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Poutine a été réélu et c’est un bien pour la Russie et pour les Russes

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La plupart des journalistes et de nos intellectuels en chaise longue passent leur temps à dénigrer Poutine parce qu’il porte en lui un péché originel et est marqué, pour eux, d’une trace indélébile : il a fait partie du KGB. Ils oublient tout simplement qu’à l’époque soviétique c’était l’élite intellectuelle de la nation, qui était choisie et dirigée d’office vers ce service de sécurité. Par leur attitude de dénigrement systématique, la plupart des commentateurs français se comportent comme des commissaires politiques défendant une position idéologique qui déforme la réalité et ne prend pas en compte la dimension historique.

Certes, en Russie, le bourrage d’urnes existe encore, les experts estiment qu’il intervient encore aujourd’hui pour environ 10% des votes mais il était systématique dans les années 90. La volonté de faire disparaître ce fléau existe, l’installation des webcams en témoigne. Évidemment, il y a encore un niveau de corruption intolérable en Russie. Mais rappelons-nous elle existait massivement aux États-Unis, avant la seconde guerre mondiale, le film « Les incorruptibles » nous le rappelle. Elle sévit toujours marginalement en France et aux États-Unis; les Chinois n’ont pas choisi Chicago au hasard comme plage de débarquement pour investir aux États-Unis [1]. Mais la possibilité de manifester sans répression sanglante est désormais une réalité en Russie. Certes, la censure s’exerce encore dans les médias audiovisuels mais une presse écrite indépendante du pouvoir se développe. Les réseaux sociaux s’étendent rapidement, même s’ils sont surveillés. Oui, le chemin vers une démocratie exemplaire est encore long mais les progrès sont indéniables.

La prise en compte de la dimension historique et un peu de retour sur notre propre histoire devraient pourtant conduire nos éternels donneurs de leçon à plus de modestie.

Il a fallu à la démocratie française plus de deux siècles pour être ce qu’elle est aujourd’hui, la démocratie russe a tout juste 20 ans.

Le parcours que nous avons traversé en deux siècles sur le chemin démocratique a été pour le moins chaotique : trois révolutions, deux empereurs, un général arrivé au pouvoir il y a peine 60 ans, grâce à un putsch de parachutistes. La liberté de la presse, elle n’existe réellement en France que depuis 30 ans. La censure à la télévision sévissait encore dans les années 70. En 1980 les véhicules « gonios » de la police tournaient dans Paris pour repérer et arrêter les premiers journalistes FM. Ne parlons pas du bourrage des urnes qui n’a pas totalement été éradiqué en France : Tiberi dans le 5ème arrondissement de Paris, Martine Aubry élue face à Ségolène Royal à la tête du PS grâce aux tripatouillages de la Fédération des Bouches du Rhône.

La popularité de Poutine reste incontestable. Pour la grande majorité des Russes, Poutine a mis fin aux deux maux qui leur rendaient la vie impossible dans les années 90 et que tous ceux qui ont vécu ces années-là, au milieu d’eux, gardent en mémoire : l’insécurité et le défaut de paiement par l’État des salaires et des retraites. J’ai connu à cette époque des Russes qui allaient tous les jours au travail bien qu’ils n’aient pas été payés depuis six mois. J’ai parlé à des officiers retraités, vétérans de la seconde guerre mondiale, qui n’avaient plus rien pour vivre et qui vendaient leur argenterie ou leurs meubles sur l’Arbat [2], pour nourrir leurs enfants.

Comment Poutine a-t-il réussi le tour de force de rétablir l’ordre et les finances de l’État en moins de 10 ans ?

Il a mis en place un taux d’imposition très bas, proche de 10%, pour tous les citoyens et pour toutes les entreprises et il a fait des exemples pour ceux qui refusaient de s’y soumettre. Il a aussi nationalisé, de fait, le secteur énergétique alors que des prédateurs comme Abramovitch, le trésorier d’Eltsine, ou Khodorkovski, encensé par nos médias, se l’était approprié tout en devenant les rois de l’évasion fiscale et de la fuite des capitaux à l’étranger. Grâce à ces mesures, l’État russe, aidé par le renchérissement des prix du gaz et du pétrole, a pu ainsi payer les arriérés, augmenter les fonctionnaires et revaloriser les retraites.

Mais en réussissant cela, il a fait davantage : il a rendu sa dignité au peuple russe. J’ai vu en 1991, un de mes collaborateurs russe du groupe Bull, avec qui je voyageais dans ce pays, pleurer de honte parce qu’il constatait que les plus belles femmes de Moscou étaient prêtes à vendre leur corps pour un seul dollar [3].

Le graphique ci-dessous, publié par la Banque mondiale, montre le chemin parcouru en matière de pouvoir d’achat depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir : une multiplication par 4 en 10 ans, certes avec de grandes inégalités, mais tout le monde en a quand même profité. Il suffit d’en parler au Groupe Auchan que j’ai aidé, en 2002, à ouvrir son premier hypermarché à Moscou [4].

Bien sûr, aujourd’hui, ceux qui ont acquis en 10 ans, grâce à Poutine, un pouvoir d’achat de classe moyenne veulent plus de liberté et la fin des rackets de toutes sortes et c’est normal.

Mais quand, comme moi on a séjourné fréquemment en Russie depuis février 1990, on mesure le chemin parcouru. Le meilleur service que l’on peut rendre au peuple russe et à la Russie ce n’est pas de passer son temps à publier des critiques agressives. C’est de rester exigeant, mais depondérer son jugement en introduisant la dimension historique, c’est-à-dire en se rappelant d’où vient ce pays et le chemin parcouru en moins de 20 ans sur le long trajet qui mène à une démocratie accomplie.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Lire à ce sujet l’excellent livre de Jean-Michel Quatrepoint, « Mourir pour le Yuan », François Bourin Editeur, pages 123 à 130.

[2] La rue piétonnière la plus célèbre de Moscou.

[3] Consulter à ce sujet mon livre « Russie, Alliance vitale », Éditions Choiseul, 2011, pages 119 et 120.

[4] 10 ans plus tard AUCHAN Russie c’est 48 hypermarchés et 68 supermarchés Atak.

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