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Mali : que peut-on montrer de la guerre ?

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De la pénurie d’images du Mali à la mise en garde d’Envoyé spécial par le CSA : que peut-on montrer de la guerre ?

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

Le patron de l’information de France Télévisions, Thierry Thuillier, a protesté contre la mise en garde du CSA à la suite de la diffusion, le 7 février, du magazine Envoyé spécial consacré aux exactions commises au Mali et s’est demandé « qui décide de ce qu’on peut montrer d’une guerre ».

Atlantico : Au Mali, certains journalistes se plaignent de voir leur accès restreint à certains endroits, comme sur les bases aériennes. Selon Laurent Gervereau interrogé par Le Monde, « cette mise à distance des médias existe depuis la guerre du Golfe pour des raisons de propagande ». A quoi peut servir de montrer les images du front ? Existe-t-il une réelle nécessité de les diffuser ?

Jean-Marie Charon : Prétendre que le contrôle de l’information et tout particulièrement des images par les armées serait un phénomène récent est faire preuve d’une sérieuse cécité historique. Depuis que la presse existe les militaires redoutent la transparence, et tout particulièrement les français qui ont en mémoire la défaite de Sedan durant la guerre de 70, où l’armée prussienne aurait été aidée par les informations fournies par la presse française. Cette même armée française sera la dernière à accepter la présence de journalistes dans les tranchées lors de la 1ère guerre mondiale en 1917 !

Plus récemment, l’armée américaine reste convaincue d’avoir perdu la guerre du Vietnam à cause des médias, singulièrement de la télévision. Elle refusera la présence de tout journaliste lors de l’intervention à la Grenade, tout comme les britanniques cantonneront les journalistes sur un bateau à distance lors de la guerre des Malouines. En fait, la guerre du Golfe, puis celle d’Irak marqueront un infléchissement visant à accepter la présence des journalistes, mais « embedded », embarqués. Sinon, il faut se souvenir du tir sur l’hôtel Palestine, à Bagdad, où se trouvait précisément les journalistes de médias ayant refusé ce mode de traitement des combats.

Pourquoi cette frilosité des armées, y compris dans les pays démocratiques, à l’égard d’une transparence dans le traitement des combats ? Les arguments restent toujours les mêmes. Au premier rang de ceux-ci figure l’obligation de protéger ses propres troupes en ne révélant rien qui puisse aider l’adversaire.

En second lieu, il s’agit également de maintenir le moral de l’opinion dans le pays, y compris parmi les proches, les familles des combattants, qui seraient traumatisés par les images de soldats tués, mutilés, etc. En troisième lieu il y aussi la ressource de pouvoir y compris intoxiquer l’adversaire, comme en 1991 où des images d’entrainement au débarquement étaient sensées tromper Saddam Hussein alors que l’offensive effective allait être terrestre et aucunement maritime. Il ne faut pas non plus sous-estimer la bonne vieille propagande visant à motiver l’opinion, doper le moral de l’arrière disait-on jadis.

Alain Marsaud : La guerre est une réalité colportée par l’ensemble des médias radio, télé et autres. Nos compatriotes ont connaissance de l’engagement de nos forces armées en tel ou tel points des territoires. On peut imaginer à revenir à la situation de la 1ère guerre mondiale où les Etats-majors mentaient y compris au Gouvernement, l’autorité militaire s’appropriant le droit de transformer la vérité à l’égard des citoyens permettant ainsi toute manipulation. On assistait donc, en temps de guerre, à un transfert de pouvoir de l’autorité politique au profit de l’autorité militaire. La question qui se pose donc : « doit-on tout dire pour échapper au mensonge » ?

A un moment où les jeux vidéo sont d’une extrême cruauté donnant à nos enfants la capacité d’être eux-mêmes acteurs des pires excès, certains prétendent vouloir nous priver du droit à l’image. Notre société devrait être responsable de tout le déroulement des événements du monde en matière économique, sociale, politique mais devrait s’imposer un bandeau lorsqu’il s’agit d’acte de guerre.

Cela est peut-être et même vraisemblablement un recul de la démocratie. Par le vote et le suffrage universel, le peuple s’engage sur les moyens de fonctionnement des institutions militaires d’une part, mais aussi de leur engagement. Allons jusqu’au bout, il doit savoir que les budgets, et notamment de la défense, entraînent violence, horreur, meurtre planifié… C’est vrai que cela est difficile après, de vendre des images balnéaires du « club méditerranée » dans ces régions.

Jean-Bernard Pinatel : Oui, montrer les images de la guerre est une nécessité absolue car en démocratie, il n’est de légitimité que reconnue par l’opinion publique. Lorsque je dirigeais de 1985 à 1989 le SIRPA et aujourd’hui DICOD, j’ai toujours défendu que nous ne pourrions gagner « la guerre sur le terrain » que si nous gagnions aussi la « guerre des images ». Car, dans la guerre asymétrique à laquelle nous sommes confrontés, nos adversaires sont des spécialistes de la manipulation de l’opinion. Cette politique a été soutenue par 4 ministres successifs Charles Hernu, Paul Quilès, André Giraud et Jean-Pierre Chevènement parfois même contre la hiérarchie militaire.

Qui doit en décider ? Sur quel(s) élément(s) doivent se baser le choix de montrer des images, ou non ?

Jean-Marie Charon : Journalistes, militaires et pouvoirs politiques ne sauraient avoir la même approche de la question de ce qui peut être montré et il y aura toujours débat et tension sur le sujet. Le principe en démocratie serait que cette décision revienne en dernier ressort aux hiérarchies rédactionnelles, à qui il revient de peser ce qui est supportable du point de vue de l’éthique, de la sensibilité du public et de ce qui doit malgré tout être dit ou montré pour ne pas laisser s’imposer une représentation faussée de la réalité, y compris avec des considérations propagandistes de la part des autorités.

