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L’intervention française en Syrie

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Exemple de l’utilisation systématique de nos forces armées à des fins politiques

La décision de François Hollande de déclencher des frappes contre les camps d’entrainement de djihadistes en Syrie est une démonstration de l’utilisation politique de nos forces armées sans légalité internationale, sans stratégie et sans but militaire. Elle contribue à affaiblir la capacité opérationnelle de nos forces et au final la sécurité de nos concitoyens.

DROIT INTERNATIONAL

Cette intervention se place totalement en dehors du droit international. A la différence de l’intervention Russe elle n’a pas été sollicitée par le gouvernement Syrien. François Hollande qui conteste la légitimité du Président Assad aurait dû demander le vote d’une résolution du Conseil de Sécurité d’autant plus que la France, membre permanent du Conseil de Sécurité devrait être soucieux de la légalité internationale. Cela faisait des mois que cette option stratégique était sur la table et François Hollande aurait dû anticiper et donner un cadre légal à cette intervention.

EFFICACITÉ MILITAIRE OU COMMUNICATION POLITIQUE ?

Il semble donc évident que plusieurs enjeux de politique extérieure et intérieure ont motivé cette décision contestable au regard du droit international.

Enjeu international

La position extrémiste de François Hollande concernant la Syrie et Bachar el Assad a entrainé son isolement sur la scène internationale. Après plus d’un an de frappes en Irak qui ont causé des dégâts collatéraux aux populations et aux infrastructures mais ont peu affaibli Daesh, les américains ont compris que sans troupes au sol, il n’y aurait pas de victoire contre Daesh. Or en Syrie les seules forces à se battre au sol contre Daesh sont les forces syriennes aidées de l’Iran. François Hollande a été incapable de percevoir que si Damas devenait capitale islamique aux mains de l’Armée de la conquête (Al Nosra et consorts) ou de l’Etat Islamique, ou des deux, « l’islamisme aurait prouvé sa force. Et alors, que rien ne pourrait arrêter la vague d’enthousiasme populaire mondiale qui s’ensuivra et aucune armée ne sera lancée à l’assaut de cette ville de deux millions d’habitants. Le monde basculera comme il a basculé symboliquement à la chute du Mur de Berlin » [1].

La décision de frapper les camps de djihadistes français qui s’entrainent en Syrie doit être perçue comme une tentative désespérée de François Hollande de se réintroduire à la table de négociation sans pour autant avouer qu’il s’est trompé depuis le début sur le dossier syrien.

C’est pourquoi cette décision a donné lieu a une communication gouvernementale inhabituelle [2] car elle a été entièrement pilotée dans ses moindres détails depuis l’Elysée: les frappes ont été annoncées deux semaines à l’avance par le chef de l’Etat lui-même. Le 27 septembre à 7h56, un communiqué de la présidence a annoncé les premières frappes [3], au moment même où François Hollande arrivait à New-York pour participer à l’Assemblée générale des Nations unies, au cours de laquelle les principaux dirigeants de la planète - dont Vladimir Poutine et Barack Obama - allaient aborder la question syrienne.

Enjeu intérieur

L’émotion suscitée par le flot des migrants et les informations de nos services sur les risques d’infiltration qui y sont liés ainsi que sur la préparation d’un grand attentat commis par des équipes de djihadistes étrangers est la seconde motivation de cette décision. Le choix de l’objectif - les camps d’entrainement des djihadistes européens - permettra à François Hollande de déclarer, avec sa compassion habituelle aux français victimes du terrorisme : « moi Président j’ai essayé d’anticiper cette menace ».

Le Général Jean-Claude Allard, chercheur à l’IRIS ne pense pas autrement lorsqu’il écrit: « L’intention manifeste était de montrer aux Français que l’État s’activait pour leur sécurité, sans se demander d’ailleurs qui allait croire que deux sorties de Rafale pouvaient garantir définitivement leur sécurité. Il y a donc ici une action militaire destinée à porter un discours de politique interne, alors qu’il devrait y avoir un discours solide et cohérent de politique étrangère soutenu par une action militaire. Une inversion des rôles qui tourne finalement à la confusion » [4].

LES RISQUES LIES A CETTE UTILISATION POLITIQUE DE NOS FORCES ARMÉES

La France, du fait de la politique de Défense menée depuis plus d’une décennie, n’a plus les moyens militaires adaptés à la politique étrangère de François Hollande fondée sur la défense de nos intérêts en Afrique et sur le suivisme des États-Unis en Europe et au Moyen-Orient.

La multiplication des missions sous le quinquennat de François Hollande dont le but unique est de palier en France une politique de sécurité intérieure déficiente et d’appuyer en Europe et au Moyen-Orient une politique étrangère de suivisme des États-Unis conduit à la baisse du moral de nos soldats, à la diminution de l’entrainement de nos forces et à la chute du potentiel de nos Forces Armées. Par voie de conséquence cette politique fragilise la sécurité des Français.

Ainsi pas un seul expert ne pense que l’opération « sentinelle » qui mobilise 7000 hommes à faire du gardiennage apporte une réelle contribution à la sécurité objective (objectif militaire) de nos concitoyens, même si elle contribue à la sécurité subjective (objectif politique : rassurer).

