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Les 6 raisons géopolitiques et stratégiques pour ne pas intervenir en Syrie

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En allant à l’ONU défendre la position de la France alors que sa cote de popularité est au plus bas chez les Français [1], François Hollande s’entête dans son erreur stratégique de vouloir armer les rebelles syriens et dans sa volonté d’introduire dans une résolution onusienne la possibilité d’une intervention militaire en Syrie. Cette proposition ne sera jamais acceptée par le conseil de sécurité car si l’utilisation d’armes chimiques en Syrie est avérée et reconnue par l’ONU aucune preuve directe n’existe que ce soit le fait du régime d’Assad, permettant à la Russie de soutenir le contraire.

Outre l’absence de légitimité internationale sans un mandat onusien ce dont les Américains se sont déjà passés pour faire la guerre à l’Irak, sous prétexte de la présence d’armes de destruction massive, voici les six raisons pour lesquelles intervenir militairement en Syrie serait une erreur stratégique et géopolitique.

1. On ajouterait la guerre à la guerre. Que se passera-t-il si un missile occidental s’abat sur un dépôt d’armes chimiques et cause la mort de milliers de Syriens ? Or c’est peut-être ce qui s’est déjà passé dans la banlieue de Damas. Il y a eu, d’après les inspecteurs de l’ONU, des tirs venant des forces d’Al-Assad mais des experts en armes chimiques émettent l’hypothèse que ces tirs aient pu toucher un laboratoire clandestin de la rébellion qui fabriquait du sarin :« Le sarin n’est pas une substance compliquée à fabriquer; avec quelques ingénieurs chimistes et quelques artificiers, on peut produire de quoi décimer une ville entière; rappelons-nous les attentats dans la métro de Tokyo, perpétrés par la secte Aum le 20 mars 1995; l’excellent livre d’Haruki Murakami « Underground » en témoigne à l’évidence. Mais cela représente également quelques risques pour les préparateurs. Une maladresse est toujours possible et elle peut avoir des conséquences dramatiques pour leur environnement. Un tir d’artillerie ou de mortier ‘loyaliste’ peut aussi avoir touché un laboratoire de ce type » [2].
Que se passera-t-il aussi si, après les frappes aériennes, le régime d’Al-Assad ne s’effondre pas ? Si les navires russes qui croisent en Méditerranée [3] frappent à leur tour les positions rebelles ou si l’Iran envoie des milliers de combattants au secours d’Assad ? Pourrons-nous maîtriser une éventuelle escalade ?

2. On tombe de Charybde en Scylla. En livrant des armes à l’ALS on risque de les retrouver dans les mains des islamistes d’Al Qaïda. Qui peut aujourd’hui affirmer que l’ALS n’est pas infiltrée par des islamistes radicaux ? Sur le terrain ils combattent côte à côte et qui empêchera un membre d’Al-Qaïda de s’emparer de l’arme d’un rebelle de l’ALS, mort ou blessé ? C’est aussi l’avis du Président de la sous-commision Sécurité et défense au Parlement européen, Arnaud Danjean qui ne cache pas son scepticisme : « De telles livraisons seront totalement incontrôlables ». Ajoutant : « Celles qui le seront ne concerneront que des unités excentrées, donc pas décisives. » Cet ancien de la DGSE, qui a servi en Bosnie et au Kosovo dans les années 1990, était déjà opposé à la levée de l’embargo sur les armes à destination du gouvernement bosniaque ou des rebelles albanophones de l’UCK à l’époque du conflit dans l’ex-Yougoslavie. Et le député européen de conclure : « Le principal problème reste la fragmentation absolue des groupes rebelles. » [4]

3. On prend parti ouvertement dans une guerre civile confessionnelle. En Syrie, ce n’est pas une révolution qui s’y déroule. Si Al-Assad se maintient au pouvoir depuis deux ans et demi c’est qu’il est soutenu par toutes les minorités religieuses [5] (alaouites, chiites, chrétiens de toutes obédiences) qui vivaient en paix sur le sol syrien. La victoire des islamistes sunnites serait pour elles la mort ou l’exil. Les alaouites sont, en effet, considérés par l’Islam sunnite comme des apostats [6]. Cela leur a valu, au XIVème siècle, une fatwa du jurisconsulte salafiste Ibn Taymiyya, l’ancêtre du wahhabisme actuel, prescrivant leur persécution systématique et leur génocide. Sa fatwa n’a jamais été remise en cause et est toujours d’actualité, notamment chez les salafistes, les wahhabites et les Frères musulmans. Persécutés pendant six siècles, les alaouites n’ont pris leur revanche qu’avec le coup d’Etat d’Hafez el-Assad, le père de Bachar. La guerre civile confessionnelle est sous-jacente à l’histoire syrienne. Ainsi, en 1980, un commando de Frères musulmans s’était introduit dans l’école des cadets de l’armée de terre d’Alep. Écartant les élèves officiers sunnites, il a massacré 80 cadets alaouites au couteau et au fusil d’assaut en application de la fatwa d’Ibn Taymiyya. Les Frères l’ont payé cher en 1982 à Hama – fief de la confrérie – qui fut pratiquement rasée par son frère, Rifaat al-Assad, faisant plus de 10 000 victimes.

