. En revanche cette question aura un sens dans dix ans!

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Si jamais la Chine se décide à assumer un axe en opposition à celui de l’Occident, de quelles alternatives disposons-nous, concrètement ?

La Chine s’opposera un jour avec les États-Unis [2]. Les historiens observent que les guerres recommencent souvent là où elles se sont terminées. Les prémices de cette confrontation sont déjà visibles. Après leur retrait total d’Irak et progressif d’Afghanistan, les États-Unis ont redéployé les deux tiers de leur flotte dans le Pacifique pour soutenir leurs alliés confrontés aux revendications territoriales chinoises. En mer de Chine, par où transitent les deux tiers du trafic maritime international, Pékin mène depuis 30 ans une politique de tension permanente pour affirmer sa souveraineté sur des archipels et ilots qui sont éparpillés sur plus d’un million et demi de km2 [3]. Ainsi la Chine s’oppose au Japon et à Taïwan pour le contrôle des ilots Senkaku/Diaoyu [4]; au Vietnam, aux Philippines et à la Malaisie pour les iles Spratleys, Paracels, Pratas, le récif de Scaborough et le banc de Macclesfield qui recèlent d’importantes ressources énergétiques naturelles et halieutiques.

Là encore c’est la suprématie maritime des États-Unis, avec ses 10 porte-avions nucléaires et son budget militaire de 640 milliards de dollars [5], qui lui permet de dominer le Rimland [6]. Pour les stratèges américains, le maintien d’une Europe vassalisée à l’Ouest est essentiel. Il leur permet de concentrer leurs forces pour contrer la montée en puissance de la Chine et maintenir ainsi leur suprématie mondiale qui s’exprime sur tous les plans militaire, technologique et financier (le rôle de réserve du dollar qui leur permet de s’endetter sans risque, de la bourse de New-York et des agences de notation).

Si la France et l’Europe ont encore la volonté de maitriser notre destin sécuritaire, politique et économique, nous devons nous extraire du joug américain et développer une alliance stratégique avec la Russie. Sur le plan sécuritaire, l’Europe et la Russie ont chacune sur leur sol 25 millions de musulmans dont la démographie est galopante. Déjà, à nos portes et sur nos sol, nous devons faire face au terrorisme islamique de plus en plus pressant et qui constitue la seule vraie menace contre la démocratie et style de vie auxquels nous sommes attachés. Sur le plan économique nous avons besoin des ressources énergétiques et des matières premières russes et ils sont demandeurs de nos ressources humaines et de nos technologies. Sur le plan culturel nos racines religieuses communes sont chrétiennes et nous partageons les mêmes passions pour les livres, la musique et les arts.

Ce serait un crime contre l’avenir de nos enfants de rejeter l’alliance russe et de repousser ce peuple intelligent et courageux dans les bras de la Chine.

[1] Le Point. Le nom de ce navire est d’ailleurs explicite : l’amiral Shi Lang (1621-1696) était le commandant de la flotte mandchoue qui a conquis l’île de Taïwan en 1681.

[2] Consulter mon livre « Russie, Alliance vitale », Choiseul 2011, pages 23 à 42.

[3] Dès 1988 un combat entre les marines chinoises et vietnamiennes cause la perte de trois navires de guerres vietnamiens et 70 victimes.

[4] Situés à 300km au Sud Ouest d’Okinawa et au Sud –Est des côtes chinoises et à 100km au Nord Est de Taïwan.

[5] Le budget de Défense américain représentait en 2013 640 milliards de dollars autant que le Budget réuni des 9 pays suivants : Chine 188, Russie 88, Arabie Saoudite 67, France 61, Grande-Bretagne 58, Allemagne 49, Japon 49, Inde 48, Corée du Sud 33. Source : SIPRI.

[6] L’américain Nicolas Spykman (1893-1943) refuse de considérer l’Eurasie (l’Heartland de Mackinder) comme « la position stratégique invulnérable et vouée à la victoire sur le maître des mers ». Il défend l’idée que l’expansion de l’URSS peut être stoppée par le contrôle des frontières maritimes de l’Heartland (en clair l’Europe de l’Ouest d’un côté le Japon et les pays Iles ou presqu’iles comme les Philippines, Indonésie, la Birmanie, le Vietnam, la Thaïlande.

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