Les interventions aériennes en Irak et en Syrie aident les États-Unis à donner le change d’une coalition et soutiennent la politique d’exportations d’armement dans le golfe mais ne contribuent que très marginalement à l’affaiblissement de Daesh. En revanche, elles diminuent directement la sécurité de nos concitoyens en nous faisant désigner par l’Etat Islamique comme leur objectif prioritaire en Europe.

Que dire du déploiement de nos forces en Pologne à la demande de l’OTAN face à la menace Russe en Ukraine, menace aussi inexistante que les armes de destruction massives en Irak, prétexte à l’intervention américaine de 2003.

Cette utilisation intensive de nos forces sur le théâtre sahélien (chaleur + sable), au Moyen-Orient et en Europe combinée à l’ancienneté moyenne très élevée de nos matériels et à des dépenses insuffisantes dans le renouvellement des équipements et dans leur maintien en condition opérationnelle (MCO) conduit à taux de disponibilité moyen des armements de nos armées semblable à ceux de pays en voie de développement.

Ce constat provient d’une étude menée par le député UMP de Haute-Marne, François Cornut-Gentille, qui a cherché à évaluer le coût du vieillissement des équipements militaires et, à ce titre, a demandé au ministère de la Défense qu’on lui fournisse le coût du maintien en condition opérationnelle (MCO), le taux de disponibilité et l’âge moyen des véhicules et équipements de l’armée française.

Le député avait posé ces questions le 7 janvier 2014. Le ministère y a répondu au goutte à goutte jusqu’à l’été 2014. Les chiffres sont accablants : le taux de disponibilité moyen des armements de l’armée de terre est de 50% [5]. Pour l’armée de l’air il est de l’ordre de 40% [6] pour les avions et de 20% pour les hélicoptères.

Malheureusement, la plupart de nos chefs militaires, nommés aux plus hautes fonctions par le pouvoir politique sont choisis pour leur échine souple et font au mieux avec ce qu’on leur donne.

Mais comme le rappelait le Colonel Michel Goya [7] : « Dans un pays qui produit pour plus de 2 000 milliards d’euros de richesse chaque année, moins de 50 sont prélevés pour assurer la défense de la France et des Français, pour environ 850 consacrés aux autres actions publiques et sociales. Pire, cet effort diminue régulièrement depuis vingt-cinq ans. Si, en termes de pourcentage du PIB, la France mondialisée faisait le même effort que la France de 1990, c’est entre 80 et 90 milliards qui seraient consacrés à la sécurité et à la défense ».

A défaut de pouvoir augmenter massivement l’effort de défense du pays, face à l’accroissement des menaces il est essentiel que nos responsables politiques mettent en cohérence les intérêts stratégiques de long terme de la France, la sécurité objective des français et les moyens consacrés à nos forces armées.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Général Jean-Claude Allard : Quatre remarques sur la stratégie française contre l’État Islamique

[2] Le 7 septembre, lors de sa conférence de presse, François Hollande avait indiqué que des vols de reconnaissance auraient désormais lieu au-dessus de la Syrie, en vue de trouver des objectifs, puis de les frapper.

[3] Il a fallu plus de dix heures pour que l’état-major des armées puisse s’exprimer sur le sujet par un communiqué mis en ligne vers 18h30…

[4] Jean-Claude Allad op.cit.

[5] Armée de terre : Le taux de disponibilité des véhicules blindés légers (VBL/VB2L vieux en moyenne de 15 ans) est nettement supérieur à celui des petits véhicules protégés (PVP, vieux de 4 ans) : 65 % contre 46,3 % (56 contre 50 en 2012). Les seconds ne sont pourtant vieux que de quatre ans contre quinze aux VBL. L’armée de terre ne compte plus que 254 chars Leclerc, âgés de neuf ans, pour un taux de disponibilité de 58,1 % en 2013. Les 3052 VAB et les 254 AMX 10 RCR, âgés de 30 ans en moyenne ont une disponibilité de 43,9 et 43,1. Le VBCI, âgé de 4 ans en moyenne à 77,5 % de disponibilité. Pour la logistique, les 1203 camions TRM10000 ont 22 ans de moyenne d’âge avec un taux de disponibilité de 40,43 %. Pour le génie de l’armée de terre, les 14 VBHP vieux de quatre ans, ont eu en 2013 un taux de disponibilité moyen de 11,3 %. Source : http://defense.blogs.lavoixdunord.fr/

[6] Les 83 Rafales (45,6 % de dispo). Les 33 Transall C-160 36 ans de moyenne d’âge ont une dispo de 43,2 %.Les 137 Gazelle moyenne d’âge 27 ans ont une disponibilité de 58 % (54,9 M€ d’entretien). Les 19 EC725 Caracal venant d’entrer en service ont 35 % de disponibilité. Les 40 Tigres cinq ans de moyenne d’âge ont une disponibilité de 22 % de dispo pour 98,5 M€ de MCO.

[7] Pourquoi limiter les coupes dans le budget de la Défense ne suffira pas à l’armée pour faire face à la guerre en cours

  1. Bonsoir,
    Votre billet est d’autant plus pertinent à la suite des terribles événements de ce vendredi 13.
    Notamment ce passage : « ainsi que sur la préparation d’un grand attentat commis par des équipes de djihadistes étrangers est la seconde motivation de cette décision »
    On peut de demander s’il s’agit d’un constat d’évidence inéluctable au vu de la tournue des événements ou bien si vous ne saviez a ce moment la que cet attentat était en préparation !
    Merci en tous cas pour vos éclairages précieux.

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