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Poutine et la tentation de Marioupol

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Les fusils se sont progressivement tus à la suite de la signature de l’accord Minsk 2, cependant la ville de Marioupol, à 25 kilomètres de la frontière russe, continue d’inquiéter. Selon certaines sources, une partie des proches de Poutine chercheraient à faire tomber ce port dans l’escarcelle russe, et forcer les occidentaux à un « Minsk 3 ».

Des informations venant de Moscou ont attiré mon attention sur le fait qu’il existe à Moscou, comme à Kiev, au sein des premiers cercles du pouvoir, un parti de la guerre très actif. A Moscou, ce parti estime qu’il ne faut pas respecter Minsk2 et s’emparer de Marioupol. Ces fauteurs de guerre font le calcul que les européens n’auront pas d’autre solution que de retourner à la table de négociation et de signer un Minsk3. Par ailleurs, plusieurs informations non vérifiées font état de mouvements de troupes dans la région de Marioupol.

Cette analyse va s’efforcer de montrer qu’en stratégie il faut toujours raison garder.

Et comme le maréchal britannique Montgomery, lors de la Seconde Guerre mondiale, ne pas avoir la tentation d’aller « un pont trop loin, celui d’Arnhem ». Ce plan, que des chefs audacieux comme Patton estimaient trop risqué, échoua tragiquement causant la perte de 12 000 parachutistes car Montgomery avait sous-estimé la capacité de réaction de l’adversaire.

Pourquoi la tentation de Marioupol ?

Marioupol est située à 25 km de la frontière Russe et constitue le dernier vrai obstacle à une liaison terrestre entre la Russie et la Crimée. C’est de plus le quatrième port d’Ukraine, avec un trafic d’environ 15 millions de tonnes. Cette ville portuaire est aussi une ville dédiée à l’industrie lourde où existent deux grandes usines sidérurgiques, Azovstal et Ilyich Steel & Iron Works et une grande usine de constructions mécaniques, Azovmach.

Pourquoi une tentative de prise de Marioupol risque d’être une défaite stratégique pour la Russie ?

Le risque d’échec tactique

A la différence de la zone actuellement aux mains des séparatistes pro-Russes, les russophones sont très minoritaires (<20%) à Marioupol. L’armée ukrainienne qui tient Marioupol bénéficie du soutien de la population. De plus, c’est une ville de 450 000 habitants qui s’étend sur environ 300 km2. La prise d’une telle agglomération ne pourrait pas être réalisée en quelques jours, pour peu que les défenseurs disposent d’armes antichars performantes et qu’ils aient envie de se battre. Il est donc très probable qu’une telle tentative conduirait à une bataille meurtrière de part et d’autre avec des pertes civiles très importantes qui ne manqueront pas de mobiliser l’opinion internationale.

Le risque stratégique

Les accords de Minsk2, et cela n’a pas été assez souligné, ont été signés sans l’implication des États-Unis et ont donné provisoirement tort à ceux qui pensent, comme le diffuse la propagande américaine, que Poutine, nouveau Tsar veut rétablir l’empire Russe et annexer l’Ukraine.

Cette thèse, d’origine américaine, était jusqu’ici contrebalancée par tous ceux, qui, comme moi, estiment que l’Occident est à l’origine de la crise actuelle [1]. Car l’Europe, et c’est peu dire, a fermé les yeux devant le coup d’État de la place de Maïdan, encouragé par les États-Unis. En février 2014, après un massacre, attribué sans preuve aux forces de l’ordre, Viktor Ianoukovytch, dirigeant du parti des régions, pourtant élu en 2010 par une majorité d’Ukrainiens [2] a été contraint d’abandonner le pouvoir. Cette thèse considère que c’est ce coup d’État qui est à l’origine et responsable de la réaction russe et de la crise actuelle. Hollande et Merkel, en prenant le risque de signer les accords de Minsk2, se sont éloignés de la thèse américaine et ont adopté, de fait, celle qui défend que les seuls objectifs de Poutine sont d’éviter que l’OTAN s’installe à Kiev et que la minorité Russophone dispose d’une certaine autonomie dans le cadre de l’État ukrainien.

A contrario, si Poutine laisse faire ou encourage la prise de Marioupol où les russophones sont minoritaires, il entre dans une logique de reconstitution de l’empire soviétique.

Dans cette hypothèse, personne ne pourra plus s’opposer en Europe à ce que Kiev adhère à l’OTAN, que des sanctions nouvelles soient prises contre la Russie où déjà la situation économique est très mauvaise [3]. Une logique de guerre froide se réinstallerait entre l’Europe et la Russie, ce qui serait conforme aux intérêts stratégiques américains.

Cette hypothèse est, à mes yeux, peu probable, malgré les pressions du parti pro-guerre auxquelles est soumis actuellement le maître du Kremlin.

Néanmoins, le rôle du stratège est de se couvrir face à l’hypothèse la plus défavorable. Il est donc essentiel qu’Angela Merkel et François Hollande signifient d’une façon claire et forte à Vladimir Poutine, à l’opinion russe et au parti de la guerre en Russie, que toute tentative de prise de Marioupol ne serait pas tolérée par l’Europe et que, désormais, plus rien ne s’opposerait à ce que l’Ukraine soit intégrée dans l’OTAN si son gouvernement en faisait la demande.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL, auteur de « Carnet de guerres et de crises 2011-2013 », Lavauzelle, Mai 2014 et de « Russie, alliance vitale », Choiseul, 2011.

[1] Lire sur mon blog www.geopolitique-geostrategie.fr « Ukraine : la faute ! », texte de Monsieur Francis Vallat, armateur, membre de l’académie de marine, Président d’honneur de l’institut de la mer, ancien Président de l’agence européenne de sécurité maritime.

[2] Les Ukrainiens avaient rejeté alors Ioulia Tymochenko et des espoirs perdus de la Révolution orange de 2004. En 2012 de nouvelles élections législatives donnent un avantage très clair au « parti des régions ». L’union pan-ukrainienne héritier du bloc Ioulia Tymochenko est le grand perdant et perd 44 députés par rapport à 2007. Selon l’OSCE, le vote s’est déroulé normalement dans 96 % des bureaux de vote.

[3] Ainsi les recettes de publicité des chaines TV russes ont diminué de plus de moitié entre 2014 et 2015.

Autres sources : ATLANTICO

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