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La vraie menace nucléaire iranienne

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Les déclarations les plus fantaisistes concernant la menace nucléaire iranienne se multiplient depuis quelque jours. Elles génèrent une inquiétude réelle pour un public non averti comme en témoigne les messages sur les médias sociaux. Mais personne ne décrypte les vrais enjeux stratégiques qui se cachent derrière cette prolifération de commentaires.

Lutter contre la prolifération du nucléaire militaire est d’un intérêt stratégique pour les pays démocratiques qui possèdent des forces nucléaires car chaque fois qu’un nouveau pays accède à l’arme nucléaire, il sanctuarise son territoire. Si Kadhafi avait eu l’arme nucléaire, il aurait pu écraser la rébellion de Benghazi. Ni BHL, ni le Président Sarkozy n’auraient pu convaincre les Français et l’ONU d’assumer le risque d’une intervention militaire.

Si l’Iran acquiert l’arme nucléaire, plus aucun dirigeant politique occidental n’acceptera le risque de se lancer dans une « ingérence humanitaire » de type libyen et il n’y aura aucune chance pour que l’ONU la cautionne.

Mais il est faux de dire que l’accès à l’arme nucléaire par l’Iran constituera une menace directe contre Israël ou un pays arabe. Les dirigeants iraniens, aussi extrémistes soient-ils, ne sont pas fous. Ils peuvent en brandir la menace, ils ne l’utiliseront pas car ils légitimeraient, aux yeux de l’opinion mondiale, une riposte nucléaire qui anéantirait leur pouvoir. C’est ce qu’il faut comprendre dans les déclarations ambigües de Shimon Pérès.[1]

Il est encore plus faux de vouloir faire croire, comme les Américains s’efforcent de le faire, que cette menace justifie le déploiement d’un système de défense anti-missile en Europe et au Moyen-Orient. Tous les spécialistes savent qu’il serait incapable de garantir une interception à 100%, seule capacité pouvant justifier une telle dépense. Il est essentiel de réaffirmer que seule la certitude de représailles nucléaires massives contre son territoire peut dissuader un agresseur potentiel d’utiliser en premier cette arme de destruction massive.

Je reproche aux hommes politiques occidentaux, soit de ne pas faire le travail d’étude et de réflexion stratégique suffisant, ce qui les condamne à reproduire le langage que leur soufflent les lobbies militaro-industriels qui ont su se rendre indispensables au sein des appareils politiques, soit de n’être pas sincères vis-à-vis de leurs électeurs pour des raisons d’intérêts partisans.

Il est évident que les dirigeants iraniens actuels se sentent menacés par ce qui s’est passé en Libye. Leur légitimité est fragile comme l’ont montré les manifestations massives contestant les résultats de l’élection présidentielle de juin 2009 qui a reconduit au pouvoir, pour quatre ans, Mahmoud Ahmadinejad, le président de la République sortant. Qu’ils poussent les feux pour se doter de l’arme nucléaire est vraisemblable. C’est vrai que lorsqu’ils l’auront, toute intervention militaire pour soutenir une révolution comme en Libye deviendra politiquement impossible. Il est également vrai que cela leur permettrait de peser encore davantage et en toute impunité sur la scène politique irakienne dont l’Armée, dissoute en 2003 par la bêtise stratégique américaine, ne sera pas avant 2020 [2] en mesure d’assurer l’étanchéité des frontières de l’Irak.

Mais, de grâce, arrêtons de dire que l’arme nucléaire iranienne constitue une menace directe contre Israël ou les pays arabes. Bien plus, si l’Iran nucléaire se lançait dans une intervention extérieure ouverte déguisée comme l’a tenté le Pakistan au Cachemire [3], cela n’empêcherait pas une réaction classique des forces arabes soutenue par les occidentaux pour les reconduire à leurs frontières mais pas pour les poursuivre jusqu’à Téhéran. L’arme nucléaire ne sert qu’à dissuader une menace contre les intérêts vitaux, c’est-à-dire la survie même du pays qui la possède en tant qu’Etat et nation souveraine et indépendante. Tous ceux, hommes politiques ou experts, qui prétendent le contraire agitent des chiffons rouges, soit par ignorance, soit pour conforter des intérêts partisans.

Si nous voulons contribuer à faire éclore en Iran un pouvoir plus démocratique que la jeunesse iranienne éduquée appelle de ses vœux, ce n’est pas en diabolisant leur pays comme le font les conservateurs américains mais en ciblant très précisément nos critiques et nos sanctions contre Mahmoud Ahmadinejad et ceux qui le soutiennent.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Les israéliens possèdent au moins 200 armes nucléaires, même s’ils ne l’ont jamais confirmé.

[2] Elle est incapable aujourd’hui d’assurer la défense aux frontières aériennes, terrestres et maritimes. La force de l’air irakienne n’a ni avions de combat ni bombardier ni même un radar moderne pour surveiller les frontières de l’Irak longues de 3500 km avec les six Etats voisins. D’après un document du ministère irakien de la défense, l’armée irakienne ne sera prête à assumer ses missions qu’en 2020. Ce qui a été confirmé par le chef d’état-major de l’armée irakienne, Babekir Zibari.

[3] En mai 1999, des « combattants islamiques » s’infiltrent par la montagne à 5 000 m d’altitude au Cachemire et s’installent sur les hauteurs de Kargil, dans le haut, pour contrôler la route stratégique Srinagar-Leh. Même s’il est probable qu’ils aient reçu l’appui des services pakistanais et de soldats pakistanais habillés en civil, officiellement les forces classiques de l’armée pakistanaise n’ont pas été engagées contre l’armée indienne. Les Pakistanais avaient bien compris que la neutralisation entre puissances nucléaires ne les autorisait à affronter les Indiens que par le biais de conflits de basse intensité dans lesquels les enjeux vitaux des deux parties ne sont pas menacés et où le risque d’escalade est très limité. L’Inde a pu engager, courant juin, des forces conventionnelles suffisantes pour repousser les assaillants alors que le Pakistan ne pouvait pas contre-attaquer avec des forces classiques et entrer ouvertement en territoire indien, de peur de transformer le conflit en affrontement conventionnel de grande ampleur avec tous les risques d’escalade vers un conflit nucléaire. Les pertes indiennes se sont limitées à environ 500 morts, ce qui situe bien le niveau d’intensité de cette crise.

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