Alain Marsaud : A l’exemple de ce que l’on a vu en Algérie, à la suite de la prise d’otages où les images montrées en boucle par nos médias consistées à regarder des alignements de chars d’assauts couverts de bâches. J’aurais préféré que CNN soit sur les lieux, quitte à interviewer quelques djihadistes en mal d’exhibitions. Il appartient aux médias de se débrouiller pour être en pointe sans solliciter les autorisations, mais cela a donné parfois l’occasion à ceux-ci de transformer la vérité dans le but d’orienter l’opinion publique. Je préfère les images de CNN ou de BBC NEWS à celles des autorités Moyen-orientales ou Maghrébines.

Jean-Bernard Pinatel : Il faut permettre à des journalistes d’accompagner nos forces à la seule condition qu’ils ne mettent pas en danger nos soldats par leurs reportages et donc qu’ils respectent certains embargos. Par exemple pour l’Armée de l’Air, ils ne doivent pas rendre compte du décollage de nos avions pour une mission de bombardement jusqu’à ce que ces derniers soient rentrés sain et sauf à leur base. Il ne faut pas non plus montrer l’ensemble de notre dispositif à un endroit précis ou ne pas faire des zooms sur les antennes de nos moyens de détection électroniques, etc.

C’est pour cela qu’il faut des journalistes accrédités Défense, c’est-à-dire des journalistes spécialisés ayant acquis une formation de base sur les questions militaires, pour qu’ils soient en mesure de réaliser eux-mêmes cette autolimitation nécessaire à la sécurité de nos forces. C’est la seule contrainte que doivent accepter les rédacteurs-en-chef : avoir dans leur rédaction suffisamment de journalistes accrédités s’ils veulent être autorisés à couvrir les opérations militaires. »

Le nouveau visage de la guerre, qui s’exerce à travers des prises d’otages, les opérations par les services de renseignement,… oblige-t-il à restreindre la diffusion de certaines informations, comme on aurait pu le faire pour l’otage Denis Allex, dont le corps exhibé à la télévision s’est révélé ne pas être le sien ?

Jean-Marie Charon : Le terrorisme s’est toujours nourri de son accès aux médias. Il n’a pas d’efficacité militaire dans l’absolu, ses capacités offensives étant toujours limitées sur le plan militaire. L’impact des actes terroristes est totalement proportionnel à la capacité à impressionner l’opinion. D’où la tentation des autorités à contrôler, voire empêcher de montrer. Ce qui devient un leurre face à la circulation des images sur les réseaux.

Alain Marsaud : La mort en direct, cela existe et doit peut-être être montré pour responsabiliser ceux qui le décident. Il n’est pas nécessaire pour autant de montrer les visages et de faire partager la souffrance.

Jean-Bernard Pinatel : La prise d’otage n’a rien avoir avec la guerre. En guerre on fait des prisonniers et c’est régit par la convention de Genève.

Le règne de l’Internet dans le monde des médias change-t-il la donne ? Pousse-t-il les pouvoirs publics à davantage de vigilance ?

Jean-Marie Charon : Internet modifie complètement la donne en matière d’information de guerre ou de situation de crise aigües, comme l’ont montré les révolutions arabes ou encore la guerre civile syrienne. Il est vain désormais de prétendre cacher les morts, les destructions, les actions de violence, puisque celles-ci circulent sur les réseaux sociaux, soit parce que l’un des protagonistes au conflit le souhaite, soit parce qu’un simple témoin entend faire savoir l’horreur d’une situation. C’est toute la relation des armées face aux médias qui se repense au travers de cet état de fait inusité.

Alain Marsaud : La photographie par Smartphone permet à chacun de se transformer en titulaire du prix Pulitzer. Il n’existe plus de sanctuaire à l’abri d’une transmission, il faut s’y faire, quoi qu’il en soit on n’y peut rien même si tel ou tel pouvoir peut en rêver. Même chez la Syrie d’Assad, les photos sont volées et transmises, peut-être seront-elles un jour en provenance des salles de tortures.

Jean-Bernard Pinatel : Oui car toute information ou message est capté immédiatement et mondialement y compris par l’adversaire. Les militaires ont l’habitude de tourner 7 fois leur langue dans la bouche avant de parler. C’est aux hommes politiques de faire preuve de vigilance et de ne pas faire des déclarations contraires aux buts politiques, stratégiques ou militaires qu’ils poursuivent. Ainsi lorsque le 9 octobre 2012 à l’ONU, François Hollande déclare que le soutien de la France au Mali sera « logistique », « politique » et « matériel », il envoie le message implicite aux rebelles et aux djihadistes: vous pouvez attaquer le Sud Mali, vous ne risquez pas une intervention militaire de la France.

Entre la méthode algérienne qui consiste à ne laisser filtrer aucune information, et la transparence totale, où faut-il placer le curseur ?

Jean-Marie Charon : Il n’y a pas dans l’absolu de principe simple quant à la transparence ou au filtrage des images. Une chose est certaine la « méthode algérienne », et de beaucoup d’autres pays de par le monde, ne saurait convenir à la démocratie.

Alain Marsaud : C’est un problème de souveraineté, certains pays ont choisis l’opacité la plus totale d’autres l’ouverture à l’extrême. En général, les premières appartiennent à la catégorie des dictatures, les secondes sont parfois des démocraties imprudentes, cela relève du choix des gouvernements d’une part mais aussi de la capacité des voleurs d’images d’autre part. Voilà où est le curseur.

Source : Atlantico

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