4. On rejoint ouvertement le camp d’une coalition dominée par l’obscurantisme religieux. Premier sponsor des rebelles dans cette guerre confessionnelle, l’Arabie Saoudite est une monarchie moyenâgeuse, promoteur de l’école hanbaliste de l’islam sunnite, la plus traditionaliste, qui piétine les droits de la femme et d’où sont issus le courant de pensée radical walabite ainsi que les organisations terroristes des frères musulmans et des salafistes d’Al-Qaïda. Second sponsor, le premier ministre Turc Erdogan, proche des frères musulmans, qui veut imposer aux Turcs un islam rigoriste et qui arme des « katibas » composées d’islamistes radicaux turcs et kurdes [7].

5. On s’expose à des représailles de l’autre camp : boycott de nos entreprises en Irak et en Iran voire des actes terroristes contre nos expatriés et sur notre territoire national. En effet, l’Iran et l’Irak, pays à dominante shiite, soutiennent Al-Assad car ils savent qu’un califat islamiste exporterait la guerre civile dans leur pays. C’est déjà le cas en Irak où la minorité sunnite (20% de la population), maltraitée par Maliki, est déjà en rébellion contre le pouvoir shiite et protège les terroristes revendiquant leur appartenance à la mouvance d’Al-Qaïda. L’Irak est déjà contaminé par la guerre civile syrienne (en août 570 morts et 1200 blessés ont été recensés sur le territoire irakien).

6. On contribue à recréer un climat de guerre froide avec la Russie ce qui sert les intérêts américains [8] alors que l’intérêt sécuritaire, économique et politique de l’Europe devrait la conduire à conclure une alliance stratégique avec ce pays qui accueille en son sein, comme en Europe, 25 millions de musulmans; qui dispose de ressources de matières premières dont nous avons besoin; qui permettrait à la voix de l’Europe de peser dans les relations internationales dominées dans un futur proche par le condominium sino-américain.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] La baisse de 5 points de la cote de popularité de François Hollande dans le baromètre IFOP-JDD (23% d’opinions favorables) est attribuée, en partie, à sa position en faveur d’une intervention militaire en Syrie.

[2] Général (2S) Alain Faupin.

[3] Le grand navire de débarquement Amiral Nevelskoy; le navire de lutte ASM Amiral Panteleiev a franchi les détroits turcs le 1er septembre; le navire de débarquement Minsk a franchi les détroits turcs le 5 septembre; le navire de débarquement Azov a franchi les détroits turcs le 20 août dernier; le navire de débarquement Nikolaï Filchenkov; le navire de débarquement Novotcherkassk a franchi les détroits turcs le 5 septembre; le navire de renseignement Priazovie (a franchi les Détroits turcs le 5 septembre; le navire de lutte ASM Smetlivy a quitté son port d’attache de Sébastopol et mis le cap sur la Méditerranée orientale; le croiseur lance-missiles Moskva, navire amiral de la flotte de la mer Noire, au retour d’une croisière dans l’Atlantique. Enfin, les vedettes lance-missiles Chtil et Ivanovets doivent également rejoindre l’escadre russe au large de la Syrie le 29 septembre prochain.
Source : RusNavy Intelligence.

[4] Livrer des armes aux rebelles syriens, le pari risqué de Hollande.

[5] Arabes sunnites 65%, Kurdes sunnites 10%, Alaouites 10%,Chrétiens 10% (dont Syriaques orthodoxes 3,5%, Grecs catholiques 1,5%, Grecs orthodoxes 1,2%, Arméniens orthodoxes 1%), Chiites 3,5%, Druzes, musulmans hétérodoxes, 1,5%.

[6] Mahomet aurait dit : « Quiconque change sa religion, tuez-le.».

[7] Intelligence online, Canal Moyen-Orient, édition du 11 septembre 2013.

[8] J’y ai consacré mon dernier livre : Russie, alliance vitale, Choiseul, 2011.

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